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Le grand invité Afrique

Le grand invité Afrique

RFI

Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

968 - «Les jeunes Africains sont emprisonnés chez eux», selon le chanteur sénégalais Lass
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  • 968 - «Les jeunes Africains sont emprisonnés chez eux», selon le chanteur sénégalais Lass

    Lass est un chanteur attachant, ancré dans la tradition musicale de l’Afrique de l’Ouest, inspiré par les grands orchestres mais qui sait aussi teinter sa musique d’influences modernes et de rythmes électroniques. Il vient de publier son deuxième album, Passeport, l’occasion d’évoquer avec lui les attentes des nouvelles générations dans son pays, le Sénégal.

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    Sat, 01 Jun 2024
  • 967 - «La Libye joue le rôle de plateforme logistique pour la Russie» en Afrique, selon le collectif «All Eyes on Wagner»

    La Libye, plus que jamais porte d'entrée de la Russie sur le continent africain. Selon plusieurs observateurs dont le collectif « All Eyes on Wagner », la Russie augmente depuis plusieurs mois sa présence dans des ports comme Syrte ou Tobrouk pour débarquer armes et militaires. Une stratégie qui atteste l'idée que Moscou et les supplétifs d'Africa Corps (ex-Wagner) ont bien décidé de renforcer leurs positions en Afrique du Nord et au Sahel. Lou Osborn du collectif « All Eyes on Wagner » est notre invité ce matin. 

    RFI : En ce moment, vos yeux sont particulièrement tournés vers la Libye. Depuis quelques mois, on constate un accroissement des livraisons d'armes et de débarquement d'hommes en provenance de Russie. Où ont lieu ces débarquements et quel est le but supposé ?

    Lou Osborn : La première chose, c'est qu’une partie de ces combattants qui arrivent est, après, renvoyée dans les nouveaux territoires occupés par African Corps : le Niger et le Burkina Faso. Dans ce sens-là, la Libye joue le rôle de plateforme logistique pour les opérations de la Russie. C'était déjà le rôle que la Libye avait à un moment donné pour le groupe Wagner. Donc, ils remettent ça en route. La deuxième chose, c'est qu'une partie des combattants reste, à priori, en Libye. Mais la Russie a pour projet d'établir une base navale qui lui mettrait les pieds dans la Méditerranée.

    Sur des emprises portuaires entre Syrte, en Libye, et Port-Soudan côté Soudanais, est-ce qu’il y a une volonté de trouver des accès portuaires, un débouché sur la mer, et à quoi correspondrait cette stratégie ?

    Clairement, aujourd'hui - et je pense plus sur la Libye que sur le Soudan -, ça crée une espèce de couloir avec la Syrie, évidemment. Aussi, on a vu que toute la partie golfe persique était aussi dérangée par ce qui se passait avec le Yémen - les Houthis - et donc, derrière, un petit peu, la main de l'Iran. Quelque part, ça crée un couloir qui est assez intéressant pour les Russes avec une voie maritime qu’ils peuvent contrôler. Ça crée aussi des nouveaux points de pression sur le front occidental. Quand ils auront cette base navale en Libye, ils vont être directement en face de l'Europe. Cela sert à plusieurs choses.

    Est-ce qu’il y a encore un distinguo entre les mercenaires d’Africa Corps et les autorités officielles, et - question subsidiaire : beaucoup de membres d’Africa Corps affichent encore des blasons Wagner sur leurs uniformes, est-ce un mélange des genres, une confusion, ou tout cela est en fait la même entité ?

    C'est un peu la question à un million de dollars en ce moment ! La distinction n’est pas encore très claire et, aujourd'hui d'ailleurs, on remarque déjà que les pays employeurs, par exemple la Centrafrique, le Mali, le Burkina, le Niger, continuent à parler d'« instructeurs russes ». Eux, sont assez cohérents dans leur appellation. Aujourd'hui, on sait qu'il y a un petit groupe de Wagner historique qui serait toujours en train de faire leurs propres affaires, plutôt en Centrafrique. Depuis la mort d’Evgueni Prigojine, il y a eu une volonté de reprise des activités du groupe Wagner et de les mettre sous contrôle, notamment du renseignement militaire russe, le GRU. Mais il reste très compliqué de vraiment distinguer qui est chez qui, qui fait quoi ? Cela étant, Wagner reste une « marque » qui a encore beaucoup de succès et qui pèse beaucoup, donc ils ne l’ont pas complètement détruite. D'ailleurs, cela serait stupide, car Wagner a une histoire, une légende, ses codes, etc. Finalement, ça crée de la cohésion et de l'envie d'aller travailler pour ce type de structure.

    L'Iran et la Turquie, en conjugaison, en bonne intelligence avec la Russie, trouvent aussi des intérêts dans cette inversion, ce chamboulement des équilibres en Afrique ?

    Sur l'Iran, aujourd'hui, on dirait qu'il y a plus une convergence d'intérêt. On voit, par exemple, qu'il y a un certain nombre de dirigeants qui vont d'abord rencontrer les Russes pour amener par la suite des discussions avec des dirigeants iraniens. Il y a cette convergence-là. Cependant, sur la Turquie, on voit plutôt une espèce d'opposition. Déjà en Libye, le gouvernement de Tripoli est historiquement plutôt soutenu par la Turquie, alors que les territoires du maréchal Haftar, c'est plutôt la Russie. Aujourd'hui, on voit l’arrivée sur une partie du Sahel d’une autre organisation paramilitaire qui s'appelle Sadat, qui est Turque, qui est déjà présente en Libye depuis plusieurs années et qui assurerait la sécurité d'officiels au Mali, alors qu'une autre partie des officiels est plutôt sécurisée par Wagner. Ils seraient aussi en train d'arriver au Niger. Là, grosse question, parce qu'ils vont se regarder en chiens de faïence, et ce n'est pas dit que ça soit forcément voulu.

    Visiblement, les soldes versées aux mercenaires turcs sont d'un niveau inférieur à celles versées à Wagner. Cela veut dire que les Russes ne sont plus les seuls acteurs dans le mercenariat africain ?

    C'est la première fois qu'on les voit arriver, plutôt sur la partie Sahel. Mais là où, à mon sens, il y a un avantage, c'est que la Turquie est aussi très active économiquement sur le continent. Aujourd’hui, elle est, peut-être, légèrement meilleure, un peu plus compétitive, voire possède de meilleures positions que la Russie. En tout cas, cela crée une nouvelle alternative ou un autre choix.

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    Fri, 31 May 2024
  • 966 - RDC: «Réchauffement climatique, El Niño, déforestation sont les causes des averses et inondations»

    El Niño est-il responsable des pluies torrentielles qui s'abattent sur l'Afrique de l'Est ? La question divise les spécialistes. Voici le point de vue du professeur congolais Jean-Pierre Djibu, qui dirige au Katanga l'Observatoire régional de changement climatique et qui enseigne à l'université de Lubumbashi. Selon lui, les averses ne viennent pas directement d'El Niño, dans l'océan Pacifique, mais d'une réplique de ce phénomène climatique au niveau de l'immense lac Tanganyika. D'où les très graves inondations à Kaliémie. En ligne de Lubumbashi, le climatologue congolais répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Comment expliquez-vous ces pluies torrentielles qui s’abattent sur les provinces du Tanganyika et du Sud-Kivu ?

    Jean-Pierre Djibu :Quand on prend le lac Tanganyika, c’est un lac de plus de 700 kilomètres de long et de 70 kilomètres de large, pratiquement 35 000 km² de superficie – l’équivalent d’un État comme la Belgique. Mais, ce lac draine un bassin de plus de 250 000 km² au niveau de quatre pays que sont le Burundi, la République démocratique du Congo (RDC), la Zambie et la Tanzanie. Alors, parmi les causes naturelles, il faut comprendre que, à l’allure où va le réchauffement de la partie superficielle du lac, il y a un risque, éventuellement, que la température augmente jusqu’à trois degrés d'ici à la fin du XXIe siècle. Et plus la température augmente à la surface du lac, plus on constate que le comportement se produit comme un phénomène El Niño. Bien sûr que ce phénomène se produit dans l’Océan, mais il est maintenant reflété au niveau du lac, parce qu’il s’agit d’un grand lac, qui couvre une grande superficie. La partie superficielle étant réchauffée, les eaux profondes étant beaucoup plus froides, qu’est-ce qui se passe ? Il y a une grande évaporation et une grande augmentation d’évaporation qui va rendre l’atmosphère humide. Toute la région devient humide et il y a une forte formation de nuages, ce que l’on appelle les cumulonimbus. On a des précipitations d’averses avec une certaine agressivité. C’est vraiment la toute première fois depuis 2013 qu’on a eu le niveau du lac qui a augmenté de 276 à 293 mètres, ce qui est une grande quantité.

    Ce réchauffement des eaux à la surface du lac, à quoi est-il dû ?

    Il est dû au réchauffement climatique.

    Donc, on aurait affaire à l’addition de deux phénomènes : le réchauffement climatique, plus El Niño ?

    Exactement. Avec le facteur aggravant qui est le facteur anthropique, la déforestation.

    Et la surpopulation sur les berges ?

    La surpopulation et l’aménagement anarchique de terrains, l’occupation anarchique du bassin du lac.

    Donc, le phénomène El Niño, ce n’est pas simplement dans l’Océan Pacifique, c’est aussi sur le lac Tanganyika ?

    Exactement. Nous avons, aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, tout ceci qui a provoqué le phénomène El Niño au niveau de la plupart des lacs africains, mais c’est spécialement le lac Tanganyika qui devient indicateur dans cette tendance. Parce que les études faites nous montrent qu’il y a quelque chose qui est en train d’être modifié au niveau du comportement, en ce qui concerne le cycle de l’eau dans ce lac.

    Est-ce que le même phénomène se produit au niveau du lac Victoria, plus au nord ?

    Exactement, cela se fait de la même manière.

    Ce phénomène El Niñosur le lac Tanganyika, est-ce qui s’est déjà produit au XIXe siècle ou au XXe siècle ?

    Oui, au XVIIIe siècle, on a connu des fortes inondations au niveau du lac Tanganyika. Même au XXe siècle, on a connu [ce type d’inondations]. Mais, là, nous avons une particularité : le niveau d’eau, par rapport aux mesures déjà connues, pendant une longue période, est beaucoup plus élevé. On est arrivé à 793 mètres, ce qui est très élevé au niveau de la quantité d’eau qui a été augmentée.

    793 mètres… Et cela, c’est un niveau exceptionnel ?

    C’est un niveau exceptionnel, oui. Avant, le bassin du lac Tanganyika n’était pas un bassin aménagé. Ce sont là qu’interviennent des causes anthropiques. Actuellement, c’est un bassin qui a été loti, aménagé. Il y a des constructions, des villes, des maisons, des routes, des cultures… Il s’agit de lits [de rivière]. Et, malheureusement, ces lits ont été aménagés de manière quasiment anarchique, sans respecter les normes au niveau de l’environnement. C’est pourquoi nous avons des catastrophes qui sont liées aux activités anthropiques.

    Lors de la précédente montée du lac Tanganyika en 2021, Madame la ministre de l’Environnement, Ève Bazaiba, dénonçait déjà l’occupation anarchique des berges du lac et des rivières. Est-ce que des mesures ont-été prises depuis trois ans ?

    Non, aucune mesure. Normalement, dans des situations comme cela, on est censé prendre des mesures draconiennes ! Parce qu’il y avait déjà un avertissement, il y a plus de dix ans. Un avertissement sur le réchauffement superficiel des eaux du lac Tanganyika, lié au réchauffement climatique, avec le risque éventuel des inondations extrêmes. Mais, malheureusement, aucune mesure n’a été prise à ce niveau-là.

    Par ailleurs, la construction de digues avait été annoncée ces dernières années, pour limiter la montée des eaux. Est-ce que ces digues ont été construites ?

    C’est une solution sans valeur, parce que la meilleure des façons est de combiner des solutions. C’est-à-dire, même si on peut construire des digues éventuellement, on doit faire de la reforestation parce que tout le bassin du lac Tanganyika a été complètement déforesté. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de végétation et lorsqu’il n’y a pas de végétation, il n’y a plus de moyens de rétention afin de pouvoir garder l’eau et permettre l’infiltration. Ce qui se passe, c’est le ruissellement, et ce ruissellement est accompagné d’érosion. Donc, il faut combiner la construction de digues, ce qui doit être vraiment accessoire, avec le reboisement du bassin du lac. S’il faut reboiser le bassin du lac, ce n’est pas simplement se contenter de la partie congolaise ! Le bassin du lac, il comprend l’ensemble des quatre pays. La Zambie, la Tanzanie, le Burundi et la RDC. Cela signifierait qu’il faudrait des efforts communs entre les quatre pays. Même si on arrivait, également, à reforester, il faut passer par l’étape où l’on délocaliserait les personnes. On ne peut reforester que l’endroit qui n’est pas occupé. Or, tout le bassin, plus de 60%, est pratiquement aménagé. Il faudrait arriver à délocaliser les personnes avant de pouvoir faire le reboisement.

    Mais, pour déménager ces personnes, il faut leur trouver de nouveaux emplacements et cela est très difficile, j’imagine…

    Évidemment, c’est un autre aspect. Il y a quand même l’espace pour essayer de délocaliser les populations et les mettre à l’abri. Je crois que les quatre pays, dont la RDC, ont suffisamment d’espace pour ce genre de choses. Parce que ces catastrophes ont créé beaucoup de conséquences, il y a eu beaucoup de morts par inondations, que ça soit à Kalémie, à Uvira, à Kigoma… À Uvira, on a eu énormément de morts !

    Autre phénomène, à quelques centaines de kilomètres plus au sud, en Zambie, où les populations sont touchées par une sécheresse exceptionnelle. Comment expliquez-vous qu’il pleuve beaucoup au Congo-Kinshasa et pas du tout en Zambie ?

    Le phénomène El Niño fait les deux à la fois ! Soit une augmentation de température sur une surface d’eau, comme je l’ai dit sur les grands lacs, occupant une grande superficie et provoquant la formation de cumulonimbus, de nuages de précipitations, et on a des averses dans cette zone. Soit, en Zambie, il n’y a pas de lac, donc on a un sol qui se réchauffe et avec l’évaporation, il n’y a pas suffisamment d’humidité dans l’atmosphère et nous avons une sécheresse. Cette sécheresse est liée aussi au phénomène El Niño. Ça fait les deux ! Cela provoque soit les inondations, les fortes précipitations, soit également de fortes sécheresses. Cela est aggravé, également, par le désert de Namib qui a tendance à avancer vers le nord, donc en poussant vers l’Angola et la Zambie.

    D’où le paradoxe El Niño, des pluies au Congo et la sécheresse en Zambie.

    Exactement.

    Est-ce que les autorités politiques de ces deux pays ont pris conscience de la gravité de ce phénomène climatique ?

    Non ! C’est un autre aspect. En Zambie, ils sont en train de réfléchir en ce qui concerne les conséquences sur le plan de la sécurité alimentaire, sur le plan de la santé, parce que plus il fait chaud, plus il y a la prolifération de nouvelles maladies qui sont liées à des pandémies, liées à des virus qui ont tendance à vouloir muter génétiquement et à s’adapter à des conditions beaucoup plus extrêmes. Là, au moins, ils réfléchissent sur la sécurité sanitaire et la sécurité alimentaire. Bon, pas de manière aussi poussée, en RDC, nous avons l’impression que l’on en parle, qu’il y a de bonnes intentions, mais ça s’arrête là, il n’y a jamais de suivi !

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    Thu, 30 May 2024
  • 965 - Matata Ponyo (RDC): «Les malédictions des institutions et du leadership sont les vraies causes du retard économique»

    Quelle est la vraie cause du retard économique de la République démocratique du Congo ? Ce n'est ni le climat tropical, ni le poids des traditions, ni ce qu'on appelle la « malédiction des ressources naturelles », affirme l'ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon, qui publie Économie politique des malédictions du développement aux éditions Bruylant. Les vraies causes, dit-il, tiennent à des institutions fragiles et à un leadership défaillant. De passage à Paris, l'opposant congolais, qui a dirigé le gouvernement de 2012 à 2016 et qui vient d'être élu député national aux législatives du 20 décembre, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Les évènements meurtriers du 19 mai, à Kinshasa, est-ce qui s’agit, selon vous, d’une tentative de coup d’État ou d’une tentative d’assassinat ?

    Matata Ponyo Mapon :Il est, pour moi, difficile d’affirmer qu’il s’agit d’une tentative de coup d’État. Une tentative de coup d’État vise à mettre fin au pouvoir d’un chef d’État. Alors que, dans le cas d’espèce, on a vu que cette tentative a visé plutôt la résidence d’un ex-ministre de l’Économie, d’un député devenu président de l’Assemblée nationale depuis la semaine dernière. Je crois que ce n’est pas, au sens propre, un coup d’État.

    Quand son domicile a été attaqué, Vital Kamérhé n’avait pas encore été élu président de l’Assemblée nationale. Plusieurs partis de la coalition présidentielle de l’Union sacrée espéraient encore pouvoir l’empêcher de prendre le perchoir. Peut-il y avoir un lien entre l’attaque de son domicile et cette compétition pour le perchoir ?

    Beaucoup de gens spéculent sur cette relation. Mais, moi, en tant que professionnel de la politique, je crois qu’il faut laisser les conclusions de l’enquête pouvoir déterminer quels types de relations existent entre cette tentative d’élimination physique et son élection au perchoir de l’Assemblée nationale.

    Mais cela ne va pas créer un climat de méfiance au sein de la coalition présidentielle ?

    Il va sans dire que cela va, effectivement, affecter le climat de confiance. Ce type de situation est de nature à créer des tensions entre les opérateurs politiques, parce que la méfiance va pouvoir s’installer et les gens seront appelés à devenir beaucoup plus prudents. Je pense qu’il y a moyen de pouvoir plaider pour une certaine détente politique.

    Vous venez de publier, avec Jean-Paul K. Tsasa, Économie politique des malédictions du Développement aux éditions Bruylant. Un livre dans lequel vous partez en guerre contre les idées reçues sur le sous-développement. Quelles sont ces idées reçues ?

    La première théorie essaye d’expliquer la relation qui existe entre la localisation géographique, ou le climat, et le développement. C’est ce que nous avons qualifié de la malédiction « climat », ou l’explication du sous-développement par la localisation géographique.

    Et par le climat tropical.

    Et par le climat tropical.

    Mais c’est une fausse explication ?

    Cette thèse, pour nous, n’est pas suffisante. Elle paraît cohérente, mais nous la classons comme étant une analyse qui n’est pas très approfondie. Pourquoi ? Parce que nous voyons, en ce qui concerne le pays à climat tropical, qu’il y en a qui sont avancés : le Brésil, par exemple.

    Deuxième explication possible du sous-développement, dites-vous, celle que vous appelez le « binôme culture-race ».

    Là aussi, nous avons essayé d’examiner. Parce qu’il y a des études théoriques et empiriques qui affirment que la culture et la race peuvent expliquer le sous-développement ! Nous prenons le cas des deux Corées, la Corée du Nord et la Corée du Sud. Deux pays qui ont la même culture, qui ont la même race, mais la Corée du Sud est, de loin, plus avancée que la Corée du Nord. Là aussi, la race et la culture ne sont pas en mesure d’expliquer de manière tout à fait fondamentale les différentiels de développement.

    Troisième explication possible du sous-développement, dites-vous, la malédiction des ressources naturelles, mais, là aussi, vous n’y croyez pas ?

    Non, c’est ce que l’on appelle le « paradoxe de l’abondance », c’est-à-dire que les ressources naturelles pourraient expliquer un certain sous-développement, comme la République démocratique du Congo qui est un exemple typique. Mais, laissez-moi vous dire qu’il y a beaucoup de pays qui ont des ressources naturelles, comme le Botswana, qui sont avancés. Si nous montons au nord, vous avez la Norvège, qui est un pays qui a beaucoup de ressources. Les États-Unis aussi ont des ressources, le Canada… Mais ces pays ne sont pas pour autant sous-développés.

    Alors, quelle est, d’après-vous, la vraie cause du sous-développement d’un pays comme le vôtre ?

    Peut-être, avant d’arriver à la vraie cause, peut-être que je pourrais évoquer cette malédiction du Fonds monétaire international (FMI). Parce que certaines études théoriques et empiriques essayent de dire que tous les pays qui ont été en programme avec le FMI affichent des croissances très faibles. Mais là aussi, l’étude que nous avons développée démontre cette insuffisance, ce n’est pas une cause suffisante !

    Alors, quelle est la vraie cause ?

    Les vraies causes, ce sont ce que nous avons appelé les malédictions des institutions et les malédictions de leadership. Ce que nous pouvons considérer comme les vraies causes du sous-développement parce que l’étude, qui a été menée notamment par Douglass North, Daron Acemoglu et James Robinson, montre que les institutions de qualité expliquent le progrès et le développement.

    C’est ce que disait Barack Obama dans un célèbre discours au Ghana en juillet 2009, « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ».

    Oui, d’institutions fortes ! Les institutions de faible qualité entrainent le sous-développement. Les institutions de qualité, celles dont a parlé Obama, favorisent la bonne gouvernance, l’État de droit, la promotion du secteur privé. Mais, cette malédiction des institutions, elle ne nous paraît aussi pas très fondamentale. La malédiction de leadership, c’est celle qui explique la malédiction des institutions. Pourquoi ? Parce que les institutions sont créées par les hommes. Ce sont les hommes qui produisent les institutions de qualité ou les institutions de faible qualité.

    Donc, vous allez plus loin qu’Obama, vous dites qu’il ne peut pas y avoir de bonnes institutions sans de bons leaders ?

    Effectivement. Parce que, avec le temps, le leadership n’a plus la même vigueur. Ce sont les hommes qui produisent les bonnes institutions, qui les consolident et qui les solidifient.

    Y a-t-il eu, dans l’histoire de votre pays, la République démocratique du Congo, des leaders compétents ?

    Dans ce livre, nous essayons de démontrer, par rapport à la malédiction du Fonds monétaire international, que, entre 2012 et 2016 – j’étais Premier ministre – un leadership de qualité a permis de produire des institutions de qualité, qui ont permis d’avoir un taux de croissance moyen sur cinq ans de 7,7% contre une moyenne de 3,5% pour l’ensemble du continent africain !

    Et, en dehors de vous-même, Matata Ponyo Mapon, y a-t-il eu dans l’histoire du Congo un Premier ministre, voire un président compétent ?

    Bien sûr, le Premier ministre Patrice Lumumba, je crois que c’est un homme de valeur, malheureusement le Premier ministre Lumumba n’a pas eu le temps de travailler longtemps, il est mort, comme vous le savez, lors de l’accès de notre pays à l’indépendance.

    Y a-t-il, dans l’histoire de l’Afrique, un président ou un Premier ministre qui a montré ses compétences de leader ces dernières années ?

    Je crois que nous avons plusieurs pays… L’Éthiopie, dont le Premier ministre a reçu le prix Nobel en 2019. Vous avez une entreprise publique de transport aérien comme Ethiopian Airlines qui fait la fierté du continent africain. Cela, c’est le produit d’un leadership de qualité.

    C’est le seul pays que vous donneriez en exemple sur le Continent ? Parce qu’il est très contesté, vous le savez, sur le plan des Droits de l’homme, notamment depuis la guerre civile avec le Tigré.

    Vous savez, sur cette question-là, il faut plutôt analyser les choses globalement. Même le meilleur leadership ne manque pas de faiblesses…

    L’une des conditions d’un bon leadership, c’est, dites-vous, l’intégrité, le refus de toute corruption. Or, vous-même, vous êtes accusé, en ce moment, par la justice congolaise, d’être impliqué dans le détournement de quelque 115 millions d’euros d’argent public, c’était lors du lancement du parc agro-industriel de Bukanga-Lonzo. À l’époque, vous étiez le Premier ministre du président Joseph Kabila. Le procès doit s’ouvrir à Kinshasa le 22 juillet. Qu’est-ce que vous répondez à vos accusateurs ?

    Écoutez, un leader se crée des ennemis et des adversaires farouches. Tout le monde le sait, que ce projet était porteur d’espoir pour le peuple congolais. C’est un projet qui avait l’ambition de révolutionner le secteur agricole, de garantir, pendant dix ans, une certaine autosuffisance alimentaire. Nous avons lancé ce projet de parc agro-industriel dont le point d’inflexion, c’est-à-dire le point où le coût de production devait être égal aux ventes, c’est-à-dire que les recettes devaient équivaloir aux coûts de production, c’était dans les cinq ans. Avant ces cinq ans, ce projet devait être financé par le gouvernement. Et c’est ce que nous avons essayé de faire. Par souci de gouvernance, nous avons confié ce projet, dans un partenariat public-privé, à une entreprise professionnelle sud-africaine, qui a reconnu avoir reçu tous les fonds et qui a témoigné par écrit n’avoir remis aucun dollar à quelqu’un du gouvernement congolais et encore moins au Premier ministre. Ces écrits ont été certifiés par des autorités compétentes sud-africaines. Mais comment pouvez-vous poursuivre un Premier ministre qui n’a jamais été impliqué, ni de loin, ni de près, à la gestion de ce projet ? Pour votre information, ce procès est plutôt politique. Pour avoir refusé d’intégrer l’Union sacrée, c’est-à-dire d’approcher la famille présidentielle, on m’a promis ce procès ! Mais ce procès, c’est quand même un déni de la démocratie dans notre pays, un déni de la justice ! Parce que la Constitution congolaise ne permet pas de poursuivre un ancien Premier ministre ! Mais, malheureusement, la Constitution, qui est au-dessus de tout le monde, est violée systématiquement.

    Et si ce procès s’ouvre, comme prévu, le 22 juillet, vous serez présent au tribunal ?

    Je n’ai jamais fui ! Cela fait trois ans que ce procès m’a été intenté pour avoir refusé d’intégrer l’Union sacrée. L’exil m’a été offert, j’ai refusé de m’exiler. Je serai dans mon pays et je demanderai que la Constitution soit respectée. J’espère que ces poursuites vont pouvoir s’arrêter parce que la raison principale, c’est que j’ai refusé d’intégrer l’Union sacrée. Le président a été élu, je crois que ce feuilleton de mauvais augure va pouvoir s’arrêter.

    À la présidentielle de décembre dernier, vous avez d’abord été candidat. Puis, vous vous êtes ralliés à la candidature de Moïse Katumbi. Aujourd’hui, vous êtes député national, vous avez été élu à Kindu dans le Maniema avec l’un des meilleurs scores enregistrés aux législatives du 20 décembre dernier. Vous allez vous situer où, du côté de l’opposition ou du côté de la majorité ?

    C’est très bien de le rappeler, je suis l’un des meilleurs élus de la République démocratique du Congo, compte tenu de mon attachement à cette ville natale de Kindu. Je dois vous dire, en toute sincérité, la volonté de ceux qui m’ont élu de rester dans l’opposition. Donc, je vais demeurer dans l’opposition.

    Wed, 29 May 2024
  • 964 - Présidentielle en Côte d’Ivoire: «Sans ambiguïté notre candidat s’appelle Alassane Ouattara» (RHDP)

    En Côte d'Ivoire, le président Alassane Ouattara est le « candidat naturel» du parti au pouvoir en vue de la présidentielle de l'année prochaine, a annoncé lundi 27 mai le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Pourquoi ce choix, alors qu'Alassane Ouattara, 82 ans, est déjà en train d'effectuer un troisième mandat présidentiel ? Et où en sont les relations Ouattara-Soro ? Mamadou Touré est le ministre de la Promotion de la jeunesse et le porte-parole adjoint du gouvernement ivoirien. De passage à Paris où il vient de participer au salon Vivatech, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : La présidentielle ivoirienne est dans 15 mois. Alors, Mamadou Touré, comment se prépare le parti au pouvoir, le RHDP ? 

    Mamadou Touré : Sans ambiguïté, notre candidat s'appelle Alassane Ouattara. Nous sommes en train d'achever la restructuration du parti et le parti est en ordre de bataille pour remporter cette élection présidentielle dans 15 mois, dès le premier tour, fort du bilan positif que nous avons, fort des actions positives qui ont été menées en faveur des populations et puis fort des résultats obtenus il y a un an lors des élections locales qui, pour nous, étaient des élections intermédiaires – où le RHDP a raflé la majorité des sièges et surtout la majorité des voix.

    Mais êtes-vous certain qu’Alassane Ouattara va accepter la proposition que vous allez lui faire ? 

    Le Président n'a pas encore répondu à notre demande, mais ce qui est clair, sans ambiguïté, c'est que le RHDP, toutes les instances du parti, les cadres du parti et les militants du parti, estiment qu’Alassane Ouattara a encore beaucoup à apporter à ce pays. Et, dans un contexte national, sous-régional, mondial, aussi difficile, il a le leadership nécessaire pour conduire encore ce pays vers des lendemains meilleurs. 

    Le président Ouattara n'est plus tout jeune. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent que le RHDP devrait rajeunir ses cadres et investir un candidat plus jeune ? 

    Mais le RHDP a rajeuni ses cadres. Regardez, en comparaison à tous les autres partis politiques, les cadres ont été rajeunis au sein du RHDP de par la volonté politique du président Ouattara. Le rajeunissement des cadres dans un parti politique diffère du choix du candidat à l'élection présidentielle. Le choix du candidat à l’élection présidentielle, c'est avoir le meilleur poulain qui permet de rassembler le parti, le mettre en ordre de bataille, gagner l'élection présidentielle. Et cela, ce n'est pas une question d'âge, sinon, le président américain [Joe Biden], à 82 ans, ne serait pas candidat à sa propre succession, c'est une question de leadership et de capacité à rassembler sa famille politique et à fédérer les Ivoiriens pour gagner l’élection présidentielle. Et nous assumons qu'aujourd'hui, la meilleure personne qui remplit toutes ces conditions, c’est le président Alassane Ouattara. Et puis, aujourd'hui, l'enjeu pour notre pays, c’est un enjeu de stabilité. Vous savez, il ne faut pas regarder les choses simplement intra-Côte d'Ivoire, la Côte d’Ivoire doit être dans un ensemble sous-régional. On sait tous ce qui se passe aujourd'hui, on a besoin d'un chef qui peut garantir sa stabilité. 

    Alors dans l'opposition, du côté du PPA-CI, c'est Laurent Gbagbo qui vient d'être investi. Le problème, c'est que l'ancien président ivoirien n'est pas amnistié et reste donc inéligible. Est-ce que son amnistie est envisageable ? 

    Sur la question de l'amnistie, il est quand même curieux que – puisque l'amnistie est une loi qui passe au Parlement – le PPA-CI, qui a des députés à l'Assemblée nationale, n'ait jamais pris l'initiative d'une loi d’amnistie pour son propre candidat. C'est curieux. Donc le président Ouattara n'a aucun moyen aujourd'hui d'amnistier Laurent Gbagbo. Et le PPA-CI pourrait aussi initier un projet de loi à soumettre à l'Assemblée nationale. 

    Le PPA-CI demande à être reçu par le Premier ministre, est-ce que cette audience serait possible ? 

    Nous avons des institutions qui fonctionnent normalement. Le dialogue n'a jamais été rompu. Mais après, la question est de savoir : est-ce que, pour cette préoccupation du PPA-CI par rapport à une candidature de Laurent Gbagbo, la Primature est l'institution la plus indiquée ? Je pense que le PPA-CI sait qu'il y a des questions de justice, il y a des questions liées au processus électoral, et nous avons des institutions en charge de régler ces questions. 

    Autre adversaire du président Ouattara, son ancien Premier ministre, Guillaume Soro, qui vit en exil depuis 5 ans. Les deux personnalités, Alassane Ouattara et Guillaume Soro, ont échangé deux coups de téléphone fin mars, est-ce le signe de la réconciliation ? 

    Guillaume Soro a pris l'initiative d'appeler le président Alassane Ouattara pour lui présenter ses excuses pour les torts qu'il a pu lui causer et, en même temps, lui dire merci pour la libération de certains détenus proches de lui. Certains ont vu en cela un acte allant dans le sens d'un apaisement. Mais encore faut-il que les autres actes, en dehors de ce coup de fil, aillent dans ce sens. Ce que nous recherchons, c'est la sincérité dans les actes posés. Le président Ouattara a montré sa disposition à faire avancer ce pays et à consolider la paix. D'ailleurs, à la faveur de la CAN de janvier 2024, beaucoup de détenus militaires ou proches de l'opposition ont été libérés. Maintenant, il faut que chacun soit sincère dans les actes posés. 

    Vous doutez de la sincérité de Guillaume Soro. Cela veut-il dire que vous n'avez pas confiance en lui ? 

    Ce n’est pas mon opinion qui compte. Mais beaucoup d'observateurs considèrent qu'on ne peut pas la nuit demander pardon et la journée se mettre dans des activités subversives, ou avoir des propos à travers ses collaborateurs pour salir la réputation du président, etc. Et donc les actes posés par les plus proches collaborateurs ne sont pas en adéquation avec le coup de fil qui a été passé. Et cela amène à s'interroger.

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    Tue, 28 May 2024
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