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- 342 - LE ROYAUME X GLADIATOR II
Et si le cinéma français allait vers une certaine idée d'appellation contrôlée ? Depuis quelque temps maintenant, il est devenu acquis que le terme de territoire a quasiment remplacé celui de régions. Ça fait plus noble, mais surtout, ça commence à donner des idées à des cinéastes qui intègrent pleinement à leur récit, des endroits, une terre. Ainsi, le principe d'un cinéma made in Corscia creuse son sillon. Récemment, c'était À son image qui entremêlait parcours d'une photographe et histoire de l'île de beauté, aujourd'hui voici Le royaume, immersion dans un clan vu par le prisme de la fille d'un de ses parrains, qui va devoir accompagner son père dans une fuite en avant. Julien Colonna propose tout autant à son film de prendre le maquis en racontant la Corse et ses complexités sans jamais s'aventurer sur le terrain du politique. Le royaume se concentrant sur des liens du sang qui vont épaissir une vendetta. Et à travers ce duo père-fille qui s'apprivoise tout en voyant les cadavres s'amonceler autour d'eux, faire le constat d'un cycle de la violence qui se perpétue, devient un héritage tragique de générations en générations. Si Le royaume, film de gangsters antispectaculaire mais d'une rare puissance pour s'infiltrer dans l'intimité tient d'un requiem, il est aussi celui d'une naissance : celle de Ghjuvanna Benedetti, renversante apparition d'une actrice de caractère. Bien loin de la Corse, il y a un autre royaume, celui du cinéma hollywoodien. Où quelque chose est en train de pourrir. J'aurais adoré évoquer la sortie de Gladiator II, la sortie maousse de cette semaine, ce ne sera pas le cas, faute d'avoir eu accès à ses projections presse, verrouillées à l'extrême par son distributeur. Une tendance qui s'amplifie, les grands studios américains décrétant de plus en plus, comme un empereur romain selon son bon plaisir, quel média est digne ou non de voir leurs films, estimant qu'une campagne d'affichage maousse et des tapis rouges d'avant-premières commentés par des influenceurs sont plus profitables qu'une chronique. Paul Mescal est-il donc un successeur notable de Russell Crowe dans le nouveau néo-péplum signé Ridley Scott ? Cette suite était-elle nécessaire ? Aucune idée. À l'inverse, il est certain que les relations entre ces studios et la presse cinéma tiennent désormais de tristes jeux du cirque, ouvrant une arène où les combats vont être rudes. Le royaume / Gladiator II. En salles le 13 novembre
Thu, 14 Nov 2024 - 02min - 341 - THE SUBSTANCE X AU BOULOT !
Bien malin celui qui oserait dire que le cinéma d'horreur est resté domaine réservé au genre masculin. Depuis plusieurs années maintenant, les réalisatrices se sont emparées de ce genre. Normal, quand il peut être l'endroit où faire parler sa colère. Ainsi de The Substance, variation du Portrait de Dorian Gray, recontextualisée dans une époque contemporaine qui n'en a toujours pas fini avec l'objetisation des corps féminins. Voilà donc une présentatrice d'émission de fitness qui se fait virer du jour au lendemain parce que jugée trop vieille, à qui l'on propose un produit-miracle lui permettant de créer son double dans une version rajeunie. Seule contrainte, elles doivent partager leur temps, une semaine sur deux. La suite sera une fable gore sur le règne de l'image à outrance et des névroses profondes qui en découlent. The Substance se lit d'autant plus entre les lignes, que Coralie Fargeat a extirpé des limbes Demi Moore, actrice reine du box-office dans les années 80-90, quasi-portée disparue une fois la cinquantaine atteinte. C'est peu de dire que Demi ne fait pas les choses à moitié pour cette résurrection, pour une performance ahurissante, entre autocritique et règlement de comptes avec la sphère médiatique. The Substance tient de toute façon d'une cure de jouvence, en se ressourçant pleinement aux excès du cinéma d'horreur indépendant américain des années 80, parfois jusqu'à n'être que son recyclage. Dommage qu'en n'y apportant, à l'exception d'un final aussi débridé que dantesque, rien de plus en termes de transgression ou de propos, Fargeat se borne à une série B joyeusement malpolie, certes jouissive, mais donc au final sans autre substance dans son discours qu'une grosse gueulante, aussi roborative soit-elle. À sa manière, François Ruffin, raconte aussi une autre transformation au féminin avec Au boulot ! À partir du pari lancé à Sarah Saldmann, avocate muée en chroniqueuse chez Pascal Praud, de vivre dans les conditions de travailleurs smicards, Ruffin l'embarque au contact du prolétariat. Le projet se fait rapidement flou, Au boulot ! se limitant à un épisode de Vis ma vie. Plus intéressante que la confrontation entre la bourgeoise et les travailleurs précaires, ne laissant aucun doute sur le retour de Saldmann à son monde une fois cette parenthèse refermée, celle, moins démago, avec Ruffin pour un jeu de chat et de la souris où l'on ne sait pas qui finira par croquer l'autre. Jusqu'à ce que Saldmann craque et disparaisse de l'écran pour retourner à ses élucubrations sur les plateaux de CNews, laissant Ruffin avec un film certes en rade, mais surtout désabusé quand il confirme la séparation entre les France d'en haut et d'en bas, vestes pailletées à 2800€ pièce et Gilets jaunes rapiécés, chacun toujours plus proches d'un entre-soi. Et de fait qu'il y a encore beaucoup de boulot avant que leur réconciliation ne s'opère... The Substance / Au Boulot ! En salles le 5 novembre
Wed, 06 Nov 2024 - 03min - 340 - MONSIEUR AZNAVOUR X THE KILLER
Les biopics de chanteurs, c'est désormais un peu comme la fashion week : on ne sait jamais vraiment quand ça s'arrête. Après ceux d'Amy Winehouse et de Bob Marley au printemps, en attendant ceux, plus intrigants, de Pharrell Williams, en lego ou de Robbie Williams incarné par… un singe en images de synthèse (!!!), voici celui de Charles Aznavour. Ce n'est rien de dire que l'on était intrigué par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, jusque-là dépositaires de bonnes comédies sociales, aux commandes de ce projet. Et plus encore par Tahar Rahim, casté pour incarner l'auteur-interprète de "La Bohème" ou "Emmenez-moi". Malgré un maquillage un brin envahissant, comment pourtant ne pas clamer "vient voir le comédien" devant son impressionnante performance caméléon ? À l'inverse, la mise en scène, dans un même registre que La Môme, modèle clairement visé, souffre parfois d'un côté tape-à-l'œil. Sans doute pour éviter de regarder un peu trop près les raccourcis d'un scénario occultant nombre de moments clés de la vie d'Aznavour. Heureusement, c'est au profit d'une idée centrale, elle judicieuse, quand Monsieur Aznavour descelle un minimum une statue du commandeur de la chanson française par le portrait d'un homme avide de succès, quitte à y sacrifier sa vie de famille. Pas de quoi faire un film "formi-formi-formidable" – en dépit d'un casting de rôles secondaires, notamment Marie-Julie Baup, géniale en Edith Piaf qui lui l'est - mais au moins un biopic qui sort un minimum des clous pour ne pas être qu'une séance de karaoké. John Woo, lui y est retourné avec un auto-remake de The Killer. Le film qui avait fait connaître au monde entier le réalisateur hong-kongais est donc revu et corrigé 35 ans plus tard. Nathalie Emmanuel y reprend le rôle de tueur à gage tourmenté rendu iconique par Chow Yun Fat et Omar Sy celui du flic lui courant après. Woo pensait peut-être boucler la boucle en venant tourner à Paris ce remake d'un film originel en partie sous influence du Samouraï, le classique de Jean-Pierre Melville. Encore aurait-il fallu que cette nouvelle mouture ne soit pas sabrée par un scénario réduisant ses personnages à des caricatures, amplifiées par un casting unis dans un cabotinage digne d'un épisode de Capitaine Marleau. Il subsiste un savoir-faire dans les scènes d'action ou certains effets signatures de Woo, d'une vision romantique du Bien et du Mal ou un lâcher de colombes au ralenti. Rien qui n'évite cependant l'impression, d'être cette fois-ci pris pour des pigeons. Monsieur Aznavour/The Killer. En salles le 23 octobre
Wed, 30 Oct 2024 - 02min - 339 - JURÉ N°2 X HUNDRED OF BEAVERS
En mai dernier, Clint Eastwood fêtait ses 94 ans. Un âge ou même les légendes d'Hollywood ont généralement raccroché les gants. Mais pas lui. Quelques semaines avant de souffler ses bougies, il était en train de mettre les dernières touches à Juré n°2 son quarantième film de réalisateur. Si c'était - et ce sera probablement le cas - le dernier, ce serait une bonne manière de boucler la boucle. Juré n°2 revient sur le motif qui aura sans doute le plus traversé la carrière d'Eastwood, devant ou derrière la caméra : la justice et son fonctionnement. À travers la trajectoire morale d'un clampin lambda se retrouvant juré devant statuer du sort d'un accusé d'un crime dont il est peut-être responsable, Juré n°2 tient peut-être d'une introspection d'Eastwood, de ses propres dilemmes moraux. Sans renouer avec les très grands films que furent Impitoyable ou Un monde parfait autour de ces questions, ce film de procès au rythme pépère a quelque chose d'attachant par ce qu'il est sans doute le dernier aveu d'un Eastwood à l'opposé de l'image d'américain ultra-conservateur qu'on lui a toujours accolé. Il est d'autant plus crève-cœur que sa sortie américaine ne lui rend pas justice, car sacrifié là-bas par son distributeur qui condamne cet ultime plaidoyer à l'échec, ne le diffusant que sur une cinquantaine de salles dans tous les USA. Hundred of beavers n'a pas eu droit à beaucoup plus, mais a gagné sa visibilité dans la centaine de festivals où il a circulé à travers le monde pour devenir un mini-phénomène. À juste titre, pour ce film improbable sur le papier, entre hommage au cinéma muet et comédie loufoque. Soit les aventures de Jean Kayak, un trappeur novice découvrant comment chasser des castors qui vont lui donner beaucoup de fil à retordre. Le tout pour une succession de saynètes sans dialogue, empruntant autant aux bricolages géniaux des maîtres du burlesque qu'au chaos des cartoons, façon Bip-Bip et Vil Coyote quand Kayak se fait encore et encore piéger par ses propres tentatives de capturer son gibier. L'obstination de ce trappeur-loser comme celle d'un réalisateur s'échinant à trouver un gag absurde ou une idée surréaliste par scène tout en restant au premier degré font d'Hundred of beavers bien plus qu'un ovni, une comédie impressionnante dans son stakhanovisme jusqu'à l'épuisement par le rire ou la créativité. Juré N°2 en salles le 30 octobre / Hundred of beavers sur Filmotv.fr
Wed, 30 Oct 2024 - 02min - 338 - NORAH
Jusqu'en 2018, il n'y avait plus de salles de cinéma en Arabie Saoudite, fermées depuis 35 ans par le gouvernement religieux y voyant une source de divertissement impur. Paradoxe, il existe pourtant un cinéma saoudien, de tournages dans le pays à la production certes des plus minoritaires et contrôlées, de longs métrages. Norah est un exemple encore plus visible, pour avoir été le premier film issu de ce pays sélectionné au festival de Cannes. Un accessit valant passeport diplomatique pour le film de Tawfik Alzaidi d'autant plus nécessaire quand il s'attaque frontalement à un tabou religieux : la question de la représentation de l'art. Le tout dans un village reculé, en toutes logiques sous main mise du conservatisme, dans les années 90. Dernière transgression, le personnage déclencheur est un instituteur chargé d'apprendre à lire et écrire - autrement dit éduquer - des enfants dont la destinée était jusque-là toute tracée. En face de lui, voici Norah, jeune femme, qui justement ne veut pas de la vie qu'on lui impose via un mariage forcé. Lorsqu'elle apprend que l'instituteur dessine à ses heures perdues, elle lui commande un portrait, objet prohibé et donc forcément sacrilège qui pourrait leur valoir les pires ennuis. Alzaidi se concentre sur cette intrigue dans un cadre quasi-désertique, donc idéal pour faire place à un discours progressiste, jusque dans la figure de cet instituteur à la masculinité déconstruite face à une caste féminine aux racines inféodées. Comme le rappelle la tante de Norah "tu nais ici, tu meurs ici". De quoi nourrir un beau mélo pudique, la relation entre la jeune femme qui rêve d'ailleurs et ce professeur qui la conforte dans son envie d'émancipation, étant surtout pour Alzaidi, une manière de dire qu'une discussion est aujourd'hui ouverte, que les choses bougent, même de manière minime en Arabie Saoudite. Le portrait au cœur de ce film aussi inattendu que délicat tient d'une esquisse de lendemains meilleurs. Allez savoir, il se pourrait même que Norah finisse par être montré dans quelques-unes des quarante salles de cinéma aujourd'hui ouvertes en Arabie saoudite... Norah, en salles
Tue, 22 Oct 2024 - 02min - 337 - L’AMOUR OUF x BARBÈS, LITTLE ALGÉRIE
2024 aura donc été pour le cinéma français, le retour aux ambitions. Et aux moyens accordés pour cela. Que ce soit pour rivaliser avec les blockbusters américains, en finançant Le Comte de Monte-Cristo, ou en alignant une trentaine de millions d'Euros pour L'Amour Ouf. Le nouveau film de Gilles Lellouche, est donc un film qui déborde. D'argent certes, mais surtout d'envies. De cinéma comme de romanesque ou de romantisme. L'épopée sentimentale de Clotaire le délinquant et Jackie la petite bourgeoise, revisite prolo de Roméo et Juliette dans le Nord français ouvrier des années 80 et 90 tient d'une boulimie, d'un surrégime volontaire. Au-delà de celui de ses personnages, L'Amour Ouf, c'est aussi celui de Lellouche pour le cinéma. Pour les réalisateurs, via une stylisation opératique, citant entre autres les Scorsese ou Coppola des grandes heures, comme pour les acteurs, au vu d'un casting offrant pléthores de seconds rôles – parfois jusqu'à la fugace apparition. Une générosité jusqu'au ras la gueule, parfois au détriment d'un film qui finit par s'essouffler ou à se perdre dans une sur-démonstration formelle, là où l'écriture aurait pu être moins éparpillée, mais qui pousse malgré tout à la sympathie par son envie de cinéma populaire ET spectaculaire ou celle d'entretenir pour mieux la porter la flamme d'une fureur de vivre adolescente. Des centaines de kilomètres séparent les Hauts-de-France de L'Amour Ouf de Barbès, Little Algérie, chronique de quartier qui venge au minimum des clichés ripolinés d'Emily in Paris. La redécouverte par un Franco-Algérien de retour à Paris de ses origines se débarasse de la sempiternelle vision pittoresque de Barbès pour en faire une enclave de solidarité méditerranéenne. Il y a quelque chose du cinéma néo-réaliste italien, en version blédarde, dans cette collection de vignettes socio-culturelles, par sa combinaison de truculence pour dépeindre une communauté pleine de vie et de gravité mélancolique via la peinture des affres identitaires des bi-nationaux. Sofiane Zermani (alias Fianso) y confirme sa mue de rappeur en acteur des plus doués pour incarner ces dualités. À travers lui, comme à travers une galerie d'attachants personnages se dépatouillant d'un système D, se diffuse un humanisme à la Ken Loach, mais aussi une passerelle inattendue avec L'Amour Ouf. Bien qu'à l'opposé économique ou de modestie. Barbès, Little Algérie s'y jumelle dans ce qu'ils dévoilent de leurs réalisateurs, Hassan Guerrar novice derrière la caméra, mais connu dans le milieu en tant qu'attaché de presse fort en gueule ou Gilles Lellouche se trimballant encore une étiquette de virilisme bourrin. Leurs films, autoportraits entre les lignes, tout en sensibilité et pudeur, sont aussi particulièrement touchants quand ils osent y tomber le masque, pour une même quête de reconnaissance. Voire d'amour. L'Amour Ouf / Barbès, Little Algérie. En salles le 16 octobre
Wed, 16 Oct 2024 - 03min - 336 - THE APPRENTICE X LE ROBOT SAUVAGE
Un mois. Le compte à rebours pour l'élection présidentielle américaine est lancée. Avec de vraies incertitudes sur le sort de Donald Trump. Au point que la sortie aux Etats-unis de The apprentice soit devenue un enjeu. La chronique des jeunes années de Trump auprès d'un mentor lui ayant enseigné la conquête du pouvoir serait-il trop partisan ? Pas si sur. La relation entre Roy Cohn, autre figure ultra-sulfureuse, grand prosécuteur du McCarthysme et son nouveau protégé est aussi un cours d'histoire américaine sur la transition entre deux générations, formées aux abus de pouvoir. A ce titre, The apprentice renoue avec les amers mais lucides constats de société que pouvait réaliser un Sidney Lumet dans les années 70. Dommage que la concision du scénario soit portée par une mise en scène scolaire de téléfilm pour HBO. A l'inverse le parfait casting, conforte bien l'idée d'un éternel cycle de la corruption morale : non seulement Sebastian Stan et Jeremy Strong sont exceptionnels en Trump et Cohn, mais surtout ce choix ricoche, sur leurs rôles précédents, Stan étant connu pour les Captain America, éloge Marvel de la démocratie et de la justice et Jeremy Strong pour son Roy Kendall, héritier aussi amoral qu' ultra tourmenté, dans la série Succession. Cette ironie mordante soutient l'idée centrale de The apprentice, bien moins biopic de Trump que mode d'emploi de la création des monstres engendrés par le capitalisme made in USA. Roz est à sa manière une autre machine de guerre économique. Ce robot domestique échoué sur les côtes d'une forêt terrestre va apprendre à se reprogrammer au contact d'une faune qui va lui révéler conscience et sentiments. Avec Le robot sauvage, Chris Sanders poursuit sa thématique fétiche déjà abordée dans Dragons ou Les Croods, à savoir comment la famille peut aussi être une source d'émancipation, que l'on soit parent ou enfant. Tout en s'aventurant sur le terrain d'un Wall-E, du Géant de fer ou du Château dans le ciel, par une écriture subtile dans le soin donné au moindre personnage ou cette capacité folle à donner âme à une machine mécanique. Plus ahurissants encore, le graphisme et l'animation entre fluidité totale et immersion physique absolue tenant quasiment d'un relief naturel. Tout comme Roz, doit apprendre à trouver sa voie, dans tous les sens du terme, Sanders confirme plus que jamais la sienne, celle d'un auteur à part au sein de la production hollywoodienne industrielle de cinéma d'animation. Mise à jour des grands récits initiatiques d'aventures à la Jack London, Le robot sauvage est appelé à devenir un indémodable classique.
Fri, 11 Oct 2024 - 02min - 335 - JOKER : FOLIE À 2 x WOLFS
Joaquin Phoenix est une énigme. A la fois comédien impeccable impliqué dans des films généralement audacieux et boule de nerfs à vif, connu pour ses revirements et un caractère des plus introvertis. Ça en faisait peut-être l'acteur idéal pour jouer le Joker. Il y a cinq ans, il triomphait dans un film consacré à la genèse de l'ennemi juré de Batman. Revisite du personnage de BD, ce premier opus, plus proche de Taxi Driver que d'un film de super-héros scrutait les névroses américaines, à travers la psychose d'un anti-héros poussé à bout, basculant dans la démence criminelle. Joker : folie à deux l'enferme dans un hopital psychiatrique et une salle de tribunal, décors quasi uniques de ce second volet. C'est étonamment, à la barre de danse que vont défiler les personnages, Joker : folie à deux délaissant la part de brûlot attendue pour se faire comédie musicale décalée autour d'un duo Phoenix/Lady Gaga, en psychopathes roucoulant une romance. L'idée est gonflée, mais la petite musique de Joker : folie à deux est désacordée jusqu'au dissonant. Il y est question de masques et de schizophrénie, mais en lieu et place de la tribune anarchiste haute en couleurs du premier film, celui-ci se fait toujours plus opaque, notamment autour du rôle tenu par Gaga, qui tient de l'attrape-gogos. 2h19 d'ennui chanté plus tard, plus que le rire cabossé du Joker, c'est l'impression d'une pénible et bien trop longue blague qui persiste. Autre duo , autre pas de danse avec Wolfs, lui aussi porté par un casting très séduisant sur le papier : Brad Pitt et George Clooney. Potes à la ville les voilà antagonistes à l'écran : ils sont ici deux nettoyeurs de scènes de crimes concurrents mais se retrouvant sur un seul et même job. Parti comme une comédie policière, Wolfs fait rapidement le ménage pour s'assumer comme un buddy movie rétro. Qu'importe les écarts de route d'un scénario foutraque, passant par une course poursuite après un gars en slip dans Chinatown ou une virée chez les mafias croates et albanaises, la seule chose qui compte ici est ce duo de loups solitaires qui s'apprivoisent et se reconnaissent. Clooney et Pitt rivalisant d'attitudes cools et dialogues croustillants pour ressusciter un cinéma d'acteurs américain à l'ancienne. Et s'il y a de quoi hurler au loup devant l'écriture particulièrement nonchalente voire feignante de Wolfs, la jubilation de voir ces deux là retrouver la formule entre charisme et décontraction, qui fait les tandems les plus iconiques, jusqu'à un beau final façon Butch Cassidy et le Kid, n'est vraiment pas négligeable. Joker : folie à deux. En salles le 2 octobre. Wolfs sur Apple TV+
Wed, 02 Oct 2024 - 02min - 334 - MEGALOPOLIS x RIVERBOOM
Forcément à entendre le titre Megalopolis, on en retient surtout le côté mégalo. Encore plus si c'est Francis Ford Coppola qui est aux commandes. Le réalisateur d'Apocalpyse Now et du Parrain a marqué l'histoire d'Hollywood par un caractère independant bien trempé, des projets insensés, et des tournages dantesques. Mais aussi par sa part d'expérimentateur, sa volonté de faire du cinéma un audacieux laboratoire mêlant avant-gardisme technologique et récits adultes. Megalopolis est, à l'écran comme en coulisses la synthèse de tout ça, d'une interminable gestation en ayant fait une arlésienne depuis quarante ans à un scénario fusionnant mythologie antique et considération sur le déclin du monde actuel. Soit donc l'affrontement entre un visionnaire sur le point de découvrir une matière révolutionnaire pouvant changer la société et le maire despote d'une cité rongée par la corruption et le libéralisme. Le tout dans un ton mi- péplum, mi-art contemporain, conte moderne et de tragédie shakespearienne revue par le Cirque du Soleil. Ça fait beaucoup ? Oui, surtout quand l'ensemble se perd dans ses circonvolutions ou une touffue galerie de personnages. Cet etouffant trop plein est pour autant compensé par les idées formelles ou la mise en scène, quasi-cure de jeunesse pour un Coppola octogénaire retrouvant son inventivité des années 80, pour un film traversé par tant de séquences extraordinaires. Le geste industriel – Coppola finance un budget pharaonique sur ses propres deniers – ajoutant au phénonémal panache de l'ensemble. De quoi faire de Megalopolis, une oeuvre de tous les excès, de sa grandiloquance à sa magnificence, mais surtout, un film titanesque jusqu'au fascinant comme on en voit très rarement. Bande annonce de Mégalopolis À son échelle, bien plus minime, Riverboom fait aussi se décrocher la mâchoire. Le périple de deux suisses et un hollandais s'improvisant correspondants de presse pour aller voir ce qui se passe en Afghanistan, en pleine intervention américaine pourrait n'être que les tribulations insensées d'un trio de pieds nickelés. Sauf que ce documentaire devient surtout une capsule temporelle quand il exhume des images du pays en 2002, coincé entre Talibans et G.I's. L'odyssée de ceux qui se fantasmaient Joseph Kessel mue en inattendu journal intime, carnet de bord d'une insouciance touchant à l'irresponsabilité. Aux images inédites, parce que prises sur le vif, d'un quotidien afghan, lui même révolu, se superpose un cahier de nostalgie et de regrets, Riverboom empruntant d'autres chemins de traverse quand son réalisateur livre alors son histoire familiale. Ce double chemin intérieur, d'un pays et d'un individu, mêlant intime et géopolitique se révèle n'être qu'un même processus de deuil, émouvant quand il mène à une renaissance à soi. Bande annonce Riverboom Megalopolis / Riverboom. En salles le 25 septembre
Wed, 25 Sep 2024 - 03min - 333 - LES BARBARES x LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE
Faire une bonne comédie est une gageure. Faire une bonne comédie sociale tient encore plus du pari. Il se résout souvent en prenant le parti pris de faire rire du malheur des autres. Où en essayant de prendre à rebours les vertus de l'époque. Avec Les barbares, Julie Delpy réunit ces deux axes. À savoir raconter la crise migratoire et une chronique de mœurs. Le postulat : faire débarquer dans un petit village de bretagne des réfugiés qui auraient du être ukrainiens mais s'avèrent syriens, soit rescapés d'un conflit oublié, mais qui va faire remonter les préjugés et la peur de l'étranger. Les barbares est donc une histoire de délit de faciès. Mais aussi celle, tout aussi éternelle, des lachetés ordinaires. Delpy renoue avec une galerie de personnages empêtrés dans leur médiocrité ou leur ignorance, quelque part entre le Joel Seria et le Mocky des années 70, par son portrait d'une France profonde. À la différence près qu'elle parle d'aujourd'hui, du pays de ceux qui sont biberonnés aux intox des chaînes d'infos comme de celles qui confondent bonne volonté et bonne conscience. Ça pourrait être d'une redoutable franchouillardise façon comptoir de café du commerce, entre les histoires de couple adultère et les petites magouilles des uns et des autres, c'est bien plus une vision en coupe caustique d'une réalité. Et plus encore un appel à la réconciliation avant qu'il ne soit trop tard pour le vivre ensemble. À rire collectivement pour conjurer la crainte qu'il ne reste demain que les yeux pour pleurer. Bande annonce Les barbares Ce fameux vivre ensemble est aussi en filigrane des Graines du figuier sauvage. De manière encore plus intime quand la femme et les filles d'un juge iranien fraîchement promu se comprennent de moins en moins. Lui devient un rouage d'une machine à écraser en confondant promotion et servilité en étant réduit à signer à la chaine des mandats d'éxecution ; elles, en se ralliant de plus en plus à la cause de femmes en lutte contre l'oppression du régime théocratique. Mohammad Rasoulof s'émancipe de la fiction, en intégrant des réelles images des répréssions des manifestations depuis la mort de Mahsa Amini. C'est le conflit qui anime toute la société iranienne qui s'incarne dans ce huis-clos familial aussi explosif qu'étouffant, virant au champ de bataille entre deux camps. À la fois thriller électrique et courageux, puisque très frontal, manifeste de la défiance envers les dirigeants du pays, Les Graines du figuier sauvage croient en l'ensemencement d'une révolution qui continue à secouer l'Iran. Son final dans le labyrinthe d'un village quasi-abandonné, prenant définitivement les choses par les cornes, en prophétisant la chute prochaine du pouvoir envisagé comme un minotaure désormais fragilisé. Bande annonce Les Graines du figuier sauvage Les barbares / Les graines du figuier sauvage. En salles le 18 septembre.
Wed, 18 Sep 2024 - 02min - 332 - BEETLEJUICE BEETLEJUICE x KILL
Il y a trente-six ans, beaucoup ont découvert Tim Burton avec Beetlejuice. L'ex animateur de chez Disney y plantait son décor naturel, entre décorum gothique, fantaisie débridée, bricolages rigolos et passions pour les freaks et marginaux en tout genre. Burton aura donc eu une place à part, celle d'un gamin aussi effronté que créatif, mais aussi véritable anomalie dans le cinéma de studio américain. Pendant plusieurs années, ce bras de fer s'est engagé, Burton parvenant à conserver sa patte sur des projets de commandes, avant de se voir formater pour des films aussi mercantiles qu'à grand succès comme son Alice au pays des merveilles ou sa relecture de La planète des singes mais totalement dévitalisés. La nouvelle aventure de Beetlejuice est une bonne nouvelle quand le cinéaste revient à ses racines. Evidemment à sa manière avec le retour d'un trublion prêt à tout pour revenir du monde des morts vers celui des vivants. Difficile de ne pas y voir une envie de renaissance pour Burton. On parlera plutôt de convalescence, ce nouveau Beetlejuice a beau avoir retrouvé le tonus et l'esprit des débuts, son plus grand fantôme reste un scénario tout raplapla, dispersé entre trame confuse et galerie de personnages secondaires inutiles. Pour autant, on y trouve parmi les séquences les plus inventives et poétiques tournées depuis longtemps par son auteur. Notamment une où sa nouvelle muse, Monica Bellucci doit rassembler les membres de son corps et les rafistoler à coup d'agrafeuse. Si cette séquence est aussi somptueuse que touchante, c'est sans doute parce qu'elle incarne les cicatrices d'un Burton qui commence à reprendre pied. Bande annonce Beetlejuice Beeteljuice Des cicatrices, il n'y en a pas dans Kill, film de castagne venu d'Inde. Au premier abord cette affrontement en huis clos entre un militaire et une inépuisable armée de bandits dans un train semble essentiellement empiéter sur les plates-bandes de John Wick et consorts, avec son héros invincible qui remplit les wagons de cadavres. L'objectif de cette série B musclée est pourtant moins bourrin, quand il bastonne les codes du cinéma d'action, jusqu'à casser certaines de ses règles, que ce soit avec un sidérant twist à mi-parcours ou en évitant à son extrême d'être gratuite, en l'étoffant d'une vision acide d'une Inde sociale à deux vitesses ou en incarnant pleinement certaines victimes du carnage. Confirmant l'avènement d'un nouveau cinéma indien populaire survitaminé, Kill décroche aussi la mâchoire par son envie d'en découdre avec les blockbusters usuels. En résumé : Kill, ça tue ! Bande annonce Kill Beetlejuice Beetlejuice / Kill. En salles le 11 septembre
Wed, 11 Sep 2024 - 02min - 331 - Noémie Merlant au micro de Nova : sa passion pour le cinéma étrange
L’Étrange Festival a 30 ans, un rendez-vous toujours réussi des bobines "bizarres". Du 3 au 15 septembre, au forum des images à Paris, le festival met à l'honneur les films déviants, hors normes, louches, les thrillers, et films d'horreurs. On y retrouve ceux que l'on connaît déjà, comme Enter the void de Gaspar Noé, mais aussi des inédits, comme une version “director’s cut” du film Tusk d'Alejandro Jodorowsky. Sont également à l'affiche La colline a des yeux de Wes Craven, ou le mythique Freaks de Tod Browning. Ces deux derniers ont été sélectionnés par Noémie Merlant, qui a carte blanche pour le festival. L’actrice, vue aux cotés d’Adèle Haenel dans Portrait de la jeune fille en feu, ou plus récemment dans l’Innocent de Louis Garrel. Au micro de Nova, elle raconte sa passion pour l’étrange, une bizarrerie qui sera à l’oeuvre dans ses deux prochains films : Emmanuelle, en salles le 25 septembre et Les Femmes au balcon, qui verra le jour en décembre. Noémie Merlant est souvent associée au female gaze, et pourtant, elle a choisi trois films réalisés par des hommes, elle nous explique son choix au micro d'Alex Masson.
Tue, 10 Sep 2024 - 10min - 330 - Tatami x L’étrange festival
Il n'aura échappé à personne que les Jeux Olympiques et Paralympiques parisiens auront été aussi un marathon de la récupération politique, quitte à envoyer valser une demande présidentielle souhaitant que le sport ne soit pas politisé. Tatami se déroule loin de la Tour Eiffel en Georgie, pendant des championnats du monde de judo et met plus que pleinement sur le tapis ses enjeux. Quand la meilleure judokate iranienne risque de finir en finale face à son équivalente israélienne, les mollahs se mettent à faire pression sur l'athlète et son entraineuse pour qu'elle simule un désistement afin d'éviter un éventuel déshonneur à la république islamique. Tatami se déroule bien plus dans les vestiaires que pendant les matches. Logique pour un film qui veut parler de l'oppression qui se trame dans l'ombre. Et plus encore quand il est, chose impensable pour leurs gouvernements respectifs, co-réalisé par une iranienne et un israélien. Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv se révèlent pour autant parfaits sparring partners, ce tandem inattendu procurant à Tatami à la fois un sens électrisant de thriller à suspense qu'un parfait cours de realpolitik. Bande annonce Tatami Il faudra être particulièrement sportif pour pouvoir cavaler entre les séances de L'étrange festival, qui réouvre ses portes cette semaine. La manifestation qui fête ses trente ans a depuis longtemps démontré son endurance dans l'envie de montrer et partager des cinémas hors des clous. Cette édition est donc à nouveau l'occasion de parcourir une cartographie de productions méconnues ou transgressives. Polar turc ou kazakh, science-fiction chinoise, actioner indien, animation australienne, film d'horreur autrichien, film fantastique français et bien d'autres encore sont conviés dans cette désormais rituelle sarabande, gargantuesque festin pour qui serait affamé d'images et pensées « différentes » du cinéma mainstream. Au delà de ce panorama d'inédits, on notera, parmi la floraison d'invités, les deux cartes blanches données à deux voix féminines françaises singulières, Coralie Fargeat et Noémie Merlant. La réalisatrice et la comédienne, ayant en commun, au moins dans leurs films, une volonté de parole émancipatrice des codes, y présenteront des films de leur choix, en phase avec l'essence de L'étrange festival : pousser les curseurs pour mieux ouvrir les yeux sur le monde. Et pour ceux qui ne seraient pas rassasiés, le bonus d'un livre édité pour les trente ans, revenant sur l'aventure de ce festival vraiment pas comme les autres, sera une manière supplémentaire de souffler les bougies. Tatami. En salles / L'étrange festival du 3 au 15 septembre au Forum des images, Paris
Wed, 04 Sep 2024 - 02min - 329 - The legend of the sacred stone x Gamera
Soyons lucides, la rentrée cinéma dans les salles n'est pas pour cette dernière semaine d'août, encore un peu mollassonne du côté des sorties. L'actu se fait bien plus trépidante du côté des sorties vidéo avec au minimum une découverte singulière venue de Taïwan. Là bas le studio Pili est une institution qui s'échine depuis quarante ans à entretenir deux traditions asiatiques, le film de sabre et le théâtre de marionnettes. En 2000, la structure familiale décide de transposer au cinéma une série télé très populaire. Legend of the sacred stone organise une rencontre inespérée. La trame autour de la quête d'une très convoitée pierre aux pouvoirs mirifiques est l'occasion de scènes aussi graphiques que dynamiques, invoquant autant les classiques du cinéma d'art martiaux des années 70 que ses expérimentations formelles dans la décennie suivante. En émane l'étonnante sensation d'une chair vibrante (parfois jusqu'à exploser dans des gerbes de sang) chez ces marionnettes sous speed. Impression confirmée par Demigod, un second film Pili inclus dans le même coffret de blu-ray. Plus récente, cette autre saga épique intègre à la perfection les progrès établis par les effets-spéciaux entre temps, au profit d'une mise en scène encore plus inventive comme d'un goût pour les séquences spectaculaires jusqu'au délirant. De quoi donner un sacré coup de vieux à nos séances de Guignol. Bande annonce Legend of the sacred stone - Spectrum Films Autre variation sur un registre asiatique, Gamera aura agrandi le bestiaire initié avec Godzilla. Initialement apparue au milieu des années 60, pour séduire un public enfant, cette tortue atomique géante est devenue beaucoup moins inoffensive lors d'un reboot pour célébrer son trentième anniversaire. Une nouvelle trilogie de films aura envoyé bouler gâteau et bougies pour une étonnante résurrection prenant un ton bien plus réaliste, réinventant l'interaction entre la bestiole et les humains. Gamera s'y débarrasse de son statut d'iconique mascotte doudou pour concentrer les inquiétudes terrestres, d'une imprégnation écolo aux cas de conscience des victimes collatérales causées par les affrontements dantesques entre créatures belliqueuses. Au moment où Godzilla s'empêtre dans les filets de remakes américains de plus en plus ineptes, la réapparition de cette remarquable trilogie rend grâce aux Kaiju, ces films de monstres géants japonais, en rappelant que le plaisir des blockbusters n'est pas incompatible avec une écriture d'une rare maturité. Bande annonce Gamera - Roboto fims
Wed, 28 Aug 2024 - 02min - 328 - Emilia Pérez x Zénithal : il n’y a pas que la taille qui compte
Parcours d’une transgenre chez les narcos ou comédie conjugale loufoque, les sorties de la semaine ne sont qu’amour. Passé un certain âge, certains cinéastes s'installent dans une routine. Un axiome réfuté par Jacques Audiard, cinéaste septuagénaire qui n'a cessé de prendre des chemins de traverse. Du moins formellement. Pour ce qui est des sujets, il reste arrimé à une vision profondément romantique et sentimentale des rapports amoureux. L'enveloppe, elle change à chaque film. Au point de devenir un pitch en soi pour Emilia Perez, film sur la transition d'un narco-trafiquant en femme, épousant son principe jusqu'à lui même faire différentes mues, passant de la comédie musicale au mélo façon télénovela. Vous avez dit film transgenre ? Oui, dans son épiderme. Sa chair elle reste la matrice même du cinéma d'Audiard, cette envie de déconstruction des valeurs morales des personnages ou au minimum des valeurs virilistes. Cette fois-ci pour une vision baroque – et parfois roccoco – des choses, assez estomaquante en terme de spectacle ou dans un questionnement identitaire, superposant ceux de son personnage-titre et d'un cinéaste chercheur de formes. Ça a ses limites quand Emilia Perez laisse rapidement de côté certaines questions, du maelström qu'est un Mexique écartelé entre l'ordre et la violence à certaines fractures sociales, mais n'en reste pas moins surprenant et inédit dans sa proposition de cinéma transformiste. Bande annonce Emilia Perez Des limites, Zénithal n'en connait pas beaucoup. Il est aussi question d'une altérité homme-femme dans cette comédie secouée mêlant machiavélique complot masculiniste pour asservir la gent féminine, combats de kung-fu et greffe de cerveau dans... des pénis géants ! Foutraque ? Oui, assurément mais surtout totalement assumé par l'alliance entre premier degré de la croisade d'un loser pour reconquérir son couple et un concept de base loufoque. Le potentiel de nanardisation asphyxie souvent la réflexion sur la conjugalité moderne, mais l'entrain d'un casting à fond les ballons pour accompagner ce franc délire a quelque chose de réjouissant. Au minimum par une désinhibition totale pour s'essayer à une réécriture, malgré tout sensible, de la rom-com ou en tordant le cou à la pensée Incel en assurant définitivement qu'elle est con comme une bite. Bande annonce Zénithal Emilia Perez / Zénithal. En salles le 21 août.
Wed, 21 Aug 2024 - 02min - 327 - Alien: Romulus x City of darkness : le retour du cinéma monstre.
Certaines mythologies de cinéma sont increvables. En l'occurence celles d'Alien et du film d'action hong-kongais des années 90, qui font leur retour en salles cette semaine. En 1979, lorsque le premier Alien sort et révolutionne le cinéma de science-fiction, personne n'aurait cru qu'il donnerait lieu à une franchise qui perdurerait quarante-cinq ans plus tard. Qui plus est une des plus passionnantes dans sa gestion, où se sont entrechoquées entre autres les visions de David Fincher, James Cameron ou Jean-Pierre Jeunet avant que Ridley Scott ne se la réapproprie pour aller sur un terrain plus ésotérique avec Prometheus ou Alien : Convenant. Avec Alien : Romulus il a confié les commandes à un réalisateur uruguayen qui a déjà relifté d'autres franchises, d'un pertinent remake d'Evil dead à une solide suite à Millenium. Fede Alvarez revient aux sources, que ce soit en situant ce nouvel opus entre le premier Alien et Aliens mais surtout en renouant avec une part purement organique . En ayant recours à minima aux effets numériques, Alien : Romulus ressuscite l'essence même de la saga, cette incarnation ultra-physique de la peur, a travers une course poursuite entre la créature et une poignées d'humains. C'est du moins la promesse faite par les très efficaces et alléchantes quelques séquences montrées en amont de la sortie, laissant penser que ce nouvel épisode n'est pas un vain raval de façade , mais plutôt un inespéré retour aux racines. Bande annonce Alien : Romulus Celui de City of darkness l'était tout autant. A partir d'une immersion dans la citadelle de Kowloon, authentique cour des miracles ayant accueilli tous les parias hong-kongais avant sa destruction dans les années 90, Soi Cheang réinvestit le thriller d'action de l'ex-colonie Britannique. A l'époque, Kowloon avait été démoli dans le cadre de la rétrocession à la Chine, dans un esprit de nettoyage. City of darkness lui restitue un sentiment de fourmilière tant par la profusion de personnages que par de dantesques décors arachnéens se resserrant autour d'une guerre des gangs. De quoi édifier un paradis perdu de cinéma kinétique, entre générosité des scènes de combats et participation de légendes d'un âge d'or révolu, de Sammo Hung, compagnon de Bruce Lee et Jackie Chan, imposant en super méchant à Philip Ng, émérite chorégraphe d'art martiaux. Au delà des phénoménales prouesses physiques, City of darkness fait l'éloge de la transmission d'un code de valeurs, ravivant celui d'un cinéma voyou incroyablement revigoré, tout en fureur et chaos soufflant sur les braises incendiaires d'une identité culturelle hong-kongaise qu'on pensait dissoute dans une production chinoise désormais aux ordres du gouvernement. Et si le personnage central de ce film ultra- épique est un clandestin cherchant asile, City of darkness s'impose clairement comme un refuge sanctuarisé pour tout les nostalgiques du cinéma urbain made in Hong-Kong. Bande annonce City of Darkness Alien : Romulus/ City of Darkness. En salles le 14 août.
Wed, 14 Aug 2024 - 03min - 326 - MaXXXIne x We are zombies : Un goût d’années 80
Les années 80 ne sont pas mortes. La preuve avec une revisite musclée des slahsers urbains et un film de zombies. Finalement, le cinéma c'est peut-être plus qu'autre chose une question de codes, de règles narratives. Et surtout de savoir comment les contourner, les détourner, pour mieux y revenir, rappeler qu'ils sont une base, un pilier. Encore plus quand il s'agit de films de genre. Ainsi MaXXXine et We are Zombies s'élancent comme des variations nourries d'envies de pas de côté et de références mais sans trop se perdre dans un discours meta de petit malin, lui préférant un premier degré à peine teinté d'ironie. Ainsi MaXXXine, dernier volet d'une trilogie dédiée à l'empouvoirement féminin revisite - après les univers du porno américain, du cinéma d'horreur indépendant ou du mélo dans les deux premiers films)-, celui des séries B urbaines des années 80 à travers une actrice prête à tout pour devenir vedette, quitte à être rattrapée par son passé et un tueur qui se met à dézinguer les starlettes. Hommage à la production américaine déviante MaXXXine s'évertue pourtant à raconter des évolutions parallèles, celle d'une femme désireuse de s'émanciper et d'un cinéma essayant de ne pas s'aseptiser, de maintenir une certaine rébellion. Soit quelque part, quelque chose qui n'est pas si loin du chant nostalgique d'un Tarantino et son Once upon a time in Hollywood. MaXXXine se rapprochant d'une version plus réaliste du rêve américain, parce que portrait plus rugueux, plus crasseux de son quotidien et ses désillusions. Bande annonce MaXXXine De son côté We are zombies s'assume en version ludique du film (donc) de zombies, tout en brocardant une époque libérale ayant anesthésié les valeurs : les cadavres ambulants étant sur le point de surpasser numérairement les vivants, ils sont devenus un nouveau prolétariat exploité, y compris par un trio de crevards réduits au trafic de morts-vivants devenus cobayes de l'industrie pharmaceutique. Plus anar que contestataire, We are zombies s'essaie à la comédie sociale, où la pulsion de dévoration serait issue du virus capitaliste. Pas de militantisme pour autant dans cette pochade canadienne, le ton est plus à la déconnade. Un petit filet de bile amère sinuant parmi les moments de bravoure gore ne laisse pour autant pas de doute sur l'idée d'un monde où ce serait aux vivants de se réveiller plutôt qu'aux morts. Du fond de sa tombe, George Romero, le fondateur de films de zombies ayant autant de cervelle que de tripaille, doit être ravi de cette descendance potache. Bande annonce We are zombies MaXXXine / We are zombies. En salles.
Wed, 07 Aug 2024 - 02min - 325 - LE COMTE DE MONTE-CRISTO x CAMPING DU LAC : Au bout du comte
Le milieu du cinéma français n'a jamais trop su comment traduire ni s'approprier le Blockbuster. Pas par défiance des anglicismes, mais sans doute par complexe culturel. Enfin ça, c'était avant que le grand public ne sature des films de superhéros, ouvrant une brèche pour un retour du héros à la française. Et pourquoi pas alors aller piocher dans le creuset de la littérature populaire ? Après une tentative peu concluante avec un patapouf Les 3 mousquetaires l'an dernier, Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, qui l'avaient écrite, ont pris les choses en main pour réaliser une nouvelle version du Comte de Monte-Cristo. Alexandre Dumas ne se retournera pas dans sa tombe devant cette version tout en panache, updatant le classique patrimonial en récit de vengeance. Edmond Dantès y devient quasiment un personnage à la Bruce Wayne/Batman, justicier toxique par ses proches, dévoré par le masque de sa croisade personnelle. De La Patellière et Delaporte retournent eux aux valeurs d'un formidable cinéma de cape et d'épée à l'ancienne : pas de temps mort, des personnages pleinement incarnés par un casting uniformément impeccable et ne pas lésiner sur la direction artistique. Et si les bons « Comtes » font les bons amis, ce Monte-Cristo, évidente réussite, devrait rameuter dans les salles bon nombre de spectateurs. Bande-annonce Les 3 mousquetaires Bien qu'à l'opposé absolu en termes de budget et d'ampleur, Camping du lac cultive lui aussi un sens de l'épique. Les tribulations d'une jeune femme au gré de ses rencontres dans un camping breton où vivrait une créature millénaire parvient lui aussi à prendre le large. Avec trois bouts de ficelles, Eleonore Saintagnan tisse son monde, pour y faire se côtoyer, entre autres, légendes celtes et blues américain. Du cinéma façon histoires qu'on se raconte au coin d'un feu de camp. Minimaliste sur la forme, cette élégie du fantasque ravive la force des folklores comme autant d'inépuisables boîtes à contes et a des airs de baignade en eaux douces : une fois qu'on est dedans, aucune envie d'en sortir. Juste celle de se laisser flotter, porter par le puissant charme d'un film petit par la taille, grand par son imaginaire. Bande-annonce Camping du lac Le comte de Monte-Cristo / Camping du lac. En salles le 19 juin.
Mon, 01 Jul 2024 - 02min - 324 - "THE SUMMER WITH CARMEN" x "CALIGULA, THE ULTIMATE CUT" : Fesse ce qu'il te plaît
Bientôt l'été, forcément la saison des chaleurs, donc moment propice pour aller à la plage se débrailler un peu. Demos, le personnage central de The summer with Carmen, passe beaucoup de temps sur celles d'Athènes. C'est là-bas qu'il cherche l'inspiration avec un ami de longue date pour écrire un scénario lui permettant de faire le deuil de sa dernière rupture amoureuse. Sur les rochers alentours, les hommes se dénudent très facilement, lui lutte pour se mettre psychologiquement à poil. The summer with Carmen réinvente la comédie romantique queer pour y ajouter de multiples tiroirs, où viendraient se ranger les cinémas de Xavier Dolan, Pedro Almodóvar ou Éric Rohmer. Le tout sans devenir une auberge espagnole, plutôt une salade grecque aux ingrédients idéalement dosés. L'identité gay en ressort solaire, d'un érotisme assumé à un discours déculpabilisant, plus dans une idée de déconstruction des clichés, y compris dans son alliance de fantaisie débridée et d'introspection existentielle. En 1979, l'ambition de Bob Guccione et Tinto Brass était tout autre quand ils se lancent dans Caligula. L'alliance d'un patron de la presse porno américaine et du plus érotomane des cinéastes italiens aura accouché d'un film monstre. Autant dans son idée folle d'un péplum de luxe ultra-désinhibé, excessif jusque dans son casting haut de gamme, réunissant autour de Malcolm Mc Dowell la crème de la crème britannique que dans sa Genèse des plus tumultueuses. Aux deux versions précédemment exploitées, celle de Brass déjà pas piquée des hannetons, et celle de Guccione encore plus dépravée, s'ajoute désormais une troisième, baptisée The ultimate cut. Elle est conçue à partir d'une centaine d'heures de rushes qui n'avaient pas été utilisées. Les scènes les plus trash des deux versions précédentes, qu'elles soient gores ou pornographiques en sont excisées, mais Caligula : the ultimate cut n'en est pas moins fou dans sa peinture d'un empire Romain en pleine dégénérescence. La décadence pointée du doigt par Brass et Guccione fait place à une vision quasi putride des enjeux de pouvoir autour d'un empereur aveuglé par l'amour incestueux pour sa sœur, retrouvant sa part de tragédie shakespearienne. Le stupre des films de départ s'est quelque peu dissout dans cet Ultimate cut, pas la démesure. Mieux que d'éviter à cette version-là un statut de curiosité, elle démontre la vertu principale du projet initial : transformer l'exploration d'un des plus grands cas de folie de l'histoire en monument de cinéma. The summer with Carmen et Caligula : the ultimate cut, en salles le 19 juin.
Wed, 12 Jun 2024 - 02min - 323 - C’EST PAS MOI x JIM HENSON, L’HOMME AUX MILLE IDÉES : LIBERTÉ DE PENSER
Il suffit parfois de prononcer le nom d'un cinéaste pour entrer dans un monde à part. Prenons le cas de Léos Carax. Rien que ce patronyme qu'il s'est choisi, anagramme de sa véritable identité, est une manière de ne pas vouloir entrer dans des cases, d'affirmer une personnalité. Ses films, tous hors normes, l'ont encore plus appuyé. Alors, il faut forcément prendre le dernier comme une ironie dès son titre. C'est pas moi. Drôle d'incipit pour un autoportrait, qui n'aurait d'ailleurs même pas dû être un film, mais l'accompagnement d'une exposition commandée par le Centre Pompidou qui n'aura finalement pas lieu. Carax en a fait une visite de son musée intime ; 40 minutes pour faire un bilan à ce jour de l'homme comme du cinéaste. Un collage d'images, assemblant scènes nouvelles tournées pour l'occasion et extraits ou images d'archives, questionnant autant le passé que le futur pour des raisonnements à la maraboud'ficelle, parfois déconcertants, souvent fulgurants. Le lien avec le Godard de la grande période se fait d'autant plus que C'est pas moi reprend la forme de ses Histoire(s) de cinéma, pour une sorte d'épisode inédit piraté par Carax. Il arrive à cette lettre ouverte à tous les vents de s'éparpiller, mais jamais de s'écarter du ludisme, pour un film qui ressemble bien à son auteur, entre créativité inventive et mélancolie chevillée au corps. On regrettera juste que son meilleur trait d'esprit n'ait pas été suivi : puisque c'est un film qui travaille du chapeau, il a été un temps question que ses spectateurs fixent eux-mêmes le tarif du billet en donnant ce qu'ils veulent. Pour le coup, c''est pas lui qui a empêché cette idée d'aller à son terme. Avec Jim Henson, le public en a toujours eu pour plus que son argent : le créateur des Muppets à l'a comblé pendant des décennies au point d'avoir été occulté par les géniales créations que furent Kermit et ses acolytes. L'homme aux mille idées retrace sa carrière, avant, pendant et après les Muppets, pour révéler son foisonnement créatif, équivalent à celui d'un Walt Disney. Raconté par ses collaborateurs et ses enfants, Henson s'y incarne dans son génie comme dans ses failles, à la fois au service de valeurs familiales quand il supervisait Sesame Street mais absent à sa propre famille, pratiquant de techniques artisanales pour ses marionnettes mais féru des technologies les plus avancées pour les mettre en scène. L'homme aux mille idées – et autant de paradoxes- est un hommage d'autant plus vibrant qu'il ne fuit pas la complexité d'Henson, ayant cherché à accomplir ses ambitions un peu folles d'adulte via une vie d'artiste dédiée avec sérieux aux enfants. Les témoignages emplis d'admiration qui s'égrènent au long de ce beau documentaire confirment que c'est aussi pour cela que l'oeuvre d'Henson continue à nous toucher, même quand on est devenus grands. "C'est pas moi" en salles le 12 juin/ Jim Henson : L'homme aux mille idées. Sur Disney +
Wed, 12 Jun 2024 - 02min - 322 - BAD BOYS RIDE OR DIE x LA GARDAV’ : Mais que fait la police ?
Cela fait toujours un drôle d'effet de voir apparaître à l'écran le logo des productions Don Simpson/ Jerry Bruckheimer. Au minimum parce que cela ramène aux années 80-90, quand ces deux-là ont profondément transformé le cinéma hollywoodien en lui apportant le principe du High concept. Késako ? L'idée qu'un film puisse résumer à une idée forte centrale autour de laquelle on brodera un scénario. C'est ainsi que sont nés Top Gun, Le flic de Beverly Hills ou encore Bad Boys. Trois énormes succès normatifs de toute une économie de cinéma, qui y a vu une formule magique à laquelle elle n'a de cesse de retourner. Ainsi, un nouveau Bad Boys et un nouveau Flic de Beverly Hills débarquent ce mois-ci en salles ou sur Netflix. Enfin, nouveau, c'est beaucoup dire, dans le cas de Bad Boys : Ride or Die, tant il n'est qu'un recyclage du moule initial, soit une combinaison de scènes d'action et de vannes entre Will Smith & Martin Lawrence. Un syndrome de la redite qui a gagné jusqu'à Adil El Arbi & Billel Fallah, tandem de réalisateurs belges, qui avaient plutôt pas mal pimpé la franchise en 2020 avec Bad Boys for life, mais enferment ici un scénario des plus poussifs dans des tics déjà périmés, de plans faisant de l'œil aux gamers fans de FPS à un déluge d'effets numériques privant ce film de toutes parts organique. Bande-annonce de Bad Boys : Ride or Die, 2024 Bad Boys : Ride or Die va jusqu'à confirmer son incapacité à régénérer sa franchise en ressuscitant un personnage assassiné dans l'opus précédent, redevenu central dans l'intrigue mollassonne. Alors « Bad boys, bad boys/ What you gonna do ? » Peut-être enfin penser à prendre la retraite. La chanson-gimmick de Bad boys est justement citée dans une scène de La gardav'. Ironie du sort quand le film de Dimitri & Thomas Lemoine est aux antipodes économiques et pratiques du blockbuster. Le récit du tournage d'un clip de rap qui tourne mal ploie sous le bricolage amateur forcé par une autoproduction, mais déborde de sincérité, y compris dans l'envie de démonter certains clichés sur la population des banlieues. Les maladresses de rythme ou d'écriture, sans doute dues à l'autodidactisme des deux frères aux commandes, sont compensées par une énergie comique supérieure à celle de certains films mieux lotis financièrement. Au-delà de l'expérience de vétérans vus dans Kamelott, Caméra Café ou Les Tuche, Thomas Lemoine renoue avec un comique burlesque dans un hilarant rôle de benêt naïf façon Bourvil de cité. Bande-annonce de La Gardav', 2024 La Gardav' dérouille ainsi les mécanismes et quiproquos des bonnes comédies de boulevard pour les amener sur le territoire des quartiers. Même avec ses imperfections, la claire envie de bien faire ou le bon esprit de l'ensemble laisse penser qu'il va effectivement falloir garder à vue les frères Lemoine après ce premier essai modeste, mais prometteur. Bad boys Ride or die / La Gardav'. En salles le 5 juin 2024.
Wed, 05 Jun 2024 - 03min - 321 - MEMORY x SALEM : Du coeur à l'ouvrage
En cette époque particulièrement chaotique, toute dose d'empathie est plus que bienvenue. On la trouvera cette semaine au cinéma, avec un doublé de sorties pour autant inattendu. La période doit vraiment être redoutable pour que Michel Franco, cinéaste reconnu pour sa misanthropie profonde, signe avec Memory un film essentiellement tourné vers l'humain. En l'occurrence deux, une assistante sociale et un veuf. Ils se sont connus à la fac, se retrouvent des années plus tard à une réunion d'anciens élèves. Elle est une ancienne alcoolique jamais loin de replonger, lui vient se découvrir être atteint de démence précoce. Usuellement chez Franco, ce duo aurait sombré dans leurs failles et leurs traumas. Memory leur offre la force de s'émanciper de leurs milieux toxiques. Là où d'habitude ce réalisateur anesthésie à force de scénario retors et nihiliste, le voilà qui s'essaie au mélo doux pour cicatriser les plaies de deux écorchés vifs. Bien sûr, l'horizon sombre de la dégénérescence s'annonce, mais Memory émeut à s'efforcer d'être un film de réparation de corps et de cœurs brisés. Bande-annonce de Memory : https://youtu.be/_w6Wkui3A9c?si=tS0i-B0_X1-HvqNr Jean-Bernard Marlin, s'était, lui aussi, révélé capable d'un regard cru avec Shéhérazade, sidérant premier film autour d'un amour impossible entre deux minots marseillais. Salem démarre comme un Roméo et Juliette ado dans les quartiers nord de la ville. Djibril, le comorien et Camilla, la gitane, s'aiment au point de faire un enfant. La guerre entre cités va envoyer Djibril en prison, où il devient obsédé par l'idée de sa fille grandissant sans lui. Il en sort convaincu d'avoir le don de guérison universelle et que sa rejetonne sera une prophète pouvant sauver le monde de son cycle de violence. Porté par une envie de pacifisme jusque dans son titre, Salem sait pour autant que son vœu de transmission de bienveillance à la jeune génération est sans doute idéaliste. À travers la relation qui se noue entre un père et une fille, il propose pour autant une voie alternative, y compris dans un imaginaire de cinéma entremêlant film noir et néo-mysticisme. Cette alliance stupéfiante pour conjurer la malédiction des déshérités sociaux, reste peut-être un peu naïve face à la réalité des cités, mais la conviction de son réalisateur comme de son récit font léviter Salem bien au-dessus du cinéma naturaliste usuel. Bande-annonce de Salem : https://www.youtube.com/watch?v=hg_KzrEZDcQ Memory / Salem. En salles le 29 mai
Wed, 29 May 2024 - 02min - 320 - CLAP DE FIN DU FESTIVAL DE CANNES : Tous comptes faits
Voilà, Cannes 2024, c'est fini. Une fois le palmarès tombé, tout le monde rentre chez soi. Certains même avant, pour lesquels la cérémonie de remise des prix sera devant la télé. Samedi après-midi, on a même croisé Adèle Exarchopoulos faisant pépère la queue dans le wagon-bar du train. C'était déjà un indice que L'amour ouf, le film de Gilles Lellouche, n'allait pas décrocher quoi que ce soit. Beaucoup ont senti, eux, leur mâchoire dégringoler en entendant qu'Anora se voyait décerner la Palme d'Or plutôt que l'ultra-favori, Les graines du figuier sauvage, médaillé, lui, du Prix Spécial du Jury. Un choix en fait peut-être prudent : Dans la période actuelle où en Iran, il vaut mieux y aller mollo avec les Mollahs, La récompense suprême aurait de quoi signifier mise au gnouf illico pour toute l'équipe du film restée au pays. De toute manière, décortiquer un palmarès cannois n'a pas beaucoup de sens : c'est à l'aube de l'édition suivante, quand les films auront connu leur carrière en salles, que les vertus de la présente devront être analysées. Cependant, si, comme souvent, elle devrait s'avérer le haut du panier de l'année cinéma, il est d'emblée clair qu'au vu d'une sélection assez terne, 2024 ne devrait pas rester mémorable. Au final, qu'est-ce qu'on a vu cette année à Cannes ? Sans doute un reflet de l'époque et de son chaos. Toutes sections confondues, ce festival aura été celui des films désarçonnants à force de malaxer les narrations et les registres, quitte à étouffer leur propos. Il n'est d'ailleurs sans doute pas anodin que Greta Gerwig et son jury aient globalement récompensé les films les plus limpides de la compétition. De ce flou sont toutefois ressortis quelques motifs : En premier lieu, la récurrence de personnages féminins, la plupart bataillant encore contre l'emprisonnement d'un vieux monde, mais avec une certaine avancée, quand, au-delà d'une maigre délégation féminine (quatre réalisatrices seulement en compétition), beaucoup des films signés par des hommes mettent en scène des femmes et plaident leur cause. Pour autant, ce qu'on aura donc le plus vu à Cannes, c'est du cul. Ou plutôt des culs, quand les plans s'attardant sur des postérieurs auront été aussi innombrables que très charnels. Pour le coup, avec une certaine équité, ces fessiers étant aussi bien masculins que féminins. Était-ce une manière de mettre encore plus à nu le monde, dire que, malgré son état, il restait encore désirable ? Ou de sous-entendre qu'il est en train de nous péter à la gueule ? Allez savoir.
Mon, 27 May 2024 - 02min - 319 - CANNES JOUR 8 : La mode, la mode, la mode
À 24 heures du palmarès, les bookmakers de festival sont en berne. C'est un vrai pari de pronostiquer qui repartira de la croisette avec la Palme d'or dans ses bagages. Au minimum parce qu'il reste encore deux candidats à être montrés, La plus belle des marchandises, le dessin animé signé Michel Hazanavicius et La graine de la figue sacrée de l'Iranien Mohammad Rasoulof. Encore plus quand aucun film de la compétition n'a jusque-là pleinement fait l'unanimité. Toutefois, un grand gagnant peut d'ores et déjà être annoncé : l'industrie de la mode. La relation entre les grands groupes et le festival n'est pas nouvelle. Depuis que la fameuse montée des marches sur tapis rouge a été inventée, celle-ci est un showroom à ciel ouvert pour les grands couturiers, qui en retour y trouvent le catwalk le plus médiatisé au monde. Cannes y trouve son compte par une présence strass et paillettes dans toutes les gazettes de la planète. Mais ce rapport win-win prend cette année une nouvelle dimension. Après une première étape l'an dernier en accompagnant le moyen-métrage de Pedro Almodóvar en tant que producteur, Saint-Laurent est pleinement passé de l'autre côté des marches en finançant cette année trois films de la compétition, ceux de David Cronenberg, Jacques Audiard et Paolo Sorrentino. Une étape fondamentale autant pour Cannes que pour le monde du cinéma, où l'industrie du luxe est de plus prégnante. En plus des filiales de production, jusqu'à CAA, une des agences hollywoodiennes les plus puissantes, a récemment été rachetée par François-Henri Pinault, le patron du groupe Kering auquel appartient Saint-Laurent. À ce stade, il est inquiétant que la mode finance ce type de cinéma, parce que cela signifie à quel point des auteurs comme Audiard ou Cronenberg et d'autres ne parviennent plus à trouver de financements traditionnels, même si cela leur permet de continuer à faire des films. Mais il faudra scruter de près l'évolution rapide de ce phénomène -on pourrait tout autant mentionner l'importante présence financière de Chanel dans le budget de certains festivals nouvellement créés. D'autant plus quand une riposte ne serait tarder de la part de LVMH, qui vient créer 22 Montaigne entertainment, dédiée, elle aussi, à la production. Il n'est donc pas impossible que dès 2025 à Cannes, on regarde des films sous cette bannière… Jusqu'à faire de la compétition un porte-manteau de ces groupes ? On préfèrerait y découvrir, dans quelques années, un thriller économique qui raconterait les coulisses de leur nouvelle rivalité. Photo : L’équipe du nouveau film d’Almodóvar, Extraña Forma de Vida, avec Anthony Vaccarello, producteur et directeur artistique d’Yves Saint-Laurent, à Cannes en 2023. Patricia DE MELO MOREIRA, AFP.
Fri, 24 May 2024 - 02min - 318 - CANNES JOUR 7 : Enfin, la compet’ !
On ne va pas se mentir, Cannes 2024 ne devrait pas rester parmi les crus les plus éclatants. À vrai dire, l'industrie le savait avant même que cette édition démarre, au vu de projets ayant eu souvent du mal à être financés, de grands noms qui ne seront prêts que l'année prochaine, de cinématographies malmenées par des politiques fermant les robinets ou d'un cinéma américain qui doit encore se remettre de la longue grève des scénaristes. Le plus important festival de cinéma au monde ne pouvait qu'être la caisse de résonance d'un contexte morose. La chose semblait même entendue au vu d'une compétition jusque-là molle, entre films confus, anecdotiques ou ne sortant pas des rails usuels de leurs auteurs. Seul Emilia Perez,l'inattendue comédie musicale de Jacques Audiard, avait éveillé un intérêt de la foule cannoise. On pensait donc l'affaire pliée. Lorsque soudain, une triplette de films ont remis les pendules à l'heure. Coup sur coup, Paolo Sorrentino, Sean Baker et Miguel Gomes ont rappelé que Cannes est aussi une affaire d'excellence. Avec Parthenope, Anora et Grand Tour, les enjeux ont été relancés, avec la chronique d'une vie de femme napolitaine, une peinture de la nouvelle génération capitaliste déguisée en comédie policière, ou encore une course-poursuite rêveuse entre deux fiancés. Un tiercé qui a tout pour être gagnant lors du palmarès à tomber samedi soir, tant ils sont de forts candidats, au minimum concernant les prix de la mise en scène ou d'interprétation. Les choses ne sont pourtant pas si simples alors que ces films devront aussi passer le contrôle douanier de l'époque. Vrai qu'aussi sublimement mis en scène qu'il soit, le fond du film de Paolo Sorrentino est encombrant à l'ère #MeToo quand il sur-sexualise son héroïne ou laisse la plupart de ses personnages masculins effarés d'être face à une femme belle ET intelligente. Quant à la narration hyper arty de Grand Tour ou le rythme indolent d'Anora,ils vont à l'encontre des attentes d'un public de moins en moins patient ou ouvert aux expériences formalistes. Mais au minimum, on doit être gré à ses trois films d'avoir donné l'impression que la compétition (et les débats animés qui vont avec) vient enfin de commencer. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Thu, 23 May 2024 - 02min - 316 - CANNES JOUR 6 : Hard corps
Au bout de dix jours de festival, le moindre accrédité a le sentiment d'avoir pris dix ans dans la vue, vit dans un état second, sous perfusion non-stop de café qui a fini par remplacer le sang dans les veines. Soit en parfait accord avec des films tournant autour du rapport à la mort ou au vieillissement. Dans The substance, une ancienne star de cinéma reconvertie en animatrice d'émission d'aérobic le refuse tellement qu'elle accepte la proposition d'une mystérieuse société qui lui fournit un clone rajeuni. Seule condition express, les deux versions doivent alterner leurs semaines de vie, et si l'une ne respecte pas la règle, l'autre se met à décrépir. Coralie Fargeat revisite donc Le portrait de Dorian Gray pour une mise à jour à l'heure d'un retour à l'obsession pour la célébrité et son endoctrinement des corps. L'idée est d'autant plus sensée que la réalisatrice a convoqué Demi Moore et Margaret Qualley, soit une actrice mise au placard et une valeur montante, en alter egos. Fargeat a eu l'intelligence de mettre de côté la charge contre les hommes (même relativement – il y a dans cette histoire un producteur de télécompilant tous les usages des prédateurs, qui, plus est, est nommé Harvey, comme un certain...Weinstein) pour se concentrer sur son pacte faustien, virant au mégacrêpage de chignon. Il reste dommage que The Substance se maquille comme un camion volé à coup d'effets tapent-à-l’œil où qu'il s'embarque dans un gorissime final grand-guignol, certes amusant, mais digressif. Toutefois, la rogne maintenue jusqu'au bout confirme que, même en se laissant aller au potache, les réalisatrices qui s'emparent du cinéma fantastique ne sont plus là pour jouer les potiches. On savait à l'inverse, depuis quelques films, que David Cronenberg avait mis de côté l'horreur graphique pour se concentrer sur celle plus intime. Sans pour autant renoncer à des concepts dérangeants. Les Linceuls invente une technologie permettant de rester en lien permanent avec les morts. Difficile de ne pas faire le lien entre un veuf qui refuse de faire son deuil et un réalisateur qui a lui-même perdu sa femme. Encore moins quand Vincent Cassel s'est fait la tête de Cronenberg jusqu'à la coupe de cheveux. Ce parallèle rend Les linceuls poignant, quand il est pétri de l'impossibilité d'adieux. Cette matière émotionnelle rabiboche avec un cinéaste dont les derniers opus devenaient de plus en plus stériles. Un réchauffement de maigre durée, Les linceuls se drapant dans une intrigue complotiste aussi fumeuse qu'abstraite, qui étouffe des théories passionnantes sur la subsistance des êtres face aux capacités des images virtuelles. Vincent Cassel et Diane Kruger offrent encore un peu de chair, mais les vraies larmes sont celles que l'on verse sur un Cronenberg qui embaume son inconsolable chagrin dans le suaire d'une trop grande rigidité. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Wed, 22 May 2024 - 02min - 315 - FOUDRE : coup de tonnerre dans le cinéma Suisse
Foudre porte remarquablement son titre. Le premier long métrage de Carmen Jacquier est autant traversé par des zébrures érotiques que par une humeur orageuse. Celle d'Elisabeth, une jeune femme qui doit quitter le couvent où elle était entrée pour prendre la place d'aînée dans la ferme familiale, après la mort soudaine de sa sœur. Foudre passera du mystère entourant ce décès à une approche quasi mystique de l'émancipation d'Elisabeth, s'éveillant à ses désirs de liberté, d'esprit ou sexuels, dans une Suisse rurale du début du XXe siècle sous emprise de la religion catholique. Foudre réveille le cinéma helvète par sa puissance picturale comme par sa sensualité, transcende une quête d'identité par celle des corps, le tout dans un esprit de communion, mais pour un film préférant le sensoriel au solennel. Le monde intérieur d'une adolescente et les rugosités de celui réel s'y entrechoquent de manière tellurique, faisant d'emblée du cinéma de Jacquier un égal de ceux de Jane Campion ou de Terrence Malick. Comme eux, cette réalisatrice transforme une introspection méditative en fulgurante épiphanie. Et pendant que Foudre s'essaie à un dialogue franc avec Dieu, Carmen Jacquier, s'est, elle, confiée au micro de Nova. Foudre, en salles le 22 mai.
Wed, 22 May 2024 - 24min - 314 - CANNES JOUR 5 : Fromage et dessert
Il faut parfois savoir être discret pour se faire remarquer à Cannes. En coulisses du vacarme omniprésent de la compétition, certains films à profil plus bas finissent toujours par trouver la lumière. Cette année, c'est au sein de la section Un certain regard que deux d'entre eux ont ravi par leur humilité. Vingt Dieux ! et My Sunshine partagent aussi une identité de terroir. Le premier se pose dans le Jura, pour suivre la débrouille de Totone, 18 ans, qui se retrouve du jour au lendemain à devoir gérer tout seul la ferme familiale. Pour sortir de la mouise, il se lance dans la fabrication de Comté, espérant décrocher un substantiel prix du meilleur fromage. Louise Courvoisier ne fait pas cailler le lait de ce pitch improbable, l'ingrédient principal de son film restant l'initiation d'un grand gamin à la solidarité comme à l'amour. L'environnement, monde rural dans la dèche, est rugueux, le casting de comédiens non-professionnels aura été sauvage, mais Vingt Dieux ! charme par sa tendresse. Courvoisier gagne illico ses galons d'appellation contrôlée en se situant idéalement entre les cinémas de Ken Loach et de Maurice Pialat, naturaliste, mais sans sentimentalisme, âpre, mais qui soutient ses personnages pour qu'ils restent debout. Pendant que Vingt Dieux ! s'échauffe au soleil d'un été, My Sunshine fait tomber la neige sur deux ados japonais, Takuya et Sakura, pris sous l'aile d'un coach de patinage artistique. Hiroshi Okuyama fait de jolies arabesques autour de ce trio pour explorer les grands chagrins de l'enfance comme les regrets de l'âge adulte. Les rares éclats de My Sunshine résonnent d'autant plus dans une atmosphère aussi cotonneuse que minimaliste, tout comme les fissures, qui vont s'attaquer au lien entre ces deux sportifs en herbe et leur mentor, sont invisibles à l'œil nu. Okuyamadéveloppe avec la même grâce le discours sur les stéréotypes de genre qui prend peu à peu sa place dans ce dispositif épuré. S'ouvrant sur un début d'hiver, My Sunshine se clôt sur les premiers bourgeons d'un printemps. Ce film délicat se révèle alors comme une ultime bulle protectrice pour Takuya et Sakura, glissant désormais vers les réalités, parfois cruelles, de la vie. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova. Photo : Vingt Dieux !, 2024
Tue, 21 May 2024 - 02min - 313 - CANNES JOUR 4 : Tous au balcon !
Un des rituels du festival de Cannes est la déclaration préalable de Thierry Frémaux, son délégué général, avec une immuable parole : ce sont les films qui définissent le fond de l'édition en se faisant un écho du monde et non une ligne éditoriale prédéfinie. À mi-parcours du cru 2024, il est évident que, pour aussi différent qu'ils soient, ils se retrouvent dans un reflet du chaos généralisé du moment. Certains, pour ne pas dire la quasi-totalité des films de la compétition présentés jusque-là, sous des formes improbables et souvent confuses. D'autres en prenant à ras le corps des interrogations contemporaines. Emilia Perez, le nouveau Jacques Audiard, embrasse rien que par son pitch le bordel ambiant. Soit une comédie musicale sur le boss d'un cartel de narcotrafiquants mexicains qui veut changer de sexe, le tout sur des chansons signées Camille. Brillant en ce qui concerne la mise en scène autour de la question du genre, Emilia Perez l'est bien moins en ce qui concerne l'approche des cinémas de genre, surtout dans une dernière partie se pliant à la fois aux codes de la télénovela et du film d'action. Le discours féministe progressiste devient alors inaudible, envoyé dans le décor par ce virage vers un cinéma beaucoup plus banal. Si Les femmes au balcon, seconde réalisation de l'actrice Noémie Merlant, s'engouffre lui aussi dans de multiples registres, de la franche comédie au gore en passant par le film de fantômes, il ne dévie jamais de son propos autour des violences sexistes et sexuelles. Mieux : il le revendique via une bande de copines se retrouvant avec le cadavre d'un homme sur les bras. Les femmes au balcon n'a de cesse de marcher hors des clous pour mieux les enfoncer. Merlantn'y a peur de rien, et certainement pas de s'emparer de tous les tabous autour de la représentation du féminin à l'écran, de la nudité ultra-frontale à la sexualité assumée en passant par la charge mentale ou le consentement. Merlant et ses formidables colocs, Soueilha Yacoub et Sanda Codreanu, osent avec naturel jusqu'à d'hilarantes blagues prouteuses, toutes les transgressions pour une ode à la sororité. Les femmes au Balcon annoncent avec ce film débridé qu'un vent est en train de se lever, avec avis de tempête pour le patriarcat. Que Merlant le fasse avec une humeur aussi volontariste que joyeuse et généreuse ne le rend que plus enthousiasmant. À l'inverse, il y a de quoi se dire que la cause n'est pas gagnée quand Les femmes au balcon est relégué par Thierry Frémaux en séance de minuit, là où la mèche de cette ultra-jouissive bombe comique aurait mérité d'être allumée en plein jour. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova. Photo : Les femmes au balcon, 2024
Mon, 20 May 2024 - 02min - 312 - CANNES JOUR 3 : Empire d'essences
George Miller et Francis Ford Coppola sont de retour sur la croisette, pour de spectaculaires recarossages de leurs cinémas. Double programme maousse ce jeudi à Cannes. À commencer par Furiosa, à la fois spin-off et prequel de Mad Max Fury Road, se passant dans le même univers mais consacré à son personnage féminin et, plus encore, virage à 180°. Quand Fury Road réjouissait à vouloir revenir à un cinéma purement physique et incarné, dégraissé jusqu'à l'os pour se concentrer sur l'action, Furiosa se nourrit de chapitres et de variations de rythme pour transformer une gamine rebelle en gladiatrice vengeresse. George Miller assumant pleinement vouloir faire un péplum de fer et de feu, mais surtout s'écarter de la route des blockbusters contemporains sans âme. Furiosa tient moins de l'exceptionnel morceau de bravoure pyrotechnique qu'était Fury Road, mais il renoue avec la puissance d'une grammaire de cinéma à l'ancienne. Plus que l'adrénaline de courses-poursuites dantesques, c'est l'efficacité des plans et d'un montage allant à l'essentiel, ravivant avec une science originelle qui fait vrombir de jubilation. Furiosa s'achève sur un dialogue entre son héroïne et sa Némésis, formidable méchant, qui s'interroge sur ce qu'il restera d'eux et s'ils portent la capacité de devenir des mythes. Quant à la projection de Megalopolis, le très attendu film de Francis Ford Coppola, il a de quoi entrer dans la légende cannoise, tant cela restera un moment de sidération totale. À vrai dire on ne sait pas trop ce qu'on a vu, tant Megalopolis alterne fulgurances visuelles et propos méandreux, séquences révolutionnaires et autres dont la direction artistique semble avoir été abandonnée à une IA façon Midjourney. Un film autant en roue libre qu'ultra-personnel jusqu'à être un concentré de Coppola : enjeux de pouvoir et de clans familiaux en écho du Parrain, chaos à la Apocalypse Now, héros idéaliste à la Tucker et profusion sensorielle de son Dracula, toutes les facettes sont là. Reste à comprendre de quoi parle Megalopolis, entre allégorie d'une Amérique en redite de la chute de l'empire romain, éloge du sentiment amoureux qui pourrait réenchanter un utopiste et citations de Shakespeare ou de Marc Aurèle dans le texte. Tout cela érige une tour de Babel aussi fascinante qu'agaçante, quand on ne sait plus s'il faut applaudir la noblesse d'un geste fou de cinéma autofinancé ou s'attrister de devoir assister à une autodestruction doublée d'un évident suicide commercial. Comme une flamboyante chute de l'empire Coppola en quasi-direct. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Fri, 17 May 2024 - 02min - 311 - CANNES JOUR 2 : Contrôle d'identités
Après les starting-blocks de l'ouverture, Cannes entre dans le vif du sujet, avec les lancements successifs de la compétition et des deux principales sections parallèles, La Semaine de la critique et La Quinzaine des cinéastes. Étonnamment, généralement étanches les unes aux autres, elles conversent indirectement cette année via le thème commun d'une crise d'identité. Coté compétition, Diamant brut s'empare de celle d'une jeune femme d'aujourd'hui, happée par les promesses de célébrité des émissions de télé-réalité. L'ambition de Liane ne tient qu'aux likes qu'elle récolte sur les réseaux sociaux et à un casting pour un show façon Les Marseillais à Miami. À travers elle, Agathe Riedinger infiltre la culture bimbo, cette hyperféminité assumant crop tops et seins refaits. Diamant brut surprend en refusant la superficialité des reportages sur les néo-cagoles qui scrollent sur TikTok ou Instagram. Riedinger déplace la question sur celle des transfuges de classes à l'heure où l'échelon suprême social serait de devenir une influenceuse. Proche d'un cinéma anglais dans sa compassion pour ses personnages ou son naturalisme, Diamant Brut sait envoyer valser le misérabilisme ou la démagogie, pour se faire récit d'émancipation contemporain. Dommage que le ventre mou du scénario ralentisse un film courageux dans sa manière de tailler les facettes d'une époque de plus en plus basée sur le paraître. À La semaine de la critique, Les fantômes ravive la tragédie du peuple syrien. La traque en France d'un tortionnaire par un réfugié passé entre ses mains dans les geôles de Bachar El Assad se fait bourreau des légendes, en dissimulant dans un récit d'espionnage l'impossible reconstruction psychologique de tout exilé. Rescapé de la répression, hanté par sa fuite forcée, le premier long métrage de Jonathan Millet doit beaucoup à Adam Bessa, acteur très impressionnant en bloc de douleur collective. Malgré tout freiné par une mise en scène restant, à l'inverse de son personnage central, en sur-contrôle, brillante de maîtrise, mais qui étouffe toute possibilité d'empathie avec lui et anesthésie ses cicatrices physiques et mentales. Enfin, La Quinzaine des cinéastes fait le pari casse-gueule de faire naître son édition avec un avis de décès. Sophie Fillières est morte avant d'avoir pu finir de monter Ma vie, Ma gueule. La quête d'équilibre d'une quinquagénaire dépressive prend forcément des airs d'évocation de la réalisatrice. Un film attachant quand elle amène son quasi-double fictionnel vers une reconquête de soi, bouleversant dans une dernière partie où cette mère décide littéralement de rester à quai, de laisser ses enfants partir faire leurs vies loin d'elle. Transcendé par une Agnès Jaoui parfaite en femme en vrac ramassant peu à peu ses morceaux, cet involontaire opus posthume est d'une belle tristesse, car éloge funèbre le plus vivant qui soit. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Thu, 16 May 2024 - 02min - 310 - CANNES JOUR 1 : Dont acte
Émouvante, la cérémonie d'ouverture du festival de Cannes hier soir. Au minimum par la gorge serrée de Greta Gerwig, présidente du jury, visiblement toute chose d'être à cette place, mais aussi par les larmes partagées entre Juliette Binoche et Meryl Streep récipiendaire d'une palme d'or d'honneur. Une entrée en matière touchante et joyeuse, y compris dans l'introduction de Camille Cottin, pince-sans-rire juste ce qu'il fallait, truffée d'allusions aux divers sujets qui s'entrechoquent cette année avec le festival. Un moment chaleureux n'ayant pas empêché le côté deux salles, deux ambiances, alors qu’aux alentours du Palais les divers services de sécurité semblaient un peu plus sur les dents à l'idée que cette inauguration soit perturbée par la moindre intervention d'un collectif, qu'il soit féministe ou de travailleurs précaires. Si, à l'intérieur, Zaho de Sagazan se lançait dans une impeccable reprise du Modern Love de Bowie, l'ambiance n'était pas vraiment à l'amour et la tendresse à l'extérieur... Plus de perplexité pour autant devant Le deuxième acte, le film de Quentin Dupieux, une antithèse de la déclaration d'intention chaleureuse de cette cérémonie. Dans la prolongation de Yannick, qui interrogeait littéralement le principe de la société du spectacle en interrompant une pièce de théâtre, Le deuxième acte poursuit cette thèse, égratignant cette fois-ci le milieu du cinéma, quand quatre acteurs se mettent à commenter le film qu'ils sont en train de tourner. Comme souvent, Dupieux organise un jeu de poupées gigognes entre premier et deuxième voire troisième degrés, mais à force d'accumuler les couches de discours méta, Le deuxième acte vire à la tartine indigeste de situations répétitives en flou, fut-il artistique, dans le propos. Excepté un passage furtif sur l'emprise possible des intelligences artificielles sur la création culturelle, le rire se fait rapidement sarcasme gausseur. L'autocaricature de Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel et Raphaël Quenard se mue en galerie de personnages ultra – suffisants entérinant les clichés sur leur monde au lieu de s'en moquer. La figure tragique d'un figurant, ou une ultime digression sur le statut de fiction ou de réalité achèvent de rendre le film confus. Et quand Dupieux fait savoir qu'il ne fera pas de promotion de ce Deuxième acte, estimant que le film parlait de lui-même, il y a de quoi se demander si tout ceci ne tient pas d'un cynisme vain. Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Wed, 15 May 2024 - 02min - 309 - 77e FESTIVAL DE CANNES : MÉTÉO ORAGEUSE EN VUE
À Cannes, pour le moment, il fait beau, avec un ciel sans nuages, mais ça ne va peut-être pas durer. Alors que la météo annonce l'arrivée de la pluie d'ici à deux-trois jours, ce sont d'autres orages qui menacent cette édition. À vrai dire, on ne sait même pas d'où ils vont tomber : d'une possible grève initiée par le collectif Sous les écrans la dèche, qui rassemble toutes les petites mains du festival, en état de précarité de plus en plus prégnante, aux éventuels articles #MeToo autour d'une prétendue liste de prédateurs et de la venue annoncée du controversé directeur du CNC, bientôt en procès pour agression sexuelle. Cela pourrait tout aussi bien être un écho de la guerre à Gaza, ou même tout ça à la fois. Lors de la conférence de presse annonçant les agapes, son délégué général Thierry Frémaux affirmait que cette 77ᵉ édition du festival serait « pacifique, pacifiée et qu'on n'y parlerait que de cinéma », mais avant même son ouverture ce soir, cette déclaration est clairement devenue un vœu pieux. Quoi qu'il en soit, ce soir, le rideau se lèvera sur une édition qui, malgré elle, sera placée sous le signe d'un changement d'époque en cours. Il y a deux ans, la toute dernière scène d'un film de Quentin Dupieux, Fumer fait tousser, présenté ici, montrait un robot en plein bug quand il essayait justement de rebooter son époque. Ce soir, Le 2eme acte, nouvel opus de Dupieux sera projeté en ouverture. Comme souvent avec ce réalisateur, on ne sait pas grand-chose de son contenu, si ce n'est qu'il commenterait, autour d'un dîner entre quatre acteurs, et de manière très frontale, comment le monde du cinéma français gère la situation de crise actuelle, de la cancel culture à la révolution #MeToo. Seules certitudes, cela ne lui prendra qu'1 h 25, tandis que le festival est bien parti cette année pour passer beaucoup plus de temps à être l'épicentre de tous les débats sociaux du moment. Retrouvez Alex Masson au Festival de Cannes tous les matins à 7h37 dans la matinale "T'as vu l'heure ?" sur Nova.
Tue, 14 May 2024 - 02min - 308 - UNE AFFAIRE DE PRINCIPE x THE FALL GUY : EN COULISSES
Thriller juridique à la française ou reboot d’une série télé U.S, tout est une affaire de métier. Plus les élections européennes approchent, plus on voit remonter à la surface des problématiques d'ingérences et autres implications des différents lobbies au sein du Parlement. Une affaire de principe organise une visite guidée sur ce dernier point en réouvrant le dossier John Dalli, du nom d'un commissaire européen à la santé qui avait été démissionné de l'institution en 2012, suite au soupçon de magouilles avec l'industrie du tabac. Un certain José Bové, alors député européen s'était lancé dans une véritable enquête pour voir de quoi il en retournait vraiment. Antoine Raimbault s'en empare avec Une affaire de principe, pas tant pour relancer l'affaire que pour un double décryptage, du fonctionnement du parlement et des mécanismes de corruption. Soit un registre de thriller politique grand public à la française qui semblait mis au placard depuis les années 80 avec la retraite anticipée d'un Yves Boisset ou d'un Henri Verneuil, derniers grands représentants du genre. Raimbault en réactive l'efficacité avec un supplément de rogne civique faisant friser jusqu'à la moustache d'un Bouli Lanners, impeccable en Sherlock Bové. La ligne du film l'est peut-être un peu moins, quand elle s'écarte de son dossier pour aller vers une sanctification d'un député justicier drapé dans ses convictions citoyennes ou d'archétypales intrigues secondaires digressives du factuel de cette histoire. Pas de quoi tendre pour autant vers un conflit d'interêts, Une affaire de principe, film aussi divertissant que pédago, donnant plutôt envie d'autres exemples d'un cinéma mi-Cash Investigations, mi-Wikipedia, certes dogmatique, mais plus que jamais utile pour éclairer les zones d'ombres de plus en plus opaques de nos institutions. La bande-annonce The fall guy revient lui aussi sur un vieux dossier en ressuscitant une madeleine de Proust de la télé américaine des années 80 : L'homme qui tombe à pic. Il n'est pas impossible que cette série sur un cascadeur, détective privé à ses heures aie nourri la vocation de David Leitch, réalisateur lui-même longtemps coordinateur des cascades de nombreux films d'action hollywoodiens des Matrix aux Jason Bourne. Sa version cinéma de la série n'a plus grand-chose à voir avec le matériau d'origine, si ce n'est la mollesse avec laquelle The fall guy essaie d'intégrer une intrigue policière inepte. Leitch rédige bien mieux une très généreuse ode au dévouement des cascadeurs, montrant autant les coulisses que le résultat de scènes aussi efficaces que spectaculaires. La véritable cascade de The fall guy à ne surtout pas reproduire étant ce scénario maniant très mal le dérapage contrôlé entre blockbuster pyrotechnique, comédie romantique et second degré. Le charme d'un Ryan Gosling déconstruisant, après Ken, la figure virile des Action Man n'étant pas suffisant pour empêcher de passer de Barbie à un divertissement amusant mais à la longue barbant. Une affaire de principe / The fall guy. En salles le 1ᵉʳ mai
Wed, 01 May 2024 - 02min - 307 - NOTRE MONDE : en toute indépendance
Entre le Kosovo d’hier et l’Europe d’aujourd’hui, Luana Bajrami sonde les espoirs de la jeunesse. Rencontre. On avait repéré Luana Bajrami comme pousse montante du cinéma, via des seconds rôles marquants chez Céline Sciamma, Bruno Podalydès ou les Nakache/Toledano. Il y a trois ans, l'actrice était passée derrière la caméra avec Là où rugissent les lionnes, chronique d'adolescence kosovare inattendue de maturité au vu d'une réalisatrice qui entrait à peine dans la vingtaine. Avec Notre monde, son second film, Bajrami retourne dans le pays de ses origines familiales, pour en remonter le temps et se replonger en 2007 quand le Kosovo était sur le point d'accéder à l'indépendance. Logique alors, qu'elle y raconte celle qu'essaient de prendre Zoé et Volta, deux jeunes femmes fuyant l'ennui d'un village rural pour aller faire des études à Pristina. Plus que dans la plupart des cas, Notre Monde s'affirme comme une œuvre de jeunesse. Pas tant à cause d'un âge que partagent à la fois Bajrami et ses personnage que par le très juste portrait générationnel qu'esquisse Notre monde, film qui va au delà du Kosovo quand il raconte à la fois l'hier d'un pays de l'est négligé vu d'ici, que l'aujourd'hui d'une jeunesse entravée, où qu'elle soit, par les pratiques et le conservatisme de l'ancien monde, écrasant la possibilité de prendre son envol. Beau film maniant autant l'initiatique que le politique quand il met en parallèle construction de deux jeunes femmes et reconstruction d'un état, Notre monde sait faire se rejoindre l'individuel et le collectif, pour un état des lieux plus global que prévu quand il interroge les yeux dans les yeux autant un passé qu'un présent toujours aussi incertain. Notre monde en salles le 24 avril
Wed, 24 Apr 2024 - 24min - 306 - Back to black x Notre monde : toute une histoire
On pensait connaître la chanson des biopics d'artistes musicaux, celui consacré à Amy Winehouse est bienvenu quand il s'essaie à un regard en travers... À sa manière, Luana Bajrami prend aussi les choses sous un angle singulier : immersion dans le Kosovo de 2007, sur le point d'accéder à l'indépendance. "Notre monde" passe par le regard de deux jeunes femmes essayant de lutter contre un manque de perspective en fuyant leur village pour aller étudier à Pristina. "Back to Black" et "Notre monde" en salles le 24 avril
Wed, 24 Apr 2024 - 03min - 305 - Monkey Man x Riddle of fire : épris de vengeance ou insolents, les enfants sont formidables
La mondialisation n'a pas que du mauvais. Elle aura au moins permis une perméabilité des cultures. Surtout dans le cinéma de genre d'aujourd'hui où il n'y a plus vraiment de frontières, pour une sorte de revigorant melting-pot. Dev Patel en a été le témoin il y a longtemps, quand Slumdog millionnaire a fait de cet acteur anglais d'origine indienne un symbole international et transversal. Pour son passage à la mise en scène, il a inventé une ville imaginaire dans une Inde contemporaine pour une histoire de vengeance, mais surtout une hybridation du cinéma d'action, Monkey Man assimile autant le jusqu'au boutisme des thrillers sud-coréens que la précision des cascadeurs indonésiens, le savoir-faire visuel des blockbusters américains, ou la part de fable de ceux indiens. En surface, l'inextinguible soif de revanche d'un fils dont la mère a été tuée par un policier ripou n'en ferait qu'un John Wick délocalisé, mais Patel y ajoute un ingrédient inattendu : un sous-texte abordant autant le nationalisme qui gangrène actuellement l'Inde que le système de castes qui y perdure. Cet aspect là est certes bien moins maitrisé que les ahurissantes séquences de combat, n'a pas la force d'un réel commentaire politique, mais empêche Monkey Man de n'être qu'un spectacle gargantuesque de violence graphique, quand sa fureur est mûe par une colère furibarde contre une sphère politique gouroutée par des mentors usurpateurs, ou quand Patel s'autorise à casser ici et là certains codes du film de baston. Tout ca reste encore à dégrossir, mais la rogne de Monkey Man en fait un passionnant galop d'essai dépassant un certain exotisme ou sa part de défouloir. La bande-annonce du film ici À sa manière, Weston Razooli rend lui aussi exotique le registre purement américain qu'est le film d'aventures pour enfants. Bricolé avec trois dollars six cents, son Riddle of fire et sa bande de marmots en quête d'une recette parfaite de tarte aux myrtilles pour avoir accès au code parental de leur console de jeu, s'aventure dans une Amérique de fiction oubliée, à mi-chemin entre Twin Peaks et les productions Disney des années 60. Razooli renouant à la fois avec l'innocence enfantine et la mythologie bucolique d'un Tom Sawyer, dont ce film inattendu partage l'esprit libre, Mais plus encore avec l'idée d'une foi organique dans un cinéma où tout est terrain de jeu et d'imaginaire. Soit une alternative au cinéma de divertissement américain actuel de plus en désincarné par les effets numériques. Mieux que de passer par le regard de gamins pour réinventer le monde, Riddle of fire invite surtout les adultes à se remettre à leur hauteur pour retrouver sa part chevaleresque comme sa potentielle magie. Weston Razooli s'est lui invité au micro de Nova pour une interview à retrouver ici. Monkey man / Riddle of fire. En salles le 17 avril
Wed, 17 Apr 2024 - 02min - 304 - Riddle Of Fire : Retour en enfance. L'interview de Weston Razooli
Où se trouve l'aventure dans le cinéma américain actuel ? Sans doute du côté de Weston Razooli, réalisateur autodidacte s'étant lancé dans un drôle de pari avec Riddle of fire. Bricolé avec trois dollars six cents, ce premier film envoie une bande de marmots en quête de la recette parfaite de tarte aux myrtilles pour pouvoir accéder au code parental de leur console de jeu. L'occasion de revisiter une Amérique de fiction oubliée, à mi-chemin entre Twin Peaks et les productions Disney des années 60. Razooli renouant à la fois avec l'innocence enfantine et une mythologie à la Tom Sawyer, Mais surtout avec l'idée d'une foi organique dans un cinéma où tout est terrain de jeu et d'imaginaire et proposer une alternative au cinéma de divertissement américain actuel de plus en désincarné par les effets numériques. Mieux que de passer par le regard de gamins pour réinventer le monde, Riddle of fire invite surtout les adultes à se remettre à leur hauteur pour retrouver sa part chevaleresque comme sa potentielle magie. Weston Razooli, lui s'est invité au micro de Nova. En salles le 17 avril.
Tue, 16 Apr 2024 - 10min - 303 - S.O.S Fantômes : La menace de glace x Hitcher : so 80’s
Les deux derniers énormes triomphes du cinéma de studio américain, Barbie et Oppenheimer, laissaient espérer un renouveau que ce soit dans le ton où les sujets. C'était peut-être aller trop vite quand en 2024, Hollywood prolonge sa marche arrière en recyclant ses succès des années 80. Sont annoncées dans les mois qui viennent des resucées entre autres d'Alien, Karaté Kid, Y'a-t-il un flic pour sauver la reine ?ou Le flic de Beverly Hills.. Ce n'est pas pour autant signe d'une régression façon doudou. En atteste un nouvel avatar de S.O.S Fantômes, confortant ce qui se dessinait dans une précédente tentative voici trois ans. La menace de glace joue encore plus la carte du passage de relais à une nouvelle génération de chasseurs de spectres, sans pour autant évacuer la mauvaise idée de vouloir faire du neuf avec du vieux. Paradoxalement, en reprenant et amplifiant le concept du tout premier film, à savoir déguiser une comédie familiale en film d'aventure, ce S.O.S Fantômes dégraissé de séquences surnaturelles jusqu'à se foutre royalement de gérer une intrigue de menace venue de l'outre-monde paraît presque rafraichissant dans une ère de blockbusters aux faméliques scénarios, ne jurant plus que par une surenchère dans l'action. La menace de glace préfère affiner l'écriture de personnages moins ectoplasmiques, peu à peu attachants. Reste la part de parasitage d'un gênant fan service extirpant le casting originel, de Dan Aykroyd à Bill Murray, de la naphtaline, mais rapidement cireux quand un aspect Musée Grévin tire malgré tout cet énième volet plus inattendu que prévu vers une glaciation que vers une émancipation. Cette semaine cinéma est décidément sous le sceau des années 80, avec la réapparition d'un des meilleurs films de psycho-killers de la période. En 1986, Hitcher avait justement ressourcé ce genre, alors basculé dans le cinéma d'horreur avec les déjà increvables Freddy Krueger et Jason des Vendredi 13. La traque entre un jeune convoyeur de voiture et un autostoppeur machiavélique dans le no man's land des highways rétablissait la figure inquiétante du croque-mitaine, en mettant sur le siège passager de l'Amérique un pur prédateur. Ravivant l'efficacité comme la sécheresse des premiers John Carpenter ou du Duel de Spielberg, le film de Robert Harmon y ajoutait une dose anxiogène par un supplément de nihilisme. Soutenu par la performance hallucinante de Rutger Hauer en psychopathe ultime, Hitcher se faisait perturbante étude du mal incarné. Soumis lui aussi à la loi du recyclage, Hitcher connaîtra en 2007 un piètre remake, confirmant la position d'astre noir du film de départ. Mais aussi qu'il faut finalement toujours préférer l'original à la copie. S.O.S Fantômes : la menace de glace & Hitcher. En salles le 10 avril
Wed, 10 Apr 2024 - 03min - 302 - DRIVE-AWAY DOLLS x LE SQUELETTE DE MADAME MORALES : crises de couple
Pendant qu’un frère Coen fait son coming-out queer, une perle mexicaine des années 60 fait un mariage de déraison. Les frères Coen ont tellement portraituré l'Amérique profonde au gré de leurs films, qu'on aurait pu y voir une forme de fétichisme. Maintenant qu'ils sont séparés et font des films chacun de leur côté, l'affaire paraît plus compliquée. En apparence, Drive-away dolls joue leurs cartes usuelles : intrigue de polar déglingué, galeries de personnages excentriques et course-poursuite virant roadtrip entre la Pennsylvanie et la Floride. Le premier film d'Ethan Coen en solo va pourtant sur un terrain que la fratrie avait jusque-là toujours laissé à l'écart : le sexe. Et autant dire que Drive-away dolls se met au goût du jour avec un couple de lesbiennes émoustillées, quasi sorti d'une version hardcore et prolo de Sex & the city. L'intrigue policière autour du mystérieux contenu d'une valise n'est qu'un prétexte pour virer une cutie vers l'univers queer. Si Jamie et Marian se retrouvent rapidement avec des hommes de main au cul, Drive-Away dolls marque surtout à la culotte les codes des séries B masculinistes, pour les rallier à ceux d'une rom-com délurée, appelant une chatte une chatte. Pour autant, à l'exception de Margaret Qualley et Géraldine Wiswanthan, parfaites en remix goudou d'un duo de buddy movie, cette cavalcade se fait peine-à-jouir par sa réalisation de cartoon en carton ou ses interludes psychédéliques bariolés métamorphosant la modernité du fond en coup de provoc périmé. On pourra trouver Le Squelette de Madame Morales plus incisif, plus transgressif. Cette autre histoire de cornecul, autour d'un médecin mexicain taxidermiste à ses heures et de sa femme aussi bigote qu'infirme, a pourtant été tournée en 1960. Luis Alcoriza, un scénariste récurrent de Luis Bunuel y malaxe une nouvelle de folk-horror mexicaine l'amenant vers une féroce chronique de faits divers. L'arme la plus tranchante de cette tentative de meurtre parfait est un humour noir, tailladant autant la religion catholique que le machisme ou le confort conjugal. Faisant traverser le Rio grande au mauvais esprit des comédies cinglantes italiennes ou anglaises de l'époque, Le squelette de Madame Morales frictionne un jouisseur égoïste et une grenouille de bénitier odieuse pour dédiaboliser gaillardement une hantise de la sexualité, égratigner joyeusement les hypocrisies sociales de la petite bourgeoisie mexicaine dans une satire vivifiante qui plus de soixante ans plus tard n'a décidément rien d'empaillé. Drive-Away dolls & Le squelette de Madame Morales. En salles le 3 avril
Wed, 03 Apr 2024 - 02min - 301 - LE JEU DE LA REINE x O CORNO : histoire(s) de femmes
Sous Henry VIII ou sous Franco, la condition féminine était déjà sine qua non. Allez savoir ce qui se serait passé si #MeToo avait eu lieu dans l'Angleterre du XVIe siècle. Peut-être qu'Henri VII n'aurait pas collectionné les épouses, ni envoyé deux d'entre elles à l'échafaud. Karim Aïnouz revient sur cette page d'histoire pour la réécrire selon le point de vue de sa sixième épouse Catherine Parr. Le jeu de la reine la voit en femme progressiste qui se heurte autant à son époux qu'à une cour prête à comploter contre elle pour hérésie. Le thriller paranoïaque en costume ne cache pas son ambition d'une lecture ultra-déconstruite. Pourquoi pas, si ce principe ne se faisait pas au nez de cette évocation du Barbe-bleue anglais, résumé à un psychopathe, pourrissant littéralement de l'intérieur, une gangrène lui attaquant les jambes. Le trait très épais du propos coupe l'herbe sous le pied d'une tentative – pourtant séduisante sur le papier – de chronique de palais patriarcal reliftée féministe. L'écrin nacré par une splendide photo qui ressuscite les clairs-obscurs des grands peintres flamands n'enrobe dès lors qu'un duel, lui royal au bar, entre Alicia Vikander, en pré-suffragette et Jude Law, qui s'en donne à cœur joie en monarque dégénéré. O corno accouche bien mieux de son discours. Littéralement dans une séquence d'ouverture où une femme donne douloureusement naissance à un bébé. Dix minutes intenses annonçant le programme du film de Jaione Camborda, exploration de la condition féminine dans l'Espagne des dernières années du franquisme. Le parcours d'une avorteuse de village devant fuir après la mort accidentelle d'une fille qui ne voulait pas être mère est celui d'une femme qui apprend à se redresser après avoir du tant courber le dos. Aux douleurs de la chair, Camborda superpose la sensorialité d'une terre malgré tout nourricière et la part consolante d'une sororité, fut-elle clandestine. Pour sa sortie française, O corno voit son titre original complété de la mention « une histoire de femmes ». Camborda en fait aussi celle de leurs corps, via l'épopée aussi physique que spirituelle d'une héroïne, prise entre les coups de cintre de la loi et celui qu'elle a utilisé pour s'avorter. Cette scène-là est ici sous-entendue ; pas le prix qu'avaient à payer les femmes pour disposer de leurs corps dans l'Espagne des années 70. O corno, se faisant utile piqûre de rappel universel dans une période où les droits à l'IVG sont menacés dans nombre de pays. Le jeu de la reine & O corno. En salles le 27 mars
Wed, 27 Mar 2024 - 02min - 300 - HORS SAISON/ SMOKE SAUNA SISTERHOOD : en thalasso ou au sauna, on se décrasse
Cette semaine au cinéma, 2 salles, 2 ambiances : en tête d'affiche, Hors Saison, le nouveau film de Stéphane Brizé qui fait un ménage de printemps : terminé le cycle sur le monde du travail avec Vincent Lindon en chevalier pourfendant les injustices sociales. C'est toujours la crise, mais cette fois-ci de manière plus introspective autour d'un vrai-faux autoportrait de Guillaume Canet dans le rôle d'un acteur parti en thalasso bretonne pour faire le point sur sa vie. C'est celle d'avant, via les retrouvailles avec son grand amour abandonné qui va remonter à la surface. On pourrait presque rebaptiser ça Un homme et une flamme. En tous les cas, ça rappelle énormément le Claude Lelouch des grandes heures, y compris dans ses chabadabadas et digressions inattendues. On peut trouver cet esprit de comédie romantique sentimentale suranné, mais le couple Canet/Alba Rohrwacher, tout en atermoiements, fait plus que le job. Brizé a fait appel à Vincent Delerm pour la musique de son film. C'est un choix cohérent : Hors Saison y ressemble dans son humeur lymphatique, mais à la mélancolie attachante. Pendant que Guillaume Canet est donc en thalasso à Quiberon, en Estonie, la communauté Voro entretien la tradition du sauna pour les femmes. Celles de Smoke Sauna Sisterhood en font un espace protégé, lieu où elles peuvent tout se dire, tout exprimer. La parole est encore plus à nu que les corps dans ce surprenant documentaire qui dissipe tout écran de fumée. Ici, des femmes de tous âges, de tous physiques se livrent comme dans un confessionnal bienveillant, où elles peuvent autant se marrer joyeusement en parlant de dick pics que se délivrer du traumatisme d'un viol ou du diagnostic d'un cancer. Anna Hints enveloppe ce choeur féminin souvent brut de décoffrage dans une douceur sensorielle et une abstraction sensuelle, achevant de faire de Smoke Sauna sisterhood une bulle de chaleur humaine qui agit comme un gommage, nettoyant ces femmes de la culpabilité du silence. Ce sauna a été reconnu par l'UNESCO comme un inaliénable lieu d'héritage culturel. Un label que mériterait ce documentaire décrassant autant les yeux que les esprits. Hors Saison et Smoke Sauna Sisterhood, en salles le 20 mars
Wed, 20 Mar 2024 - 02min - 299 - TIGER STRIPES : quand les adolescentes sortent les griffes
Comment vivent les jeunes filles d'aujourd'hui ? Sans doute comme toujours quand la préadolescence reste ce moment de transformation où tout change. Avec Tiger Stripes, Amanda Neill Eu le prend au pied de la lettre quand une collégienne malaisienne mue en créature suite à l'apparition de ses premières règles. Provocant ce premier long-métrage ? Plutôt porté par une belle insolence qui lui fait faire un réjouissant doigt d'honneur aux conventions, que ce soit pour bousculer le cinéma de genre ou pour rappeler que les jeunes filles en fleur ont de belles épines. Amanda Neill Eu confirme leur piquant au micro de Nova. La bande-annonce du film. En salles le 13 mars.
Wed, 13 Mar 2024 - 09min - 298 - L’Homme qui fixait des vertiges : Busby Berkeley, corps et âme
Dans les années 30, Broadway et Hollywood se tiraient la bourre pour proposer les comédies musicales les plus endiablées. Un homme fit basculer la donne du côté du cinéma : Busby Berkeley. Les numéros créés par ce chorégraphe ont transformé à jamais le registre, Ses ballets, créations mathématiques combinant prouesses techniques les plus folles et abstractions poétiques ayant durablement imprégné les arts visuels. Des Frères Coën dans The big Lebowski au clip d'"Around the world" par Michel Gondry ou ceux de Beyoncé, de l'ouverture d'Indiana Jones et le temple maudit aux pubs Evian, son empreinte est restée partout, mais que savait-on de lui ? Si Berkeley filmait ses numéros selon un point de vue zénithal, Pierre-Julien Marest et Séverine Danflous posent, avec L'homme qui fixait les vertiges, un regard en symétrie pour synchroniser les parcours, tout aussi démesurés, d'un créateur et d'une industrie. Divisé en deux parties, ce livre reprend à son compte un art de la géométrie cosmique : aux tableaux mouvants, assemblages de corps composés par Berkley à l'écran, se superpose sur les pages l'enchevêtrement des complexités d'un homme et d'un âge d'or hollywoodien. Le récit de L'homme qui fixait les vertiges se faisant lui aussi kaléïdoscopique par ses extensions – de minibiographies de danseuses en chroniques des enjeux de pouvoir, chassés-croisés avec la censure, rapport érotomane à la féminité où connexion avec les années Pop'art à venir. Soit près de 500 pages prodigieusement acrobates, balancier entre apesanteur de la folie et rigueur rythmique de métronome ; L'homme qui fixait les vertiges reprenant les enseignements de la caméra de Berkeley qui se faufilait partout pour mieux être en quête de hauteur, se poser en surplomb pour mieux reformuler le monde. L'homme qui fixait les vertiges (Editions Marest)
Tue, 05 Mar 2024 - 02min - 297 - DEBÂCLE : Le poids assourdissant du silence
En Belgique, Veerle Baetens est une des actrices les plus connues du moment (en France, on se souvient d’elle dans Alabama Monroe). Avec Débâcle, son premier film de réalisatrice, elle s'attaque à quelque chose qui tient de l'invisible : la douleur d'un grave traumatisme d'enfance qui va construire l'identité d'une femme, jusqu'à littéralement l'étouffer une fois adulte. Puisqu'elle ne sait pas l'exprimer oralement, Eva va échafauder un plan radical pour en finir avec le poids de ce passé. Plus qu'une adaptation d'un best seller belge, Debâcle affine le phénomène #MeToo : ici ce n'est pas tant la libération de la parole qui compte que la mèche lente d'un insupportable silence que Veerle Baetens allume avec un film aussi fort que stupéfiant, hardi quand il sait sortir des discours convenus sur la capacité à la résilience comme sur celle du désir de vengeance. En salles le 28 février Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur notre antenne et tout le temps, sur Nova‧fr et toutes les plateformes de podcasts.
Tue, 27 Feb 2024 - 17min - 296 - BYE BYE TIBERIADE : Histoires de famille, famille de l’Histoire.
Il y a trois ans, Lina Soualem, racontait l'impact du déracinement de ses grands-parents paternels, octogénaires qui se séparaient après soixante ans de vie commune dans Leur Algérie. Son nouveau documentaire, Bye Bye Tibériade fonctionne par effet autant inverse que miroir, en suivant le retour de sa mère, dans une Palestine natale qu'elle avait fui pour devenir actrice en France. Cette remontée des branches féminines de l'arbre généalogique est forcément une histoire de racines, celle de générations successives de femmes mais aussi celle de cette si singulière partie du monde. Le prisme de l'intime et de ses traumatismes qui émanent des archives familiales ricoche sur celui d'une Palestine aussi complexe que ce chemin vers une reconquête d'identité. Les deux s'entrelaçant au travers du récit d'une femme qui a décidé, il y a longtemps, de quitter sa terre pour échapper à un destin tracé par avance, superposé à celui d'un pays dont le sort reste plus que jamais entre les mains de ses colonisateurs. Les questionnements incessants d'une fille portant en elle un déracinement par procuration, dont elle est désireuse de s'en émanciper en visitant le passé dissimulé de sa mère, se font pour autant avec tendresse. Voire émotion quand elle se veut consolante des douleurs d'un ADN familial ou s'est implantée la géo-politique et ses tragédies. Bye bye Tibériade n'en est pas moins douloureux par les souvenirs et les regrets que ce dialogue fait remonter à la surface, mais c'est bien sa volonté d'apaiser autant que possible, des béances incurables que ce documentaire qui sait être autant journal de bord à la première personne que collectif, qui le rend particulièrement poignant. En salles le 21 février
Tue, 20 Feb 2024 - 01min - 295 - L’ENFER DES ARMES : Le cinéma hong-kongais des années 80 reste brûlant
Au début des années 80, le cinéma Hong kongais était l'un des plus stimulants. La colonie britannique hébergeait alors une génération de jeunes réalisateurs qui allait renouveler la production locale pour autant de films urbains déchainés, redonnant la fièvre aux polars. À l'époque, Tsui Hark a déjà deux films au compteur, mais L'enfer des armes va tout changer. La bande-annonce ici Sa matière (un attentat à l'explosif qui avait traumatisé puis effrayé l'opinion publique quand elle avait découvert que ses auteurs étaient des adolescents) est brûlante ; Hark la rend explosive en en faisant le portrait d'une jeunesse nihiliste face à une société ultraconservatrice. En délivrance de la frustration de ses personnages, L'enfer des armes développe une mise en scène éruptive, qui cogne encore plus frénétiquement qu'eux, confortant les principes d'un brûlot anarchiste que la censure d'alors réprimera par des coupes sévères. Quarante ans plus tard, le film, réapparaît dans son montage initial, quand le cinéma hongkongais n'est plus que cendres du volcan créatif qu'il fut, désormais sous la coupe d'une Chine lui imposant d'être sage, de n'allumer que la mèche politique du parti. La virulence de L'enfer des armes, film dont de nombreuses scènes figurent des barreaux ou des barbelés, n'en est que plus suffocante, ressuscitant une véhémente œuvre de jeunesse en puissant manifeste, qui résonne à la fois comme souvenir d'un cinéma aussi épidermique qu'insoumis et enragé coup de gueule. Amplifié par le joug d'un pouvoir plus que jamais répressif, ce requiem de la jeunesse entravée d'alors, sidère par ses airs d'Histoire du chaos et de la violence d'aujourd'hui, toujours plus embrasée par la colère. En salles depuis le 7 février, prochainement en Blu-ray chez Spectrum films.
Wed, 14 Feb 2024 - 02min - 294 - GREEN BORDER : les zones grises de l’Europe
Faut-il franchir certaines frontières pour alerter sur l’horreur des crises migratoires ? Définitivement oui. Il y a quasiment deux ans, la guerre en Ukraine éclatait. Les images de destructions sont restées dans les mémoires, pas celles d'une population fuyant son pays. Le principe d'une instrumentalisation de ces migrants par les pouvoirs politiques encore moins. Green border ne se déroule pas si loin : à la frontière entre le Belarus et la Pologne. Là-bas, une famille de migrants syriens tentant de passer en Suède s'y retrouve ballottée, les gardes-frontière de chaque pays se les renvoyant tour à tour. Agniezska Holland multiplie les points de vue ( via cette famille, un jeune garde-frontière, des activistes) pour raconter l'horreur humanitaire. Green Border se pare de noir & blanc pour s'immerger dans cette zone grise, façonnée par des lois aussi ubuesques que xénophobes. Holland la transforme en terrible examen de conscience, révélateur de la tragédie d'une impuissance citoyenne jusqu'à incarner littéralement le marécage répressif dans lequel l'Europe embourbe les migrants, parfois jusqu'à les en faire mourir. Certains trouveront la méthode discutable. En Pologne, quand Green border est sorti à l'automne dernier, des membres du gouvernement alors en place l'ont d'ailleurs traité de pur cinéma de propagande. Holland en utilise effectivement certains traits dans sa dénonciation particulièrement appuyée. Mais c'est de bonne guerre, fut-elle trouble à jouer sur la corde du tragique et de l'insoutenable. Comment faire autrement pour pousser un retentissant cri d'indignation devant les choix politiques d'une désunion européenne ? Résistant à la fureur des dirigeants du pays, le public polonais a fait un triomphe en salles au film, avant de chasser du pouvoir un parti de droit ultraconservateur, démonstration que tout n'est peut-être pas tout à fait perdu. Au-delà d'une puissance émotionnelle comme de réalisation, ce n'est qu'une raison supplémentaire de pousser à aller voir Green border, ici, dans une France qui s'apprête à vivre sous une loi immigration balafrant profondément sa devise, Liberté, Égalité, Fraternité. En salles le 7 février.
Tue, 06 Feb 2024 - 02min - 293 - Moullet Jeunesse : le cinéma de Luc Moullet à encore de la cuisse
Vous l'avez entendu ce matin dans la matinale de Radio Nova, Luc Moullet est un cas particulier. Le moins connu des réalisateurs de la Nouvelle Vague est pourtant l'un de ses cinéastes les plus prolifiques, pour des dizaines de courts et longs métrages, moissonnant les genres les plus variés, du western au documentaire animalier, pour un regard sur le monde aussi amusé que sociologique. Un univers foisonnant, à mi-chemin entre loufoque et contestataire, lucidité et absurdité, rassemblée dans une rétrospective, bien nommée Moullet Jeunesse, puisqu'à 87 ans, ce réalisateur n'a rien perdu de son sens de l'observation, ni de sa cinéphilie. D'ailleurs, s'il est un homme de cinéma, c'est sans doute autant par son travail, qu'au sens littéral, quand les films ont participé à sa construction. La voici, la voilà, l'interview en version longue !
Mon, 05 Feb 2024 - 19min - 292 - Le bonheur est pour demain : l’amour emprisonné.
Avec Le bonheur est pour demain, Brigitte Sy creuse son sillon. Comme ses deux films précédents, Les mains libres et L'astragale, celui-ci est lié à l'univers carcéral, que Sy connaît bien pour y avoir longtemps travaillé. Mais surtout, la relation contrariée entre une jeune femme et un braqueur, bifurque par sa part de romantisme, vers une flamboyante histoire d'amour emprisonnée par les aléas de la vie. Et si en fait, c'était le véritable sujet du film, comme de sa réalisatrice ? La bande-annonce du film
Wed, 31 Jan 2024 - 19min - 291 - "Queendom", portrait fascinant d'une performeuse drag intrépide en Russie
Jenna Marvin est à l'affiche du documentaire "Queendom", dont on vous a parlé dans la matinale de Nova il y a quelques semaines. Cette artiste Russe incarne la radicalité du mot Queer, dans des performances esthétiques mais aussi profondément politiques où elle est costumée en créatures à l’esthétique sombre, étrange et magnifique. Jenna performe en drag dans les lieux publics en Russie, un pays qui, bien qu'il ait d'abord dépénalisé l'homosexualité, mène une croisade contre toute forme d'opposition au pouvoir, d'autant plus depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, et contre la communauté LGBTQIA+. "La communauté a été qualifiée d'extrémiste et aujourd'hui, vous pouvez aller en prison pour avoir porté un badge avec le drapeau arc-en-ciel" résume la réalisatrice. La réalisatrice Agniia Galdanova façonne un portrait fascinant du courage et de l'audace de Gena, avec des scènes en tableaux de performances magnifiques, mais aussi sa vulnérabilité émotionnelle et physique alors qu'elle se bat pour sa liberté artistique. Un regard poignant et puissant sur la société russe contemporaine. La bande-annonce du film est ici. Le film n’a pour l’instant pas de sortie prévue en France, mais il est diffusé en exclusivité ce dimanche 28 janvier à 18h au Forum des images, en VO sous-titré, pour le festival “Un état du monde”. C'est la cinéaste Laura Poitras qui a choisi ce documentaire pour sa carte blanche. Nous, on vous offre un avant-goût, une interview de Jenna Marvin et Agniaa Galdanova, la réalisatrice du documentaire. On y a parlé communauté queer en Russie, costume politique, bande originale et meufs méga badass.
Fri, 26 Jan 2024 - 16min - 290 - INCUBUS : réapparition d’une perle maudite
Injustement nanardisé par sa particularité (il est parlé en Esperanto), Incubus savait surtout prendre langue avec les meilleurs contes gothiques. Mais qu'est-ce qui est passé par la tête de Leslie Stevens ? En 1968, ce cinéaste a acquis un statut d'excellent faiseur hollywoodien, insufflant à des registres variés, du drame social au film de chevalerie, un regard très personnel sur les rapports humains. Voilà qu'il se lance dans une aventure des plus singulières avec Incubus. C'est un film à mi-chemin entre les tourments existentiels d'un Bergman et l'imaginaire gothique autour d'une histoire de femme démon ensorcelant les hommes d'un village de pêcheurs jusqu'à tomber amoureuse d'une de ses proies. Sauf qu'Incubus sera l'un des deux seuls films de l'histoire du cinéma à être tourné en espéranto. La logique de rendre universelle le fond de ce récit via une novlangue farfelue, censée pouvoir être parlée par tout le monde, peut s'entendre. Mais elle fera d'Incubus un film énoncé dans un sabir improbable, lui procurant une telle réputation de nanar qu'il sombra quasi immédiatement dans les limbes de la cinéphilie. À tort, quand cette malheureuse particularité linguistique aura occulté une dream-team comme on en verra rarement (de Stevens à la mise en scène aux géniaux Conrad Hall et Dominic Frontier à la photo et la musique) comme une fable noire sur la dévorante part possessive de l'amour. Porté disparu jusqu'à la découverte d'une copie dans les caves de la cinémathèque française, Incubus réapparait aujourd'hui en Blu-ray dans une restauration étincelante, révélant autant sa splendeur visuelle expressionniste que révélant que la langue que ce film maudit parlait le mieux, était celle des grands drames mélancoliques. Il serait dommage de faire à nouveau échouer dans l'oubli cette relecture crève-cœur du mythe des sirènes. Edité par Le chat qui fume.
Wed, 24 Jan 2024 - 02min - 289 - LES CHAMBRES ROUGES : noir comme le chagrin
Au rayon des perversités inaugurées par Internet, il y a les redrooms, ces salons ultra-privés disséminés dans les tréfonds du dark web où seraient mises en enchères des séances de sévices ultra-brutaux en vidéo. Un sujet parfait, entre légende urbaine et show de torture-porn, pour le cinéma d'horreur. Si Les chambres rouges se focalise sur une cliente de ces spectacles aussi cruels que sordides, ce n'est pourtant pas le terrain de Pascal Plante. La Bande Annonce Kelly-Anne n'est pas une sadique sociopathe de série B. À travers son obsession pour les tueurs en série, Les chambres rouges ausculte la fascination plus globale d'une génération pour une violence jusqu'à l'anesthésie de la morale ; Plante préférant bien plus emprunter la glaciation d'un Michael Haneke ou la rigueur formelle d'un David Fincher plutôt que de se laisser aller aux débordements sanguinolents. Les chambres rouges n'en est pas moins suffocant, que ce soit par un sens sidérant de la tension ou sa manière d'éplucher patiemment la psychologie d'une jeune femme de prime abord insaisissable. Le plus perturbant restant la révélation progressive d'une solitude urbaine si insupportable qu'il lui faut la catharsis, d'une ultra violence radicale, jusqu'à la désintégration physique, heureusement ici hors champ, pour reprendre contact avec l'humanité. Plus impressionnant par son chagrin que par sa noirceur, Les chambres rouges s'impose parmi les grands films dérangeants. Que ce soit quand il interroge la propre curiosité morbide des spectateurs lors de séquences d'une terrassante intensité ou quand cette odyssée mentale se fait émouvante à aller une lumineuse sérénité pour panser ses plaies
Wed, 17 Jan 2024 - 02min - 288 - "Si seulement je pouvais hiberner"
Le cinéma mongol montre de quel bois il se chauffe. Comment ça va à Oulan Bator ? Pas très bien quand on est Uzil, un ado qui se retrouve à avoir la charge de ses frères et sœur quand leur mère, partie pour trouver un emploi, les abandonne peu à peu. Encore moins quand un hiver bien au dessous de zéro commence à s'installer, et qu'il faut bien trouver de quoi alimenter le poêle pour se chauffer comme de quoi mettre dans celle pour se nourrir. Si je pouvais hiberner, le premier film dela réalisatrice Zoljargal Purevdash, va au charbon pour extraire de toute mélasse sentimentale ce récit de pauvreté important une poisse à la Dickens sous une yourte . Sans renoncer à sa part de mélo, il s'illustre avant tout par sa retenue, la dignité avec laquelle est filmée cette fratrie a qui est imposée un sens de la démerde pour survivre. La Bande Annonce du film Une combinaison de pudeur et d'émotionnel qui place d'emblée son réalisateur au même rang qu'un Ken Loach dans cette peinture des complexités d'un rapport de classe refusant l'apitoiement. Récit d'apprentissage, Si je pouvais hiberner s'imprègne aussi, sans doute par l'éducation japonaise de Purevdash, des délicatesses du cinéma humaniste nippon, d'Ozu à Kore-Eda par son sens de la distance ou de l'empathie. Aussi crève-coeur que chaleureux, Si je pouvais hiberner, très beau premier opus invite à suivre un talent évident de cinéaste qui ne peut que bourgeonner. Retrouvez le PopCorn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en replay !
Wed, 10 Jan 2024 - 01min - 287 - VERMINES : pris dans la toile
Le cinéma de genre français confirme sa belle chrysalide. Il faudra commencer l'année cinéma 2024 en jetant un œil dans le rétro sur 2023. Pas tant pour rédiger un top des meilleurs films que pour déceler au minimum deux tendances dans la production française. D'abord un accès enfin autorisé à l'imaginaire, à des univers qui poussent enfin les murs. De franches réussites comme Le règne animal ou Mars express ont affirmé qu'il était bien possible d'élargir le champ de vision. Ensuite, une réappropriation de territoire, celui de la banlieue, redevenue pour les cinéastes un sol politique, de Bâtiment 5 à Avant que les flammes ne s'éteignent. L'étape suivante pourrait bien être déjà franchie avec Vermines, film qui se place à la jonction de ces deux axes. Le premier long-métrage de Sébastien Vanicek hybride le film de monstre et la chronique urbaine en enfermant dans un immeuble HLM ses habitants et des araignées ultra-venimeuses qui prolifèrent à vitesse grand V. Et tout autant l'énergie des séries B fantastiques américaines et regard incisif du cinéma social européen, Vermines jouant sur une double échelle de Darwin en rapprochant espèce animale et catégorie de population pareillement rejetées par préjugés. La bande annonce est à voir ici Vanicek filme intelligemment cet enfermement, cadrant en quasi-scope son huis-clos resserré. Les détails du quotidien des cités, des murs lépreux aux ascenseurs perpétuellement en panne, mais aussi la solidarité d'un voisinage n'attendant plus rien du monde extérieur, n'en sautent que plus aux yeux. Tout comme les araignées, impeccable mélange d'effets numériques et artisanaux, dans cet inattendu conte moderne sur la survie, épatant quand il capture dans sa parfaite toile les peurs primitives et celles sociales, pour se demander lesquelles sont les plus flippantes. En salles depuis le 27 décembre Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en podcast !
Thu, 04 Jan 2024 - 02min - 286 - MON NOM EST PERSONNE : Quand Terence Hill devenait quelqu'un
Terence Hill s'est majoritairement fait connaître en s'associant avec Bud Spencer pour un duo ayant essaimé le buddy movie à l'italienne bon enfant. Avant cela, il n'était personne. Littéralement dans l'un des meilleurs westerns spaghetti. Mon nom est Personne est même à part dans ce registre, quand il s'essaie à un ton de fable picaresque en associant un cow-boy buissonnier et un flingueur de légende. Mais aussi une remise à zéro des compteurs entre l'Amérique et l'Italie. En 1973, Hill est déjà une star en italie avec trois Trinita, fin de règne potache du western à l'italienne. En invitant Henry Fonda, et avec lui toute une mythologie américaine, Mon nom est Personne est un ultime acte de déférence, un adieu aussi épique que décontracté d'un cinéma européen à ses fondations hollywoodiennes. Que ce soit par des clins d'œil à La horde sauvage- jusqu'à faire figurer le nom de son réalisateur sur une tombe -ou en prenant au pied de la lettre « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende !», fameuse réplique de L'Homme qui a tué Liberty Valence, pour en faire son sujet. En découle un splendide Il était une autre fois dans l'Ouest, adoubé par un Sergio Leone omniprésent sur le film de Tonino Valerii, de sa participation au scénario au rythme déconstruit en passant par une des plus mémorables B.O d'Ennio Morricone. Hill y est magnifique en Sancho Pança déconneur mais philosophe, accompagnant un pistolero à l'ancienne dans son dernier baroud d'honneur : sa présence burlesque ne laisse pas voir venir l'inattendue mélancolie qui gagne un film sur la fin d'un monde et d'un genre. 50 ans après sa première sortie, ses images étincèlent dans une ressortie en version restaurée, mais lustrée par la patine d'une nostalgie crève-cœur pour un western décalé et flamboyant, comme il ne s'en fera plus ensuite. En salles le 20 décembre. Retrouvez le PopCorn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en replay !
Wed, 20 Dec 2023 - 02min - 285 - Censure et cinéma en Italie : vue en coupe(s)
Le nouveau volume d'une collection décortiquant les systemes de censure se penche sur le pays de Ferrerri, Fellini et Pasolini. « Je pense que scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir. Celui qui refuse d'être scandalisé est un moraliste ». Cette citation de Pier Paolo Pasolini est en exergue d'un des chapitres de Censure & Cinéma en Italie. Normal, quand il est difficile de ne pas mentionner ce cinéaste dans un ouvrage dédié à ces thématiques. Au-dela de ses parties consacrées à Théoreme et Salo ou les 120 journées de Sodome, ce livre collectif opère un tour d'horizon des plus complets sur une cinématographie de choix quand, plus que les autres, elle aura fait fructifier de nombreux sous-genres provocants et transgressifs, de la nazisploitation aux comédies érotiques ou ripailles gores des films de cannibale pour ne citer qu'eux. Censure & cinéma en Italie n'est pourtant pas qu'un inventaire quand il revient autant sur les textes de loi que sur des cas d'études singuliers. Qui connaissait les aventures italiennes d'un film porno signé Wes Craven ? Qu'au début du XXe siècle l'Eglise interdisait aux prêtres d'entrer dans les salles de cinéma ? Qu'Il divo, le film de Paolo Sorrentino consacré au sulfureux premier ministre Giulio Andreotti était privé de diffusion télé ? Aussi factuel et précis pour égrener les motifs de coupes et restrictions que riche en anecdotes, ce nouveau volume d'une collection regarde le cinéma par le prisme de son rapport à l'interdit et aux bonnes mœurs préconisées par les autorités. Et lorsqu'il en vient à évoquer les coulisses de La grande bouffe, Gomorra ou Cannibal Holocaust, pour rappeler leurs visions sociale et politique, Censure & Cinéma en Italie, complète pleinement une collection de formidables livres d'histoire parallèle et méconnue du cinéma. Censure et cinéma en Italie (Editions Lettmotif) Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur Nova !
Thu, 14 Dec 2023 - 01min - 284 - GUERRE ET PAIX : quand un classique de la littérature russe donnait naissance à un monument de cinéma
Réapparition d’un sidérant film-somme oublié, l’adaptation du roman de Tolstoï taille de sacrées croupières au récent biopic de Napoléon. Il aura suffi du biopic que Ridley Scott a consacré à Bonaparte pour que la Napoleonmania se réactive. Ce n'est pourtant pas le premier film d'ampleur qui est consacré à l'Empereur. En 1966, sortait même le plus impérial du lot. Pas tant parce qu'il s'agissait d'une adaptation du plus connu des romans de Léon Tolstoï, ni parce qu'il allait être accompagné de tous les superlatifs, de son budget faramineux qui, même converti en monnaie actuelle, ferait passer un blockbuster Marvel d'aujourd'hui pour un film indépendant à sa durée colossale, outrepasssant les sept heures. Monument de production, Guerre et paix en est aussi un de cinéma. De son introduction quasi expérimentale, impensable pour son statut de fresque populaire commandée par le Kremlin, à ses scènes de bataille réinventant déjà le cinéma immersif en passant par la peinture opératique des raoûts de l'aristocratie, cette évocation de la campagne de Russie sidère dans son alliance d'uber-spectacle et d'intime, Guerre et paix a l'ambition folle d'une vision à la fois concrète et symbolique d'une fin de règne. La puissance de la fiction et la démesure de l'Histoire avec un grand H achevant de faire du film de Sergeï Bondartchouk une des dernières grandes épopée du cinéma soviétique, aussi grand public qu'introspective. Cinquante-sept ans plus tard, elle réapparait, en salle, mais aussi dans un fastueux coffret Blu-ray, accompagnée d'un passionnant livre, ce serait vraiment connaître une bérézina de spectateur de ne pas découvrir ou redécouvrir cette saga pharaonique Napoléon est peut-être mort à Sainte-Hélène mais c'est ce film fou ou se disputent gigantisme et lyrisme qui l'a enterré. En salles et en coffret Blu-ray (Potemkine) Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur Nova et en podcast !
Wed, 06 Dec 2023 - 01min - 283 - CONANN : Héroïque fantaisie
Mouliné par l’imaginaire surréaliste de Bertrand Mandico, le personnage symbole de l’heroïc fantasy mue dans une saga baroque et désenchantée, en guerrière tragique, damnée par l’amour. Le Conann (oui avec deux n) de Bertrand Mandico n'est pas un remake du film avec Arnold Schwarzennegger. Ni même une relecture des romans de Robert E.Howard autour des aventures du guerrier cimmérien. Mandico remonte plus loin, que ce soit à des origines celtes ou en féminisant ce personnage icône du virilisme. Initialement, ce n'était d'ailleurs même pas un projet de film, mais de spectacle pour le théâtre. Faute d'avoir pu se monter, Conann s'est transféré sur écran pour devenir un festin d'images fortes, autour de la descente aux enfers d'une guerrière revenant sur son passé. Mandico en fait un sabbat halluciné, entre imaginaire visuel débridé et art de la performance scénique, autour des multiples vies d'une héroïne et de sa trajectoire intérieure. Pour incarner ce parcours, de la furie de la vengeance à la mélancolie des regrets, Conann se démultiplie, prenant non pas l'apparence d'une mais de six actrices, chacune incarnant un âge différent. À ces différentes mues, s'ajoutent celles, toutes aussi iconoclastes, d'un film se transformant à vue, invoquant différents genres, ressuscitant l'esprit de collage des surréalistes. Quoi de mieux pour porter un regard, à travers une étude de la barbarie, sur notre époque, actuel royaume de l'absurdie et du chaos ? En salles le 29 novembre
Wed, 29 Nov 2023 - 14min - 282 - LA VENUS D’ARGENT : Un certain sentiment du monde
On avait découvert Héléna Klotz, avec "L'âge atomique, chronique des aspirations et des pulsions de la jeunesse d'aujourd'hui." Avec "La vénus d'argent", elle signe de nouveau un film ultra-contemporain. À savoir sur une époque où le besoin de retrouver ses repères, ses fondations, se fait grandissant alors que la société est elle de plus en plus floue. À travers la trajectoire de Jeanne, jeune femme qui infiltre le monde de la finance pour s'émanciper de blessures intimes, "La vénus d'argent" se fait récit de transformation en faisant des arcanes opaques du trading la chrysalide d'une reconstruction sentimentale, Héléna Klotz jouant avec les codes du thriller pour mieux décrypter les ressorts des rapports humains. Pour Nova, la réalisatrice revient sur les coulisses de son film. En salles le 22 novembre.
Wed, 22 Nov 2023 - 18min - 281 - LITTLE GIRL BLUE : Un fascinant documentaire pour soigner un mal de mère
25 caisses. C'est la somme de documents à propos de sa mère que Mona Achache stockait chez elle. 25 caisses de lettres, photos et enregistrements longtemps mises à distance. Pas tant parce qu'elles symbolisaient un deuil difficile (cette mère s'étant suicidée) que par habitude de la réalisatrice d'avoir refoulé une enfance malheureuse. Ce décès soudain a pourtant forcé Achache à se confronter au parcours d'une génitrice qui aura côtoyé un milieu artistique, notamment celui littéraire, de Duras à Genet, qui aura brisé ses propres élans, embarquée dans la vague post-68arde pour faire les frais de ses excès libertaires. Par ricochet de l'inconscient, sa fille pâtira d'un mal-être qui l'a contaminée à son tour. Pour ne pas perpétuer cet héritage ultra-névrosé, Achache a déballé ces caisses mais aussi ressuscité sa mère par procuration, en demandant à Marion Cotillard d'incarner, à partir de ces archives, sa parole, son corps, ses pensées, jusqu'à être un saisissant double. Envoûtant dialogue avec un spectre, "Little girl blue" filme ce processus pour le transcender non pas en thérapie personnelle, mais en portrait collectif d'une génération de femmes ayant souffert d'une absence de clés pour comprendre celle qui les a précédées. Ouvrant les doubles-fonds de tiroirs psys, cet inhabituel documentaire fascine autant par ce qu'il montre d'une actrice accouchant d'un personnage que dans sa part d'exorcisme résilient permettant à Achache de rompre avec un cycle de douleurs. Incroyablement émouvant dans sa démarche introspective, "Little Girl blue" l'est encore plus quand il reconstruit le puzzle d'une mère pour mieux rassembler les morceaux émancipateurs de sa fille. En salles le 15 novembre.
Thu, 16 Nov 2023 - 02min - 280 - CONSTRUIRE METROPOLIS : Un livre making-of pour le classique de Fritz Lang
Metropolis restera dans l'histoire du cinéma comme un des films les plus fondateurs. Par la puissance de son récit, son impact visuel ou la démesure même du projet de Fritz Lang pour cette dystopie prométhéenne devenue prophétique dans sa vision des rapports de classe. Rien n'a égalé cette œuvre monumentale depuis sa sortie en 1927, tant dans le gigantisme de sa production que dans son influence encore prégnante dans le cinéma de science-fiction. Pour autant, tout n'avait pas été dit ni écrit sur cet insurpassable classique. Un collectif (il fallait au moins ça pour s'attaquer à un tel film) s'y attelle avec Construire Metropolis, époustouflant livre making-of, reprenant ses fondations, du contexte historique à celui social ou culturel de l'Allemagne sous la république de Weimar. L'imposant ouvrage s'immisçant aussi dans la vision de Lang et sa fidèle Théa Von Arbou, notamment dans l'idée d'un film qui tiendrait autant d'une éternelle fable chrétienne que visionnaire du culte à venir pour la civilisation des machines industrielles. Construire Metropolis porte admirablement son titre quand le film s'érige au gré des pages, cette somme revenant sur absolument toutes ses étapes, jusqu'au feuilleton de la quête des différentes versions et matériel qui ont mené à sa réapparition, ses répercussions à sa sortie dans un XXe siècle au bord du chaos ou la perfusion persis-tante de son inépuisable héritage culturel. Soit un exceptionnel livre genèse, minutieux travail d'architecture narrative, décortiquant son sujet et ses complexités. Devenu une cathédrale de cinéma, Metropolis y trouve enfin une bible à sa hauteur. En librairie (ou inclus dans un coffret Blu-ray en édition limitée) Editions Potemkine
Thu, 09 Nov 2023 - 02min - 279 - PORTRAITS FANTÔMES : entre intime et collectif, un émouvant carnet de bord d’une mémoire brésilienne
Pendant la mandature de Bolsonaro, Kleber Mendonça Filho, l'un des plus passionnants réalisateurs brésiliens apparus dans les années 2000, est venu s'installer en France. Avec le retour de Lula, il est rentré chez lui à Recife, sa ville. Pour ne pas dire sa vie, quand c'est là qu'il a nourri sa passion pour le cinéma, jusqu'à la mettre en scène dans son premier long métrage de fiction, Les bruits de Recife. Celui des projecteurs des salles de cinéma locales n'existe quasiment plus, la plupart ayant fermé, engloutis par la spéculation immobilière ou transformés en églises évangéliques, ne laissant à Filho que les souvenirs de séances. Avec Portraits fantômes, il revient sur cette disparition à laquelle il superpose celle d'une dolce vita à la brésilienne dans laquelle il a grandi, protégé par les murs de l'appartement familial. Ce journal intime tourne rapidement les pages de celui collectif d'une société qui s'est effrité dans un enfermement paranoïaque ou sécuritaire. Plus qu'un élan nostalgique, Portraits fantômes rédige un carnet de bord entre archéologie et sociologie, touchant quand il ne se veut pas pamphlétaire, mais empli de chagrin. Il en émane un spleen façon Saudade, mariant l'existentialisme d'un Antonioni à la curiosité du quotidien d'un Chris Marker, humeurs mélancoliques et ironiques. Mais aussi une foi dans le cinéma malgré tout, quand des traces de fictions s'insèrent dans ce portrait documentaire, comme une présence rassurante, un ultime refuge. Un récif d'images protectrices de la mémoire de Recife, faisant de Portraits fantômes une émouvante zone de résistance aux orages des temps qui changent. Sortie le 1 novembre
Thu, 02 Nov 2023 - 02min - 278 - THE APPOINTMENT: un rendez-vous manqué à rattraper impérativement
Certains films sont uniques. Littéralement quand un réalisateur stoppe sa carrière après un seul essai. Ce fut le cas de Lindsay C.Vickers, un assistant de nombreux metteurs en scène à la Hammer films avant de se jeter à l'eau au tout début des années 80 avec The Appointment. Et encore qu'initialement, il n'aurait dû etre que le premier épisode d'une série fantastique pour la BBC. Celle-ci fut annulée, mais Vickers, qui en était co-producteur, récupéra son travail et essaya de le sortir en salles. A raison quand l'étrangeté de The Appointment se révèle pleinement sur grand écran. Cette histoire de rendez-vous manqué entre un père et sa fille combine forces surnaturelles et lecture psychanalytique jusqu'à être un sidérant croisement entre les univers familiaux tordus d'un Stephen King et les chroniques sociales aussi naturalistes que vachardes d'un Mike Leigh. S'y ajoute une touche de la so british folk horror par la présence d'une potentielle malédiction touchant des collégiennes. Vickers brouille habilement ces pistes par un montage détraqué renforçant la sensation d'un funèbre puzzle psy, instigant chez le spectateur le double soupçon d'un châtiment pour un père trop proche de sa fille ou d'une ado sorcière sur les bords. Le réel maléfice aura été celui qui aura mis au placard The appointment pendant quarante ans, ne le faisant apparaître en salles françaises qu'aujourd'hui. Il serait donc regrettable de louper ce rendez-vous avec un film effectivement unique, sur tous les points. Sortie le 25 octobre
Thu, 26 Oct 2023 - 02min - 277 - LINDA VEUT DU POULET ! : du cinéma d’animation formidablement cuisiné
Dès son titre, Linda veut du poulet ! affiche une particularité. Il y a un point d'exclamation qui a toute son importance quand il se fait impératif,. En l'occurence qu'une gamine, Linda donc, puisse avoir, quoiqu'il arrive dans son assiette du poulet. Mais pas n'importe lequel, celui aux poivrons que cuisinait son père, décédé. Alors sa mère va se lancer à la recherche des ingrédients, sauf que c'est jour de grève générale. Il va falloir mettre toute une cité HLM sens dessus dessous pour pré-parer la recette chérie. Quitte à embarquer dans l'histoire, des copines, une mamie, un livreur à vélo, un fermier et même un policier. Mine de rien, le dessin (très) animé de Sébastien Laudenbach et Chiara Malta compose avec cette galerie de personnages, un étonnant panel d'une France ac-tuelle. Chacun est repérable par une couleur distincte, mais la teinte sociale est jaune gilet, tant Linda veut du poulet ! raconte l'énergie que demande la démerde dans une époque précaire. Elle se ressent jusque dans cette animation à la main, vibratile, à l'image d'un film aussi créatif qu'érup-tif, à la fois d'une évidente simplicité et d'une totale densité. Derrière la bourrasque de cette folle journée, surgit par moments la rogne d'une mère qui ne sait plus comment joindre les deux bouts quand ce n'est pas la mélancolie d'un deuil inachevé qui vient ponctuer une aérien sens de la co-médie loufoque. Une parfaite palette de nuances qui ajoute du pigment à celle des couleurs pas-tels. Curieusement, c'est la piteuse récente cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby qui vient en tête : là où elle se voulait hommage chromo à la France béret-baguette, Linda veut du Poulet ! vise bien plus juste avec une vision en coupe aussi enjouée que pertinente de l'actuelle France d'en bas, celle qui en a à la fois ras la casquette mais sait rester solidaire. Tout le monde se souvient de l'apparition étrange d'un comédien déguisé en coq lors de cette cérémonie, on peut, et de très loin, lui préférer ce poulet survolté qui vole joyeusement dans les plumes de la morosité ambiante. Sortie le 18 octobre Une chronique d'Alex Masson
Thu, 19 Oct 2023 - 02min - 276 - DES IDÉÉS DE GÉNIE ? La culture d’entreprise est-elle soluble dans celle de la com’ ?
C'est quoi un bon patron ? Celui qui obtient des résultats spectaculaires pour son entreprise ou celui qui pend en considération le bien-être de ses employés ? A moins que ce soit celui qui maîtrise à la perfection l'art du storytelling et de la communication. Celle de Philippe Ginestet, propriétaire des magasins GIFI parti de peu mais arrivé dans le classement des plus grosses fortunes françaises est entrée dans la mythologie des self-made men qui font la fierté du MEDEF. Y compris parce qu'il renoue avec la tradition de patrons ultra-paternalistes, jurant que leurs employés sont comme une famille qu'il doit chouchouter. Mais avec les nouveaux outils de la culture d'entreprise, de séminaires de motivation en concours de poker avec voyage offert à la clé. Initialement parti pour faire un documentaire sur ce mode de management, Brice Gravelle a fait bifurquer Des idées de génie ? en portrait de Ginestet. Il faut dire que le bonhomme est fascinant dans sa relation avec des employés qu'il vante comme collaborateurs. Une histoire trop belle pour y croire et qui va justement se fissurer. Des idées de génie ? se fait pourtant plus ambigu en devenant une histoire de lutte non pas des classes mais entre un réalisateur quasi-envouté et un entrepreneur gourou. Ce documentaire devenant aussi fascinant que son sujet, quand il s'avère être lui aussi incroyable metteur en scène de son entreprise, jusqu'au boutiste jusqu'à manipuler celui qui est derrière la caméra. Au delà d'un sidérant portrait de narcissisme, Des idées de génie ? trouve dans ce glissement d'un making of de la réussite à un face-à-face, l'expression de la farce dangereuse qu'est le néo-libéralisme. Elle est ici grinçante mais à sa manière parfait résumé des méthodes actuelles de fusion-acquisition telle qu'elles se pratiquent dans les groupes industriels, entre jeu de séduction et d'infiltration avant de s'imposer comme subordination totale. Gravelle signant un film ayant la toujours salutaire idée de rappeler comment le mauvais génie s'est emparé du monde de l'entreprise. En salles depuis le 4 octobre
Wed, 11 Oct 2023 - 02min - 275 - LE REGNE ANIMAL : le cinéma français fait enfin sa mue
Enfin! Cela faisait tellement longtemps qu'on attendait que l'imaginaire du cinéma français se renouvelle, qu'on avait fini par abandonner la possibilité d'en finir avec un certain formatage. Et puis voilà que débarque un film qui se contrefout des barrières culturelles comme des frontières narratives. "Le règne animal" s'attaque donc aux codes de notre écosystème d'images et d'histoires, au minimum en lui proposant une nouvelle jungle de récits. Difficile de faire entrer le second film de Thomas Cailley - après le déjà remarqué "Les combattants"- dans une case, justement parce qu'il les réfute. À partir d'un scénario reposant sur des mutations, celles causées par une maladie qui transforme peu à peu les humains en animaux, Cailley tente des greffes inédites. "Le règne animal" tient à la fois et entre autres du film fantastique et de l'étude de mœurs, d'une fable écologico-sociologique et d'une chronique d'adolescence. Tout ici est observation de corps qui se transforment, de ceux des personnages à celui d'un récit qui s'ouvre aux possibles. Mais surtout qui affirment qu'il est nécessaire de devoir s'adapter aux fluctuations du monde si l'on veut survivre aux crises qui exigent une réinvention des modèles. Le règne animal tient donc d'un acte de renaissance, de transition vers des métamorphoses sociales, culturelles mais avant tout organiques, jusque dans la chair même de notre cinéma. Cette mue se pressentait déjà, au vu de films singuliers comme ceux des frères Boukherma, Julia Ducourneau ou Thomas Salvador, tous tentant des expérimentations, des hybridations, mais "Le règne animal" annonce que ce mouvement est enfin à maturation, que l'ADN du cinéma populaire peut enfin être combiné avec des ambitions formelles comme d'écriture ou de propos. "Le règne animal" est traversé de créatures, cousines ou descendantes de celles qu'on a pu croiser chez un Guillermo Del Toro ou un Miyazaki, qui ne demandent qu'à vivre en liberté, mais pas autant qu'un film français d'une espèce nouvelle, dont il est plus que souhaitable qu'elle fasse beaucoup de petits afin que cette ode à la différence devienne une bienvenue norme. En salles le 4 octobre
Wed, 04 Oct 2023 - 02min - 274 - Batman contre le fantôme masqué
On ne compte plus les versions de Batman à l'écran, de celle pop et kitschissme de la fin des années 60 aux re-créations signées Tim Burton ou Christopher Nolan. Voire certains égarements gênants -comme les barnums grotesques de Batman Forever ou Batman & Robin à la fin des années 90. Pour autant, l'une des meilleures adaptations des aventures du vigilante de Gotham City est aussi l'une des plus oubliées. Peut-être parce qu'elle n'est pas passée par la case cinema. Batman contre le fantôme masqué est une extension de la, déjà remarquable, série d'animation, crée en 1992. Devant son succès inattendu, le département télé de la Warner commande à ses créateurs, Eric Radomski et Bruce Timm, un super-épisode devant servir de parenthèse entre les deux premières saisons. Les deux réalisateurs et le scénariste Alan Burnett décideront d'en faire un retour aux sources, quand l'apparition d'un nouveau méchant fait remonter à la surface un épisode douloureux de la vie de Bruce Wayne. Batman contre le fantôme masqué réussissant à être à la fois en phase avec le virage pris côté comic-book, se teintant de psychanalyse shakespearienne et d'appliquer les fondamentaux des récits d'action. Sans oublier d'être déférent envers le grand cinéma classique, via de nombreuses références, notamment à Citizen Kane comme au Hitchcock de la grande période. A l'occasion de ses trente ans, Batman contre le fantôme masqué, réapparait en Blu-ray dans une édition remasterisée. Au delà de la beauté de son graphisme, c'est la puissance du scénario, sans doute le plus tourmenté et romantique qu'aie connu Batman qui continue à impressionner, quand il pousse plus que jamais son héros à tomber le masque pour révéler son vrai visage, celui d'un homme a jamais rattrapé par ses failles et ses blessures intimes. Au moment où l'univers des super-héros au cinéma devient fatigant à force d'inanité et d'écriture vide, autant se ressourcer a cette relecture aussi magistrale que mélancolique. En Blu-Ray 4K chez Warner Home Entertainment
Wed, 27 Sep 2023 - 02min - 273 - Ida Lupino : être une femme libérée ce n’était déjà pas si facile dans le Hollywood des années 50
Si les statistiques contribuent régulièrement à rappeler le gouffre de les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes dans le cinéma, son histoire vient tout aussi régulièrement rappeler qu'elle ne s'est pas uniquement écrite au masculin, qu'a défaut de s'être inscrites pleinement dans les encyclopédies, des francs-tireuses ont émergé. Souvent avec plus d'aplomb et d'inventivité pour questionner leur époque et ses valeurs que leurs collègues hommes. Ainsi Ida Lupino, actrice de studio s'émancipant dès la fin des années 40 pour se réinventer productrice, scénariste et surtout réalisatrice. Elle signera huit films, s'emparant des codes du mélo ou du film noir, pour prendre la parole autour de thèmes alors tabous, du viol aux grossesses non désirées en passant par la sexualisation des femmes. La force du cinéma de Lupino étant sans doute de mettre à l'écran une conscience féministe tout en utilisant les méthodes du cinéma fait par des hommes. Quatre de ses opus, Le voyage de la peur, Avant de t'aimer, Faire face et Bigamie, ressortent en salles cette semaine. Portrait d'une fille mère, d'une malade de la polio ou d'un homme partagé entre deux femmes, tous surprennent par cette volonté de raconter a travers des parcours peu ordinaires le monde quotidien tel qu'il est, d'exprimer la difficulté du libre arbitre. Une ligne éditoriale renforcée par une mise en scène tout en efficacité, allant à l'essentiel, mais réussissant a entremêler romanesque et regard quasi-documentaire. Pour pouvoir assumer son besoin d'indépendance, Lupino avait crée sa propre société de production ; nommée The filmmakers. A redécouvrir ses films, réinvention d'un cinéma social tout en restant éminemment populaire, on se dit qu'elle l'avait parfaitement choisi, en donnant un nouveau sens à ce que voulait dire faire des films. Reprise en salles depuis le 20 septembre.
Wed, 20 Sep 2023 - 02min - 272 - “Un métier sérieux” de Thomas Lilti : un film qui doit faire école
Thomas Lilti s'est fait une place dans le cinéma avec Hippocrate, Médecin de campagne puis Première année, triptyque auquel s'est ajouté Hippocrate, la série, l'ensemble consacrant sans doute un peu trop vite ce réalisateur comme spécialiste du monde médical. Le voilà qui se penche sur le milieu scolaire avec Un métier sérieux, chronique de la première rentrée de Benjamin, prof nouveau venu dans un collège. Lilti y conforte le principe de ses films précédents : ce n'est pas tant une profession que ce qui y mène qui l'intéresse ; ce qui fait qu'une vocation se maintient tant bien que mal. Pas la peine d'organiser une projection pour Gabriel Attal au ministère de l'Éducation, la cause que défend Un métier sérieux n'apprendra rien de nouveau sur les conditions dramatiques de l'École en France. Ici, et c'est ce qui est beau, à l'opposé de la majorité des films sur les profs, il n'est pas question d'en faire des héros ordinaires, mais simplement de filmer l'impact d'un métier sur l'intime. S'il est politique et social, c'est dans cette manière, ravivant celle des Claude Sautet de la grande époque, de filmer un groupe dans ce que son quotidien peut avoir de romanesque, à la façon des vignettes d'un Vincent, François, Paul et les autres. Lilti fait exister son Benjamin, Pierre, Sandrine et les autres par un scénario collecteur d'instants et une formidable troupe d'acteurs, entre ses habitués (de Vincent Lacoste à Louise Bourgoin) et des nouveaux (de Lucie Zhang à Adèle Exarchopoulos), tous donnant une forme incroyablement fluide et organique pour raconter, des exaltations aux coups de mou ou déceptions, ce qu'est l'engagement. Et dès lors, de repousser les murs d'une salle des profs, voire d'un collège, pour aller bien au-delà d'un cahier de doléances du système éducatif : faire un état des lieux du collectif comme pilier fondamental, mais de plus en plus fragile, de la démocratie. Autrement dit, Un métier sérieux, modèle d'écriture et d'observation, est un film qui doit faire école. En salles le 12 septembre.
Wed, 13 Sep 2023 - 02min - 271 - « Le gang des bois du temple » : Rabah Ameur-Zaïmeche et ses contes noirs de la banlieue
Avec Le gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche confirme une position d'observateur. Si le nouveau film du réalisateur de Wesh Wesh qu'est-ce qui se passe ? s'installe plus pleinement dans le cinéma de genre, en suivant un casse monté par une bande issue d'une cité de banlieue, l'humeur est plus à la chronique sociale qu'au polar. Ou alors de la même manière que le faisait le cinéma comportementaliste d'un Melville. Ameur-Zaïmeche l'accompagne avec cette bande aux airs de Robins des bois, protecteurs de leur quartier. Même lorsqu'il filme leurs temps morts, c'est pour essayer de les extraire d'une prédestination qui finira malgré tout par les rattraper. Alors, autant leur offrir un sursis avec de vibrantes scènes de vie ordinaire, purs moments de fraternité. Le point de départ est un authentique fait divers arrivé il y a une dizaine d'années, ou une bande de loulous avaient eu la mauvaise idée de braquer un prince saoudien. Le Gang des bois du temple en fait aujourd'hui le constat d'une décomposition sociale qu'il propose d'endiguer par une autre politique de la ville, plus intime, plus solidaire. Tout en étant conscient que dans le climat actuel, elle tient d'une utopie autour d'une toujours plus improbable redistribution des richesses, Ameur-Zaïmeche, en fait à la fois la colère et la lumière qui illuminent un film noir parce que c'est la couleur d'une époque où l'on vit mal sous le règne d'un capitalisme ayant redéfini la lutte des classes. En salles le 6 septembre.
Wed, 06 Sep 2023 - 02min - 270 - L’Étrange festival : le cinéma comme acte de résistance
Comme chaque année, c’est l’occasion d’aller faire l’état des lieux d’un cinéma en dehors des clous, d’un cinéma de genre loin des contrées américaines aux exhumations de perles méconnues ou oubliées. Cette année, on y causera, entre autres, ersatz de Bruce Lee, films d’horreurs indiens ou de renouveau de l’identité sexuelle. Sans oublier une palanquée d’inédits et d’avants-première. Un programme, comme toujours, mais aussi l’occasion de revenir avec son patron, Frédéric Temps, sur l’identité même d’un festival plus que jamais singulier. Car après tout, quelle est la place de ce festival dédié aux pas de côté, à la transgression ; qu’est-ce qu’être Étrange dans une époque qui non seulement devient de son côté de plus en plus folle que toutes les fictions, mais fait un retour très marqué au conservatisme ?
Wed, 06 Sep 2023 - 17min - 269 - CAITI BLUES de Justine Harbonnier
Quelle distance y a-t-il entre Madrid, Nouveau-Mexique et New York ? Aucune idée. Caiti Lord n'en savait sans doute rien non plus quand elle décida de quitter la Grosse Pomme pour s'y installer. Au départ, elle visait plutôt San Francisco, mais elle s'est arrêtée en chemin. Un peu comme sa vie, entre ses multiples jobs de barman et d'animatrice radio. Mais ce qu'elle voudrait, c'est devenir chanteuse. Justine Harbonnier fait le portrait de cette quasi-trentenaire, à partir d'allers-retours entre vidéos d'enfance et images de son présent. Plus encore qu'esquisser l'esprit bohème de Lord, convaincue de ses talents artistiques, mais contrecarrée par une précarité ordinaire, Caiti Blues part de ce cas singulier pour raconter la génération millenial, celle qui a découvert enfant devant sa télé l'effondrement des Twin Towers le 11 septembre 2001, avant de se prendre en pleine poire une récession, la montée en puissance de Trump, puis la pandémie Covid. Rien qui n'ait pourtant abattu l'envie de Caiti de faire des chansons, de se produire sur scène. Alors, elle compose et chante des morceaux aux airs de r'n'b. Pas celui d'aujourd'hui mais le Rythm and blues d'antan, ceux qui racontaient déjà les peines et les complaintes d'une Amérique prolo désabusée. Lord les a juste adaptés à son monde et son époque. Celle où l'on gagne 4 $ de l'heure derrière un comptoir; où l'on n'a pas de quoi rembourser les emprunts nécessaires pour faire des études correctes. Harbonnier filme ce home movie à cette même hauteur, avec la même économie des films faits main, sans que cela donne pour autant un documentaire au rabais : Caiti Blues capte au plus près une réalité américaine. Pas forcément engluée dans la misère, quand l'entraide et la solidarité y sont souvent palpables. Mais, quels que soient les cahots, ici tourne le moteur de ces gens qui, comme Lord s'accrochent malgré tout à leur rêve de s'en sortir. À sa manière, Caiti Blues, met donc à jour ce qu'il reste du fameux « rêve américain ». En salles le 19 juillet
Wed, 19 Jul 2023 - 02min - 268 - ASSAUT / L’EDUCATION D’ADEMOKA d’ Adilkan Yerzhanov
Il va falloir commencer à retenir le nom d'Adilkhan Yerzhanov, cinéaste kazakh en activité depuis une dizaine d'années, mais se faisant une place tardive sur nos écrans. Si on l'avait repéré lors des sorties de La tendre indifférence du monde ou d'A dark dark man, revisite surprenantes du film noir comme des sagas pastorales, un inespéré doublé débarque dans les salles pour l'imposer. Et plus encore affirmer sa diversité. Dans L'éducation d'Ademoka, une ado aimerait bien étudier, mais s'en voit privée. Elle est lyuli, la version locale des roms, tout aussi discriminée. Un écrivain reconverti en prof va pourtant le prendre sous son aile. Yerzhanov se fait Kusturica d'Asie centrale avec immersion chez les gitans des steppes. La fable colorée ne se laisse pourtant jamais aller à s'égarer dans des excès de poésie, re-venant toujours sur Terre pour consoler les sorts d'une gamine ostracisée malgré elle et d'un intellectuel précaire. Yerzhanov leur laissant toujours une porte ouverte sur des horizons plus lumineux, tout en conservant son étude d'un Kazakhstan encore coincé entre conservatisme et envies d'émancipation. L'isolement est aussi une donnée d'Assaut. Un collège au milieu de nulle part y est assiégé par un groupe terroriste ou mercenaire, laissant les parents et la maigre police locale monter une opération de sauvetage des élèves otages. Si la tension monte rapidement, Assaut y procède à des injections humoristiques, autour de cette brigade improvisée, pieds nickelés, apprenant comme ils peuvent à manier les armes ou créer un rapport hiérarchique. Pas très éloignée, dans la maitrise du rythme comme des ruptures de ton, du cinéma sud-coréen actuel, Assaut oscille entre film d'action et comédie absurde. Quoique pas tant que ça, quand sous cette mini-odyssée, perce une charge grinçante contre une société gangrénée par la corruption jusqu'au grotesque. Qu'elle se déroule dans un espace ultra-dénudé renforce un fonds engagé que l'on n'avait pas vu venir, pronant un droit à la désobéissance comme ultime sursaut éthique face à une bureaucratie aussi galopante que sclérosée. Deux films, mais pas tout à fait deux ambiances différentes, L'éducation d'Ademoka comme Assaut tenant, de brillants manuels d'apprentissage à la rébellion pour les Kazakhs, conscients des risques que cela engendrerait, mais aussi des espaces démocratiques qu'ils pourraient inaugurer. En salles le 12 juillet.
Wed, 12 Jul 2023 - 03min - 267 - HOUSE de Nobuhiko Ôbayashi
De tous les films légendaires, peu survivent à leur réputation, sont à la hauteur de leur propre mythologie. Et puis il y a ceux qui la surpassent, s'avèrent encore plus fous que leurs rumeurs. C'est le cas de House, film resté aussi fou qu'inclassable quarante-six ans après sa sortie originelle dans son Japon d'origine. En France, hormis quelques projections en festival à l'époque, House n'avait pas connu d'exploitation en salles avant d'arriver enfin aujourd'hui sur les écrans. Quelque part, c'est tant mieux, qu'en plus qu'une découverte tardive, c'est la modernité d'un film explosant tous les codes qui s'imposent aujourd'hui. Au-delà de sa part de trip formel dingo, House reste porté par une liberté d'esprit et de ton impensable pour de la production grand public.il reste d'ailleurs assez stupéfiant de savoir que ce film a été envisagé par la Toho comme une réponse japonaise au triomphe des Dents de la mer, tant il s'en éloigne par son récit embrassant toutes les pistes, du teen movie à la co-médie musicale, du film d'horreur au mélo, autour d'un groupe d'adolescente en villégiature chez la tante paralytique de l'une d'elles. Au plus simple, on pourra définir le film de Nobuhiko Ôbayashi comme une réappropriation de l'esprit des colllages du cinéma surréaliste primitif combiné aux bricolages d'un art vidéo alors naissant, d'une collusion entre cinéma de studio à l'ancienne, via un scénario pétri de grands sentiments ou des décors peints dignes des grandes heures du cinéma de studio, et l'expérimental psychédélique. On peut donc avoir affaire ici à du mobilier hanté et carnivore ou à un côté Club des cinq kawaï qui serait immergé dans un délire gothico-psychanalytique à la Argento. Derrière cette délirante façade grand-guignol, éclatante de couleurs – qu'une impeccable restauration restitue à la perfection- le plus troublant reste pourtant la part d'esprit adolescent qui s'empare de House, dans sa part de farce hirsute, mais aussi dans le spleen qui le gagne à la longue, à l'image d'un plan où le visage d'une des gamines passe du sourire aux larmes en un clin d'œil. La chose est furtive dans ce torrent d'idées graphiques ou d'écriture avant-gardiste, mais imprègne durablement cette chronique cinglée de la féminité, unissant la mélancolie des jeunes filles en fleur à celle des sorcières en deuil, pour l'exorciser dans une phénoménale sarabande. Que ce soit pour écarquiller les yeux devant une créativité démentielle ou laisser des larmes en couler devant un film plus poignant qu'il n'y paraît, il faut donc aller voir House, expérience de cinéma exhumée du passé, mais bien plus vibrante que celles proposées par le présent. En salles le 28 juin.
Thu, 29 Jun 2023 - 03min - 266 - RHEINGOLD de Fatih AkinThu, 29 Jun 2023 - 07min
- 265 - SISU de Jalmari Helander
Où est-ce qu'on en est avec la violence graphique au cinéma ? Il faut dire qu'avec le succès récent des John Wick ou la réapparition d'un cinéma gore, via les succès inattendus des Terrifier et autres The Sadness qui semblent étancher la soif de gros rouge qui tâche, la tendance soit à la décomplexion, au second degré. Ce besoin de catharsis face à une époque particulièrement anxiogène, entre pandémie et réchauffement climatique, a entrainé un retour au cinéma d'exploitation. Conçu dans le but de rassasier les bas instincts comme les pulsions, ce genre reposant sur les excès pullula dans les années 70 et 80 pour devenir, en dépit du nez pincé des institutions, un jouissif terrain de jeu pour des films malpolis, aux manières rugueuses, prenant des libertés avec à peu près tout, y compris pour revisiter l'Histoire. Pour la version de luxe, il faut aller voir du côté du Inglorious Basterds de Tarantino. Ceux qui toutefois trouvaient que le nouveau parrain de la pop culture se laissait aller à trop de logorrhées, seront probablement plus clients de Sisu, opus se rattachant à l'essentiel de ce qui fait les séries B d'aujourd'hui. Le film de Jalmari Helander se dégraisse de quasiment tout dans un décor quasi unique de taïga pour y installer une baston non-stop entre un papy chercheur d'or et un bataillon nazi dans la Finlande de 1944. Sisu organise donc les rounds avec sécheresse et robustesse, la machine de guerre du film étant plutôt ce colosse mutique dézinguant du soldat allemand avec tout ce qui lui tombe sous la main, d'une pioche à des mines anti-personnelles. Ça gicle dans tous les sens, mais Sisu carbure à une essence inattendue quand Helander se réclame bien moins des films de guerre fauchés ou malsains que des westerns spaghetti voire de Mad Max. Soit une allégeance moins crapoteuse que prévu, en faisant belle révérence à ce qui à la longue est devenu les lettres de noblesse d'un cinéma jugé impur. Le carnage outrancier trouve même une inattendue solennité quand entre deux éclaboussures gores se dessinent aussi ici et là des commentaires sur une Finlande nationaliste prête à tout pour se défendre des colonisateurs ou les débuts du capitalisme marchand. Même si Sisu existe plus au nom du fun défoulatoire d'un divertissement forcément bourrin, il sait pour autant s'en distinguer, que ce soit dans ce fonds inattendu ou sa ludique inventivité dans le charclage ! En salles le 21 juin
Wed, 21 Jun 2023 - 02min - 264 - MARCEL LE COQUILLAGE AVEC SES CHAUSSURES de Dean Fleischer Camp
Certains héros naissent de petits riens. Il semble que Dean Flesicher Camp s'ennuyait terriblement lors d'un mariage où il était invité. Pour tromper le temps, il se laissa aller à imaginer un personnage de coquillage qui observerait le monde avec des yeux d'enfant. Il en résultera trois courts-métrages d'animation qui deviendront la coqueluche de YouTube. Marcel étant devenu une star virale, lorsqu'il fut proposé à Camp d'en tirer un long-métrage, il pris le parti d'un faux documentaire sur ce coquillage philosophe à la voix éraillée, expliquant son quotidien entre micro-aventures dans la maison où il vit, pleine d'objets démesurés pour sa taille riquiqui et coups de mou quand il pense à sa famille qui a disparu de l'endroit, ne laissant que lui et sa grand mère. Marcel le coquillage avec des chaussures dénote dans le cinéma d'animation actuel par ses airs de conversations entre un mollusque malin et un réalisateur amusé, tous deux tissant peu à peu autant une chaleureuse relation d'amitié qu'un constat commun de leurs solitudes. Autrement dit, un film d'animation qui sort son registre de sa coquille ? Un peu comme si les productions Aardman (la maison mère de Wallace & Gromit) ou Laïka (celle de Coraline et Paranorman) s'allongeaient sur un canapé de psy, pour faire le point sur le sens de la vie. Tout est question d'échelle dans Marcel le coquillage avec des chaussures, que ce soit en racontant les petits riens qui font les grands souvenirs où en faisant de la place aux grandes questions existentielles. Ca pourrait virer manuel de développement personnel ou exhumation des mantras de Paolo Coelho, mais Marcel le coquillage avec des chaussures, à l'intelligence de ne pas être dupe, par les remarques lucides et ironiques du crustacé miniature sur l'époque moderne et ses faux-semblants. Ou simplement par la délicatesse avec laquelle les élucubrations sur le sens de la vie glisse peu à peu vers la mélancolie ou l'enthousiasme d'aller voir au delà de sa fenêtre. Aussi inattendue qu'étonnante épopée de l'intime, Marcel le coquillage avec des chaussures se remplit ainsi peu à peu d'émotions crève-coeur, pour être un merveilleux film cocon, mais surtout pas une coquille vide. En salles le 14 juin
Thu, 15 Jun 2023 - 02min - 263 - UNE HISTOIRE DE CINEMA DE QUARTIER de Sylvain Perret
A quoi ça tient la cinéphilie ? Sans doute autant aux films qu'à ceux qui vous les font découvrir. Je ne parle pas forcément des critiques, dont l'impact n'a de cesse de s'émousser, depuis l'avènement d'Internet qui a rompu la chaine de transmission entre les films et le public, dont ils étaient un rouage jusque-là immuable, mais de ces passeurs, nourrissant l'envie par la curiosité ou la pédagogie enthousiaste. Dans les années 90, c'est à la télévision qu'on les trouvait encore. Patrick Brion et Claude-Jean-Philippe officiaient brillamment de longues dates aux commandes du Cinéma de minuit ou du Ciné Club tandis qu'Eddy Mitchell faisait le bateleur pour présenter les doubles programmes de La dernière séance, mais n'auront quelque part « que » les émissaires du cinéma officiel. Avec Cinéma de quartier, Jean-Pierre Dionnet aura ouvert une brèche considérable, autorisant des productions mises à la marge par l'intelligentsia, les jugeant impropres à la consommation, à avoir un droit de cité, préfigurant avec des décennies d'avance le choc culturel d'une cinéphilie pop. Cinéma de quartier aura ainsi réhabilité tout un pan de cinéma, essentiellement, européen, rappelant les mérites des péplums italiens, polar allemands, films fantastiques anglais, films de chevalerie soviétiques, sans compter leurs équivalents français et bien d'autres, mais plus encore redéfini une politique des auteurs pour enfin l'associer à des productions populaires. L'émission s'est arrêtée en 2007, mais a persisté dans la mémoire de ses téléspectateurs, jusqu'au livre de Sylvain Perret, Une histoire de Cinéma de quartier qui paraît aujourd'hui. On y trouve un recensement de la très copieuse liste de films diffusés, qui paraît aujourd'hui incroyable de bon sens au vu de ceux devenus cultes depuis où des cinéastes ayant été depuis adoubés, et plus encore un récit de la création de l'émission qui tient en elle-même non seulement d'un scénario de séries B entre ses multiples rebondissements, mais tout autant historienne de l'autre facette du cinéma, celle de ses mutations économiques et de ses rapports tumultueux avec la télévision. Les tractations pour aller dégotter telle ou telle copie de film étant aussi palpitantes que les négociations quasi-politiques au sein de Canal + ou l'enjeu purement stratégique que devint l'acquisition de catalogues de films pour les chaînes. Perret faisant lui-même un passionnant travail de défrichage, entre la manière dont Jean-Pierre Dionnet, prend des libertés – sans doute pas loin de la légendaire mythomanie d'un Jean-Pierre Mocky (dont certains films auront d'ailleurs été ressuscités par Cinema de quartier) – avec l'histoire ou sa mémoire et les secrets d'alcôve, tenant pour certains d'une realpolitik cathodique pratiquante, lâchés par les commanditaires de l'émission. Ainsi, autant que celle d'une réinvention de la cinéphilie dont Quentin Tarantino n'était pas encore le prophète, Une histoire de Cinema de quartier est aussi celle, passionnante, d'une des dernières grandes révolutions industrielle télévisuelle, celle de l'avènement de Canal Plus et son rôle prégnant d'acteur financier du cinéma. Et même si l'on peut regretter que cet ouvrage soit trop court sur ces coulisses, pour paraphraser les fameuses présentations de Dionnet en introduction chaque mercredi matin, qui firent beaucoup pour l'âme de cet autre ciné-club, « Si vous aimez les utopistes de la culture et les aventuriers de la programmation. Si vous aimez les petites histoires qui font les grandes, alors lisez Une histoire de cinéma de quartier ! » Edité par Badlands/Carlotta
Thu, 08 Jun 2023 - 03min - 262 - SICK OF MYSELF de Kristoffer Borgli
Finalement, le terme d'humour à froid a peut-être été inventé du côté des pays nordiques. En tout cas, s'il y a un cinéma qui sait le manier, c'est celui-ci. Même si Bergman ou Dreyer n'auront vraiment pas manifesté un sens aigu de la rigolade dans leurs films, leurs descendants actuels s'y collent pleinement pour aller creuser dans le mal-être de leurs congénaires. Et encore qu'avec Sick of myself, Kristoffer Borgli, va bien au-delà de sa Norvège pour s'attaquer à la problématique universelle de la prépondérance actuelle de l'apparence et son impact sur l'identité. Soit Signe, une trentenaire qui ne supporte tellement plus de ne pas être vue et considérée, qu'elle va s'innoculer volontairement un médicament dont l'effet secondaire est une maladie de peau qui va en faire la coqueluche des médias et réseaux sociaux, mais surtout dégénérer. L'idée qui change tout est que Signe est une ultra-narcissique parmi toute une flopée de personnages égocentriques ou opportunistes. Sick of myself sera donc un réjouissant jeu de massacre, taclant autant donc les accros à la célébrité que le milieu de l'art (via le petit ami de Signe, artiste contemporain mais surtout escroc) ou celui de la mode dans une partie aussi grinçante qu'hilarante. Au-delà de ce ton gonflé, souvent sur le fil du rasoir, normal quand on veut taillader les travers sociétaux, Sick of myself rejoint autant l'univers d'un John Waters – qui l'a d'ailleurs désigné comme son film préféré de 2022- que les visions rêches d'un Bret Easton Ellis ou d'un Larry David, quand il ne fait pas de prisonniers, se gaussant autant de ceux qui tombent dans le miroir aux alouettes que des néo-béni-oui-ouis qui ne jurent que par l'inclusion. La véritable cible de Sick of myself n'étant pourtant pas cette galerie de personnages, mais d'interroger le désir moderne de tout un chacun d'être considéré, et plus encore d'être plaint par les autres. En logique retour de bâton, Borgli frappe fort avec un film à part, capable de fusionner comédie romantique et body horror pour mieux les vitrioler d'humour très grinçant. Il y est fortement aidé par Kristine Kujath Thorp, actrice décidément audacieuse, vu l'an dernier dans le tout aussi épatant Ninja Baby, autre satire norvégienne des plus mordantes. Entre sa démente performance et l'art de la provoc pas gratuite de Borgli, Sick of myself indique clairement que le meilleur remède contre la civilisation contemporaine, malade de son individualisme, est un féroce traitement de choc.
Wed, 31 May 2023 - 03min - 261 - ACID/Festival de Cannes : bilan
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Mon, 29 May 2023 - 02min - 260 - ACID/festival de Cannes : Le chant des femmes
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s’est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l’ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Fri, 26 May 2023 - 02min - 259 - ACID/ Cannes : retour au front
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Fri, 26 May 2023 - 03min - 258 - ACID/ Cannes : C’est la folie !
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Thu, 25 May 2023 - 03min - 257 - ACID/ festival de Cannes : On veut du rab de poulet !
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Wed, 24 May 2023 - 03min - 256 - ACID/Festival de Cannes : un gout d’ailleurs
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Tue, 23 May 2023 - 03min - 253 - ACID / Festival de Cannes : Laissez-moi /Jeanne Du Barry
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
Fri, 19 May 2023 - 03min - 252 - FESTIVAL DE CANNES 2023
On y est, le grand rituel annuel du cinéma mondial démarre ce soir. Cannes, c'est reparti comme en 40. Quoique, vu la singularité de cette édition, il faudra peut-être revoir la chronologie de cette expression, pour un « c'est reparti comme en 68 », année restée dans les annales comme celle où le festival s'est arrêté en plein envol, rattrapée par les fameux évènements de mai. L'un des invités les plus marquants du cru 2023 risquant bien d'être le réel. Il s'invite rarement dans un festival qui n'aime d'ailleurs pas qu'il lui vole la vedette. La dernière fois, c'était en 2011 avec l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, improbable parasite des festivités, qui éclipsa les sunlights usuellement braqués sur le fameux tapis rouge. Si ça arrive cette année, on sera sans doute moins surpris, le climat social étant plus que tendu depuis quelques mois. D'ailleurs, pour éviter que l'hymne usuel du festival, extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, ne devienne la farandole des casseroles, les autorités ont fait le nécessaire en interdisant au préalable tout rassemblement dans un périmètre bunkerisant la Croisette. Ça sera sans doute un peu problématique pour un festival hypermédiatisé qui devra peut-être se passer d'images de populace rassemblée devant la montée des marches. Mais ça fera l'affaire des vendeurs ambulants de parapluie (puisqu'en plus d'une météo sociale orageuse, on annonce de la pluie pendant une bonne partie des agapes) qui se mettront à vendre des jumelles. De quoi nourrir le paradoxe de Cannes, festival ultra-immersif, mais qu'il faut toujours regarder à distance pour mieux le comprendre. Du coup, qui va décrocher la palme cette année, les films ou les manifs ? Difficile à dire pour le moment, les films vont se dévoiler au jour le jour. Cela dit s'il faudra attendre le 27 au soir pour le palmarès, une certaine vue d'ensemble s'annonce : la compétition semble plus aventureuse que d'habitude en faisant un peu plus de place à des réalisateurs n'ayant jamais eu ses honneurs ou en n'ayant pas peur des embrouilles avec la génération #MeToo en accueillant plus de films signés par des réalisatrices, fortes en gueule, mais pas forcément en phase avec le néoféminisme, de Catherine Corsini à Catherine Breillat en passant par Kaouther Ben Hania ou Maïwenn qui ouvrira le bal ce soir avec son Jeanne du Barry starring le désormais controversé Johnny Depp. Du côté des sections parallèles, la Quinzaine des réalisateurs, désormais reliftée en plus inclusive Quinzaine des cinéastes, se targue de renouer avec son esprit originel de découvreur/agitateur de talents passés jusque-là sous le radar cannois, au risque potentiel d'une sélection trop arty. Elle taillera pour autant peut-être des croupières à une Semaine de la critique toujours focalisée sur les premiers et seconds films, mais visiblement pour privilégier cette fois-ci les œuvre à sujet et non le renouveau ou l'inventivité formelle. De quoi conforter la montée en puissance ces dernières années de l'ACID et ses films indépendants ? On en reparle dès demain, avec une prise de température tous les soirs, ou presque, à 18 h, mais clairement cette année, dans les salles comme les rues, Cannes sent la bagarre.
Tue, 16 May 2023 - 03min - 251 - SAKRA, LA LEGENDE DES DEMI-DIEUX de Donnie Yen
Certaines stars vieillissent mal. Pas forcément de manière volontaire. Le cas des très grands noms du cinéma hong-kongais en est assez symptomatique. Depuis la rétrocession de l'ex-colonie britannique à la Chine, la plupart ont compris qu'il fallait désormais se tenir à carreau et en rien faire ni dire qui ne déplaise au régime de Xi Jinping, sous peine de voir une censure qui veille au grain trapper les films, voire les carrières, en étant mis physiquement au placard ou totalement effacée d'Internet, comme certaines actrices chinoises ont pu en faire les frais. Certaines légendes ont donc fini par retourner leur veste encore plus rapidement que leurs coups de pieds, probablement plus pour pouvoir continuer à tourner que par conviction. C'est risqué dans le cas d'un Jackie Chan, devenu porte-voix de la propagande officielle au point d'avoir intégré en tant que conseiller le parti communiste chinois, mais désormais renié par ses fans hongkongais. Ça peut être payant, comme pour Donnie Yen, lui aussi devenue mascotte officielle du parti, mais dont les films continuent à triompher sur les écrans à l'ombre de la grande muraille. Avec un cas de conscience, quand ces films, s'avèrent d'excellents divertissements comme Sakra. Mais alors est-ce que ça craint d'aller voir Sakra ? Pas si l'on y va avec l'envie de voir une alternative aux blockbusters américains ou si l'on est nostalgique des Wu Xia Pian, ces films de sabres en costumes hongkongais, puisque c'est dans ce registre qu'officie Sakra, film distribuant allègrement scènes d'actions virtuoses. Ne serait-ce que pour renouer avec une formidable puissance physique ou un sens épique de l'héroïsme à l'ancienne, qui justement est devenue désincarnée dans un cinéma américain ayant chassé tout sens de l'organique depuis l'avènement des effets visuels numériques. Même en se perdant dans les méandres des clans et dynasties, ourdissant complots sur complots, il y a une vraie jouissance à voir le quasi-sexagénaire Yen et ses cascadeurs se livrer à de phénoménales prouesses. Mais il reste aussi une brèche ouverte à une lecture politique, quand le véritable sujet de Sakra reste le rachat possible de la réputation entachée d'un chef de bande, interprété par Yen. Il évoque d'ailleurs trop de fois ici les notions d'intégrité et de morale pour que ce ne soit qu'une allusion. De même, le principe de retourner, dans les techniques d'arts martiaux comme dans l'écriture, aux bases du Wu Xia Pian, tel qu'il se pratiquait à Hong Kong avant la rétrocession, ne peut être innocent. Encore moins celui d'un personnage qui tente de remonter la piste de son passé, pour renouer avec ses origines. Son périple l'amenant à prendre conscience d'un héritage social et culturel. Sakra se termine avec la promesse d'un second volet. Il se fera forcément sous surveillance de la censure chinoise, mais on est déjà curieux de voir si en sous-main, le propos, un peu plus subversif que prévu, s'y maintiendra.
Wed, 10 May 2023 - 03min - 250 - UN AN UNE NUIT d’Isaki Lacuesta
Pour un cinéma réputé comme ayant du mal à s'inspirer de l'histoire récente, la production française se sera bien rattrapé en ce qui concerne l'attentat du Bataclan. Depuis l'automne dernier, se seront succédés une demie-douzaine de films, de Revoir Paris à Novembre revenant sur ce traumatisme. Petit paradoxe temporel, Un an, une nuit, les aura structurellement précédé mais n'arrive sur les écrans qu'en dernier, même s'il a été présenté au festival de Berlin en 2022. Cette faille dans l'espace-temps va plutôt bien au film d'Isaki Lacuesta, qui en fait plus qu'un récit de l'évènement sa matière. Soit le parcours, raconté autant par l'avant, le pendant et l'après attentat, d'un couple. Mais aussi par le ressenti d'un cinéaste catalan qui se trouvait quasiment sur place, le soir du 13 novembre 2015. Un an, une nuit fractionne donc cette traversée de l'enfer et plus encore les séquelles psychologiques qu'endurent Ramon et Céline chacun devant faire face à la culpabilité des survivants, les souvenirs de cette nuit ou la pitié de leurs proches, mais à leurs propres rythmes. Lacuesta organise autour d'eux les morceaux d'un puzzle formaliste, structure logique, car sans doute la seule pour exprimer un chemin de résilience multiple, en tant qu'individu et que couple. Et plus encore pour incarner l'entrechoc des phases de reconstruction, du déni à l'acceptation, de la colère à la dépression ou la manière dont ce processus se bâtit. Mais aussi pour donner littéralement corps à ces étapes, par une mise en scène ultra-sensorielle, quasi tactile. Nahuel Perez Biscayart et Noémie Merlant y faisant incroyablement écho par de monumentales interprétations impliquant le langage corporel, comme pour mieux faire ressentir ce que les mots ne peuvent pas exprimer dans une telle situation. Un an, une nuit, parvient ainsi à tenir à l'écart toute exploitation voyeuriste de cet attentat en associant approche semi-documentaire et mélo moderne avec la même frontalité ou en plaçant ce couple sous un microscope pour mieux traquer des pulsions de vie capables d'éradiquer celles de mort, et avant tout la capacité à ne pas vouloir rester défini comme les proies d'un syndrome post-traumatiques mais comme ceux qui finissent par s'en délivrer, quitte à ce que ce soit en devant faire le deuil d'un amour. En salles le 3 mai.
Wed, 03 May 2023 - 02min - 249 - AMEL & LES FAUVES de Mehdi Hlimi
Comment ça va le cinéma tunisien ? Amel et les fauves répond à la question avec une belle ambiguïté. Ça va très bien si on se place d'un point de vue technique, le film de Mehdi Hlimi arborant une remarquable forme de polar social. Ça va moins bien si on se penche sur ce qu'il raconte du pays. Une vision trouble, mais avant tout double, quand s'entrecroisent les parcours d'une mère et d'un fils. Elle, ouvrière, lui qui rêve d'être footballeur. Entre les deux, un état des lieux mordant quand cette mère se retrouve en prison suite à une fausse accusation d'adultère, son fils se perdant dans le monde de la nuit, la dope et la prostitution. Amel et les fauves aurait donc tout du mélo familial à faire pleurer dans les chaumières façon Zola de la casbah, mais Hlimi est avant tout animé par une rogne tenace. Celle qui l'autorise à avoir un regard franc, cru sur un Tunis aux airs de fabrique de l'humiliation sociale à tous les niveaux, pratiquée par les dealers comme par les patrons d'entreprises. Le bilan désillusionné d'une révolution du jasmin qui n'a jamais bourgeonné sent le compromis et la fatalité. Un peu comme si la vie était un match de foot truqué. Notamment pour Amel, prête à balancer une collègue de son usine en échange d'un coup de piston pour son fils, mais qui se retrouvera sur le banc de touche en finissant derrière les barreaux. Hlimi se fait arbitre qui connaît particulièrement les règles pipées, son film grandement inspiré de sa propre adolescence, fait des jongles avec l'autofiction. Derrière cette histoire de cordon ombilical déchiré par la corruption, il y a pourtant une quête de père. Pas celui du film, qui apparaît comme intermittence, mais surtout comme une peine perdue, mais ceux de cinéma, Hlimi invoquant, dans son portrait de femme comme dans celui de la jeunesse, les influences de John Cassavetes ou Abdellatif Kechiche. Au vu du résultat, à la fois sensible et percutant, on peut déjà lui décerner le statut d'un bel enfant de cinéma.
Wed, 26 Apr 2023 - 02min - 248 - MAD GOD de Phil Tippett
Phil Tippett a toujours été un créateur de monde. Sans ce génie des effets visuels et de la stop-motion, les créatures animées de La guerre des étoiles et L'empire contre-attaque, les robots de Robocop ou tant d'autres n'auraient pas eu le même impact dans la pop-culture. Tippett reste dans un monde des effets spéciaux désormais régi par l'image de synthèse, un artisan. La preuve avec un projet très personnel, son propre long métrage, Mad God, qu'il aura peaufiné pendant près de trente ans. Expérimentateur de génie dans la création et la manipulation de marionnettes, héritier incontestable de légendes de ce registre, comme Ray Harryhausen, Tippett ouvre enfin les portes de son propre imaginaire avec un film inclassable. Il n'y a pas vraiment de narration dans Mad God, pérégrinations d'un homme masqué dans un environnement post-apocalyptique, peuplés de divers monstres tous crocs dehors. Une sidérante immersion dans ce qui tient autant des cauchemardesques tableaux d'un Jérôme Bosch que d'une humeur enfantine. Ici, on croise autant des géants que d'étranges scientifiques en blouse blanche ou des références bibliques. Au loin, parfois, on y croise des humains dans des fausses images d'archives. Mad God serait donc une vision brutale du futur, parfois insensées comme ces séquences où l'on extrait des fœtus de la glaise, mais construites avec des matières primitives de cinéma. Et si Mad God rappelle dans sa férocité ou sa créativité, les grands maitres de l'animation européenne comme Jan Svankmayer ou les frères Quay, c'est aussi par ce regard plus désemparé que cruel, percé de trouées d'humour noir ou rabelaisien, sur une civilisation humaine en ruine, ne vivant plus que par la violence. Tipett parvient pourtant à y faire exister la grace d'un ecosystème de cinéma totalement organique, sorte de dystopie poétique infiltrée dans celle, funeste, de son récit expérimental. En ce sens, Mad God a quelque chose d'un film-monstre, dans sa longue gestation comme dans la folie de son univers. Mais peut-être plus encore quand ces visions dantesques tiennent de l'expérience dévorante de pur cinéma.
Tue, 25 Apr 2023 - 02min - 247 - BLUE JEAN de Georgia Oakley
On ne rappellera jamais assez à quel point le cinéma anglais sait être un formidable porte-voix du social, métamorphoser des chroniques de vie ordinaire en piqûre de rappel politique. Ainsi de Blue Jean, le premier long métrage de Georgia Oakley, ramenant à l'ère Thatcher. En 1988, Miss Maggie s'apprête à faire voter la section 28, une loi interdisant la promotion publique de l'homosexualité. De quoi renforcer la volonté de Jean, une prof de sport, de dissimuler qu'elle est lesbienne. Manque de bol, une des ses élèves en pleine découverte de sa sexualité, va la croiser dans un bar gay, entrainant un cas de conscience chez l'enseignante : continuer à tout mettre sous le tapis ou devenir un modèle pour l'adolescente en faisant son coming out ?Blue Jean va à rebours de la plupart des films LGBTQ en se focalisant sur ce choix à faire qui va tarauder Jean, jusqu'à la faire paniquer à l'idée de sortir de la routine d'une vie sociale mise littéralement au placard, de ne plus devoir faire profil bas pour enfin protester contre cette loi. Mine de rien, Blue Jean bouscule les poncifs du cinéma queer en doublant un récit d'apprentissage, celui d'une ado, par celui d'une adulte découvrant la difficulté de revendiquer son identité. Oakley renouant, elle avec le cinéma de la nouvelle vague anglaise, le fameux kitchen-sink movie, ce cinéma d'intérieur domestique aussi néo-réaliste que militant. Avec le bonus troublant de la distance envers une Angleterre d'il y a trente-cinq ans, abolie par la modernité du jeu de l'actrice Rosy McEwen, comme pour rappeler que si la section 28 n'est plus d'actualité depuis longtemps, devoir s'affirmer pour défendre son statut ou sa place dans un environnement social hostile le reste plus que jamais. Oakley en faisant quasiment un motif de thriller psychologique, quand Jean oscille de plus en plus entre paranoïa et dépression nerveuse, Blue jean la confortant dans un processus de réappropriation de soi, y compris quand celui-ci amène le risque de perdre son boulot ou sa réputation, en devenant peu à peu, un parfait manuel d'émancipation du qu'en dira-t-on, mais plus encore de rébellion face à la pression sociale. Et faire d'une brillante étude de caractère, un film qui assume pleinement le sien tout en alarmant sur les dangers de l'inaction.
Wed, 19 Apr 2023 - 02min - 246 - LA DERNIERE REINE de Damien Ounouri et Adila Bendimerad
La dernière reine est une première fois. En revenant sur l'histoire de Zaphira, une monarque qui aurait tenu tête au pirate Barberousse dans l'Alger de 1516, Damien Ounouri et Adila Bendimerad ne font pas que ressusciter un cinéma d'aventures populaires à l'ancienne, ils ouvrent une page de cinéma (et d'histoire) qui n'avait pas encore été écrite à l'écran, celle du récit national et médiéval de l'Algérie. Faisant s'embrasser péripéties épiques et regard intime sur les coulisses du pouvoir, La dernière reine, œuvre donc à donner corps (et âme) à une représentation culturelle qui manquait, raviver un imaginaire historique tout en racontant ses persistances dans le présent, via un regard contemporain sur les rapports homme-femme. Une gageure renforcée par une part de mystère autour de Zafira, reine dont on ne sait toujours pas si son existence a été réelle ou mythifiée, le tandem de réalisateurs y reviennent au micro de Nova.
Tue, 18 Apr 2023 - 20min - 245 - LOUP & CHIEN de Claudia Varejao
Le Portugal c'est aussi une île. Claudia Varejao y tient jusque dans le prologue de Loup & Chien, où il a clairement énoncé que c'est le meilleur type de territoire pour parler d'identités en construction. Donc celles d'Ana et Luis qui n'ont jamais quitté Sao Miguel, petit bout des Açores, endroit paradisiaque, mais perclus d'immuables traditions. Pas l'endroit rêvé donc pour épanouir ou assumer son homosexualité. Pour autant, Loup & Chien n'est pas une histoire de coming out. Varejao cherche plutôt à donner des couleurs à des zones grises, à un entre-deux dont il n'est jamais simple de se dépêtrer. Il est clairement question ici de cohabitation, entre les rituels et la modernité, les urgences de la jeunesse et un environnement en dehors du temps. Jusqu'à ce fond mi-docu renforcé par le passif de la réalisatrice et l'emploi d'acteurs non-professionnels réels habitants de l'île ou ce titre, référence à un poème du 16e siècle, mais révélateur des difficultés très actuelles d'être soi. Voire cette image numérique, donc très contemporaine qui recherche pourtant le grain de la pellicule à l'ancienne. Mais est-ce qu'en suivant deux ados dans leurs désirs, Loup & Chien montre les crocs ? Non. Et c'est ce qui fait la beauté de ce film : cette volonté de ne pas être dans l'antagonisme à tout prix. Conforter la possibilité d'une éventuelle harmonie, d'un terrain d'entente entre valeurs conservatrices et envies de libertés. Ce qui s'incarne à l'écran dans une atmosphère fuyant autant que possible l'agressivité, lui préférant une humeur étonnante de teen-movie hypnotique, sa combinaison de somptueuses images rêveuses et de personnages volontaristes pour s'affirmer dopant un cinéma portugais d'auteur souvent assoupi dans sa part contemplative. Le tout conférant des airs inédits de chronique de mœurs par un Pasolini sous Saudade, par son principe de voyage intérieur, mais pour ne plus être son propre touriste, son esquisse d'une nature humaine adoucie, mais protégeant sa part de désir animal. Entre loup et chien, espèces différentes, mais finalement si proches, donc. En salles le 12 avril
Wed, 12 Apr 2023 - 02min - 244 - L’ETABLI de Matthias Gokalp
Il y a parfois de drôles de coincidences, des résonnances inattendues qui prennent l'ampleur d'un coup de tocsin. Il n'aura échappé à personne que le pays est ces temps-ci à bout. A bout d'une cinquième république qui s'effrite, à bout d'un dialogue de sourds entre classes populaires qui ruminent leur colère et gouvernement qui s'enferme dans une idéologie libérale. Le ton et les barricades montant de concert, l'impression d'avoir été avalé par une machine à remonter le temps qui ramènerait vers la cocotte-minute de Mai 68 se cristallise. 68 c'est l'année ou Robert Linhart, un universitaire se fait engager comme OS dans une usine Citroën pour tenter de ranimer un feu révolutionnaire déjà en train de s'éteindre. Il en tirera dix ans plus tard un livre, L'établi, récit de cette expérience, qui deviendra un manuel du militantisme gauchiste. Dix ans, c'est plus moins le temps qu'il aura fallu à Matthias Gokalp pour en tirer un film. Et paradoxalement celui pour se faire rattraper par une époque où le rapport au travail est redevenu un enjeu crucial, voire d'avenir. Et du coup un film qui remet l'ouvrage sur le métier ? Plus que jamais : au delà d'une reconstitution plus vraie que nature du monde ouvrier d'il y a cinquante ans, mais aussi la reconstruction d'un cinéma engagé qui a longtemps déserté la production française, L'établi sidère par sa superposition des contextes, celui d'hier et celui d'aujourd'hui se rejoignant dans une description commune d'un monde rongé par le capitalisme et de son besoin d'utopies rêvant d'en finir avec lui, d'une hiérarchie entre bourgeoisie et prolétariat reposant déjà sur une exploitation des seconds par les premiers. L'établi s'extraie rapidement de sa gangue de film d'époque tant ce qu'il désigne, de l'usure du travail à la chaîne à la précarité entretenue ou un maintien de l'ordre par la répression fait écho à la situation actuelle, la fiction sur hier se faisant quasi documentaire sur aujourd'hui. Y compris dans les nuances qu'amène un scénario n'occultant pas des doutes et des failles dans le combat mené par Linhart. Un recul étonnamment consumé par l'urgence du moment à repenser les choses, si tant est qu'il y en aie encore la possibilité avant l'échéance d'un conflit généralisé. A ce titre, L'établi, s'adresse sans doute plus aux jeunes générations militantes qu'à ceux qui ont vécu l'après-mai 68, dans un mélange à fois de désillusion et d'espoir quand pendant une scène forte, Linhart lance qu'il « trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire ». L'impact de ce beau film est dans ce « peut-être » invitation à achever désormais ce qui n'a pas pu avoir lieu alors.
Wed, 05 Apr 2023 - 03min - 243 - MIKE DE LEON, PORTRAIT D’UN CINEASTE PHILIPPIN EN HUIT FILMS
MIKE DE LEON : MADE IN PHILIPPINES Une rétrospective (en salles et en Blu-ray) révèle la carrière de Mike De Leon, figure du cinéma philippin, jusque-là passée sous les radars français. À tort quand il apparaît aussi brillant manieur de genres que chroniqueur social. Attention, découverte majeure.
Wed, 29 Mar 2023 - 03min - 242 - DE GRANDES ESPERANCES de Sylvain Desclous
Il faut avoir les épaules solides pour intituler un film De grandes espérances. Au minimum par la référence au classique éponyme de Dickens. Qui en apparence n'a pas grand-chose à voir avec le nouveau long métrage de Sylvain Desclous, sauf peut-être l'idée de suivre un transfuge de classe. En l'occurrence, une, Madeleine, fille de prolo qui prépare l'ENA, voire a quasiment déjà intégré sa sphère sociale en vivant avec un fils à papa. Un accident qui les implique va bousculer leurs ambitions. À partir d'un principe de thriller psychologique, De grandes espérances vire à une lecture de ce qu'une partie de la classe politique nomme le roman français. Soit une histoire collective, abordée au travers d'une militante qui devient peu Rastignac manipulatrice. Desclous tricotant habilement les ambiguïtés quand la noblesse des idéaux se dissout dans les règles pipées de la conquête du pouvoir. Celui politique, mais aussi celui de l'intime, quand De grandes espérances raconte aussi comment se fomentent les coups bas d'une guerre conjugale. Le véritable suspense de ce film résidant dans ce choix : que faut-il laisser derrière soi, jusqu'où faut-il aller pour pouvoir incarner ses convictions ? Desclous avait déjà approché ce terrain, l'an dernier, sous un angle documentaire avec La campagne de France, coulisses d'une élection municipale où s'affrontaient outsider improbable et maire aguerri. Curieusement, les armes incisives et la belle part romanesque de la fiction procurent à De grandes espérances, une sensation plus aiguë du réel, quand cette peinture de l'effritement de l'élément humain, dès qu'il se frotte à la mécanique politique, a quelque chose d'éminemment crédible dans ce qu'il exprime, sans manichéisme, de la fragilité de l'éthique. En ne renonçant par ailleurs jamais à combiner très efficaces ressorts narratifs de film de genre et très clair discours engagé (entre autres par des dialogues cinglants ou de phénoménales séquences se déroulant dans une usine menacée de plan social), De grandes espérances propose, comme son héroïne jusqu'au boutiste, un programme de réforme d'un cinéma français peu téméraire quand il s'agit de scruter les complexités de la morale ou mettre ainsi les mains dans le cambouis. Quitte à s'intéresser, comme ici, à la manière dont on peut se les salir quand on veut changer le monde. En salles le 22 mars
Wed, 22 Mar 2023 - 02min - 241 - Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois de Yuzo Kawashima
Allez savoir si c'est parce qu'il s'est fait aux antipodes, et a donc longtemps eu du mal à franchir les Océans qui nous en séparent, mais le cinéma japonais reste un terrain à débroussailler, un territoire à explorer, tant certains de ses cinéastes restent inconnus ici. Il y a deux ans, la découverte de l'œuvre de Kinuyo Tanaka réalisatrice faisait décrocher la mâchoire ; elle a tout pour rester déboitée par celle aujourd'hui de Yuzo Kawashima. À domicile, le corpus de celui qui fit la collure entre le cinéma classique des années 50 et la nouvelle vague locale la décennie suivante est adoubé de longue date. Ici, même au compte-gouttes, avec l'apparition en Blu-ray de trois films sur les quarante-sept qu'il a réalisé, cela reste une révélation sidérante. Ne serait-ce qu'en découvrant un réalisateur d'une phénoménale fluidité, franc-tireur capable de naviguer entre les divers grands studios japonais comme entre les registres, signant autant des mélos âpres que des comédies égrillardes. Un réalisateur prolifique, mais qui ne s'éparpillait donc pas. Même si Le temple des oies sauvages, Les femmes naissent deux fois et La bête élégante ne sont qu'un maigre échantillon du cinéma de Kawashima ; aussi éloignés soient-ils (un mélo, un film noir en costume et une comédie noire), ils esquissent la vision d'un réalisateur scrutant un Japon en plein entre deux, pas pleinement sorti de l'humiliation de la seconde guerre mondiale, mais déjà dans une volonté de reconstruction capitaliste. Tout est de toute façon question de regard chez Kawashima, posant régulièrement sa caméra dans des coins improbables, observant les personnages se débattre depuis des placards, des toilettes, voire une fosse septique ou à travers des cloisons ou des rideaux. Comme pour avertir qu'il y aura quelque chose de biscornu chez cette faune à visage humain. Ainsi la vie de famille de La bête élégante vire à la chronique d'un clan d'escrocs ayant perdu tout sens moral tandis que la vie d'un moine bouddhiste dans Le temps des oies sauvages mue en drame de la jalousie et dans les femmes naissent deux fois, le quotidien d'une geisha en récit d'une marchandisation généralisée des rapports et des valeurs. La stupéfiante mise en scène de Kawashima confortant la dissection d'une identité japonaise fracturée. Plus sidérante encore, cette absence de démonstration, d'appui, d'une dénonciation, le propos de ces films est encore plus marquant quand il n'est pas martelé par un style baroque ou du cynisme. Le naturalisme proche du néoréalisme italien avec lequel Kawashima filme des situations extrêmes les rend encore plus troublantes. Ces trois Blu-ray n'ayant qu'un seul défaut : donner sacrément envie de voir d'autres opus de ce cinéaste particulièrement singulier. Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois. Badlands éditions.
Thu, 16 Mar 2023 - 02min - 240 - THE HOST de Bong Joon-Ho
Depuis le triomphe, en 2020, de Parasite – entre une palme d'or et une palanquée d'Oscars, le grand public français connaît le nom de Bong Joon-Ho. Ça n'a pas toujours été le cas. À sa sortie en 2006, son troisième long métrage et l'un de ses films les plus ambitieux, The Host, s'est même pris une colossale taule en salles, dégageant très rapidement de nos écrans. Peut-être parce qu'ici, le spectateur lambda n'était pas encore prêt à un cinéma sud-coréen envoyant valdinguer les codes de récit classiques, capable comme ici de fusionner ceux du film de monstre, du film social et du récit d'apprentissage. Croiser les univers de Ken Loach et Godzilla était probablement encore un peu too much pour les regards occidentaux, ou donnait simplement un film pas simple à marketer, encore moins quand sous l'apparence d'un blockbuster se nichait un fond engagé. Dix-sept ans plus tard, la culture globalisée a mondialisé celle sud-coréenne, de l'appétit pour le Kimchi à celui pour la K-Pop. Un contexte bien plus favorable à la réapparition, voire une seconde vie de The Host dans nos salles Du coup, faudrait-il se réengager vers ce film plus engagé qu'il n'y paraît ? Absolument, quand au-delà de la maestria avec laquelle Bong Joon-ho enchevêtre mélo familial et donc film de monstre à travers la quête désespérée d'un père pour aller sauver sa fille des griffes d'une créature géante, on lira bien plus facilement entre les lignes, le côté pamphlétaire d'un réalisateur taclant de manière très frontale une société sud-coréenne peu tendre avec ses prolos, jusqu'à faire d'un état défaillant, le véritable monstre de cette affaire. Bien plus que par son carambolage des genres, The host est un film en état de rébellion quand il explore l'éveil d'un père (génialement joué par le non moins génial Song Kang-Ho) qui est aussi un citoyen de plus en plus en rogne contre l'abandon des institutions. Sans oublier un coup de gueule écolo - le film est en partie inspiré des dégâts environnementaux causés en 2000 par des rejets chimiques américains dans le Han, rivière qui traverse Séoul. Les scènes de quarantaine du film de 2006 faisant d'ailleurs curieusement échos à la débâcle sociale asiatique lors de l'irruption de la Covid-19. Idem pour la vision d'un état dénigrant, voire ignorant sa population précaire. Tout ce qui faisait de The host un film trop décalé lors de sa première sortie est devenu d'une totale cohérence aujourd'hui. Il est donc grand temps d'aller voir ou revoir, un film monstrueux, mais aux sens jouissifs et qualitatifs du terme. Reprise en salles, le 8 mars.
Wed, 08 Mar 2023 - 02min
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