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- 126 - Abigail Disney: la mauvaise conscience du numéro un mondial du divertissement
Dans un rapport paru cette semaine, l’Observatoire européen de la fiscalité prône la mise en place d’une taxe de 2 % sur le patrimoine des milliardaires partout dans le monde. Un combat qu’incarne depuis longtemps Abigail Disney. Petite fille d’un des fondateurs de « l’empire Disney », elle réclame depuis longtemps que les plus riches soient plus taxés.
Abigail Disney est la petite fille de Roy O. Disney qui a fondé avec son frère Walt le numéro un mondial du divertissement que l'on connaît aujourd'hui. Elle a hérité à la naissance d’une partie de sa fortune, plus de 100 millions de dollars. À 63 ans, l’héritière devenue productrice et réalisatrice est donc ce qui se rapproche le plus de la définition littérale d’une « princesse Disney ». Si on se contentait de ces informations, on pourrait penser que par réflexe, elle frémirait en lisant les recommandations du dernier rapport de l'Observatoire européen de la fiscalité paru lundi 23 octobre et qui prône une taxe minimale de 2 % sur les milliardaires dans le monde. « Aujourd’hui les milliardaires payent entre 0 et 0,5 % de leur fortune. 2 %, ça resterait modeste par rapport au taux de croissance de la fortune des milliardaires qui a été en moyenne de 7 % par an depuis la fin des années 1990 », rappelait cette semaine l’économiste Gabriel Zucman qui dirige l’observatoire. Une taxe « modeste » mais qui rapporterait tout de même 250 milliards de dollars par an aux États.
« Je ne peux pas rester là, les bras croisés, à accumuler de la richesse simplement parce que je l'ai héritée »
Personne n’a eu l’occasion de lui poser la question, mais on peut affirmer qu’Abigail Disney applaudirait des deux mains. Si Abigail était l'une des héroïnes des films Disney, elle serait Rebelle ou Elsa, le personnage principal de La reine des neiges, celle qui chante qu’elle refuse de mentir et d’être « une princesse parfaite ».
« Quand mon grand-père et mon grand-oncle ont fondé Disney, la classe moyenne et la classe ouvrière avaient les moyens d'élever une famille dignement », rappelle-t-elle régulièrement. « Mais regardez les États-Unis aujourd'hui ! J'ai parlé avec des travailleurs de Disneyland : ils n'ont même pas de quoi se payer de l'insuline ! C'est inacceptable. Je ne peux pas rester là, les bras croisés, à accumuler de la richesse simplement parce que je l'ai héritée ! » Alors Abigail est devenue la mauvaise conscience de Disney.
Le public a d'abord entendu parler d'elle en 2018, quand elle s'en est prise publiquement à Bob Iger, l'actuel patron de Disney qui venait de s'offrir un salaire à 65 millions de dollars, soit 1400 fois le salaire médian au sein de son entreprise. La polémique est venue alimenter les revendications des syndicats de chez Disney. Elle a aussi placé au cœur du débat politique les propositions de deux candidats aux primaires démocrates, Bernie Sanders et Elizabeth Warren. Abigail Disney est aussi productrice de films engagés défendant des idées progressistes et féministes. Elle a elle-même signé un documentaire sur Disney sorti en 2022 : Le rêve américain et autres contes de fée.
« Avoir Disney pour nom de famille, c'est comme avoir un super pouvoir qu'on n'a pas demandé »
« Avoir Disney pour nom de famille, c'est comme avoir un super pouvoir qu'on n'a pas demandé », dit-elle dans la bande-annonce du documentaire. Dans ce film, elle raconte comment un employé d’un parc Disneyland lui a écrit un jour et comment elle en est venue à s’intéresser aux conditions de travail chez Disney. On la voit demander à une assemblée de travailleurs du parc assis autour d’elle : « Qui parmi vous connait quelqu'un qui travaille à Disneyland et dormait dans sa voiture ces deux dernières années ? » Toutes les mains se lèvent... « Ce n'est pas seulement l'histoire de Disney. C'est l'histoire de la moitié des travailleurs américains qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts », dit-elle encore dans ce documentaire.
Elle ne se contente pas de mener ce combat dans ses films, elle a aussi rejoint une association qui s'appelle Les millionnaires patriotes - Patriotic Millionaires - et qui mène un lobbying intense pour exiger de payer plus d'impôts. En avril dernier, ils ont donné une conférence de pressedevant le Capitole à Washington où elle a pris la parole : « Il faut changer notre système fiscal pour que l'impôt soit réellement progressif : ça veut dire que les gens qui gagnent à peine de quoi vivre ne doivent quasiment rien payer, et à l'inverse, il faut largement augmenter les impôts sur les très gros revenus. Mon grand-père avait un taux d'imposition de 90 %, et ça ne l'a pas empêché de faire fortune ! »
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Fri, 27 Oct 2023 - 125 - Beyoncé et Taylor Swift, portraits croisés de véritables businesswomen
L'une vient de battre le record de la tournée de concerts la plus rentable de l'histoire pour une artiste féminine avec 596 millions de dollars de recette. L'autre pourrait bien la dépasser dès la fin de The Eras Tour l'an prochain. Beyoncé et Taylor Swift, deux chanteuses américaines devenues des businesswomen.
Beyoncé Knowles, 42 ans, vient de boucler sa neuvième tournée baptisée Renaissance World Tour. Selon le magazine Forbes, « Queen B», comme certains la surnomment, pèse 540 millions de dollars. Autrement dit, 200 millions de moins que sa benjamine Taylor Swift. La fortune de la chanteuse de 33 ans est actuellement estimée à 740 millions de dollars. Et elle ne va faire que s'amplifier grâce à sa tournée The Eras Tour. Elle doit s'achever en août prochain et devrait dégager près d'1,5 milliard de dollars, selon les experts.
Aujourd'hui considéré comme une popstar d'envergure mondiale, Taylor Swift a commencé sa carrière dans la musique country. Rien à voir avec la pop aux fortes influences soul et RnB de Beyoncé. L'interprète de Crazy in Love est afro-américaine, engagée dans la lutte anti-raciste : elle a chanté à la cérémonie d'investiture du président américain Barack Obama en 2013. De son côté, Taylor Swift habite à Nashville dans le Tennessee. Elle arbore des boucles blondes dignes d'une princesse Disney.
« Gagner de l'argent, c'est aussi une forme de prise de pouvoir féministe » - Morgane Giuliani journaliste et autrice
Malgré leurs styles différents, les deux stars s'entendent très bien. Elles ont d'ailleurs posé ensemble sur le tapis rouge de la première du film de Taylor Swift le 11 octobre dernier.
Selon Morgane Giuliani, journaliste culture et autrice du livre « Féminismes et musiques », ce qui réunit les deux artistes, c'est aussi leur féminisme. « Gagner de l'argent, c'est aussi pour elle une forme de prise de pouvoir. D'autant que l'industrie musicale est très cruelle, basée sur des lois qui souvent spolient les artistes.»
Selon le directeur de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), partout où Taylor Swift s'est produite, la star a provoqué un boom des réservations dans les hôtels et restaurants. La même chose est à prévoir pour ses concerts - déjà complets - à Paris et Lyon l'an prochain.
Les fans viennent de toute l'Europe et sont prêts à payer jusqu'à 250 euros. En mai dernier, les places les plus chères pour voir Beyoncé au Stade de France étaient à 200 euros.
Des places de concerts jusqu'à 250 euros en France
Mais les revenus des deux stars ne viennent pas uniquement de leurs tournées. Beyoncé et Taylor Swift tentent toutes les deux d'enrailler la chute des ventes en sortant régulièrement des éditions limitées de leurs albums. De vrais petits bijoux qui donnent aux fans l'envie de les collectionner. Ce phénomène va de pair avec le merchandising.
Et puis, il y a le placement de produits et les partenariats commerciaux. Les deux idoles américaines vendent leur image. Selon Paul Muller, professeur d'économie à l'université de Lorraine spécialiste de la créativité dans l'industrie musicale, c'est ici que se situe la principale différence avec d'autres stars de la chanson. «Avant, l'industrie musicale était organisée selon une approche de marché. D'abord la production musicale, puis la tournée et enfin le merchandising. Alors que ce qui distingue Taylor Swift et Beyoncé, c'est qu'elles ont une approche basée sur la constitution d'une communauté fidèle grâce aux réseaux sociaux. »
Pour dégager des millions, Beyoncé et Taylor Swift investissent aussi les salles de cinéma. L'interprète du titre Cuff it va sortir le film de sa tournée le 1ᵉʳ décembre prochain. Taylor Swift l'a sorti le 13 octobre dernier. Elle a réalisé le plus gros démarrage pour un film de concerts, dégageant 96 millions de dollars en un seul week-end. À titre de comparaison, le record était jusqu'ici détenu par Justin Bieber avec un total de 73 millions de dollars pour le film de sa tournée en 2011.
Fri, 20 Oct 2023 - 124 - Claudia Goldin, prix Nobel d'économie et détective
Le prix Nobel d’économie 2023 a été décerné à Claudia Goldin Cette économiste de 77 ans, professeure d’économie à Harvard est récompensée pour ses études sur les inégalités entre les hommes et les femmes sur le marché du travail. Elle devient la première femme à être - seule - lauréate du Prix.
Claudia Goldin ne se considère pas que comme économiste : « J’ai toujours voulu être détective,répond-elle au téléphone du jury du prix Nobel qui l’appelle peu après sa récompense. Je mène ce travail de détective dans des documents d’archives. Il fut un temps où nous n'avions pas cette énorme quantité de données à notre disposition : il fallait donc les exhumer. »
Claudia Goldin va donc passer sa vie à éplucher les données et les statistiques dans les bibliothèques, dans les registres des banques et des entreprises et compile deux-cents ans d’histoire économique. Cette fouille minutieuse lui permet de dessiner une courbe de l’évolution de la participation des femmes au marché du travail sur deux siècles.
L’économiste montre que la participation des Américaines au marché du travail n’évolue pas comme on pourrait le croire, de façon linéaire et continue dans le temps, mais plutôt selon les époques et les bouleversements économiques.
Au début des années 1800, les femmes travaillaient par exemple massivement dans le secteur agricole. Ce n’est que plus tard, au moment de la révolution industrielle au XIXe siècle, qu’elles se retirent peu à peu de la vie active pour ensuite y revenir à partir des années 1960.
Inégalités de salaires, discrimination à l’embauche
Ses travaux permettent en lumière les inégalités en fonction des genres. Bien qu’une partie des écarts de rémunération entre les hommes et les femmes s’expliquent par des différences d’éducation ou de choix professionnels, Claudia Goldin démontre que l’arrivée du premier enfant est un facteur déterminant d’accroissement des disparités salariales entre les hommes et les femmes.
À la fin des années 1960, Claudia Goldin décrit aussi l’avènement d’une « révolution silencieuse » avec l’arrivée de la pilule aux États-Unis. Dès lors, explique la chercheuse, les Américaines n’hésitent plus à se lancer dans de longues études comme dans le droit ou la médecine. « Pour elle, la contraception donne aux femmes le moment de choisir quand elles vont avoir des enfants et donc des carrières qui nécessitent un certain investissement,note Cecilia Garcia-Peñalosa, directrice de recherche au CNRS et membre de l’École d’économie Aix-Marseille (AMSE).Claudia Goldin considère que c’est une liberté médicale mais qui donne aussi une liberté énorme aux femmes. »
Pionnière
Née à Brooklyn en 1946, Claudia Goldin se rêvait d’abord biologiste. Mais c’est à l’université qu’elle découvre l’économie. En 1990, elle deviendra d’ailleurs la première femme à la tête du département d’économie de l’université de Harvard.
Ce lundi 9 octobre, Claudia Goldin est devenue la première femme, récompensée seule, depuis la création du Prix Nobel d’économie en 1968. Les deux précédentes lauréates, la Française Esther Duflo (2019) et l’Américaine Elinor Olstrom (2009) l’avaient partagé avec des hommes (Abhijit Banerjee et Michael Kremer pour la première, et Oliver Williamson pour la seconde).
Pionnière, Claudia Goldin l’est aussi à travers ses recherches. Personne comme elle n’avait auparavant combiné histoire et théorie économique sous l’angle de l’étude de la place des femmes sur le marché du travail, ce qui fait d’elle un pilier de « l’économie de genre ».
« Pour combattre les inégalités, mieux faut-il les comprendre, les mesurer et voir les dynamiques à l’œuvre, analyse Hélène Périvier, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’une des héritières de Claudia Goldin. La participation des femmes au marché du travail dans les pays riches et démocratiques, c'est le phénomène socio-économique majeur du XXe siècle. Donc travailler sur cette question-là, récompenser les travaux qui sont venus éclairer ces dynamiques, ça me semble être quelque chose de tout à fait positif. »
Seuls 16% des économistes sont des femmes
Lundi, à l’annonce de son prix Nobel, Claudia Goldin a salué une récompense « très importante » mais rappelé qu’il « reste de grandes inégalités ». Exemple, au sein même de sa discipline, l’économie où les Américaines ne représentaient, d’après une étude de 2017, que 16% des effectifs. C’est ainsi pour tenter d’inverser la tendance qu’elle a créé un programme pour inciter les jeunes filles à se diriger vers un cursus économique.
« Claudia Goldin, explique Hélène Perivier,a permis d’éclairer la situation des femmes sur le marché du travail aux États-Unis. C’est une façon de voir quelle partie du chemin nous avons parcouru et quelle partie il reste à parcourir pour atteindre l’égalité. »
Fri, 13 Oct 2023 - 123 - Xavier Niel à la conquête de l'intelligence artificielle
Avec un investissement de 200 millions d'euros, Xavier Niel, le patron de Free entend s'insérer dans un marché jusqu'ici dominé par les grandes entreprises américaines. Portrait d'un milliardaire autodidacte aux ambitions marquées.
Xavier Niel se lance à la conquête de l'intelligence artificielle. Huitième fortune française selon le magazine économique Forbes, le patron de Free a investi 200 millions d'euros. Il veut devenir le champion européen de l'intelligence artificielle. Il vient effectuer le plus gros investissement jamais réalisé en Europe dans le domaine.
Avec ces 200 millions d'euros, le patron d'Iliad - la maison mère de Free - ne peut pas espérer rivaliser avec les acteurs américains du secteur. Microsoft a déjà investi plusieurs milliards de dollars tout comme Meta et Google.
Un homme d'affaires philanthrope
Mais, il va se doter d'un supercalculateur, miser sur des start-up et monter un laboratoire de recherche à Paris. Passionné de nouvelles technologies, Xavier Niel met donc les moyens pour faire une belle entrée dans la course à l'intelligence artificielle, selon Mehdi Triki responsable des relations publiques et institutionnelles chez France IA.
L'objectif de Xavier Niel est donc de proposer des services aux entreprises qui souhaitent développer leurs applications dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Le milliardaire veut mettre en place une alternative à des services aujourd'hui majoritairement proposés par des entreprises américaines. Plus qu'un grand patron français, son ambition c'est de devenir un patron de stature internationale.
Co-auteur de la biographie Xavier Niel, la voie du pirate sortie en 2016 aux éditions First, Emmanuel Paquette, journaliste pour le site d'investigation économique l'Informé, l'affirme : « Xavier Niel considère qu'aujourd'hui, pour faire bouger le monde, il vaut mieux être journaliste qu'homme politique. » Une conviction qui l'a notamment poussé à fonder l'Ecole 42 en 2013.
Il s'agit d'une école orientée sur l'apprentissage du code informatique, gratuite et sans condition de diplôme. Elle compte 49 campus à travers 28 pays, en Europe, Asie, Amérique du Sud et en Afrique. L'école 42 est présente au Maroc, en Angola et à Madagascar. Le recrutement des futurs élèves du campus d'Antananarivo est en cours pour une ouverture de l'école prévue en début d'année prochaine.
Actionnaire du groupe Le Monde
Il a récemment racheté les parts du Tchèque Daniel Kretinsky pour près de 50 millions d'euros, selon le Financial Times.Des parts que le milliardaire s'est empressé de reverser au Fonds pour l'indépendance de la presse. Une manière d'investir intelligemment dans son image. Xavier Niel, c'est aussi l'homme qui a rendu internet accessible à tous les Français en forçant ses concurrents à baisser leurs prix pour se caler sur les offres de Free.
Solveig Godeluck a cosigné la biographie de Xavier Niel avec Emmanuel Paquette, elle est à présent correspondante du journal Les Échosaux États-Unis. « Il s'est forgé une image de Robin des Bois, à raison. Ensuite, il est entré dans l'establishment et aujourd'hui, il peut s'acheter des beaux costumes, des œuvres d'art et il a ses entrées à l'Élysée. »
Des débuts dans le Minitel rose et les sex-shops
Aujourd'hui, Free est le quatrième opérateur de téléphonie mobile français et le deuxième dans l'Internet via la fibre avec un chiffre d'affaires de plus de sept milliards et demi d'euros l'an dernier.
Mais Xavier Niel n'a pas commencé en 2003 avec la première Freebox. Dans les années 1980, il se lance dans le Minitel Rose et investit dans des sex-shops. Des débuts qui lui ont valu deux ans de prison avec sursis et 250 000 euros d'amende pour recel d'abus de biens sociaux. Un passé dont il n'aime pas parler, pas plus que de sa vie privée et notamment de son mariage avec Delphine Arnault, la fille du PDG de LVMH.
Après la sortie de leur livre, les journalistes Solveig Godeluck et Emmanuel Paquette ont reçu des pressions de la part de Xavier Niel. « Il était mécontent et a menacé de nous faire un procès », avoue Emmanuel Paquette. Une procédure finalement abandonnée.
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Fri, 06 Oct 2023 - 122 - Shawn Fain, président du puissant syndicat UAW
Le portrait de l’économie nous emmène aux États-Unis. Depuis deux semaines, une partie des travailleurs syndiqués de l’industrie automobile sont en grève pour des augmentations salariales et d’autres avantages contre les trois constructeurs américains : General Motors, Ford et Stellantis. À la tête du syndicat des travailleurs unis de l’automobile, l’UAW selon l’acronyme américain, il y a Shawn Fain, une personnalité au style offensif. Décryptage avec Guillaume Naudin à Washington.
C’est valable pour ses relations avec les patrons de l’industrie automobile, mais aussi au sein même de son propre syndicat. Il le dirige depuis le mois de mars dernier. Il a réussi à évincer la direction sortante, un peu à la surprise générale, même s’il est membre du syndicat depuis 30 ans et que deux de ses grands-parents étaient déjà dans le métier. Et ce que vous allez entendre, ce sont ses premiers mots à la tribune après son élection :
«Let’s get ready to rumble ! (Préparons-nous à la bagarre !) »
Les amateurs de boxe auront peut-être reconnu la formule consacrée de l’animateur de combats Michael Buffer, très connu ici. Il a même joué son propre rôle dans un film de Rocky. Voilà donc la première image que Shawn Fain, natif de Kokomo, dans l’Indiana, a voulu donner de lui. C’est dire son état d’esprit dans cette grève qui pour la première fois touche les trois constructeurs en même temps.
En effet, c’est donc un style sans concession et c’est nouveau.
Oui, les précédents dirigeants du syndicat des travailleurs de l’automobile étaient davantage dans la négociation. Mais ça, c’était avant. C’est une question de personnalité et c’est aussi une question d’opportunité et d’environnement, selon le chercheur principal des études économiques de la Brookings Institution, Harry Holzer.
« Il est plus agressif dans sa recherche d’un bon accord que ce que nous avons vu de la part d’anciens présidents. Mais est-ce que c’est lié à lui ou aux circonstances ? Les travailleurs ont abandonné beaucoup de choses pour sauver ces entreprises pendant la crise financière, il y a environ quinze ans. Et les salaires restent plus bas que ce qu’ils étaient à l’époque. Les entreprises se sont rétablies et font des bénéfices très importants. Donc, toutes ces circonstances créent un environnement dans lequel Shawn Fain peut être plus agressif et plus exigeant. Et au passage, c’est aussi peut-être qu’il y a beaucoup de grèves en ce moment aux États-Unis, beaucoup de groupes syndicaux. C’est dans l’air du temps depuis la pandémie que les syndicats soient plus agressifs, pour différentes raisons. Et peut-être que ça l’encourage aussi. »
Et, en effet, Shawn Fain n’hésite pas à tenir un discours assez inhabituel aux États-Unis.
En début de semaine, Joe Biden s’est rendu sur un piquet de grève à Detroit, pour apporter son soutien aux grévistes. C’était la première fois qu’un président faisait ça de mémoire d’historien. Il a parlé au total moins d’une minute trente. Shawn Fain, lui, a parlé plus longtemps. Pour dire que son syndicat était en guerre contre la cupidité des entreprises ; la classe des milliardaires, les élites et les PDG, sous le regard un peu circonspect du président, qui s’est bien gardé d’apporter son soutien à cette partie du discours. C’est un fait, Shawn Fain n’aime pas les milliardaires. Il refuse d’ailleurs de voir l’ancien président Donald Trump, lui-même venu courtiser le vote ouvrier à Detroit.
« Je ne vois pas l’intérêt de le rencontrer parce que je ne pense pas que ce type ait le moindre intérêt pur ce pourquoi nos travailleurs se battent et ce pourquoi la classe ouvrière se bat. Il sert la classe des milliardaires et c’est ce qui ne va pas dans ce pays. »
Et Shawn Fain est très direct avec ses interlocuteurs.
Oui, difficile de dire si c’est une technique de négociation qui consiste à demander beaucoup pour obtenir un bon résultat, mais il demande près de 40% d’augmentation sur quatre ans, ainsi que la semaine de 4 jours payés 5 jours. Il l’exige, même. C’est parce qu’il pense qu’il en a les moyens. Son syndicat a une caisse de grève estimée à plus de 800 millions de dollars. Et toute historique qu’elle soit, cette grève ne concerne pour l’instant que 18 000 syndiqués sur 150 000. Bref, Shawn Fain en a encore sous la pédale et ne se prive pas de poser des ultimatums aux constructeurs en les menaçant d’aller plus loin.
Fri, 29 Sep 2023 - 121 - Estelle Brachlianoff : la patronne de Veolia impose son minimum social
Le géant français de l'eau et de la gestion des déchets lance un socle commun de protection sociale pour ses 213 000 employés dans le monde. Une mesure à l'image de la nouvelle patronne du groupe, Estelle Brachlianoff est la directrice générale de Véolia. Portrait de la semaine d'Aujourd'hui l'éco.
Avec Catherine MacGregor chez Engie et Christel Heydemann chez Orange, Estelle Brachlianoff fait partie des trois seules femmes à diriger une entreprise du CAC 40. Avant d’être nommée directrice générale de Veolia en juillet 2022, à la veille de ses 50 ans, elle a gravi tous les échelons, coché toutes les cases.
Élevée par une mère ingénieure, petite fille d’un immigré bulgare dont elle a gardé le nom de famille, elle rêvait enfant d’être astronaute. À défaut de marcher sur la lune, elle intègre l’élite française des écoles d’ingénieurs : diplômée de Polytechnique et de l’École des ponts, elle rejoint Veolia en 2005. Après des débuts dans la branche Déchets en Île-de-France, puis au Royaume-Uni, elle dirige l’ensemble des activités britannique et irlandaise de Veolia entre 2012 et 2018, pile au moment où le Royaume-Uni choisit le Brexit. Le PDG de Veolia Antoine Frérot la nomme ensuite directrice générale des Opérations et en fait sa dauphine. Pendant quatre ans il va la préparer à prendre sa succession. « Parce que c’est la meilleure », expliquait-il simplement au journal les Echos.
Antoine Frérot a passé la main après douze années à la tête du groupe mais il ne s’est pas complètement effacé puisqu’il conserve le titre de président au moins jusqu’en 2026.
À la journaliste de Radio Classique qui lui demande si ce fonctionnement bicéphale l’inquiète, la nouvelle directrice générale répond dans un sourire en paraphrasant Montaigne : « Ça va bien se passer, parce que c’est lui et parce que c’est moi. Parce qu’on se connaît depuis longtemps et qu’on s’apprécie. » De fait, Antoine Frérot ne manque pas une occasion de rappeler qu’ils forment un duo depuis longtemps déjà et que le redressement de Veolia est aussi à mettre au crédit de son ancienne numéro 2. Après l’OPA sur Suez en 2020, quand Veolia a soudainement avalé 60 % des activités de son ancien rival et absorbé 40 000 nouveaux salariés, c’est elle qu’il a chargé de piloter le rapprochement. Un défi relevé sans casse. Pour des raisons de respect de la concurrence, « la majorité de l’intégration de Suez s’est faite hors de France », rappelle à RFI Vincent Huvelin, élu CGT chez Veolia. « Mais de façon générale, l’OPA de Veolia sur Suez s’est plutôt passée de façon correcte sur le plan social », note le représentant syndical.
« Même aux Etats-Unis, il n’y a pas de congé maternité payé »
Autre signal positif envoyé par la nouvelle patronne aux partenaires sociaux : la mise en place de Veolia Cares, un socle commun de protection sociale étendu à l’ensemble des 213 000 employés du groupe à travers le monde. « Une des premières décisions que j’ai prises en tant que directrice générale, parce que ça me tient à cœur », insistait Estelle Brachlianoff sur BFM Business. Parmi les mesures les plus fortes : dix semaines de congé maternité, une semaine de congé de coparentalité, qui s’applique à tous les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle, et une couverture santé, précise Veolia sans toutefois révéler quel budget lui sera alloué.
Veolia Cares prévoit aussi un accompagnement pour les salariés qui doivent prendre en charge un proche malade. Des droits « qui paraissent évident quand on est en France, on se dit que ça change quand on pense aux pays du Sud mais même aux Etats-Unis, il n’y a pas de congé maternité payé », soulignait Estelle Brachlianoff au moment de l’annoncer en mars dernier. Plus anecdotique, les salariés auront droit à une journée de congé par an à consacrer à une œuvre caritative ou à la protection de l’environnement.
Contacté, Veolia assure que ces nouveaux droits s’appliquent depuis le 1ᵉʳ septembre 2023. D’après nos informations le déploiement serait plus lent par endroit et le détail encore en train d’être présenté aux salariés dans certains pays. Reste que la mesure est saluée par les syndicats : « Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas ici et là des sujets de désaccord, mais sur celui-ci, il n’y a pas de débat », tranche Florencio Martin élu CFDT à Veolia qui y voit « une vraie volonté » de la part de la direction de Veolia que les salariés soient réellement parties prenantes de l’entreprise. « Rien que la couverture santé, c’est extrêmement important », renchérit Hervé Deroubaix, ancien représentant syndical Veolia Eau et désormais secrétaire général de la CFDT syndicat national des personnels de l'eau et de l'assainissement (SNPEA). « Même aujourd’hui en France, certains salariés ne voient jamais de médecin traitant. Le seul médecin qu’ils voient c’est via la médecine du travail. L’accès à une couverture santé, c’est la garantie d’un accès rapide aux soins. Et ce n’est pas un gros mot que de le dire : un salarié en bonne santé c’est aussi une meilleure productivité ».
Une personnalité « à l’écoute » mais parfois rigide
Chez Veolia, moins de 20 % des « ressourceurs » (les salariés dans le langage corporate de l’entreprise) sont cadres. Les 80 % restant inspectent les canalisations, trient les déchets, assurent la maintenance... Ils appartiennent à la masse des premiers de corvée dont il fut tant question aux débuts de la pandémie. C’est d’ailleurs la période des confinements qui a brutalement mis en lumière les disparités entre les salariés du groupe à travers le monde, souligne Vincent Huvelin. Le syndicaliste y voit l’origine probable de Veolia Cares. Avec cette mesure Estelle Brachlianoff s'inscrit dans une longue tradition du capitalisme social à la française. Veolia assume d’appartenir à ces multinationales tellement grandes et puissantes qu'elles en viennent à remplir, même a minima, le rôle des Etats et des gouvernements.
Chez Estelle Brachlianoff, les représentants syndicaux de Veolia avec qui RFI a pu échanger saluent une personnalité « à l’écoute » et « pas langue de bois » « Elle se situe dans la droite ligne d’Antoine Frérot », estime Vincent Huvelin. « On n’est pas dans le bras de fer, il y a de l’échange, de la communication. On n’est pas toujours d’accord mais au moins, il y a de l’écoute. » « On le voit aussi dans l’actionnariat salarié », précise-t-il. Et c’est vrai que l’opération d’actionnariat salarié lancée l’an dernier est un succès. 75 000 salariés y ont souscrit. Tous ensemble ils détiennent un peu plus de 6 % du capital, ce qui de manière très symbolique permet à Estelle Brachlianoff de dire qu’ils sont «le premier actionnaire de Veolia ». En pleine inflation, des tensions existent néanmoins, sur la question des salaires notamment.
Travailleurs sans-papiers
Les partenaires sociaux soulignent également qu’aussi généreuses soient-elles, les mesures sociales du programmes Veolia Cares ont été prises de manière unilatérale et sans consultation. Estelle Brachlianoff est née à Neuilly-sur-Seine, ville cossue de l’Ouest parisien dont elle a gardé une façade bourgeoise et distinguée, parfois rigide. Elle ambitionne de faire de Veolia le numéro 1 de la transition écologique dans le monde. Elle évoque volontiers ses deux adolescents qui la rappellent régulièrement à ses devoirs générationnels. Pour y arriver il va falloir faire mieux sur la question de la réutilisation des eaux usées, sur les déperditions d’eau considérables dans les canalisations vieillissantes du monde entier. Veolia a aussi été mis en cause par des défenseurs de l'environnement en Colombie pour sa gestion d'une décharge, ce que l’entreprise conteste. Plus récemment en France le groupe a été accusé d'employer via un sous-traitant des travailleurs sans-papiers. Le groupe assure avoir pris des dispositions et cessé toute collaboration avec le prestataire mis en cause, Veolia promet d’examiner chaque cas de manière individuelle mais se refuse à toute mesure collective.
Fri, 22 Sep 2023 - 120 - Terry Gou, homme d'affaires taïwanais, candidat à la présidentielle de 2024
Le portrait éco de ce vendredi 1er septembre nous emmène à Taïwan, l'île démocratique où le richissime homme d'affaires Terry Gou, ancien PDG du géant industriel Foxconn, a annoncé en début de semaine son intention de se présenter à la présidentielle de 2024.
Terry Gou est le fondateur et l'ex-PDG du géant industriel Foxconn. Il a fait fortune en Chine et il rappelle aux observateurs un certain président américain... « J’ai décidé de me porter candidat à l’élection présidentielle 2024 », a-t-il annoncé.
Difficile, en voyant Terry Gou au moment de faire sa déclaration de candidature, de ne pas penser à Donald Trump, et pas seulement parce qu'il arrive coiffé d'une casquette. Il a 72 ans, deux ans de plus que l'ancien président américain quand il a été élu à la Maison Blanche, et lui aussi se verrait bien bousculer le système politique de son pays.
Ja-Ian Chong est professeur associé en sciences politiques à l'université nationale de Singapour :
« Il y a des similitudes : comme Trump, c’est un homme d’affaires qui a réussi, il n’a pas vraiment d’expérience politique, il fait campagne et il se vend en disant qu’il est riche parce qu’il sait diriger une entreprise et que s’il sait diriger une entreprise, il saura gouverner un pays », explique Ja-Ian Chong, professeur associé en sciences politiques à l'université nationale de Singapour.
Justement, sa fortune, parlons-en...
Elle est évaluée à plus de 7 milliards de dollars. Il la doit largement à Foxconn, l'entreprise qu'il a fondée, spécialisée dans la fabrication industrielle de matériel électronique. Ses clients s'appellent Apple, Blackberry, Nokia, Amazon... Foxconn est l’une des 20 entreprises les plus profitables au monde. C'est une multinationale qui a la particularité d'être basée à Taïwan et d'avoir parmi ses clients de grandes multinationales américaines, mais l'essentiel de ses usines en Chine.
C'est un atout ?
Terry Gou le pense. À propos de la casquette qu'il portait au moment de se déclarer candidat : dessus, il y avait le drapeau de Taïwan, accompagné des trois lettres R.O.C. pour Republic of China (République de Chine). C'est le nom officiel de Taïwan, mais c'est surtout un signal envoyé à Pékin : lui ne cherchera pas à bousculer le statu quo. Alors que la Chine menace régulièrement d'envahir Taïwan, Terry Gou est partisan d'un rapprochement avec Pékin et accuse le DPP, le parti nationaliste au pouvoir, d'avoir provoqué les tensions actuelles en se rapprochant de Washington.
« Face à la détérioration des relations de part et d’autre du Détroit de Taïwan, et des relations entre la Chine et les Etats-Unis, Taïwan ne doit pas devenir une nouvelle Ukraine, et je ne laisserai pas Taïwan devenir une nouvelle Ukraine ! », a-t-il clamé.
Comment est-ce qu'il entend s'y prendre ?
Terry Gou compte sur les bonnes relations qu'il entretient avec les autorités chinoises issues de son expérience à la tête de Foxconn.
« Il a pu ouvrir des usines de plusieurs milliers d’ouvriers un peu partout en Chine, ça prouve qu’il a réussi à établir une relation de confiance avec les autorités chinoises, au moins au niveau local. Mais attention, on voit que la Chine aujourd’hui n’hésite plus à s’en prendre aux entreprises, y compris les entreprises de la tech, y compris les entreprises étrangères. Donc la question, c’est de savoir si ces connexions qu’il a établies dans le passé peuvent encore lui servir aujourd’hui », reprend Ja-Ian Chong.
Reste que si son principal argument est de gouverner Taïwan comme il a dirigé Foxconn, il y a de quoi s’inquiéter, selon Ja-Ian Chong : « Son succès en Chine, il le doit à ses énormes usines associées à des suicides d’ouvriers du fait des mauvaises conditions de travail. Il y a eu des mouvements de protestation et Terry Gou a reçu l’aide du gouvernement chinois pour les réprimer. Donc s’il veut diriger Taïwan comme il a dirigé ces usines, les électeurs vont peut-être y réfléchir à deux fois. »
Et puis, Terry Gou n’est pas le seul candidat d’opposition...
Non, il est persuadé de pouvoir convaincre ses adversaires de ranger derrière lui. Mais pour l’instant, dans les sondages des quatre candidats déclarés, il est bon dernier.
Fri, 01 Sep 2023 - 119 - Procès du siècle: Clotilde Bato, fervente défenseuse de la cause paysanne et du climat
En plus de présider l’association «Notre Affaire à Tous», à l’origine du «procès du siècle» remporté contre l’État français pour inaction climatique, Clotilde Bato dirige l’ONG SOL et le collectif Nourrir qui s’engagent à refonder le système agricole. Cette militante éco-féministe, défenseuse de la cause paysanne, multiplie les actions en France et à l’international pour tenter de faire bouger les lignes d’un système à bout de souffle.
Fri, 28 Jul 2023 - 118 - Daniel Kretínsky, le milliardaire tchèque qui vise Casino
Le milliardaire français Marc Ladreit de Lacharrière a fait alliance avec un autre milliardaire, le Tchèque Daniel Kretínsky et ils sont en passe de racheter le Groupe Casino. Cet homme de 48 ans, discret francophile, est à la tête d'une fortune estimée à 9,4 milliards de dollars. Un empire fondé sur l'énergie, la presse, l'industrie culturelle et la grande distribution. Retour sur les multiples acquisitions de l'homme d'affaires, à travers les yeux de celles et ceux qui travaillent pour lui.
Il a mis ses premiers œufs dans le panier du transport de gaz russe il y a plusieurs années. Aujourd'hui, Daniel Kretínsky possède le cinquième énergéticien d'Europe : EPH. Sa filiale française s'appelle GazelEnergie. Six parcs éoliens, deux centrales solaires – deux au gaz et deux à charbon – qu'il rachète en 2019 à l'Allemand Uniper, en perte de vitesse. À sa tête, il y place Jean-Michel Mazalerat, une vieille connaissance rencontrée en République tchèque il y a 20 ans.
« C'était un jeune juriste qui avait assez tôt identifié que certaines choses allaient bouger dans l'énergie. Il y avait donc des actifs qui étaient vendus à la casse. C'est quelqu'un qui avait un bel avenir. Il fait partie de ces gens qui ont vécu le communisme des années 60, 70 et 80. Pour eux, la France c'était l'exemple d'un pays libre, moderne et européen. Ça les a fait rêver et pour beaucoup, ils en sont tombés amoureux. »
Un investissement sur un marché risqué
Son arrivée sur le marché français a de quoi poser question. Le gouvernement vient en effet de confirmer l'arrêt progressif des centrales à charbon d'ici à 2022. Jean-Pierre Damm, délégué syndical Force ouvrière, travaille sur le site de la centrale de Saint-Avold depuis 50 ans. L'arrivée du milliardaire tchèque est une surprise.
« Nous savions en France, et en Europe – et donc Daniel Kretínskydevait le savoir – que les centrales à charbon n'avaient plus d'avenir. Mais quand un patron achète quelque chose, quand il investit, c'est qu'il sait qu'il va gagner de l'argent. »
Guerre en Ukraine ou retard dans le calendrier de transformation des usines ? Cette centrale de l'est de la France est relancée en 2022 pour satisfaire les besoins en électricité du pays. Une aubaine pour le nouvel actionnaire majoritaire, qu'il n'a pas manqué de redistribuer, reconnait Jean-Pierre : «Aujourd'hui, les salariés ont des primes qui sont assez conséquentes. Daniel Kretínskygagne beaucoup d'argent, certes, mais je reconnais qu'il a partagé le bénéfice comme jamais quelqu'un ne l'a partagé sur le site».
Le salarié attend toutefois qu'il mette ses projets à l'œuvre, car l'avenir du site est toujours aussi incertain.
Un empire médiatique eurocentré
Daniel Kretínsky est aussi à la tête d'un empire médiatique qui grossit. À travers le groupe Czech Media Invest (CMI), il rachète plusieurs titres de presse français comme Elle, Télé 7 jours, ou encore Marianne. C'est d'ailleurs dans cet hebdomadaire d'actualité qu'il commet son premier faux-pas. En 2022, en pleine élection présidentielle française, il est accusé d'ingérence par les rédacteurs. Il serait « intervenu directement» pour modifier la Une du magazine, afin d'édulcorer un titre jugé trop sévère envers Emmanuel Macron.
En 2018, il s'offre aussi des parts du journal Le Monde, premier quotidien national en termes de tirage. Son entrée au capital pose questions. Sur le plateau de Canal+ l'année suivante, il explique que son investissement est une démarche citoyenne :
« Je suis tout simplement que la presse est absolument fondamentale aujourd'hui pour protéger les grandes valeurs de notre société, pour protéger la démocratie libérale en Europe. »
L'industrie culturelle dans sa ligne de mire
On le retrouve également au capital de la Fnac dont il détient un quart des actions. Sa présence chez le premier vendeur de livres en France pourrait poser problèmes à l'avenir. Daniel Křetínský a signé plus tôt dans l'année un accord avec Vivendi pour lui racheter Editis (deuxième groupe d'éditions en France avec une cinquantaine de maisons). Vicent Bolloré doit impérativement s'en séparer puisqu'il convoite Hachette, le premier groupe d'édition du pays. La Commission européenne le lui a imposé pour éviter le monopole de ces gros acteurs du marché. Du côté de Kretínsky, Bruxelles pourrait au même titre lui demander de renoncer à Editis pour éviter une hyperconcentration et des échanges d'informations entre distributeurs et éditeurs.
Un acquéreur solide pour Casino
Son dossier du moment est surtout le rachat du groupe Casino dans lequel on retrouve les magasins Monoprix, Franprix, ou encore la plateforme Cdiscount. Avec son associé Marc Ladreit de Lacharrière, autre milliardaire mais français, ils sont les derniers en lice. À eux seuls, ils détenaient déjà 12% des actifs du groupe. Pour en obtenir 100%, ils proposent d'injecter 1,1 milliard d'euros pour relancer les enseignes, en sécurisant les emplois et en développant de nouveaux magasins. Alida Melizi, déléguée syndicale Force Ouvrière, accueille la proposition de manière favorable.
« De notre côté, il nous parait solide, car il en a la capacité financière. On a eu des échanges avec des collaborateurs proches de Daniel Kretinsky et ils nous ont assuré qu'il y aurait des investissements sur des embauches, sur de la rénovation. En tout cas, on est face à quelqu'un qui tient à avoir Casino et qui fait les démarches nécessaires dans ce sens-là. »
Un amoureux du ballon rond
Grand amateur de football, la galaxie Kretínsky compte aussi le club le plus titré de République tchèque, l'AC Sparta Prague, qu'il acquiert en 2004. Depuis, il s'est aussi offert une part du club anglais West Ham. Selon le journal L'Équipe, une clause lui permettrait même de prendre le contrôle du club à moyen-terme. Son nom a également circulé plus tôt dans l'année au sujet d'une éventuelle reprise de l'ASSE, le club de Saint-Étienne, en difficulté financière. Une rumeur fondée principalement sur une coïncidence : le partenaire historique des Verts n'est autre que Casino.
Fri, 21 Jul 2023 - 117 - Les Aponte, la discrète famille à la tête de l'empire MSC
Le conseil de l'Organisation maritime mondiale (OMI) est réuni en ce moment pour sa 129e session, au cours de laquelle elle a révisé les objectifs de décarbonation du secteur. L'occasion pour RFI de vous proposer, non pas un portrait, mais une photo de famille : celle des Aponte, propriétaires de MSC, devenue, l'an dernier, numéro un mondial du transport maritime.
Toujours à la barre du paquebot familial : Gianluigi Aponte, qui a le pied marin depuis le début. Un diplôme de l'Académie maritime italienne en poche, cet Italien originaire de Sorrente, au sud de Naples, commence « comme capitaine sur un petit bateau de tourisme que vous auriez pu croiser en allant en vacances dans le golfe de Naples », raconte Sylvain Besson, journaliste dans la cellule investigation de Tamedia et auteur d'une enquête sur la famille Aponte. « Sa famille était active dans ce domaine. »
La légende veut que ce soit sur l'une des navettes pour Capri qu'il rencontre sa femme, Rafaela Diamant, fille d'un banquier basé en Suisse. Banquier, il le deviendra aussi pour quelques années avant que l'appel de la mer ne se fasse entendre à nouveau. Gianluigi Aponte et sa femme achètent alors un premier navire. L'aventure commence. Le succès est au rendez-vous. « Gianluigi Aponte a cette particularité d'être un excellent commerçant,souligne Yann Allix, délégué général de la fondation Séfacil. Il va développer des services en utilisant souvent au départ des navires de seconde main. Il va toujours être très compétitif. »
Il opère ensuite la mue vers les porte-conteneurs et MSC croît peu à peu jusqu'à revendiquer une flotte de 760 bateaux, sans oublier les paquebots. Une ascension que Gianluigi Aponte « construit en dehors des circuits financiers traditionnels, résume Yann Allix. C'est une entreprise qui revendique son indépendance, qui grandit par croissance uniquement endogène, et qui ne va pas sur les marchés pour lever des capitaux. »
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Organigramme familial
Une entreprise familiale donc. Rafaela, la femme de Gianluigi Aponte, est chargée de la décoration des paquebots ; Diego, leur fils, a été nommé PDG de MSC Mediterranean Shipping Company SA ; Alexa, leur fille, est directrice financière. Gendre et belle-fille sont également de la partie.
« Selon la réputation de MSC, Gianluigi décide dans une structure très pyramidale, il connaît à peu près toutes ses lignes, tous ses navires, explique encore le délégué général de la fondation Séfacil. L'héritage de Gianluigi, c'est que Diego reproduit un peu cette manière de prendre des décisions. Cela a un énorme avantage : c'est une entreprise qui peut prendre des décisions très rapides. »
Et si Diego Aponte est devenu PDG de MSC Mediterranean Shipping Company SA en 2014, « le père de famille n'a pas levé le pied. C'est en tout cas le message officiel », assure Sylvain Besson, avant de poursuivre : « Il n'a pas lâché la bride à ses enfants, c'est toujours lui qui est à la manœuvre. »
Le goût de la discrétion
Et comme MSC n'est pas cotée en bourse, les affaires de famille restent en famille. L'entreprise ne publie pas ses résultats.
Selon une estimation diffusée dans le média suisse Le Matin dimanche, la compagnie basée à Genève pèserait dans les 100 milliards de dollars. Forbes classe Gianluigi Aponte au 47e rang des personnes les plus riches du monde avec une fortune estimée à 31 milliards de dollars. Sa femme, Rafaela Aponte, qui détient la moitié de l'entreprise, est même dans le top 10 des femmes les plus riches du monde. Des estimations donc. « Ce que l'on sait, en revanche, c'est que ce n’est pas une famille qui dépense de manière exubérante son argent, commente Sylvain Besson. Certes, ils ont quelques belles choses. Gianluigi Aponte a un yacht mais il ne dépense pas de manière démonstrative. »
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Les Aponte goûtent la discrétion et pas seulement sur les questions de finances. Leurs interventions médiatiques restent rares. Discrets, mais présents un peu partout. Dans pas moins de 155 pays. Entre autres en Afrique. La première ligne créée par le couple Aponte dans les années 1970, c'était d’ailleurs Anvers-Mogadiscio. Le début de l'histoire africaine de leur empire.
Et puis, « MSC est revenu peut-être encore plus fort en Afrique il y a un peu plus d'une décennie, avec une stratégie très particulière,analyse Yann Allix.Ils ont fait de Lomé, au Togo, un hub, c'est-à-dire une zone d'éclatement de marchandises sur toute l'Afrique de l'Ouest, sur toute l'Afrique du Centre. Ils ont développé des services avec l'Asie vers l'Afrique, des services directs avec des temps de transit beaucoup plus courts et avec des navires beaucoup plus gros ».
Rachat d'actifs de Bolloré en Afrique
Le point d'orgue, c'est le rachat, finalisé en décembre dernier, de Bolloré Africa Logistics. Bien que la croissance de MSC ait longtemps été organique, « ce n'est pas un changement de stratégie, estime Sylvain Besson.C'est plutôt un changement d'échelle au sens où maintenant ils ont les moyens de réaliser des acquisitions énormes ».
Les emplettes de la famille Aponte ces dernières années, ne se limitent pas à Bolloré Africa Logistics. Au bénéfice de la hausse des prix du fret liée à la pandémie de Covid-19, MSC a agrandi sa flotte.
La famille Aponte a aussi des liens en France et ils font des remous. Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Élysée, est un cousin éloigné de Rafaela Aponte. Il est soupçonné d'avoir participé en tant que haut fonctionnaire entre 2009 et 2016 à plusieurs décisions relatives à MSC. Le bras droit d'Emmanuel Macron a été mis en examen pour prise illégale d'intérêt.
Fri, 14 Jul 2023 - 116 - Félix Lengyel, alias xQc, la star du livestream au cœur de la guerre entre Twitch et Kick
Il vient de signer le contrat le plus juteux de l’histoire du divertissement en ligne. Portrait du streamer canadien Félix Lengyel, alias xQc. Véritable star de la plateforme de streaming Twitch, le vidéaste anglophone vient de s’engager avec le concurrent Kick. Un nouveau service de streaming qui veut, coûte que coûte, faire de l’ombre à Twitch, le leader du marché.
Cent millions de dollars. C’est ce qu’a déboursé Kick pour s’offrir durant deux ans les services de Félix Lengyel, alias xQc, x pour Félix et QC pour Québec d’où il est originaire. C’est aujourd'hui l’un des streamers les plus populaires au monde, ce qui justifie amplement ce contrat hors-norme, selon son agent Ryan Morrison.
« Je pense qu’il vaut bien plus que ça. Plus de gens regardent Félix que n'importe quel athlète ou star que vous pouvez imaginer. Le contrat de Félix est bien plus important que celui de Lionel Messi à Miami ou celui de Lebron James. Et il vaut chaque centime, car si vous demandez au hasard à une personne de moins de 25 ans qui est son artiste préféré, il y a de fortes chances qu'elle vous réponde xQc. Il n'y a littéralement personne qui mérite un plus grand investissement dans le monde du divertissement en ce moment. »
xQc, qui cumule aujourd’hui plus de 12 millions d’abonnés sur Twitch et plus de 20 000 heures de stream, diffuse donc désormais des live sur son compte Kick, où il compte plus de 426 000 abonnés.
Une communauté fidèle
L’histoire de xQc commence en 2015. Félix Lengyel n’a alors que 19 ans quand il décide d’arrêter ses études pour lancer sa chaîne Twitch. Il se filme alors en train de jouer à des jeux vidéo, notamment à Overwatch, un jeu de tir à la première personne. C’est avec ce titre qu’il intègre le monde professionnel et qu’il devient l’un des meilleurs joueurs du monde, notamment lors de la Coupe du monde 2017.
S'ensuit une explosion de son audience et des scandales, après des propos homophobes et racistes, qui le poussent à se retirer de la scène professionnelle. Il se consacre alors entièrement au streaming et devient vite la superstar de Twitch.
Avec du jeu vidéo, des réactions poussées à l'extrême et des formats innovants, xQc a trouvé la recette du succès avec un ingrédient magique : une personnalité exubérante.
« Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme Félix. Vous savez, c'est un artiste. Il montre donc forcément du caractère dans ses streams. Il est très excité et très démonstratif. Mais en dehors des streams, c’est quelqu’un qui est passionné et très divertissant. Je pense vraiment que la personnalité de Félix est l'une des principales raisons de sa popularité », confie son agent et ami Ryan Morrison.
Le symbole d’une nouvelle rivalité dans l’industrie
Avec ce contrat de 100 millions de dollars, Félix Lengyel est devenu le symbole de la rivalité entre le géant Twitch, propriété d’Amazon, et le petit nouveau Kick, lancé par un milliardaire australien qui a fait fortune dans les casinos en ligne.
Pour concurrencer Twitch, Kick n’hésite pas à se payer au prix d’or des vedettes comme xQc, l’objectif étant de ramener des spectateurs sur sa plateforme. Une stratégie non sans risques. « Ce qu’achète Kick en réalité, ce n’est pas xQc, c’est sa communauté. Dans une étude sociologique, on a montré qu’une grande partie du public s’implique dans les communautés des streamers non seulement pour accéder aux streamers, mais aussi pour accéder aux autres viewers (spectateurs) qui forment une communauté. Donc à partir du moment où il y a une chute de viewers lors du passage sur Kick, cela crée un effet boule de neige puisque c’est d’autant moins attractif vu qu’il y a moins de monde. C’est ce qui rend difficile le transfert d’une communauté d’une plateforme à une autre », explique Nathan Ferret, doctorant en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS),spécialiste des plateformes de streaming.
Au-delà de faire venir des stars, Kick mise aussi sur une meilleure rémunération des streamers et sur une modération presque inexistante. Une stratégie audacieuse avec un modèle économique qui paraît difficilement tenable à long terme. Plusieurs acteurs avaient déjà tenté la même chose, comme Microsoft avec Mixer. La plateforme avait tenu quatre ans, avant de mettre la clef sous la porte. Mais Ryan Morrison, l’agent de xQc, reste confiant : « cette nouvelle plateforme est incomparable avec Mixer. Kick a de l’avenir », assure-t-il.
Fri, 07 Jul 2023 - 115 - Quandela: lancement de la première usine d'ordinateurs quantiques de l'Union européenne
C'est l'histoire d'une start-up, Quandela, qui a ouvert la semaine dernière la première usine d'ordinateurs quantiques de l'Union européenne. Les ordinateurs quantiques, ce sont ces outils capables de réaliser des calculs très rapidement. Derrière ce projet, une histoire inédite. Il y a une professeure et ses deux élèves. Un portrait éco réalisé par Arthur Poncelet.
Oui, ils sont trois : Valérian Gièse, Niccolo Somasski et Pascale Senellart. Dix ans que ces ingénieurs travaillent ensemble. C'est à l'univsersité Paris-Saclay qu'ils se sont rencontrés. Pascale Senellart, directrice de recherche au centre de nanotechnologies du CNRS était aussi la directrice de thèse des deux hommes.
Ensemble, ils manipulent des photons, des particules de lumière qui permettent de réaliser des calculs très rapidement. Pascale Senellart travaillait déjà sur le sujet, mais l'arrivée de ces deux nouveaux étudiants a tout changé.
Nous sommes alors en 2017. Ensemble, ils fondent la start-up Quandela
Objectif : développer un ordinateur quantique, comprenez : un outil capable de faire des opérations extrêmement rapidement. Une révolution dans le monde de l'informatique, puisque l'ordinateur de Quandela fait la taille d'un réfrigérateur.
Niccolo Somasski, surnommé « magic finger » pour son habileté technologique, devient directeur technique de la start-up. Pascale Senellart, elle, est en charge de la stratégie.
Et puis, il y a Valérian Gièse, 34 ans, le PDG de cette petite entreprise. Ingénieur de formation, il prend la tête de Quandela pour ses capacités relationnelles.Rejoindre cette aventure, c'était une évidence pour Valérian Gièse.
Depuis 2017, cette start-up n'a cessé de se développer. Au point d'attirer l'attention de grands groupes industriels...
Thalès, l'ONERA, OVH... Au total, Quandela compte près de 300 clients. Parmi eux, il y a par exemple EDF : grâce à Quandela, ils ont développé des algorithmes pour mieux étudier le comportement des barrages hydroélectriques. Objectif : anticiper les opérations de maintenance.
Mais tout ce développement a un coût. Si bien que Quandela et ses équipes ont réussi à lever 15 millions d'euros depuis sa création...
Des financements publics, notamment de la Banque publique d'investissements française. Mais aussi des fonds privés. Comme Omnes capital, qui a investi plusieurs millions d'euros dans la start-up. Fabien Collangettes a été immédiatement séduit par le trio.
Mais ces investissements ne sont rien comparés aux centaines de millions de dollars dépensés par les concurrents de Quandela. Pourtant, la petite start-up parvient à être très compétitive. Preuve que sa technologie est efficace et que fonder une start-up avec sa professeure n'est pas une si mauvaise idée que ça.
Fri, 30 Jun 2023 - 114 - Hyacinthe Niyitegeka, une «force tranquille» pour le climat
Hyacinthe Niyitegeka, négociatrice climat rwandaise de 30 ans, est investie dans la coalition des « pertes et dommages ». Un sujet au menu du sommet pour un nouveau pacte financier entre Nord et Sud qui se tient ces 22 et 23 juin à Paris. Portrait d'une jeune femme déterminée, à la fois scientifique et activiste pour le climat.
Elle n'est pas au sommet mais depuis Kigali, elle scrute la moindre prise de paroles tant les enjeux sont importants.Hyacinthe Niyitegeka est engagée pour l'Afrique, pour le Rwanda où elle nait il y a trente ans dans une zone rurale, dans l'est du pays. C'est au lycée, qu'elle prend conscience des enjeux environnementaux et qu'elle forge ses convictions : « Un jour, il y a eu une conférence qui parlait des ravages de la désertification, se souvient-elle. Je viens d'une région très sèche où la population dépend de l'agriculture. Quand il ne pleut pas, cela veut dire qu'on va souffrir et donc que ma famille va souffrir. À ce moment-là, je suis devenue très inquiète. "Que va-t-il se passer quand nous n'aurons plus d'eau ? Allons-nous partir ailleurs ? Notre pays est si petit". Je me posais beaucoup de questions alors j'ai décidé de m'intéresser davantage à ce problème. »
Engagée pour un fonds « pertes et dommages »
Hyacinthe Niyitegeka étudie la gestion de l'eau à l'université d'Addis-Abeba, puis la sécurité alimentaire aux Pays-Bas. Elle est souvent en déplacement, mais connectée en permanence à son continent puisqu’elle est aujourd'hui en première ligne dans les discussions sur les Pertes et Dommages. Objectif : la création d'un fonds pour soutenir les populations qui subissent les pires impacts du changement climatique. Pour le nourrir, une somme minimale de 400 milliards de dollars par an a été préconisée. Les pays développés y contribueraient et il y aurait aussi d'autres financements émanant de taxes qui restent à créer.
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Les propositions concrètes ne font pas l'unanimité, les décisions tardent. Alors HyacintheNiyitegekanégocie : « Dans les négociations, je représente mon pays à 100%. J'attends toujours, et c'est le cas pour ce sommet de Paris, que les participants comprennent mieux la réalité des pertes et dommage. La situation empire, les populations sont de plus en plus affectées et la réponse aux impacts du changement climatique est trop lente, c'est ça la réalité. »
Une conciliatrice hors pair
Des négociations rudes, semées d'embuches, comme ce fût le cas la semaine dernière à Bonn en Allemagne lors des discussions pré-COP28. Elle doit batailler, et faire s'entendre des gouvernements, des ONG, des chercheurs. « Hyacinthe, pour moi, c’est la force tranquille, témoigne Fanny Petitbon, responsable plaidoyer pour l'ONG Care-France, proche de Hyacinthe Niyitegeka. Elle n’a pas un rôle facile mais elle essaye de nous aider à maintenir le cap vers toujours plus d'ambition. Malheureusement, les pays riches font tout pour essayer notamment de diviser les pays du Sud et les pays émergents qui peuvent avoir des intérêts divergents, notamment sur les sujets de financement climat et au contraire, Hyacinthe nous aide à concentrer notre plaidoyer, à être le plus impactant possible. »
Nouvelle réunion à Bangkok
Au sein de la coordination des Pertes et Dommages, Mamadou Sylla est plus qu'un collègue. C'est un ami, ébahi devant la capacité de travail de la négociatrice rwandaise : « Elle est très sérieuse et rigoureuse dans le travail. Diriger un groupe de plus d'une centaine de jeunes qui viennent des quatre coins du monde, qui ont différents tempéraments, avec des qualités mais aussi des défauts. Ça n’est pas donné à tout le monde et elle, elle le réussit très bien. »
Organiser la société civile et la stratégie de la lutte pour les pertes et dommages, c’est un travail long, fastidieux. Elle le poursuivra en juillet à Bangkok lors de la nouvelle réunion sur le financement du fonds « pertes et dommages » pour élaborer des recommandations qui seront examinées et adoptées par la COP28.
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Fri, 23 Jun 2023 - 113 - Marylise Léon, une coureuse de fond à la tête de la CFDT
À 46 ans, elle s’apprête, le 21 juin, à prendre la tête du premier syndicat de France. En tant que secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon succèdera à Laurent Berger qui passe la main après plus de dix ans en première ligne. Le choix de la continuité.
Son arrivée à la tête de la CFDT n’est pas une surprise : elle était la numéro deux de Laurent Berger depuis le congrès de Rennes en 2018. À l’époque, elle est élue par les adhérents avec 97,97% des suffrages. C'est à peine moins que les 99% qu’elle avait obtenu quatre ans plus tôt lorsque, à 37 ans, elle était devenue secrétaire nationale en charge des questions industrielles. Elle est alors la mieux élue des dix membres de l’instance dirigeante de la CFDT.
Marylise Léon connaît bien l’industrie. Elle est titulaire d’un DESS « Qualité chimique et biologique des atmosphères », l’équivalent d’un master. Après ses études, elle rejoint un cabinet de conseil où elle travaille sur les questions de sécurité environnementale en entreprise. Une période au tout début des années 2000, marquée par l’explosion accidentelle de l’usine AZF de Toulouse, le 21 septembre 2001. L’événement met au cœur des débats la question de la sécurité, notamment environnementale, des sites industriels. Deux ans plus tard, consciente de ses lacunes, la fédération chimie-énergie de la CFDT lui demande de former les militants sur ces questions.
Sensibilisée très tôt aux questions d’environnement
Un parcours qui la sensibilise aux questions d’environnement et de transition climatique quand celles-ci n’étaient pas encore à la mode. « Si on veut changer l’économie, la mettre au service de l’écologie et de la lutte contre les injustices sociales, ça ne peut pas être "fromage ou dessert", expliquait-elle en 2020. Ce qui veut dire qu’on va être confronté à des dilemmes : lorsque vous avez des secteurs entiers carbonés qui doivent aller vers une transition écologique, il va y avoir des enjeux en termes d’emploi et de travail. » La solution, veut-elle croire, c’est « la qualité du dialogue social » pour « associer les gens aux décisions qui les concernent ». Sa philosophie. En 2015, en amont de la COP21, la conférence de l’ONU sur le climat qui se déroule à Paris, elle publie même un article académique détaillant une « approche syndicale du Développement durable ».
Marylise Léon prendra la tête du premier syndicat de France le jour du solstice d’été. Comme le symbole d’une page qui se tourne après un hiver et un printemps social bouillants. Une période que Laurent Berger a résumée d’une formule quasi oxymorique : « Une défaite productive. » D’un côté, les syndicats sortent vaincus : la réforme des retraites est passée, sans vote à l’Assemblée nationale, dans la douleur, mais elle a été adoptée et à partir de septembre, elle va s’appliquer. De l’autre, cela fait longtemps que les syndicats n’avaient pas été aussi populaires, ils engrangent à nouveau des adhésions et surtout, ils ont réussi à bâtir une intersyndicale solide. Et c’est en partie grâce au travail de Marylise Léon.
Construire l’intersyndicale sans coup fourré
« Marylise a été en responsabilité pour conduire l’intersyndicale contre la réforme des retraites pour la CFDT et moi, j'avais ce rôle pour la CGT », explique Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT. Toutes les deux se connaissent donc très bien. « Nous avons des relations de confiance, très amicales. Elle avait la détermination de construire l’intersyndicale de manière franche et sans coup fourré. » Même son de cloche chez Benoît Teste, secrétaire général de laFédération syndicale unitaire (FSU) : « On connaît très bien Marylise, elle a fait la preuve d’une grande ouverture d’esprit. C’est quelqu’un qui est prêt à discuter autant que Laurent Berger. Je ne doute pas qu’on aura avec elle la même capacité à travailler sur ce qui nous unit. »
L’échec de la mobilisation à faire reculer le gouvernement va-t-il créer des brèches dans l’intersyndicale ? On a pu entendre, notamment dans les manifestations ou au sein des fédérations, certains et certaines regretter que l’intersyndicale n’ait pas fait le choix de durcir le mouvement. Début mars, quand les responsables syndicaux appellent à « mettre la France à l’arrêt », Marylise Léon temporisait aussitôt : « L’idée n’est pas de bloquer la France mais de bloquer cette réforme. » Les mauvaises langues en ont déduit que c’est la CFDT qui freinait des quatre fers.
Critique balayée par Catherine Perret : « Il n’y avait pas de divergence majeure sur la stratégie des luttes, assure-t-elle aujourd’hui. Le 7 mars, l’ensemble des 13 organisations, toute l’intersyndicale a appelé à la grève. De mémoire de syndicaliste, ce n’était jamais arrivé. Mais force est de constater qu’on n’a pas réussi à mettre le pays à l’arrêt. » Dans ces conditions, impossible selon elle de « passer un cap supplémentaire ». L’arrivée de Marylise Léon à la tête de la CFDT, tous ceux à qui nous avons parlé en sont convaincus, est au contraire le gage de la continuité, y compris dans le dialogue intersyndical.
Une succession préparée de longue date
Laurent Berger la prépare à sa succession depuis longtemps. C’est en tout cas l’impression qu’a eu François Rebsamen. En 2014, il était le ministre du Travail de François Hollande. À ce titre, l’ex-socialiste a souvent rencontré les syndicats, notamment pour les négociations sur la rénovation du dialogue social entre le Medef et les représentants des salariés. Il se souvient que Marylise Léon accompagnait presque toujours Laurent Berger, et il a eu l’impression d’assister à un début de transmission. « C’est une femme précise dans ses propositions, sincère et qui cherche toujours des solutions », se souvient l’actuel maire de Dijon.
« Malheureusement à l’époque, je ne veux pas dire du mal, mais on avait un responsable du patronat, Pierre Gattaz, qui était particulièrement difficile à bouger. Mais avec opiniâtreté elle est tout de même parvenue à obtenir des avancées. Au prix de compromis, mais c’est ça le sens de la négociation et c’est bien l’esprit de la CFDT. » Laurent Berger, lui-même est « serein » au moment de passer la main. Il l’a dit à RFI lors de la dernière grande manifestation contre la réforme des retraites, le 6 juin 2023. « C’est une grande militante, une responsable aguerrie, elle a de l’expérience : elle est prête, assure-t-il. C’est la vie d’une organisation démocratique normale de passer la main de façon apaisée. Moi je suis très fier que la CFDT soit capable de le faire et d’avoir demain une secrétaire générale. »
Plus de 20 ans après Nicole Notat, une femme à la tête de la CFDT
Pour la CFDT, ça n’est pas une première : de 1992 à 2002, Nicole Notat avait dirigé le syndicat, accompagnant aussi son virage « réformiste ». « Nous étions un peu précurseurs, rappelle Evelyne Rescanières, secrétaire générale de la Fédération CFDT Santé Sociaux. Aujourd’hui, nous avons un peu plus de femmes que d’hommes adhérents, donc c’est un juste retour des choses. » Elle n’est pas non plus inquiète de voir Laurent Berger passer la main. « Marylise est dans le paysage depuis longtemps, elle est bien identifiée des adhérents, elle a un bon contact avec les militants et les structures. On se doutait que ça allait se passer comme ça et c’est plutôt rassurant de pouvoir organiser une transition sereine dans un contexte social compliqué. »
Son arrivée, après celle - plus agitée - de Sophie Binet à la tête de la CGT, va aussi contribuer à dépoussiérer un peu une intersyndicale encore trop masculine. « Je n’étais pas très fier d’être sur des photos où il y avait beaucoup d’hommes et peu de femmes, reconnaît au micro de RFI Benoît Teste de la FSU. C’est une très bonne chose que l’intersyndicale se féminise et qu’on puisse donner une image un peu plus normale de ce qu’est la société et le syndicalisme. »
« Les syndicats sont sortis de leurs grottes préhistoriques », s’amusait elle-même Marylise Léon. Et si « le combat syndical n’est pas un sprint mais une course de fond », pour reprendre une formule de Laurent Berger, il n’y a pas de quoi l’effrayer : la course à pied, elle connaît. Sur internet, on trouve encore la trace de ses performances passées. En 2018, par exemple, elle a couru le semi-marathon de Paris en 2 heures, 5 minutes et 24 secondes. Dans quelques jours, commence pour elle une course de plus longue haleine encore.
Fri, 16 Jun 2023 - 112 - Jensen Huang, le patron de Nvidia, joue la carte (graphique) de l'Intelligence artificielle
Nvidia a le vent en poupe. Le géant américain des processeurs graphiques est entré brièvement, fin mai, dans le club très select des entreprises pesant 1000 milliards de dollars à Wall Street et ce grâce au boom de l'intelligence artificielle. Portrait de son PDG, Jensen Huang.
Dans son histoire, qu’il ne juge pas particulièrement extraordinaire, on retrouve les codes de l'American Dream et du mythe du self-made man. Né à Taïwan, Jen-Hsun Huang, de son nom de naissance, est envoyé par ses parents aux États-Unis alors qu'il n'a pas 10 ans. Point de chute : une pension dans le Kentucky, où raconte-t-il, il était de corvée de nettoyage des sanitaires.
Adolescent, c'est d'abord dans les compétitions de ping-pong qu'il brille, avant de décrocher un diplôme en génie électrique en 1984, à l'heure où naissait le Macintosh.
Il ne va pas travailler chez Apple mais rejoint la Silicon Valley. Après quelques années passées notamment chez un futur concurrent et avoir décroché un nouveau diplôme, à Stanford cette fois, il co-fonde Nvidia en 1993.Exit le mythe de la start-up créée dans un garage, la légende veut que Jensen Huang et deux amis aient posé les bases de leur entreprise au Denny's, un restaurant, de San José. Elle deviendra Nvidia - l'envie en latin.
À en croire Jensen Huang, Nvidia, c'est presque de la magie. «Grâce à ce que l'on fait, on rend possible, ce qui est à difficilement réalisable, on rend économe en énergie, ce qui est très énergivore, et nous pouvons modifier quelque chose de très cher pour le rendre bien plus abordable », vante-t-il sur CNBC.
« Visionnaire »
Concrètement, Nvidia conçoit des composants informatiques très spécifiques. « Il a créé Nvidia à l'ombre des géants des processeurs tels qu'Intel avec une stratégie assez particulière au fil des années, en se concentrant sur les processeurs graphiques, en particulier pour les jeux vidéo. C'était d'abord une sorte de niche mais qui demandait une excellence technique», explique Rémi Bourgeot, économiste et statisticien, chercheur associé à l'Iris.
Premier grand succès en 1999 avec le premier processeur graphique (GPU) au monde. Jensen Huang, qualifié de « visionnaire » par Mohamed Makhlouf, enseignant en intelligence artificielle à l'Essca, a ensuite flairé de nouveaux marchés pour ces cartes à haute capacité de calcul, le minage de cryptomonnaie et surtout l'IA.
« Ils ont conçu des puces spécialement pour l'intelligence artificielle à partir de 2016-2017, pour des calculs de 'deep learning', pour les voitures autonomes. ChatGPT fonctionne aussi sur des puces de Nvidia ».
Des puces que Nvidia conçoit, mais ne fabrique pas. « Grâce à son amitié avec Morris Chang, le président de TSMC, il a mis en place une approche de fabrication 'fabless' (NDLR : sans usine en français), rappelle Mohamed Makhlouf.Elle a été vraiment l'un des piliers de la croissance rapide de Nvidia. »
L’action Nvidia prise d’assaut
Avec l'essor de l'intelligence artificielle, son produit vedette le H100,valant plusieurs milliers de dollars pièce, fait fureur. « Les GPUs sont nettement plus difficiles à trouver que de la drogue »,a même ironisé Elon Musk lors d'un événement organisé par leWall Street journal.Nvidia fait course largement en tête. Selon le cabinet Jon Peddie Research, Nvidia pesait 82% des GPU autonomes livrés dans le monde fin 2022, ses deux poursuivants s'octroyant 9% chacun. Résultat, la valeur de l’entreprise californienne a bondi en bourse et avec elle la richesse de Jensen Huang, classé, par Forbes, 37ᵉ homme le plus riche du monde avec une fortune de quelque 34 milliards de dollars.
Riche, Jensen Huang est aussi multirécompensé. Il figure notamment sur la liste du Timedes 100 personnalités les plus influentes de 2021. Et les derniers mois ont permis à l'homme à la veste de cuir d'asseoir sa notoriété.
« Il avait un statut assez légendaire dans les milieux liés aux jeux vidéo parce que ses processeurs sont devenus indispensables aux jeux vidéo qui nécessitent le plus de puissance de calcul pour les applications graphiques, » souligne Rémi Bourgeot. « Aujourd'hui, étant au centre de la grande tendance du développement de l'IA, il est vraiment reconnu pour des paris qu'il a faits dans la durée ».
Encore quelques « décennies »
Malgré cette renommée, Rémi Bourgeot lui prête une « certaine mesure ». « C'est quelqu'un qui est resté vraiment concentré, il est resté un ingénieur. On ne voit pas quelqu'un avec des visées mégalomaniaques de couverture de tous les marchés technologiques imaginables».
À 60 ans, Jensen Huang en a déjà passé trente à la tête de Nvidia. Et il a confié à CNBC ne pas être prêt à lâcher les rênes, quitte à se transformer en robot. « Je ne sais pas encore combien de temps, mais dans quarante ans, je serai robotique, et après ça, peut-être trois ou quatre décennies de plus. Donc, j'espère pouvoir en profiter encore très longtemps.»
Fidèle au nom de l'entreprise, le PDG a donc l'envie dans les veines et Nvidia dans la peau. Littéralement. Jensen Huang s'est fait tatouer sur le bras un dessin inspiré du logo de la marque.
Fri, 09 Jun 2023 - 111 - Ajay Banga, élu à la tête de la Banque mondiale
Ajay Banga débute ce vendredi 2 juin, son mandat de cinq ans à la tête de la Banque mondiale. C'est dans un contexte de grande réforme pour l'institution qu'il prend les rênes... Américain d'origine indienne, Ajay Banga était le seul candidat en lice pour prendre la succession du démissionnaire David Malpass.
Fri, 02 Jun 2023 - 110 - Le mystérieux Jean-Charles Naouri, patron d’un groupe Casino à la dérive
Le groupe Casino en grande difficulté. Surendetté, avec une action au plus bas, l'enseigne de supermarchés va pouvoir renégocier sa dette avec certains de ses créanciers. Une procédure de conciliation s’est ouverte. Opération sauvetage pour Casino, distributeur fondé en 1898 et dont le grand patron est aujourd'hui sous le feu des critiques. Jean-Charles Naouri, est un financier qui a investi dans la grande distribution tout en se faisant très discret.
Le mystère, Jean-Charles Naouri le cultive sciemment depuis plus de 30 ans. On le dit froid, calculateur, terriblement ingénieux et redoutable en affaires. Philippe Terrien, aujourd'hui retraité, a fait une bonne partie de sa carrière chez Casino. Sa première rencontre avec Naouri c'est en 1992, lorsque celui-ci devient actionnaire majoritaire : « C'était un personnage extrêmement charismatique, se souvient-il, on avait envie d'écouter ce qu'il dit, et il le disait avec une très grande clarté. Ça redonnait une vision pour le groupe, ce dont on avait énormément besoin à l'époque. »
Début de carrière dans les ministères
Un homme brillant, mais déconnecté du terrain. Alors que Philippe Terrien est - excusez du peu - directeur exécutif de la branche agro-alimentaire du groupe entre 2015 et 2020, il ne rencontrera jamais le grand patron Jean-Charles Naouri. « J'ai ressenti un très grand éloignement entre Jean-Charles Naouri et les problématiques de terrain. Son visage était totalement inconnu des collaborateurs de groupe. Je rigolais en interne quand j’étais chez Casino, je disais aux énarques avec qui je travaillais :"C'est quand même fou. Vous croyez plus au tableau Excel que vos collaborateurs ont fait qu'à ce que vous voyez". Il y a une espèce de déconnexion complète ».
C'est dans les cabinets ministériels que l'énarque Jean-Charles Naouri a débuté dans les années 80. Il s'y forge un réseau, notamment auprès de Pierre Bérégovoy, ministre de l'Économie et des finances. Il participe activement à la réforme de la libéralisation des marchés financiers avant de partir dans le privé et de se lancer dans les affaires.
Des erreurs stratégiques
Fils d'un pédiatre, et d'une professeure d'anglais, Jean-Charles Naouri n'a, au départ, pas de grande fortune personnelle. C'est son réseau, son intelligence en affaire qui le propulse à la tête d'un empire. Avec sa holding Rallye, tel un maitre de l'investissement, il rafle les grandes marques : Monoprix, Spar, Naturalia, Cdiscount... Avant de faire plusieurs erreurs stratégiqueset d'accumuler les dettes. Le patron de Casino a parfois manqué de flair. « Depuis très longtemps, Jean-Charles Naouri ne croit pas à l'avenir des hypermarchés en France. Je pense qu'il a tort, explique Frank Rosenthal, expert de la grande distribution. Il n’a pas investi dans ses magasins et quand vous avez autour de vous des Leclerc qui investissent très fortement, des Carrefours, ça se voit ! En plus, quand vous avez un positionnement qui n’est pas très lisible sur le marché, que vous avez fait du yoyo sur les prix et que vous avez une mauvaise image prix, vous comprenez pourquoi Casino perd des parts de marché en France ».
Vers une perte de contrôle du groupe ?
Des mauvais résultats qui ne l'ont pas empêché de doubler son salaire en octobre dernier. Aujourd'hui, le groupe endetté à hauteur de 6,4 milliards d'euros suscite des convoitises. Deux repreneurs sérieux sont sur les rangs et Naouri pourrait bien être forcé de laisser le contrôle de son joyau Casino. « Dire que l'actionnaire majoritaire et le PDG ne sont pas responsables des résultats de son action depuis 20 ans me semblerait totalement déplacé, ajoutePhilippe Terrien. À sa décharge, je ne connais pas d'exemple où des financiers ont réussi dans la grande distribution. »
Le stratège a récemment dû céder sa filiale GreenYellow spécialisée dans l'énergie solaire ainsi que son enseigne brésilienne Assai. Pas question non plus de jouer Casino à la roulette. Pour éviter la faillite, Naouri négocie. Selon les dernières informations annoncées ce vendredi, les premières cessions de conciliation avec les créanciers « auront lieu d'ici à la fin de cette année ». Casino prévoit également de céder des magasins pesant au total plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires au groupement Intermarché.
Fri, 26 May 2023 - 109 - Riad Salamé, l’homme le plus détesté du Liban
Depuis le mardi 16 mai, le puissant gouverneur de la Banque centrale du Liban fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par la justice française. Riad Salamé est soupçonné d’avoir détourné plusieurs centaines de millions d’euros de fonds publics libanais pour acquérir de nombreuses propriétés dans plusieurs pays européens. Au Liban, après avoir été longtemps encensé, il est aussi sur le banc des accusés pour son rôle dans la crise financière qui a mis l’économie à genoux.
Depuis que la crise a éclaté en 2019, les Libanais n'ont plus accès à leurs économies. La livre n’en finit plus de dévisser face au dollar, entraînant une explosion desprix des matières premières et des produits de première nécessité, avec des conséquences dramatiques pour la population, impuissante. Chaque semaine, on assiste à des manifestations devant la Banque centrale du Liban. Un même nom revient sans cesse, scandé le poing levé : « Salamé, voleur ! Salamé, truand ! » Riad Salamé cristallise la colère des Libanais qui voient en lui l’incarnation de la « mafia » au pouvoir.
« Riad Salamé était le courtier personnel de Rafic Hariri qui l’a nommé à la Banque centrale au début des années 1990 quand il est devenu Premier ministre», rappelle Sibylle Rizk, journaliste et directrice des politiques publiques au sein de Kulluna Irada, ONG qui milite pour une réforme du système politique au Liban. Il a commencé sa carrière en tant que banquier d’affaires chez Merill Linch. « Pistonné », persifle le politologue Karim Bittar, professeur de relations internationales à l’université Saint Joseph de Beyrouth.
« Il était présenté comme un magicien de la finance »
Malgré tout, le nouveau gouverneur fait rapidement consensus. « Au début de sa carrière, il était présenté comme un magicien de la finance, capable de maintenir la stabilité monétaire du Liban », se souvient Karim Bittar. C’est lui qui prend la décision, peu de temps après son entrée en fonction en 1993, d’ancrer la livre libanaise sur le dollar. « Les Libanais étaient traumatisés par la dévaluation des années 1980, rappelle Sibylle Rizk. Le symbole de l’essor économique de la reconstruction s’est incarné dans la force retrouvée de la livre libanaise dont Riad Salamé était le principal artisan. » Les premières années de son mandat, cette politique ambitieuse porte ses fruits, et il est encensé bien au-delà des seules frontières du pays du cèdre.
En 1997, il est fait Chevalier de la Légion d’honneur par le président français, Jacques Chirac. L’ambassadeur de France au Liban qui lui accroche l’insigne sur la poitrine salue ainsi son action qui « a contribué de manière décisive à ramener la confiance internationale dans le Liban ». Et l’illusion durera longtemps : une décennie plus tard, « alors que la panique financière s’empare de la planète, les investisseurs placent leur argent dans un lieu inattendu : le Liban ». Première phrase d’un article que le prestigieux New York Timesconsacre en 2008 au « havre de stabilité et de croissance qu’est le secteur bancaire libanais ». Une situation que le journal met en grande partie au crédit de la Banque centrale nationale et de son gouverneur : Riad Salamé.
La Banque mondiale ira jusqu’à parler de « système de Ponzi »
Sauf que cette apparente stabilité repose sur un château de sable. « Il y a eu une entrée massive de capitaux dans le pays, explique l’économiste libanais Albert Dagher. Les banques ne savaient pas quoi faire de cet argent. Riad Salamé leur a dit "donnez-le moi" en leur promettant des taux d’intérêts élevés. C’était une erreur. » Les réserves de la Banque centrale grossissent, et permettent de maintenir artificiellement la parité entre le dollar et la livre libanaise, mais sans la moindre connexion avec l’économie réelle. « C’est un schéma classique qui consistait à payer les taux d’intérêts exorbitants promis en attirant de nouveaux déposants et des capitaux étrangers, c’était une fuite en avant », dénonce Karim Bittar. Dans un rapport publié l’an dernier, la Banque mondiale ira jusqu’à parler de « système de Ponzi ».
« La parité entre la livre et le dollar était un pari qui a rapidement échoué, estime aujourd’hui Sibylle Rizk. Au lieu de corriger le tir, Riad Salamé s’est entêté pour des raisons politiques et cela s’est soldé deux décennies plus tard par l’un des effondrements financiers les plus graves de l’ère moderne ». « Riad Salamé n’était pas économiste de formation, donc le contexte international, les flux financiers internationaux, la libéralisation des mouvements de capitaux : ce n’était pas des débats qu’il pouvait mener », estime Albert Dagher. Et pourtant, Riad Salamé, 72 ans, a été reconduit à la tête de Banque centrale du Liban à quatre reprises, il dirige l’institution depuis bientôt 30 ans. Comment comprendre qu’il n’y ait pas eu plus tôt de signes annonciateurs ? « Il y a eu un rapport du FMI quelques années avant la crise qui mettait en garde sur la politique monétaire, mais il a été caviardé à la demande du gouvernement libanais et de la Banque centrale, assure Sibylle Rizk. Cela dit, la façon dont il a maquillé les comptes, c’est du jamais vu. »
Le grand argentier de la mafia politico-financière libanaise
Riad Salamé a aussi su encourager cette cécité consentie en se mettant au service de l’élite libanaise, tous partis confondus. « Il a été en quelque sorte le grand argentier de la mafia politico-financière libanaise », assène le politologue Karim Bittar. Les grandes fortunes du pays ont ainsi bénéficié de taux d’intérêts alléchants, sans commune mesure avec ceux proposés à la population. Depuis la crise, Riad Salamé se défend et pointe du doigt l’absence de réformes menées par le gouvernement, l’utilisation des réserves en dollars de la Banque centrale pour financer les importations et le système clientéliste complexe qui caractérise la société libanaise. « Je suis un bouc émissaire », répète-t-il à l’envi, se disant la victime des jeux de pouvoir à Beyrouth.
« Dire qu’il a agi seul, ce serait exonérer la responsabilité de la classe politique et intellectuelle de l’administration publique. Il n’y a eu personne pour avertir du désastre à venir, concède l’économiste Albert Dagher, auteur de Comment une élite prédatrice a détruit le Liban (Le Bord de l’Eau, 2022). Certes, il n’était qu’un exécutant, mais un exécutant zélé, nuance Karim Bittar. Il a rendu service à toutes les parties libanaises, y compris au Hezbollah. » Et cela s’est poursuivi après la crise : quand les Libanais faisaient la queue pendant des heures devant les banques sans pouvoir accéder à leurs économies pour payer leur loyer ou faire leurs courses, l’élite, elle, sortait massivement ses capitaux du pays pour les placer dans des institutions à l’étranger.
2021 : les douaniers français découvrent 90 000 euros non déclarés dans sa valise
Et Riad Salamé est très fortement soupçonné d’avoir lui-même participé à cette fuite des capitaux. En 2021, le journal libanais Al Akhbar, proche du régime syrien, rapporte, document à l’appui, que Riad Salamé a été interpellé par les douaniers de l’aéroport du Bourget à Paris alors qu’il avait dans une valise 90 000 euros non déclarés et dont il était incapable de justifier la provenance. 90 000 euros, une paille en comparaison des « centaines de millions de dollars qu’il est soupçonné d’avoir détourné selon plusieurs enquêtes internationales », souligne Karim Bittar.
À la même époque, le nom de Riad Salamé revient dans les Pandora Papers, vaste enquête du Consortium international des journalistes d’investigation qui révèle l’utilisation par les élites mondiales de sociétés écran situées dans les paradis fiscaux. Celui qui occupe des fonctions publiques depuis trois décennies se défend et assure qu’il a simplement fait fructifier la fortune acquise lorsqu’il était banquier d’affaires. Au Liban et à l’étranger, les enquêtes se concentrent sur l’entourage de Riad Salamé : son frère Raja, soupçonné d’avoir servi de prête nom au gouverneur de la Banque centrale, tout comme son ex-maîtresse, Anna Kosavoka, de nationalité ukrainienne. En juin 2022, elle est mise en examen à Paris pour « association de malfaiteurs » et « blanchiment d’argent », comme l’avait révélé en décembre le journal en ligne Médiapart.
« Le lien entre ces affaires et la crise financière que traverse le Liban, c’est l’impunité et la toute-puissance du gouverneur, s’indigne Sibylle Rizk. Il a agi sans aucun contrôle démocratique, personne n’a demandé de compte. » L’étau judiciaire se resserre autour de Riad Salamé, tant au Liban qu’à l’étranger, mais il n’entend pas démissionner. Jeudi 18 mai il a fait savoir qu'il ne démissionnerait que si une décision judicaire était prise à son encontre. Il est toujours en poste.
Fri, 19 May 2023 - 108 - Brett Harrison, ancien de FTX, et sa nouvelle plateforme d'échange de cryptomonnaies
Aujourd'hui l'Économie, le Portrait de Brett Harrison, ancien de FTX, la plateforme d'échange de cryptomonnaies en faillite. Dirigeant de la plateforme américaine, il avait quitté le navire en septembre 2022, deux mois avant le naufrage. À présent, il revient sur le devant de la scène avec une nouvelle start-up.
Front dégarni, l'air détendu, Brett Harrison est un as de cette nouvelle finance que sont devenues les cryptomonnaies. Six de ses collaborateurs ont travaillé pour FTX.
Pas juste une nouvelle bourse de crypto
Mais leur chef veut tourner la page de ces années folles. Sa start-up, Architect Financial Technologies, n'est pas juste une nouvelle bourse d'échange de crypto, assure le trader dans un podcast The Woolf of All Streets du blogueur américain Scott Melker :« Nous avons fondé Architect en janvier 2023 avec cette idée en tête d'éliminer certains problèmes existants. Vous ne pouvez pas faire n'importe quoi. Aux États-Unis, si vous voulez investir sur le marché de produits dérivés, vous devez passer par la Bourse dédiée à cet effet, le CME. Et nous avons demandé notre certification. Je dirais donc que notre entreprise s'adresse à tous sauf aux investisseurs qui veulent juste acheter et vendre rapidement leurs actifs virtuels en engrangeant des bénéfices. »
Pour Brett Harrison, être contrôlé par le CME, acronyme de Chicago Mercantile Exchange, le leader mondial de produits dérivés, c'est un gage de sécurité et de confiance pour ses futurs clients. Qui est donc cet homme qui prétend réparer les dérives de la cryptofinance ?
Un jeune mathématicien
Né à New York il y a 35 ans, le futur trader publie dès ses années de lycée des articles dans une revue de mathématiques, avant de regagner la prestigieuse université de Harvard, puis rejoint la société de trading, Jane Street Capital. L'entreprise ajoute très tôt le Bitcoin à ses actifs d'échange. L'objectif est de profiter de ce marché encore jeune et dépourvu de régulation en profitant de la spéculation. Lorsque son collègue d'alors, Sam Bankman-Fried, lui propose de prendre la tête de la filiale américaine de FTX, Brett Harrison accepte. Mais les divergences entre les deux hommes apparaissent rapidement.
Un professionnel de la nouvelle finance
Marié, père d'un enfant né avec une malformation congénitale, adopté en Chine, végane, Brett Harrison garde les pieds sur terre. Son départ de FTX et la création d'Architect prouvent qu’il a des capacités pour rebondir, estime Jean de Chambure, président du Bureau des éveilleurs, cabinet de décryptage et de conseil, spécialiste du numérique : « Il fait partie des professionnels avisés du secteur qui ont une vision plus long terme, plus rationnelle, et qui voient la cryptomonnaie comme une création de valeur financière. Factuellement, il faudra bien regarder où le siège de l’entreprise sera situé, s’il n’y a pas de liens avec des paradis fiscaux comme les Bahamas… Ce serait déjà un signal que quelque chose sera un peu mieux régulé. Sachant que les États-Unis ont l’intention, et commencent à le faire, de régler davantage le secteur des cryptomonnaies. C’est d’ailleurs la vraie question derrière les cryptomonnaies pour beaucoup : le fait qu’elles sont utilisées par des fonds aux Bahamas, par des fonds alternatifs, leshedge fonds. »
Sa part du gâteau
Il faut dire que l'engouement des investisseurs pour les monnaies virtuelles ne faiblit pas. C’est le moins que l’on puisse dire. Les plateformes d’échanges pèsent désormais des dizaines de milliards de dollars. Architect voudra sans doute sa part du gâteau aux côtés des géants comme Binance, Coinbase et autres Kraken. Pour sa première levée de fonds, l'entreprise a réuni 5 millions de dollars.
Pour Jean de Chambure : « Brett Harrison va avoir tout l’écosystème des cryptomonnaies derrière lui. Parce que son entreprise fait figure de l’étendard de respectabilité. C’est donc le signe d'une certaine maturité du secteur. Mais pour moi cela ne change rien au paradigme même des cryptomonnaies. Les monnaies virtuelles ne créent pas de valeur. Elles sont un simple actif financier. Et si vous prenez le parallèle avec de l’or, on est dans la même catégorie, ce sont plus des monnaies de couverture par rapport aux risques géopolitiques ou économiques que la planète connait aujourd’hui. Donc, c’est une sorte de valeur refuge. »
Produit spéculatif pour les uns, monnaie du futur pour les autres, la crypto révolutionne la finance. Renforcer la réglementation et la fiscalité permettrait selon l'expert d'attirer ne serait-ce qu'une partie de cet argent dans l'économie réelle.
Fri, 12 May 2023 - 107 - Gabriel Zucman, l’économiste français de la justice fiscale, récompensé par la médaille Clark
En début de semaine, l'Association américaine d'économie (AEA) a annoncé avoir remis à l'économiste français Gabriel Zucman la médaille John Bates Clark pour ses travaux consacrés à l'évasion fiscale et la montée des inégalités. Ce prix est considéré comme l'une des plus prestigieuses récompenses accordées aux chercheurs en Sciences économiques.
Gabriel Zucmans'est intéressé à la distribution des richesses dès sa thèse de doctorat, Trois essais sur la répartition mondiale des fortunes, dirigée par le pionnier de la pensée sur les inégalités économiques et sociales, Thomas Piketty. Il fait donc partie de cette nouvelle génération d'économistes français qui a contribué à attirer l’attention sur ces questions avec Emmanuel Saez et Lucas Chancel.
« Il a été l’un des premiers à quantifier cette question de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux, ce qui est très difficile à quantifier »,explique l'économiste Philippe Martin, du Cercle des économistes, l’un de ses jurés de thèse, « c’était la question de savoir à quel point, pour un certain nombre de pays occidentaux, les actifs financiers qui étaient déclarés étaient très sous-évalués et que les pays riches étaient plus riches qu’on ne le pensait, car ils étaient dans des paradis fiscaux »
En 2017, le livre de Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations, enquête sur les paradis fiscaux, paru chez les éditions du Seuil est un best-seller.
Il y explique que 8 % de la richesse mondiale est détenue offshore. Grâce à sa connaissance du sujet, il parvient à imposer sa pensée et fait partie en 2018 du comité exécutif du Rapport sur les inégalités mondiales (Le Seuil) qui a un retentissement important.
La même année, le Cercle des économistes et le journal Le Monde lui attribuent le prix du Meilleur jeune économiste de France.
« C'était un signal positif de se dire qu’enfin, on allait réaborder les questions fiscales de manière dépassionnée, sérieuse et rationnelle pour pouvoir en parler après de manière politique »selon Aurore Lalucq, députée européenne et membre du mouvement citoyen Place publique. Economiste de formation, elle est à l'initiative d'une pétition pour la taxation des ultrariches en collaboration avec Gabriel Zucman. « Pendant des années, on a fait croire que l’impôt et la taxe, c'est le mal. Et c’est ce qui est intéressant dans les travaux de Gabriel, c’est qu’il va vous parler des questions fiscales de manière factuelle et au-delà des éléments de langage habituels qu’on entend depuis la révolution néo libérale qui sont : trop d’impôts tue l’impôt ou les riches vont partir si on les taxe, etc. »
Gabriel Zucman est aujourd’hui maître de conférence à l’Université de Berkeley, en Californie. L’économiste de 36 ans a l'oreille de la gauche américaine puisqu'il a conseillé les équipes deBernie Sanders, le candidat aux primaires démocrates en 2015. C'est même dans l'un de ses articles, co-signé avec Emmanuel Saez, intitulé « le triomphe de l'injustice», que Bernie Sanders trouve sa formule devenue emblématique outre-Atlantique selon laquelle 99% de tous les revenus générés aux États-Unis vont aux 1% les plus riches.
Fri, 05 May 2023 - 106 - Martin Sion, le patron d'ArianeGroup en mission pour faire décoller Ariane 6
Depuis le début du mois d'avril, le fauteuil de patron d'ArianeGroup - le maitre d'œuvre du programme de lanceurs Ariane - a un nouvel occupant : Martin Sion. Sa mission : faire décoller la fusée Ariane 6, petite sœur d'Ariane 5. Mais le chantier a déjà trois ans de retard. De nombreux défis attendent cet homme de 54 ans, ingénieur de formation.
Sur son compte Twitter, il se décrit en quelques mots comme un passionné d'aérospatial, de technologie et d'innovation. Martin Sion est un homme assez discret, qui a fait l’essentiel de sa carrière chez Safran, géant français coté en Bourse de l’aéronautique, de la défense et de la sécurité, né de la fusion en 2005 des entreprises Snecma et Sagem, spécialisées dans les moteurs d’avion et la mécanique.
Sa prise de fonction intervient alors que l’Europe est plongée dans une crise des lanceurs – ces fusées puissantes permettant de mettre en orbite des satellites ou d’autres charges utiles – dont elle peine à sortir. Le lanceur italien Vega est cloué au sol jusqu'à nouvel ordre, et le lanceur russe Soyouz a été retiré du marché par le régime de Vladimir Poutine en représailles aux sanctions économiques. Ariane 6 est donc le seul espoir de l'Europe pour garantir sa souveraineté dans l'espace, sans dépendre des États-Unis.
Sa construction a été décidée pour remplacer progressivement Ariane 5, dont un modèle s’est d’ailleurs envolé direction Jupiter le 14 avril. Elle coûte moins cher à produire, et devait décoller pour la première fois en 2020. Trois ans plus tard, la fusée européenne n’est pourtant pas encore prête. La pandémie de Covid a provoqué plusieurs longs retards auxquels se sont ajoutés guerre en Ukraine et des travaux sur la base de lancement de Kourou, en Guyane.
Stefan Barensky, rédacteur en chef du magazine Aerospatium : « Il y a une pression épouvantable. Quand on ne lance pas, les sous ne rentrent pas. Heureusement, ArianeGroup produit aussi des missiles de dissuasion[nucléaire], ça permet de faire un peu de revenu. Mais il faut travailler dans des conditions qui ne sont pas favorables et remotiver les équipes. Il y a du boulot… »
Tenir les carnets de commandes
Deuxième défi à relever pour Martin Sion : tenir les carnets de commandes déjà bien remplis. Mais les chantiers avancent lentement et le moral des troupes d’ArianeGroup commence aussi à faiblir. « Elles font leur maximum pour faire un produit de qualité dans des conditions qui leur sont défavorables. Et on leur rabâche à longueur de temps que du côté des Américains, c’est vachement mieux. Sauf que c’est complètement absurde. On ne compare pas des carpes et des lapins », résume Stefan Barensky.
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Face aux difficultés dans lesquelles sont englués les Européens, les Américains, eux, en profitent pour prendre de l’avance. Mais les deux continents ne jouent pas avec les mêmes règles. ArianeGroup est soumise à des règles strictes imposées par l'Agence spatiale européenne (ESA). La plus handicapante est celle du « retour géographique ». Concrètement, lorsqu'un pays européen investit dans ce programme spatial, il bénéficie en échange de contrats industriels sur son territoire. La mesure avait été adoptée pour éviter de mettre à l’écart les plus petits États. Mais aujourd’hui, le modèle est très critiqué. La production du lanceur est éparpillée sur 13 pays, et près de 600 sociétés sont mobilisées.
Martin Sion va donc devoir jongler entre les directives de l’ESA et les contraintes des entreprises partenaires. « On est plutôt dans la diplomatie que dans l’industriel », analyse Stefan Barensky. D’après son entourage professionnel, l’ancien de Safran a toutes les qualités requises pour relever le défi. « Il faut pouvoir avoir des capacités techniques, écouter les experts, les comprendre, les challenger, et prendre la décision qui s’impose pour résoudre toutes les difficultés techniques qu’on pourrait rencontrer,raconte Joel Barre, ancien délégué général de l’armement et ancien supérieur de Martin Sion. Et ça je pense que Martin Sion sait le faire, il l’a démontré dans sa carrière. » Il ajoute : « Et puis il a des qualités de grand manager aussi, des capacités d’écoute, de relations humaines, de savoir-être, de leadership, qui sont évidemment indispensables au poste qu’il aura à la tête de cette société. »
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Fri, 28 Apr 2023 - 105 - Wang Chuanfu, concurrent chinois d'Elon Musk
C'est le nouveau visage de la voiture électrique : le Chinois Chuanfu, patron du groupe Byd, est devenu le principal concurrent de Tesla. Il détient un cinquième du marché du bus électrique dans le monde, mais c'est désormais le particulier européen qu'il tente de séduire. Trois de ses modèles viennent d'ailleurs de débarquer en France. Portrait d'un entrepreneur qui joue la carte de l'innovation technologique au service du climat.
C'est sous cette étiquette verte que Wang Chuanfu s'est présenté officiellement devant ses clients européens en fin d'année dernière. Bilan carbone et chiffres à l'appui : plus d'un million et demi de voitures vendues dans le monde en 2022, en comptant les hybrides rechargeables. C'est presque aussi bien que Tesla, qui conserve tout de même une courte avance sur les voitures 100% électriques.
Parti de rien
L'histoire de cet entrepreneur a tout d'une fable. Elle commence, il y a 57 ans, dans une région rurale de l'est de la Chine. Orphelin à l'adolescence, il est élevé par ses frères et sœurs qui, selon la légende familiale, se serrent la ceinture pour lui permettre de faire des études scientifiques. Un pari réussi, puisqu'en 1995, il fonde Byd, une entreprise de conception de petites batteries rechargeables – celles qu'on utilise dans les téléphones portables – et se met rapidement au niveau des pionniers en la matière. Il devient le fournisseur de géants du marché comme Nokia, Motorola ou Samsung.
L'automobile n'arrivera dans son sillage que plus tard, en 2003, lorsqu'il rachète le constructeur Tsinchuan. « Il fait partie de ces légendes du capitalisme chinois qui ont des débuts très modestes, qui ont été les premiers à monter en puissance dans l'économie chinoise, avec la conditionsine qua nonde savoir se mettre dans les bons réseaux au niveau politique », raconte Jean-François Dufour, cofondateur du réseau d'analyse Sinopole.
Inaccessible et secret
Wang Chuanfu a la réputation d'être un personnage prudent, qui ne s'expose pas beaucoup. De sa personnalité, on ne sait que peu de choses. « Cela dit, on lui connaît quelques traits d'humour, nuance Jean-François Dufour.Alors que Byd, ça signifie officiellement "Build Your Dreams" [« Construisez vos rêves », NDLR], la version officieuse de son fondateur serait "Bring Your Dollars" [« Ramenez vos dollars »]. »
En 2008, il devient la première fortune de Chine, alors que l'homme d'affaires américain Warren Buffett entre au capital de Byd. Les autorités chinoises ne voient pas cette ascension fulgurante d'un très bon œil et lui reprochent « des d'ambitions un peu démesurées, rappelle Jean-François Dufour. Il a eu des relations un peu tendues avec le pouvoir à ce moment-là, mais une fois que le message a été reçu, Byd [s'est pleinement inséré] dans les projets nationaux ».
En 2011, un long rapport de l'ONG China Labor Watch épingle l'entreprise en raison des mauvaises conditions de travail que subissent ses salariés : revenus très bas, cadences infernales... Plusieurs vagues de suicides sont régulièrement documentés dans la presse chinoise. Mais, selon Jean-François Dufour, ces événements n'ont pas été un frein à la croissance de Byd.
Un héros national
En Chine, le leadership de Byd est bien installé, même s'il commence à être concurrencé par de jeunes start-up qui veulent, elles aussi, se lancer dans l'électrique...
Cependant, pour le professeur Huai-Yuan Han, qui enseigne la stratégie entrepreneuriale et l'économie chinoise, il a l'avantage d'être un« un modèle d'intégration verticale », c'est-à-dire qu'il maîtrise toute la chaîne de production, de la batterie à la couche de vernis appliquée sur le véhicule.
C'est ce côté visionnaire qui l'a érigé au rang d'icône dans les yeux de ses compatriotes : « C'est plutôt comme un héros national. La Chine a souvent été menacée par les Occidentaux et, tout à coup, un entrepreneur chinois se lance dans quelque chose avant que le marché ne soit dominé par les Occidentaux. La Chine commence à avoir ses propres marques. Elle n'a jamais pensé qu'une entreprise chinoise pouvait réussir dans l'automobile. Pour les professionnels ou pour les étudiants à l'université, je trouve que Wang Chuanfu est remarquable. »
Les yeux rivés vers le continent africain
En 2017, il conclut d'une poignée de main avec le roi Mohammed VI l'installation d'une usine Byd dans le nord du Maroc. Prochain objectif pour lui : acquérir six mines de lithium, métal indispensable à la confection de ces batteries rechargeables. C'est ce que révèle le journal chinois The Paper. Leur emplacement et les conditions dans lesquelles elles seront exploitées, en revanche, ne sont pas encore connus.
Dans le monde, le lithium est présent en grande quantité en Chine et en Amérique du Sud. Sur le continent africain, les gisements seraient de plus petites tailles, selon les géologues du British Geological Survey, mais se situeraient principalement au Zimbabwe, en Namibie, en République démocratique du Congo, au Mali et au Ghana.
► À écouter aussi : Véhicules électriques: le champion chinois Byd se pose en rival de Tesla
Fri, 21 Apr 2023 - 104 - Arnaud Rousseau, nouveau président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
Changement de présidence à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), le premier syndicat agricole de France. Sans surprise, c'est Arnaud Rousseau, seul candidat au poste, qui a été élu ce jeudi 13 avril pour un mandat de trois ans. Portrait.
Grand cultivateur et grand patron, Arnaud Rousseau affirme vouloir réhabiliter l'image de l'agriculture et dénonce les « sirènes de la décroissance ». « J'ai la conviction que l'agriculture est dans un moment charnière et qu'au même titre qu'on parle aujourd'hui de réindustrialisation parce qu’on a abandonné l'industrie il y a 30 ou 40 ans, si on ne fait rien maintenant, on reparlera de ré-agriculturisation dans vingt ou trente ans. Je suis convaincu que les agriculteurs, les agricultrices sont des solutions pour notre pays dans le moment dans lequel on est. »
Peu connu du grand public, Arnaud Rousseau l'est en revanche du monde agricole, avant son élection il était vice-président de la FNSEA. Âgé de 49 ans, marié et père de trois enfants, plus souvent en costume qu'en combinaison de travail, Arnaud Rousseau est diplômé de l'European business School de Paris. Il s'est ensuite formé à l'étranger, mais aussi à l'armée où il en est sorti capitaine réserviste. Après un passage dans le négoce, il rejoint l'exploitation familiale implantée depuis six générations dans un village de Seine-et-Marne dont il est aussi le maire. Fait marquant :il y a une dizaine d’années, il fait une chute de 9 mètres dans un de ses silos à grains, les deux jambes brisées, il en remonte in extrémis à la force des bras.Tout juste remis il fera à pied le chemin de Compostelle.
Alors comme l'exigent les statuts de la FNSEA, le président doit être un agriculteur, et Arnaud Rousseau en est un, mais il a d'autres casquettes
Céréalier, Arnaud Rousseau dirige une exploitation de 700 hectares... Il est aussi un homme d’affaires. Depuis 2017, il préside la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux, la FOP. II est aussi le patron d'Avril, 5ᵉ groupe agroalimentaire français qui règne sans partage sur les oléagineux, et qui produit les huiles Lesieur ou Puget. Son mentor s'appelait Xavier Belin, lui aussi président de la FNSEA et patron d’Avril, auquel Arnaud Rousseau a succédé après son décès brutal. Enfin, selon les révélations du journal Mediapart, Il détient également des sociétés « para-agricoles », comme une entreprise de méthanisation et une société de production d’énergie photovoltaïque.
La relève de Christiane Lambert
Christiane Lambert est éleveuse de porcs et symbolisait l'entreprise familiale, un profil différent d'Arnaud Rousseau. Son élection marque le retour de l'agro-industrie. Arnaud Rousseau aborde l'agriculture comme un secteur stratégique, « clé de voûte de notre souveraineté alimentaire».
Oliver Naslès, vigneron et oléiculteur en Provence, mais aussi administrateur de la Fédération des producteurs d'oléagineux siège aux côtés d'Arnaud Rousseau au Conseil d'administration. Il décrit un homme déterminé : « Je crois d'abord qu'il a un sens de l'intérêt général ce n'est jamais la somme des intérêts particuliers, c'est une machine intellectuelle, peut être manquant un peu d'affectif. Arnaud est plutôt un bourreau de travail et aussi un constructeur. C'est à ce titre qu'il est pour moi l'homme qu'il nous faut pour inventer l'agriculture de demain ».
À l'heure du green deal, Arnaud Rousseau assume son choix d'une agriculture productiviste
Il est plutôt perçu comme un agro-businessman qui donne l'avantage aux grands producteurs. Son crédo : assurer l'autonomie alimentaire du pays, c'est pourquoi. Il ne rejette pas tous les pesticides, se dit favorable à la recherche et au développement de nouveaux OGM, défend le principe des bassines, qui font débat actuellement et dénonce l’interdiction des néonicotinoïdes et les restrictions des produits phytosanitaires. Des positions en phase avec celles de l'exécutif, mais pas de la Confédération paysanne.
« Ça va être compliqué, la Confédération paysanne est plutôt un groupement d'agriculteurs qui voudrait que le modèle du petit agriculteur qui nourrit les 300 personnes autour de lui perdure,reprend Olivier Naslès. Il a la conviction que cette agriculture va dans le mur. Alors oui, le modèle que défend Arnaud n'est pas compatible avec celui que défend la Confédération paysanne. C’est évident. »
Arnaud Rousseau revendique une agriculture offensive. Reste à convaincre les agriculteurs, en dix ans la FNSEA a perdu un tiers de ses 210 000 adhérents, en raison de divisions internes. Ouvert au dialogue, il assure vouloir travailler avec toutes les filières.
Fri, 14 Apr 2023 - 103 - Le Nigérian Abdul Samad Rabiu est la quatrième fortune d'Afrique selon Forbes
Le Nigérian Abdul Samad Rabiu est cette année, l’une des grandes fortunes d’Afrique. Quatrième du classement de magazine Forbes sur le continent, il pèse plus de 7, 5 milliards de dollars. Originaire de Kano, il a prospéré dans le ciment et l’agroalimentaire. Il prône la production et la transformation locale des ressources naturelles.
Fri, 07 Apr 2023
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