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- 42 - L'Instant Philo - L’imitation entre copie, identification et création
« L’instant philo » Emission du 6 octobre 2024 L’imitation entre copie, identification et création I. Analyse générale A. L’imitation est trop souvent mal jugée L’imitation n’est pas une capacité jugée habituellement très noble. Des imitateurs comme Laurent Gera ou Nicolas Canteloup peuvent, certes, être populaires mais ils n’occupent pas, comme humoristes, une place centrale dans nos sociétés. La figure du faussaire, cet escroc qui s’enrichit en faisant des plagiats d’œuvres célèbres a même contribué à la mauvaise réputation de l’imitation. D’autant qu’à moindre échelle, l’individu qui mime de façon appuyée le comportement, les opinions et les goûts d’un modèle qu’il idolâtre, est souvent moqué pour son manque de personnalité. Toutefois, en rester à cette approche plutôt dépréciative de l’imitation semble intenable. Depuis Platon et Aristote, la mimésis – terme grec qui correspond à l’imitation - est un sujet de réflexion nourrissant multiples débats. D’abord en art, où la ressemblance et la grande exactitude dans l’imitation ont été des critères souvent discutés dans l’appréciation des œuvres. Mais aussi en pédagogie, en psychologie morale et dans notre conception même du réel. Examiner les multiples facettes de l’imitation et avoir une approche attentive à sa complexité semble donc nécessaire, tant il est vrai que cette capacité que nous avons d’imiter recoupe, des aptitudes et des attitudes très différentes. B. Trois figures principales de la mimésis On peut dégager, en effet, trois figures principales de l’imitation. Imiter, c’est d’abord copier et par conséquent reproduire un modèle avec la perfection duquel on sait ne pas pouvoir rivaliser. L’imitation peut aussi se présenter comme une identification ou une simulation exacte d’une réalité. Dans cette optique, la mimésis désire sortir de son infériorité supposée par rapport au modèle initial et tâche même de l’égaler, voire d’occuper sa place – ce qui n’est pas sans poser problème. Enfin, imiter peut signifier produire une réalité nouvelle. La mimésis n’est plus une reproduction imparfaite, ni une identification problématique mais une production. C’est ainsi qu’Aristote met l’accent sur la mimésis dans la tragédie et l’ensemble des créations littéraires. L’imitation sort alors d’un rapport d’infériorité, d’égalité et même de comparaison avec sa source première d’inspiration. Elle devient le creuset dans lequel se crée du nouveau. II. L’imitation comme copie imparfaite A. Copie et original Imiter, disions-nous, c’est d’abord copier de façon imparfaite une réalité. Un dicton rappelle qu’on préfère toujours l’original à la copie. Une duplication de fichier ou une photocopie d’un document, même à l’aide un système élaboré, suppose toujours, en effet, une perte de définition. Ce constat a beaucoup contribué à une dépréciation de l’imitation toujours par définition approximative. Ce constat permet aussi de rapprocher l’imitation de l’image – dont on fait souvent l’hypothèse qu’elles ont une étymologie commune visible dans leur préfixe. En effet, l’imitation/copie, comme c’est le cas pour l’image, a un rapport de ressemblance et de dissemblance avec ce qui est représenté. Pourquoi de dissemblance ? L’imitation reste différente de l’imité, sinon on ne pourrait pas les distinguer : ce serait la même chose ou encore un double. L’imitation comme l’image est donc toujours imparfaite par rapport au modèle. On peut considérer comme on le fait souvent que c’est une imperfection car toute réalité se trouve ainsi mal reproduite, voire déformée. B. Qualité pédagogique et spirituelle de la copie imparfaite A vrai dire, ce défaut peut se révéler souvent être une qualité. Platon, par exemple, estime que contempler et admirer les beautés terrestres, ces pâles et imparfaites copies de la beauté en soi,
Sun, 06 Oct 2024 - 15min - 41 - L'Instant Philo - Religion, superstition et spiritualité
Religion, superstition et spiritualité Emission du dimanche 19 mai 2024 Illustration tirée du film de Tarkovski : Andréi Roublev L’instant philo Religion, superstition et spiritualité Emission du dimanche 19 mai 2024 Quand on parle de religion, on a tendance à partir de ses propres croyances et pratiques et de les ériger en modèle. Ainsi, définit-on souvent en Occident, la religion comme la croyance en un Dieu. On oublie alors que le monothéisme ne constitue qu’une des multiples manifestations du religieux. Le polythéisme, par exemple, n’est pas une croyance tombée en désuétude qui serait typique de l’antiquité grecque et romaine. L’hindouisme de nos jours est, en effet, fort de plus d’un milliards d’adeptes. Le même préjugé nous laisse déconcertés face aux religions où la notion de divinité est largement absente, à l’instar du bouddhisme ou de l’animisme. La perspective qu’on adopte souvent dans notre appréhension du religieux conduit à repousser les cultes différents du nôtre, soit du côté de la superstition, de l’hérésie ou de la naïveté supposée des anciens ou d’autres peuples, soit – et c’est plus positif - du côté, de la spiritualité comme c’est le cas pour le bouddhisme, le confucianisme ou le taoïsme. Notre jugement est faussé. Ensuite, une fois ce premier obstacle repéré, un autre se présente, peut-être encore plus redoutable. Car il n’est vraiment pas facile de trouver un dénominateur commun à toutes les pratiques religieuses déjà nommées, surtout si on ajoute le totémisme, l’énigmatique religion égyptienne, le chamanisme, les rites sacrificielles des Aztèques, le shintoïsme – et la liste n’est pas exhaustive. Peut-on vraiment trouver une définition de la religion qui puisse s’appliquer à toutes ces différentes croyances ? Et si c’est le cas, doit-on les considérer toutes à égalité ? Ou bien faut-il introduire des distinctions, voire une hiérarchie entre elles ? I. Des définitions peu satisfaisantes de la religion A. L’impasse de l’étymologie Le terme « religion » viendrait du verbe latin religare qui signifierait d’après Lactance, un théologien chrétien soucieux de prosélytisme, « relier », « rassembler ». Rassembler quoi ? Les hommes entre eux, pour les uns. Les hommes à Dieu pour d’autres. Parfois les deux. Toutefois, d’après le Gaffiot, dictionnaire de référence pour le latin, cette étymologie n’est pas fiable. Certains vont alors rapprocher religio du latin relegere – reprendre avec soin, traiter avec scrupule ou encore– ce qui vaut seulement pour les religions du livre - relire avec grande attention. Saint Augustin commente à plusieurs reprises ces deux étymologies[i], sans trancher car il ne porte pas une si grande attention à ces considérations. A raison car cette piste semble ne mener que là où on veut aller et elle ne permet pas de dégager une définition satisfaisante et globale du fait religieux. B. La religion et le sacré Présenter la religion comme une expérience du sacré à la manière de Mircéa Eliade, est peut-être plus éclairant ? Le sacré, réalité absolue et transcendante, censée être source de tout, est objet d’un respect qui commande habituellement attitude humble et silencieuse. Par opposition, le profane est tout ce qui est à notre modeste mesure et n’exige pas un comportement spécifique. Le sacré, parce qu’il nous échappe par définition et est mystérieux, est une notion problématique. Mircéa Eliade estime en plus que les êtres profanes peuvent être le lieu d’une manifestation du sacré. En brouillant ainsi la frontière entre sacré et profane, il ne facilite pas la tâche. Si on ajoute à cela que sacrifice signifie « rendre sacré », qu’est jugé ainsi « sacré » ce pour quoi on est capable de sacrifier sa vie comme la révolution, la patrie, l’honneur
Sun, 19 May 2024 - 14min - 40 - L'Instant Philo - De quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ?
De quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ? Illustration : un dessin de Jérome Sirou que nous remercions chaleureusement. « L’instant philo » Emission du dimanche 24 mars 2024 De quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ? Une étude publiée en 2021, par The lancet, une revue médicale hebdomadaire britannique, indique que 59% des 10 000 jeunes de 16 à 25 ans issus de dix pays bien différents se disent très ou extrêmement préoccupés par le changement climatique. En France, la même année le baromètre Ademe indique que deux tiers des français estiment que les conditions de vie vont devenir extrêmement pénibles à cause des dérèglements climatiques[i]. Ces indications statistiques témoignent d’une vraie inquiétude chez nos contemporains face à la question écologique. Le terme «’éco-anxiété » est présenté justement comme ce qui permet de désigner cet ensemble tout à fait inédit de sentiments et d’affects liés aux inquiétudes engendrées par la prise de conscience des graves menaces qui pèsent dorénavant sur notre planète. Ce néologisme vient de l’anglais – « eco-anxiety » qui a été recensé dès 1990 dans le Washington post.[ii] L’expression « éco-anxiété » ne devient vraiment très présente dans les médias en France qu’à partir de 2019 et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a connu dès lors un vrai succès. Cette désignation soulève toutefois bien des interrogations. Se préoccuper des fortes perturbations qui affectent notre planète ne signifie pas automatiquement être éco-anxieux. Pourquoi mettre en avant la seule anxiété ? D’autres affects, vecteurs de réactions comportementales plus constructives, peuvent être présents dans la conscience de la situation actuelle, à l’instar de l’indignation ou du désir de s’engager. Avons-nous affaire, comme le soulignent bien des analyses, à une appellation qui tend finalement à réduire la question de l’urgence écologique à la psychologie, voire à un problème de santé mentale ? Parler d’éco-anxiété, ne serait-ce pas ainsi chercher à dépolitiser la question écologique en détournant l’attention des responsabilités qu’on peut établir dans la production de ces désastres ainsi que dans l’inaction qui aggrave les difficultés? Ou bien s’agit-il là d’une expression certes maladroite, qui tâche de rendre compte d’une importante épreuve existentielle qui serait le passage obligé pour devenir lucide face aux défis inédits et impressionnants de notre époque ? L’éco-anxiété ne serait-elle pas alors une étape à franchir pour pouvoir ensuite inventer des réponses politiques adaptées à la crise mondiale à laquelle nous avons affaire? Dans cette perspective, sera-t-elle un obstacle à contourner ou bien un tremplin pour aller plus loin ? En tout cas, la question se pose : de quoi l’éco-anxiété est-elle le nom ? I. Analyse critique de la notion d’éco-anxiété A. Trois facteurs à prendre en considération pour analyser l’éco-anxiété Le mot composé « éco-anxiété » met en avant d’abord un état affectif et subjectif – l’anxiété - qui relève de l’analyse des émotions, de la psychologie morale, voire de la psychiatrie. C’est ainsi qu’en 2017, l'American Psychology Association a défini l’éco-anxiété comme “la peur chronique d'un désastre environnemental en cours ou futur”. L’éco-anxiété présente également un versant externe, objectif et très concret avec son préfixe « éco » - du grec oikos désignant la maison ou le foyer - l’anxiété vient du fait que notre maison commune – la Terre – est gravement menacée par le changement climatique, les effets mortifères de la pollution sur les écosystèmes et la disparition de nombre d’espèces animales et végétales. Au début du siècle (2003) Glen Albrecht, un philosophe australien a inventé un nouveau terme « la solastalgie ». La nostalgie désigne la tristesse poignante d’avoir perdu son pays ou bien une réalité qui nous est chère, la solastalgie désigne la souffrance
Sun, 24 Mar 2024 - 18min - 39 - L'Instant Philo - Violence et Histoire
L’instant Philo Violence et histoire Emission du dimanche 28 janvier 2024 Illustration : photo de Robert Capa Introduction Quand on ouvre un manuel d’histoire, on est souvent frappé par l’omniprésence de la violence. Est-ce un hasard si les livres des premiers historiens grecs décrivent des guerres : guerres médiques pour Hérodote[i] et guerre du Péloponnèse chez Thucydide ? Les conflits actuels qui sont en plus lourds de la menace d’un usage d’armes de destruction massive, semblent confirmer ce constat. Conflits meurtriers, guerres civiles, coups d’état, révolutions, révoltes, jacqueries et manifestations souvent réprimées dans le sang semblent scander toutes les époques. Comme Macbeth dans la pièce éponyme de Shakespeare nous pourrions en conclure, de façon désabusée, que l’histoire est « un récit plein de bruit et de fureur raconté par un fou n’ayant aucun sens ». [ii] Au demeurant, Robert Muchembled dans son Histoire de la violence de la fin du moyen-âge à nos jours souligne qu’en Occident, il y a 100 fois moins de meurtres qu’il y a sept siècles. Et la possibilité qu’une guerre éclate entre pays européens occidentaux – Allemagne, France, Italie, Espagne, etc. – est devenue nulle depuis plus d’une cinquantaine d’années. Cet adoucissement des mœurs ne signifie pas que les violences qui persistent soient négligeables et moins graves comme le montrent les violences au sein des familles – principalement celles faites aux femmes et aux enfants. Dans une société pacifiée, elles attirent plus l’attention. C’est une bonne chose pour qu’on puisse lutter contre elles. Ensuite, les actes terroristes trouvent dans des sociétés grandement pacifiées, une puissance de résonnance médiatique peut-être disproportionnée. Les 25 000 victimes du terrorisme dont la plupart se trouvent hors d’Europe (Afghanistan, Irak, Pakistan, Syrie, Nigéria) frappent fortement les esprits dans une situation de plus grande sécurité alors qu’au regard par exemple des 3,5 millions de décès liés à une surconsommation de sucre ou aux 7 millions de morts par an dus à la pollution de l’air, cela semble objectivement moins inquiétants. Ce type de comptabilité macabre auquel il est difficile d’échapper ne cherche évidemment pas à minimiser les horreurs du terrorisme. Elle montre que la violence est perçue plus par le prisme subjectif et collectif de la peur que par le caractère objectif des risques encourus.[iii] Notre rapport à la violence est donc loin d’être simple. Je n’ai pas la prétention d’en faire une analyse exhaustive et précise. Il y aurait fort à faire en ces temps où confusion managériale et politique, mondialisation néo-libérale et « hystérisation » parfois ahurissante des débats médiatiques, brouillent souvent les pistes. Mon propos est d’arriver à prendre un peu de recul et proposer quelques pistes : comment penser en général le rapport entre l’histoire humaine et cette violence qui finit d’ailleurs, compte tenu de la puissance de nos technologies, par affecter gravement les autres vivants et perturber toute la biosphère ? I. Définition de la violence entre humains La violence est d’abord pensée comme une relation entre humains. Elle désigne tout comportement dont le but est de soumettre une personne ou un groupe à sa volonté en recourant à la force. Pour André Comte-Sponville, la Violence est « L’usage immodéré de la force. Elle est parfois nécessaire – la modération n’est pas toujours possible. Jamais bonne. Toujours regrettable, pas toujours condamnable. Son contraire est la douceur – qu’on ne confondra pas avec la faiblesse qui est le contraire de la force. »[iv] Si la violence n’est jamais bonne, il faut sûrement s’efforcer de la limiter. Instruit par l’exemple et les réflexions du Mahatma Gandhi sur l’efficacité possible mais aussi sur les limites de la non-violence, tâcher de « substituer de plus en plus dans le monde la non-violence efficace à la violence »[v] est un programme qui para
Sun, 28 Jan 2024 - 17min - 38 - L'Instant Philo - Responsabilité personnelle et liberté
Responsabilité personnelle et liberté Illustration : Le jugement de Salomon par Nicolas Poussin Responsabilité personnelle et liberté La responsabilité tient une place importante dans nos appréciations morales. Elle est présente sous forme d’injonction : « Prenez vos responsabilités ! ». Et on considère que l’on est quelqu’un de bien quand on a un comportement responsable. A l’inverse, reprocher à quelqu’un d’être complètement irresponsable est une façon de lui signifier qu’il est au comble de l’immoralité. La responsabilité semble même avoir détrôné les catégoriques morales qui étaient traditionnellement dominantes. Vertu et de vice sont des désignations qui paraissent désuètes. Méchanceté et bonté semblent trop naïves. Ainsi préfère-t-on parler de personnes responsables plutôt que d’individus vertueux et des irresponsables plutôt que des méchants : cela sonne mieux aux oreilles de nos contemporains. A tort ou à raison, la responsabilité semble ainsi dorénavant désigner l’attitude morale par excellence. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. Est-ce un simple effet de mode ? L’explication semble un peu courte. N’est-ce pas plutôt un changement positif de la modernité qui met l’accent sur la liberté individuelle et la responsabilité personnelle qui est censée lui donner un cadre ? Mais la responsabilité n’est-elle pas aussi source de stress et de passions tristes qui piègent moralement l’individu plus qu’elle ne lui permet de s’épanouir ? En somme, que penser de cette catégorie qui a fini par s’imposer au quotidien dans notre discours moral ? I. La responsabilité : analyse générale. A. Eléments de définition. 1) Etymologie Au sens étymologie la responsabilité renvoie au verbe « respondere » : répondre en latin. Mais il ne s’agit pas tant de répondre à une question que de ses agissements. 2) La responsabilité juridique Dans le domaine du droit, la responsabilité est, en effet, l’obligation de répondre de ses actions et de son comportement devant la justice et d’en assumer les conséquences civiles, administratives, pénales et disciplinaires. Le responsable au civil doit réparer les dommages. Au pénal, celui qui est tenu responsable et donc reconnu coupable, doit être puni pour les délits et les crimes qui lui sont imputés par un tribunal. En somme, la responsabilité juridique est évoquée quand il s’est passé quelque chose de fâcheux : dommages matériels, délits ou crimes. Quand tout va bien, on ne cherche pas habituellement des responsables. La responsabilité en droit pénal est dès lors l’étape qui précède culpabilité et condamnation. En droit civil, celle qui conduit à être tenu de verser des indemnités. La responsabilité juridique fait peser au-dessus de nos têtes l’épée de Damoclès des indemnités ou du châtiment. 3) Responsabilité morale L’idée d’un événement mauvais à prendre en compte est présente dans la transportation de la catégorie juridique dans le domaine de la société civile et de la morale privée : la promotion de la responsabilité au dix-neuvième siècle, souligne François Ewald,[i] va avec tout le développement dans l’idéologie libérale, des assurances dont les taux reposent sur le calcul des risques possibles. Être responsable, en ce sens, c’est pouvoir répondre de ce qui peut ne pas aller dans ses actions et ses conséquences prévisibles et ainsi garantir une bonne gestion de ses comportements pour que rien de fâcheux n’arrive. Reste qu’en droit comme en morale, on ne peut décemment faire valoir la responsabilité d’une personne qui a agi sans avoir conscience de ce qu’elle faisait. Une expertise psychiatrique peut ainsi conduire à déresponsabiliser l’auteur d’un délit ou d’un crime. Un enfant qui n’a pas la même conscience de ce qu’il fait qu’un adulte, doit voir aussi sa responsabilité atténuée – voire dans certains cas annulée : la responsabilité de ses tuteurs pouvant, au demeurant, être invoquée. Quand bien même la tentation serait présente, fa
Sun, 19 Nov 2023 - 15min - 37 - L'Instant Philo - Les vacances : un temps de liberté ?
Les Vacances L’instant Philo Dimanche 24 septembre 2023 « Les vacances : un temps de liberté ? » Par Marie-Charlotte Tessier et Didier Guilliomet Une amie qui se reconnaîtra me faisait cet été cette confidence « D'habitude, je culpabilise un peu de ne rien faire en vacances, mais cette année je m'y suis vraiment autorisée.» Ecartons tout jugement moral et demandons-nous pourquoi il est parfois si difficile de ne rien faire pour simplement se reposer ? Littéralement se re-poser ? Avec « la quille » tant attendue, ce moment où l'on est libéré des obligations et des emplois du temps contraints, vient le vertige du vide des « vacances » : « comment, à quoi, de quoi vais-je m'occuper ? ». D'un côté, si la question se transforme en « de quoi dois-je m'occuper ? », ce ne sont plus vraiment des vacances. D'un autre côté, le temps libre est un précieux trésor dont on ne sait pas bien comment jouir : faut-il le protéger jalousement ? Le partager généreusement ? Mais alors avec qui ? Pour celles et ceux qui échappent à l'économie de la rareté, le problème revient sous d'autres traits : « qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de tout ce temps ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de moi ? » De fait, aussi pénible soit-il, le carcan des obligations constitue une solide armure contre l'angoisse. Une fois le temps libéré, nous ne sommes pas toujours prêts à accueillir la liberté et nous nous empressons de lui dresser un programme : tour de France des amis ou de la famille, défi sportif, grands travaux, festivals, expositions… La frénésie du voyageur parti à la découverte pour certains, le rattrapage du temps passé et déjà la préparation de la rentrée pour d'autres… Que d'agitation ! Derrière le teint hâlé, on devine parfois un peu de lassitude, de dégoût même des excès de viande grillée et de rosé, du trop-plein d'une boulimie culturelle et de ces spectacles trop vite digérés et de toutes ces photos postées ad nauseam sur les réseaux sociaux. Bien entendu, personne n'ose vraiment le dire franchement. Il faut penser à tous ceux à qui ne partent pas en vacances et bien se rendre compte de la chance qu'on a. Avouer qu'on s'ennuie aujourd'hui, est-ce simplement possible ? Les sollicitations sont partout, les notifications nous accompagnent jusque dans nos draps et nos campagnes. Rien de neuf sous le soleil, me direz-vous ; Pascal (1623-1662) livrait déjà ce constat dans ses Pensées1« Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Je ne puis pour ma part adopter un ton aussi sentencieux et entonner le psaume « Vanité, vanité, tout n'est que vanité ». Se haïr soi-même et n'aimer que Dieu n'est pas un programme que je puisse suivre. Selon Pascal, nous nous divertirions au lieu de nous reposer pour éviter de contempler la vanité de notre condition. « L’ennui » écrit-il « ne laisserait pas de sortir du fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin. » Or mon hypothèse est sensiblement différente : c'est la peur d'agir et non celle du vide que traduit l'agitation. Dans nos vies dites « actives », il y a souvent plus d'agitation que d'action. L'agitation est un déplacement incessant qui ne produit aucune transformation significative du monde. A la différence de l'action dont on attend avec inquiétude ou enthousiasme les conséquences, l'agitation dénuée de véritables enjeux, prend souvent la forme de la répétition ou du retour au même, faisant ainsi alliance avec l'obsession. Son mouvement incessant est un leurre. Associée à l'immaturité et la vitalité de l'enfance, l'agitation est tolérée dans une certaine mesure, en fin de journée, en extérieur ou pour les fêtes d'anniversaire à condition toutefois qu'elle ne s’installe p
Sun, 24 Sep 2023 - 16min - 36 - L'Instant Philo - Le Pardon
Le Pardon Une émission qui reprend l'enregistrement d'une intervention au café de l'échiquier à Rouen où Michel Lynden m'avait convié dans le cadre de cafés philosophiques qu'il animait avec brio.
Sun, 24 Sep 2023 - 15min - 35 - L'Instant Philo : La Solitude
Par Younés Bouchoukh, étudiant de ECG1 du lycée François 1er avec la collaboration de Didier Guilliomet Dans l'opinion commune, la solitude est une situation considérée comme déprimante, voire dégradante. Les grecs anciens, par exemple, considéraient l’ostracisme – le fait de chasser un citoyen de sa cité et donc de le séparer de sa communauté, comme une punition très sévère. Encore maintenant, ostraciser une personne – c’est-à-dire l’isoler volontairement dans une société – est vécue comme une action agressive moralement et psychologiquement. Une chose est certaine, le sentiment plus ou moins accablant qui découle du fait d’être coupé de sa communauté, peut nous perturber profondément dans nos relations avec autrui. Elle peut nous conduire à mal interpréter les regards, paroles et comportements des autres. Bref le sentiment de solitude s’accompagne souvent d’une sorte de paranoïa. Cercle vicieux car en devenant méfiant, on s’éloigne des autres de plus en plus, et on renforce ce sentiment de solitude. De fait, se sentir seul provoque souvent une situation désagréable de blocage existentiel. Ne pas pouvoir s’en remettre et se confier à autrui et affronter les difficultés de la vie, seul, au quotidien, est chose difficile. Aristote soulignait que l’homme est un animal social. L’insertion dans le collectif a toujours été une constante de l’humanité. C’est, d’ailleurs, un des paradoxes de notre monde, qui est de plus en plus connecté, qu’une quantité non négligeable de personnes déclarent se sentir seules. Aux États-Unis, le Loneliness Index révèle que 58% de la population s’est sentie seule en 2021. La sociologue Irène Théry, constatant le nombre croissant de personnes qui vivent seules au sein de nos sociétés où l’on valorise la liberté individuelle et la vie privée, écrit dans son livre Le démariage: « vie privée, oui … mais de quoi ? » La question reste posée. On le voit, la solitude est souvent vue négativement. Mais est-il exact de dire qu’elle est une réalité forcément mauvaise ? L’enjeu de cette émission sera justement de présenter la solitude sous ses différentes facettes et d’essayer de saisir, sans en rester aux idées reçues, ce qu’elle est vraiment. Solitude et sentiment de solitude Pour avancer dans notre analyse, faire la distinction entre la solitude et le sentiment de solitude, toujours plus ou moins accablant et dépressif, est indispensable.La solitude est en effet, une situation qui possède des aspects clairement bénéfiques. En effet, elle peut constituer une bonne occasion de se retrouver avec soi-même, voire de se trouver tout court. Se déconnecter des autres, prendre du temps pour soi peut-être aussi dans certaines circonstances un remède pour se reconstruire, pour reprendre confiance en soi en se confrontant à soi-même. La solitude est nécessaire pour retrouver la tranquillité dans l’intimité. Les prisons surchargées ajoutent la terrible épreuve de la promiscuité à la privation de liberté de mouvement pour les condamnés qui se retrouvent à plusieurs dans une même cellule. Disons-le : parfois on est très entouré mais on se sent mal, la présence des autres nous pèse : on ne rêve alors que d’une chose : se retirer, seul avec soi-même pour arriver à une paix intérieure. Le sentiment de solitude n’est donc pas nécessairement le fait d’être physiquement séparé des autres. C’est plutôt une expérience subjective plus ou moins négative, où l’individu se sent « mal dans sa peau », comme en un pays étranger et hostile où il n’a pas sa place, même quand il est entouré d’autres personnes qui lui sont familières, que ce soit sa famille, ses amis, ses collègues. On parle par exemple d’un « moment de solitude » quand on fait une gaffe et qu’on se trouve ainsi la risée d’un groupe. Mais ce sentiment d’isolement peut naître aussi de l’impression d’être particulièrement incompris dans sa différence ou en décalage complet av
Sun, 14 May 2023 - 15min - 34 - L'Instant Philo - Le plaisir et la morale
Le plaisir et la morale Emission dudimanche 19 mars 2023 Illustration : "Les mangeurs de Ricotta" de Vincenzo Campi Le rapport du plaisir à la morale est souvent conflictuel. Combien de fois, la recherche du plaisir nous pousse-t-elle à nous émanciper sans beaucoup de scrupule et même, parfois avec jubilation, de nos obligations morales ? Sont-elles si nombreuses les personnes qui refusent de frayer avec l'immoralité dès qu'une délicieuse occasion se présente ? On comprend dès lors que certaines morales se méfient du plaisir comme du diable et multiplient les mises en garde et les interdits pour limiter son influence. Pourtant il existe une doctrine morale - l'hédonisme -qui estime que le plaisir est le bien par excellence qui, seul, peut apporter le bonheur sur terre. Chez le philosophe Epicure, cette doctrine conduit à une "sobriété heureuse" et elle ne manque pas d’arguments. Mais la forme la plus courante d'hédonisme chez les "bons vivants" pour lesquels il n'y a pas de mal à se faire du bien, a beaucoup moins de retenue et de tenue. La complexité du rapport de la morale avec le plaisir mérite est telle qu’on a souvent le sentiment d’être placé devant un dilemme. En effet, quand on prend le plaisir comme guide, cela peut nous conduire dans des directions totalement opposées. Mais quand la morale condamne avec virulence le plaisir, on ne peut s’empêcher de trouver cela douteux, voire hypocrite. Les moralistes intransigeants sont, en effet, parfois si obsédés par la sexualité qu'il est difficile de les croire détachés de ce plaisir qu'il dénonce avec passion. Quelle place faut-il donc accorder au plaisir dans notre recherche d'une vie bonne ? I. Le plaisir comme indicateur naturel du bien dans l'hédonisme d'Epicure 1) Le plaisir Chez nous, comme pour tous les animaux pourvus d'une sensibilité un peu développée, le plaisir s'inscrit dans une logique naturelle de récompense. C'est pourquoi naturellement il nous attire. A l'opposé, nous fuyons la souffrance qui se présente comme un révélateur de ce qui est mauvais pour nous. Par exemple, la douleur nous fait retirer spontanément la main quand un objet la brûle ou la blesse. En règle générale, elle contribue largement à la préservation de notre intégrité physique. A l'inverse, le plaisir indique naturellement ce qui semble bon pour l’organisme vivant que nous sommes. 2) L'hédonisme d'Epicure Epicure est un adepte de la théorie selon laquelle tout notre savoir provient des sensations qu’on nomme le sensualisme. C'est en cohérence avec l'idée que la sensation de plaisir structure, enchante et souvent guide notre existence qu’il a pu construire sa doctrine hédoniste. Dans La lettre à Ménécée, il déclare "Le plaisir est le commencement et la fin de la vie heureuse. (...) c’est de lui que nous partons pour déterminer ce qu’il faut choisir et ce qu’il faut éviter" On distingue souvent le bonheur durable et paisible du plaisir parfois violent et éphémère : pour Epicure ces deux satisfactions peuvent n'en faire qu'une, à condition toutefois de ne cultiver que les désirs naturels qui sont accessibles et dont la réalisation peut se répéter de façon agréable. 3) Trois sortes de désirs Epicure distingue en effet trois types de désirs. Les naturels et nécessaires comme boire quand on a soif. Les désirs naturels mais non nécessaires : comme boire une boisson sucrée pour se désaltérer. Enfin, les désirs non naturels et non nécessaires - les désirs vains - comme l'ivrognerie ou la goinfrerie. Son hédonisme se présente ainsi comme une pratique de sobriété heureuse où l'on fuit tous ces désirs excessifs qui dégradent le corps et troublent les esprits. II. Les plaisirs et désirs à éviter selon Epicure 1) Contre les désirs vains et excessifs. Pour avoir une vie vraiment plaisante, l'épicurisme déconseille fortement toute recherche du plaisir qui passe par des désirs vains. Les a
Sun, 19 Mar 2023 - 15min - 33 - L'Instant Philo : La Lucidité et le Pessimisme
Illustration : Oedipe se crevant les yeux La lucidité et le pessimisme. Des vœux mal venus ? 2023 débute : c’est le moment des traditionnels vœux qu’il serait incongru sans doute de ne pas présenter. Bonne année à vous ! Pourtant, on sent bien que, depuis quelques temps, ce rituel qui consiste à souhaiter un avenir meilleur sonne étrangement. Une chose est sure : il ne doit pas être prétexte à se voiler la face sur l’état du monde. Par-delà, les différentes crises que nous devons affronter – guerre, mesures antisociales, manipulation des opinions, montée en puissance des extrémismes politiques et religieux, inflation, augmentation des réfugiées - nous sommes visiblement surtout à la fin d’un cycle de quelques centaines d’années qui a apporté à l’humanité une abondance inédite. Tout notre système de production est en train de s’enrayer et nous sommes entraînés d’ors et déjà dans des changements majeurs – à commencer par le réchauffement climatique global de la planète du fait des activités humaines – qui engendrent des difficultés et des défis inédits et vont conduire l’espèce humaine à changer radicalement sa manière de vivre. En un sens, nous sommes victimes de notre succès sans doute parce qu’il ne fut pas sans excès, cupidité, orgueil, ni graves erreurs d’appréciation sur le vivant et sur les effets que nos technologies et modes de vie produisent sur la biosphère. S’il nous semble important de maintenir ces traditionnels échanges de vœux, en dépit de tout ce qui se passe et se présente à nous, c’est que nous considérons qu’être lucide sur notre situation ne conduit pas à désespérer complétement de l’avenir. Mais est-ce bien le cas ? Lucidité selon René Char Le poète René Char déclarait : « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ? [i]» Une telle définition semble curieusement d’actualité après ces mois de juillet et d’août 2022, où dans une grande partie de l’Europe et du monde, nous avons subi la canicule et la morsure d’un soleil implacable. Mais que signifie cette citation assez énigmatique ? Présenter la lucidité comme « la blessure la plus rapprochée du soleil » semble signifier au moins deux choses. D’abord que la lucidité est une souffrance – une blessure – donc une source de malheur. Ensuite, « la blessure la plus rapprochée du soleil » fait référence au mythe d’Icare qui a été enfermé avec son père Dédale dans un labyrinthe dont il est strictement impossible de sortir sans ruse spécifique. Ingénieux technicien, Dédale a fini par fabriquer des ailes en cire pour permettre à Icare de s’échapper en s’envolant du labyrinthe. Mais Icare, imprudent et tombant dans la démesure, ne s’est pas contenté de fuir, il s’est trop rapproché du soleil. Ses ailes ont fondu et il a chuté dans la mer qui l’a englouti sous ses eaux. Actualité du mythe d’Icare ? Ne sommes-nous pas dans la situation d’Icare ? Nous étions enfermés dans un monde au développement lent qui pouvait donnait l’impression de tourner en rond, monde où famine et maladies continuaient à errer, tels des minotaures meurtriers, dans le labyrinthe de l’existence humaine. Nous en sommes sortis grâce à une science et des techniques qui ont fait reculer les maladies et les famines et ont rendu possible une accélération de l’histoire et une explosion de la démographie. Enivré par ces succès, aveugles aux dangers, ne sommes-nous pas allés trop loin ? Ces techniques qui ont porté très haut notre niveau de vie, ne risquent-t-elles pas de faire chuter brutalement notre espèce dans une situation chaotique ? Et de faire voir bien des régions et villes que nous habitions disparaître, englouties par l’élévation du niveau des mers ? En somme, la lucidité ne nous condamne-t-elle pas au pessimisme complet ? Nous aimerions montrer que tel n’est pas le cas et que faire des vœux pour l’avenir conserve tout son sens, par-delà, la sociabilité, la politesse et l’attention aux autres que déjà avantageusement ce rituel peut produire. Que faut-il entendre précis
Sun, 15 Jan 2023 - 15min - 32 - L'Instant Philo - L'expérience de la beauté
L'expérience de la beauté Emission du dimanche 6 novembre 2022 Illustration Lucrezia Panciatichi, un tableau d’Angelo Bronzino I. Une expérience bouleversante A. Nature paradoxale de la beauté ? 1. Constat. L’expérience que nous faisons de la beauté est intrigante. D’un côté, c'est une expérience somme tout banale : qui n'a jamais ressenti cette émotion qui lui fait déclarer de façon solennelle : " qu'est-ce que c'est beau ! " ? Cela peut arriver devant un paysage, un visage, une peinture, un film, en écoutant une cantate de Bach ou bien le chant d'un oiseau. Et la beauté est perçue dans le monde ordinaire par les deux sens principaux que nous mobilisons : la vue et l'ouïe. Mais, d’un autre côté, la beauté rend manifeste l'existence de quelque chose de tout à fait extraordinaire - bien différent de tout ce que nos cinq sens nous présentent. L'expérience de la beauté comprend en effet le plus souvent un moment de sidération : comme si un éclat d'absolu entrait subitement dans notre quotidien. 2. Spécificité de l'idée du beau selon Platon. Pour Platon, ce caractère paradoxal de la beauté tient à sa nature même. Illustre représentant de l'idéalisme philosophique, Platon estime que la réalité est constituée d'idées que notre intelligence pure peut saisir. Notre perception habituelle du monde est censée, selon lui, nous égarer car elle ne nous propose que de pâles et périssables copies des idées éternelles. Parmi ces dernières, les trois grandes idées sont celles du beau, du vrai et du bien. Toutefois, pour Platon, il existe une différence de statut entre ces trois idées et celle de la beauté se singularise à bien des égards. Le vrai, on le sait, demande souvent bien des efforts et des raisonnements pour être établi. La vérité, loin d'être une évidence spontanée, est le résultat de tout un cheminement. Le bien, quant à lui, ne se voit pas clairement sur les visages, ni dans les attitudes et les actions. Même l'idée de notre bien-propre ne nous apparaît souvent que lorsque l'expérience a permis de sortir de toutes les fausses pistes et impasses que nous avons explorées. Pour notre philosophe athénien, la beauté a, elle, ce privilège - qui peut passer aussi pour une sorte de sortilège - d’être la manifestation la plus immédiatement perceptible du monde idéal ici-bas. La seule idée éternelle qui est directement sensible est en effet celle du beau. La beauté constitue ainsi une exception remarquable dans la conception idéaliste du fondateur de l'académie car elle est l'apparition sur terre de ce qu'il y a de meilleur et d'impérissable dans le monde des idées. C’est pourquoi pour Platon il ne faut jamais se moquer, ni sous-estimer une personne qui s’extasie devant une manifestation de la beauté : il y a toujours de la profondeur dans cette attitude. Un esthète ne peut jamais être totalement mauvais. B. La singulière expérience de la beauté. On parle parfois de beauté à couper le souffle. En tout cas, la beauté nous enthousiasme et nous inspire. Platon en fait l’objet général de toute passion. L’amour est pour lui toujours désir de beauté et même désir d’engendrer dans le beau[i]. La beauté nous chamboule, peut nous faire tourner la tête, nous bouleverse tout comme le fait l’amour quand il s’empare de nous, corps et âme. Stendhal disait souffrir à Florence de vertiges liés à la puissance des chefs d’œuvre qu’il contemplait dans cette cité de Toscane qui abrite dans ses murs des beautés picturales dont les auteurs sont Raphaël, Léonard de Vinci, Masaccio, Botticelli, Le Caravage, Michel-Ange, Bronzino ... « La beauté est promesse de bonheur » notait également Stendhal pour qui le beau prépare également et rend possible une existence accomplie. C’est dire l’aspect mixte de cette expérience du beau qui est à la fois physique et en un sens "métaphysique", c'est-à-dire qui renvoie au concret de la sensibilité et nous élève dans un au-delà
Sun, 06 Nov 2022 - 17min - 31 - L'Instant Philo : Que nous disent les chansons de la rupture amoureuse ?
Que nous disent les chansons de la rupture amoureuse ? Après la pause estivale, « l’instant philo » reprend en musique ! En avril dernier, en effet, nous avons abordé le thème de « Rupture et continuité » sans parler de la rupture amoureuse. Il semble pourtant intéressant, à bien des égards, d’y consacrer une émission. Pour explorer, on l’espère de façon plaisante, diverses facettes de ce moment toujours déstabilisant de la vie affective, nous avons choisi de prendre appui sur la chanson populaire qui constitue, en cette affaire, un bon fil conducteur. Une rupture a un versant sombre et elle peut être une véritable catastrophe. Parfois tout à l’inverse, elle nous fait même entrer dans un scénario de comédie et de marivaudage où les larmes et les rires se mêlent pour aboutir à une fin heureuse. Loin d’être un traumatisme définitif, la rupture amoureuse peut constituer ainsi une vraie délivrance – ou du moins, une scansion, une respiration ou un rebond salutaire au sein des relations affectives. Elle peut fournir l’occasion de se réinventer, comme le montre la philosophe Claire Marin dans un essai qui date de 2019 : Rupture(s) : comment elles nous transforment. En somme, la rupture amoureuse, à l’instar du mariage, est pour le meilleur comme pour le pire. https://www.youtube.com/watch?v=sIGK6G6IerI L’aspect dramatique et douloureux de la séparation amoureuse prévaut le plus souvent dans la chanson populaire. Alex Beaupain, que nous venons d’entendre, ne l’ignore pas quand il reprend magistralement « Comme un ouragan » de Stéphanie de Monaco. « Nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la souffrance que lorsque nous aimons, jamais plus irrémédiablement malheureux que si nous avons perdu la personne aimée et son amour » souligne Sigmund Freud[i]. Un air célèbre du film « Les parapluies de Cherbourg » exprime tout ce qu’il y a de déchirant quand les événements conduisent des amants se résigner à une suspension même temporaire de leur relation. https://www.youtube.com/watch?v=KhQ2Mb_Xa7Y « Je ne pourrai vivre sans toi » : chanté par Catherine Deneuve, composé par Michel Legrand. Parfois, les lamentations deviennent supplications de celui qui est quitté quand le couple se brise. https://www.youtube.com/watch?v=i2wmKcBm4IkJacques Brel : « Ne me quitte pas » La déception amoureuse peut prendre également une forme plus autodestructrice et plus virulente où la blessure se cache derrière une indifférence hostile comme en témoigne cette chanson de la Mano Negra https://www.youtube.com/watch?v=eSxoxqDB0OI« Pas assez de toi » [ii] Une rupture peut dégénérer en un moment d’horreur, comme malheureusement nous le rappellent harcèlements, violences conjugales, crimes passionnels et féminicides. A mille lieux de cela, Françoise Hardy toute en retenue et en pudeur, demande des explications. Il est utile et réconfortant pour accepter la fin d’une histoire, de mettre des mots sur ce qui se passe et de soigner ainsi ressentiment et tristesse par le dialogue – ce bon antidote à la violence. https://www.youtube.com/watch?v=uJd6ydAJK4A F. Hardy : « Comment te dire Adieu ? » Dans les années 70, Gérard Lenorman campe le personnage d’un homme qui, loin de se laisser entraîner par le dépit d’avoir été quitté, affiche une attitude plus conciliante – plus Françoise Hardy que Mano Negra !- en s’adressant à son ex. https://www.youtube.com/watch?v=Pn_itowbTzs Gérard Lenorman : « Voici les clés » La culpabilisation et la façon narquoise de chantonner indiquent toutefois que l’acceptation de la séparation n’est pas sans arrière-pensée dans cette chanson où la comédie prend le pas sur la tragédie. Plus franc du collier, Ben Mazué dans un morceau intitulé « Les jours heureux » met en lumière un élément qui brouille souvent la donne : cette peur du célibat et de la solitude affective qui conduit souvent à regretter une rupture pourtant nécessaire. https:/
Sun, 11 Sep 2022 - 18min - 30 - L'Instant Philo : L'interprétation du rêve
« L’instant philo » Emission du dimanche 19 juin 2022 L’interprétation du rêve I. Propos liminaires A. Rappel Pour Freud, si nous rêvons, c’est que nos désirs débordent du cadre étroit de ce que la réalité quotidienne peut nous apporter comme satisfaction. Toutes ces passions et aspirations bien présentes en nous qui ne trouvent pas moyen de se réaliser pourraient produire une amertume individuellement et socialement néfaste. Une des fonctions de l’activité onirique est de limiter la frustration que nous rencontrons fatalement dans nos existences. Pour désigner cette capacité que nous avons de traduire un désir qui nous hante en une création originale sur la scène onirique, Freud parle de dramatisation. Cette capacité de nous persuader qu’est présente en rêve une satisfaction qui est absente dans la réalité ne fait pas que compenser un manque, elle apporte également une dimension tout à fait originale à nos vies. A côté des désirs qui continuent de nous tourmenter après une journée auxquels le rêve donne satisfaction par l’imaginaire, il y a des aspirations plus générales, plus profondes peut-être, en tout cas plus existentielles auxquelles le rêve donne forme. La fonction onirique permet ainsi d’incarner le désir de donner du sens à ce que nous vivons et de donner corps au désir d’explorer de façon inventive les rapports complexes que nous tissons avec ce qui nous entoure, en les rejouant et en les scénarisant. B. Les rêves à interpréter. Tout rêve est la réalisation d’un désir. Tel est le cadre interprétatif général proposé par Freud. Mais, comment savoir quel désir particulier se réalise dans ces rêves d’adultes qui paraissent si étranges et incompréhensibles ? Pas facile ! C’est justement là qu’une interprétation devient nécessaire. Ce qui est sans ambiguïté n’a nul besoin qu’on enquête pour en saisir le sens. Dans le souvenir qu’on a des rêves qui réalisent clairement un désir bien identifié, tout est compréhensible. Quand des scientifiques sont envoyés dans une station polaire à l’époque de Freud, ils se trouvaient condamnés à se nourrir pendant des semaines essentiellement de boites de conserve ; il n’est pas étonnant que tous finissent par rêver de façon récurrente de festins merveilleux. Le désir réalisé alors n’a rien de mystérieux. Par contre, les rêves où ce sont des désirs inconscients qui se réalisent demandent à être interprétés. En effet, le souvenir que nous en avons – Freud parle pour le désigner de « contenu manifeste » - ne permet pas d’accéder directement à son sens. Le contenu qui se manifeste à notre conscience au réveil dans ces songes intrigants semble lourd d’une signification énigmatique que Freud appelle « le contenu latent » - « latent » car s’il nous échappe bien, on en a tout de même une sorte d’intuition vague. Interpréter un rêve consiste donc, à l’aide d’une enquête et d’un ensemble de moyens mobilisés, à tenter de retrouver son sens profond à partir de la mémoire qu’on en a. Comment concrètement fait-on ? Quelle méthode Freud préconise-t-il pour arriver à décrypter nos productions oniriques les plus déconcertantes ? II. La méthode d’interprétation du rêve A. Théorie. 1) Le travail de censure Les rêves à interpréter sont ceux qui mettent en scène des désirs inconscients dont la satisfaction reste cachée pour protéger notre équilibre. Dans ces productions oniriques, notre psychisme dissimule la présence de pulsions perturbatrices. Dans cette censure que Freud nomme le travail du rêve, diverses opérations interviennent. Par exemple, un rêve peut transformer une information trop déstabilisante en un élément symbolique : c’est le cas de bien des aspects sexuels qui arrivent à la conscience sous une forme ainsi moins explicite. Par exemple, le sexe masculin prend la forme d’un
Sun, 19 Jun 2022 - 13min - 29 - L'instant Philo : pourquoi rêvons-nous ?
L’instant philo Dimanche 22 mai 2022 Pourquoi rêvons-nous ? Introduction Pour les grecs, Morphée dans les bras duquel nous nous réfugions chaque nuit, est à la fois le dieu du sommeil et celui des songes. En effet, lorsque nous sommes assoupis nous traversons deux séquences bien distinctes. Il y a le sommeil profond où nos activités cérébrales sont au plus bas, où le corps s’abandonne à l’inertie la plus complète. Le visage du dormeur n’exprime alors plus rien et on peut être fasciné mais aussi effrayé par cette façon de s’absenter physiquement du monde qui ressemble à la mort. Il existe aussi le sommeil dit paradoxal – paradoxal car si on branche un électroencéphalogramme sur la tête du dormeur, on peut constater une activité cérébrale intense, souvent équivalente à celle d’une personne bien réveillée. Cette période s’accompagne aussi de mouvements du corps. Les yeux s’agitent souvent derrière les paupières, l’individu endormi change volontiers de position et peut prononcer quelques brèves et souvent incompréhensibles paroles. Il arrive même qu’il se redresse, se lève et se transforme en somnambule. Bref lors du sommeil paradoxal, il se passe quelque chose de vraiment intrigant et c’est justement le moment où nous rêvons. Toutes les nuits nous rêvons, même s’il est courant que nous n’en ayons aucun souvenir. Et quand nous nous souvenons d’un rêve, c’est souvent avec étonnement et fascination. Le rêve a ainsi de quoi nous faire spéculer. On a, par le passé, souvent estimé que les Dieux, par son intermédiaire, entraient en communication avec les humains. Les rêves, revêtus d’un caractère sacré, étaient ainsi pris très au sérieux et faisaient l’objet de multiples interprétations. On entend toujours parler de rêves prémonitoires et les élucubrations sur les pouvoirs extraordinaires du rêve vont bon train sur internet. Mais que penser en vérité de cette activité onirique ? Quelle est sa fonction et son sens profond ? Comment définir le rêve ? Pourquoi rêvons-nous ? I. Le rejet de la conception « mythologique ». Le discours le plus savant et le plus cohérent que nous ayons pour l’heure sur le rêve est, celui de la psychanalyse, en dépit de toutes les interrogations qu’elle continue de soulever. Freud, le père fondateur de cette nouvelle psychologie, s’est intéressé très tôt au rêve qu’il considère dans son premier ouvrage comme « la voie royale de l’exploration de l’inconscient »[i]. Faire l’étude de ce phénomène, somme toute banal, constitue en effet à ses yeux un argument fort pour prouver que notre activité psychique ne se réduit pas à la conscience que nous en avons. Si nous voulons répondre aux questions que nous nous posons, c’est donc d’abord les analyses de Freud qu’il faut prendre en considération. Son geste initial de scientifique en cette affaire est d’écarter la représentation « mythologique » et irrationnelle du rêve qui estime que l’activité onirique constitue un accès à une autre dimension du réel, souvent un monde surnaturel. On peut penser au « dream time » - ce temps du rêve qui est le moment mythique au fondement de toute la conception totémiste du monde des aborigènes d’Australie. Plus proches de nous, dans les monothéismes, beaucoup de relations au divin ainsi que d’annonces faites notamment à des prophètes, se déroulent lors de rêves. Enfin, là où le culte des ancêtres est pratiqué, les songes sont censés permettre d’entrer en contact avec les défunts. Penser le sommeil comme un accès à un monde différent a inspiré aussi le cinéma fantastique. Dans Les griffes de la nuit de Wes Craven, l’héroïne dès qu’elle s’endort, se retrouve en proie aux lacérations d’un personnage terrifiant qui incarne assez bien l’aspect autodestructeur de certaines pulsions inconscientes quand elles font retour dans la conscience. II. Fonction et définition du rêve. 1)
Sun, 22 May 2022 - 13min - 28 - L'Instant Philo : Rupture et Continuité
Illustration : Photographies de Roman Opalka L’instant philo Rupture et continuité L’émission a été diffusée le dimanche 24 avril 2022 dans le magazine « Viva Culture » sur Ouest Track Radio. Référence musicale : « O Superman » de Laurie Anderson : https://www.youtube.com/watch?v=Vkfpi2H8tOE I. Analyse générale A. Remarques introductives Dès qu’on veut appréhender l’évolution d’une réalité, les idées de « Rupture et continuité » se présentent assez spontanément à nous. Les années passant et s’accumulant, on se demande : qu’est-ce qui a vraiment changé ? Et qu’est-ce qui reste identique ? Ces notions de « Rupture et continuité » ont pour caractéristique de s’appliquer, de façon qui nous semble éclairante, aux choses sur lesquelles le cours du temps a une prise et auxquelles il arrive quelque chose. Elles se présentent ainsi comme des catégories utiles et même indispensables pour saisir toute réalité soumise à la temporalité, c’est-à-dire pour appréhender tout ce qui existe autour de nous. Mais on s’aperçoit vite que les choses se compliquent quand on cherche à se servir de cette distinction. On est souvent embarrassé. On s’exerce alors à de subtiles nuances : ainsi on juge qu’il y a « rupture dans la continuité » dans certains cas. Façon de dire que ça change sans changer. Mais quand des artistes comme Bob Dylan ou David Bowie ne cessent de se réinventer tout au long de leur carrière, on se risque à parler de continuité dans la rupture. Pas facile. On a aussi parfois l’impression que ces catégories sont des habits trop amples ou trop étroits, en tout cas, mal adaptées au corps des phénomènes dont les contours se trouvent cachés ou déformés par ce qui était censé les faire mieux percevoir. Comment arriver à bien ajuster et adapter ces notions à la réalité ? Rupture et continuité forment donc un couple plus complexe et énigmatique qu’on ne le pense. Aussi est-il utile de commencer par en donner une définition plus précise. B. Définitions 1) La continuité. Quand on a le sentiment que rien ne change fondamentalement pendant un laps de temps dans un domaine quelconque, on parle de continuité. Quelque chose demeure. Par opposition, dans la rupture, quelque chose meurt et disparaît. A la suite de quoi, la nature ayant horreur du vide, autre chose apparait. Pour autant, la continuité ne se confond pas avec l’identité. Il y a tout de même de la différence dans la continuité entre des choses qui gardent un lien si fort qu’elles peuvent être rassemblées. Un tas de sable peut-être plus ou moins fourni : on peut en rajouter ou en retirer un peu : cela reste un tas de sable. Les variations constatées ne sont que quantitatives. De façon plus générale, Anaxagore, ce penseur présocratique du cinquième siècle pouvait affirmer : « Rien ne se crée, rien ne périt mais des choses déjà existantes se combinent et se séparent ». La continuité n’exclut donc pas le changement mais elle est une discontinuité de faible intensité Dans un autre domaine, la série de toiles de Cézanne représentant la Montagne Sainte Victoire ou celle de la cathédrale de Rouen à des heures différentes peintes par Claude Monet constituent des variations sur le même thème. Dans ces deux ensembles cohérents, aucun tableau ne tranche radicalement avec les autres : il y a donc continuité, en dépit de la diversité des œuvres. 2) La rupture. Comment définir la rupture ? Tout d’abord, elle n’est pas une simple suspension temporaire de l’ordre habituel. On a ainsi envisagé un temps la période de pandémie et de confinement que nous avons traversée comme ce qui allait produire un monde d’après très différent. Il y a bien eu alors interruption d’un ordre du monde du fait de l’interférence perturbatrice de l’épidémie. Mais pas disruption – pour employer un terme à la mode. Le cours des choses a malheureusement continué comme avant. Une simple parenth
Sun, 24 Apr 2022 - 10min - 27 - L'Instant Philo : Economie et écologie
L’instant philo Economie et écologie Emission du dimanche 27 mars 2022 Introduction « Economie et écologie » : ces deux termes sont très proches. « Eco » vient du grec Oikos qui signifie la maison ou l’habitat. Nomos qui a donné en français « nomie » désigne la loi ou la gestion. L’économie, en ce sens, est la bonne administration ou gestion de la maison. L’écologie, elle, est littéralement l’étude ou la science (du grec Logos) de notre milieu de vie. Cette proximité n’a pas empêché économie et écologie de prendre des chemins différents. Et même de rentrer violemment en conflit l’une avec l’autre. L’écologie, s’appuyant sur des données scientifiques, lutte pour promouvoir ce qui permettrait de protéger notre maison commune - la terre. L’écologie vise ainsi cette saine administration de notre habitat dont notre système économique actuel s’est détourné en poursuivant inexorablement sa marche, au nom de la croissance, vers une dégradation de plus en plus dangereuse des conditions de vie sur notre planète. On pourrait pourtant se donner les moyens d’avoir une gestion de notre maison commune respectueuse d’un équilibre favorable à l’ensemble des vivants. Mais pour réconcilier économie et écologie, ces deux sœurs devenues ennemies, il y a une vraie révolution à faire – à commencer dans notre représentation des choses. Dans cette émission, à partir d’un abécédaire constitué de trois entrées : « bien-être », « pouvoir d’achat » et « décroissance », nous aimerions interroger justement le rapport entre économie et écologie et ouvrir ainsi quelques pistes de réflexion. Nous avons eu l’occasion, à l’invitation de Jean-Luc Guyon-Firmin du service culturel de Montivilliers, d’aborder ces points lors d’une séance de l’université populaire consacrée à la transition écologique. Cette émission reprend dans une large mesure les enregistrements effectués lors de cette université populaire dont les activités continuent jusqu’en juin prochain[i]. Le bien-être C’est un sentiment de satisfaction à la fois matérielle et morale. Proche ainsi du bonheur qui est toutefois une satisfaction sur une durée plus conséquente de nos désirs principaux. Le bien-être ne se définit pas seulement par un bon niveau de revenu et un bon pouvoir d’achat. Certains économistes le définissent parfois à l’aide du P.I.B. – indicateur du bien-être dans un pays. Le bien être va plutôt avec le bien-vivre dont se préoccupe l’éthique. J’aime bien rappeler à ce sujet la définition que donne le philosophe Paul Ricœur : l’éthique est le souhait d’une vie accomplie avec et pour les autres dans des institutions justes »[ii]. Il faut le rappeler – tant il est vrai qu’on l’oublie souvent - l’humanité depuis le début de l’ère industrielle a connu une période d’abondance et d’amélioration des conditions matérielles d’existence tout à fait exceptionnelle. L’exploitation à peu de frais de nouvelles sources d’énergie – dont le pétrole – a donné un coup d’accélérateur à tout ce processus. Il y a eu des progrès inédits dans la répartition et la qualité des soins médicaux, des avancées incroyables dans toutes les techniques de productions industrielles et agricoles avec une science qui s’est développée à une rapidité jamais vue. Un citoyen d’un pays développé ayant un revenu moyen détient dorénavant un pouvoir d’achat qui lui donne accès à un luxe auquel aucun Roi de France en exercice ne pouvait accéder : eau et chauffage à disposition, nourriture variée venant du monde entier, médecine efficace, possibilité de communiquer sans délai à peu de frais avec le monde entier, moyen de transport inouï qui permet de nous transporter à une vitesse hallucinante à l’autre bout du monde. Nous sommes les enfants gâtés de l’histoire. Et comme c’est souvent le cas des enfants gâtés, nous ne sommes pas vraiment conscients de la chance que nous avons. Nous sommes devenus si habitués à avoir à disposition une véritable caverne d’Ali Baba que même la perspect
Sun, 27 Mar 2022 - 39min - 26 - L'Instant Philo : La méditation: mode de pensée ou mode de vie ?
La méditation : mode de pensée ou mode de vie ? par Emma Bartel Emission du dimanche 27 février 2022 Emma Bartel, ancienne élève du lycée François 1er au Havre, est actuellement doctorante à Sorbonne Université et enseigne à l’Université de Paris. Sa thèse porte sur les femmes et l’art de la méditation au 17ème siècle en Angleterre. Les virgules musicales sont des compositions de Eydis Evensen que cette dernière interprète en concert. https://www.youtube.com/watch?v=MhY7mVCIU6Q Les titres des morceaux dans leur ordre de diffusion dans l'émission - Dagdraumur - Wandering I - Fyrir Mikael
Sun, 27 Feb 2022 - 12min - 25 - L'Instant Philo : L’écologie entre peur, ennui et espoir
« L’instant philo » Dimanche 30 janvier 2022 L’écologie entre peur, ennui et espoir Introduction Le mois de janvier qui s’achève est traditionnellement le moment où nous échangeons des vœux et souhaitons à notre entourage le meilleur pour la nouvelle année qui commence. C’est l’occasion souvent de resserrer quelques liens. Mais après avoir traversé les turbulences dues à la pandémie mondiale et dans la perspective du « nouveau régime climatique » dont les effets négatifs se font déjà sentir, ces vœux sonnent un peu faux. Sommes-nous crédibles quand nous souhaitons aux autres un bel avenir ? Certes, et c’est une bonne nouvelle, une vraie prise de conscience a bien eu lieu. Pourtant comme le remarquent Bruno Latour et Nicolaj Schultz[i], deux penseurs très engagés dans la transition écologique : « pour le moment l’écologie politique réussit l’exploit de paniquer les esprits et de les faire bailler d’ennui.». Comment expliquer cette situation aussi paradoxale que désolante ? Qu’est-ce qui permettrait à un projet écologiste d’éviter le double écueil de la peur qui paralyse et du discours qui est inaudible ? Assurément la capacité de dégager des perspectives constructives et positives. Aucune société humaine ne peut, en effet, se dispenser d’entretenir de l’espoir. Mais quelles sont-elles ces perspectives qui pourraient contrebalancer en partie le diagnostic inquiétant que nous faisons de la situation sur terre et les pronostics sombres qui concernent notre avenir, notamment ceux du G.I.E.C.? En somme, comment passer du désenchantement, voire du catastrophisme, à un projet stimulant que l’humanité puisse appeler de ses vœux – notamment du nouvel an ! Pourquoi le discours écologiste semble-t-il trop souvent inaudible ? Déni de réalité Pourquoi le discours écologiste a-t-il parfois tant de mal à être entendu ?Déni et rejet mêlé d’ironie restent, il est vrai, courants face à l’avenir que le discours écologique annonce. C’est le thème du film d’Adam McKay Don’t look up qui remporte un vrai succès en ce moment. Une personnalité emblématique de l’écologie, Greta Thunberg qui dénonce les malheurs sans toujours être prise bien au sérieux est ainsi un peu notre Cassandre. Pourtant, contrairement au personnage de la tragédie grecque, la jeune militante écologiste n’est pas dans la prophétie : elle s’appuie sur des prévisions scientifiquement fondées. Dérive religieuse ? Alain Badiou dénonce aussi une dérive qui retire du crédit à certains écologistes. Adorateurs de la déesse Terre rebaptisée Gaïa, certains sont des prêcheurs qui invitent leurs fidèles à faire le bien, « à ne plus manger de viande, à chasser les chasseurs ou à ne circuler qu’à bicyclette, ou à produire dans son petit jardin des épinards métaphysiquement bio. ». Tout en étant bien complaisants, note Badiou, à l’égard des classes dominantes et des idéologies de droite[ii]. Il reproche ainsi à Greta Thunberg d’avoir déclaré qu’il ne faut pas s’attaquer au capitalisme parce que cela divise.[iii] Il lui donne sans bienveillance le sobriquet de « petite sainte de l’écologie », car elle illustre, selon lui, une « désorientation cléricale[iv] » de ces verts « que la question de la propriété privée et du communisme laissent indifférents » mais qui aiment à sermonner et à culpabiliser leurs interlocuteurs. Comme chez tout militant, il peut y avoir des excès mais ne faut-il pas distinguer d’une part, les analyses de la situation actuelle dans laquelle notre modèle économique doit être mis en cause, de la façon, d’autre part, de faire naître une prise de conscience chez des citoyens qu’un discours immédiatement anticapitaliste pourrait braquer ? En tout cas, le décalage entre la gravité de la situation et le peu de force mobilisatrice du discours écologiste ne s’explique pas principalement, je crois, par cette dérive superstitieuse que Badiou signale. Un deuil difficile à f
Sun, 30 Jan 2022 - 16min - 24 - L'Instant Philo : La sagesse et le sens des limites - partie 1. « Le moment grec »
La sagesse et le sens des limites - partie 1. « Le moment grec » Illustration : détail de la fresque de Raphaël : L'école d'Athènes" présentant Socrate en pleine discussion Texte de l'émission « L’instant philo » Emission du dimanche 03 octobre 2021 La sagesse et le sens des limites: 1. « Le moment grec » Pourquoi Pythagore a refusé l’honneur d’être placé parmi les sages de la Grèce Pythagore et la philosophie On connaît Pythagore pour son fameux théorème et ses contributions aux mathématiques. Mais on ignore souvent qu’il a été aussi un penseur dont la doctrine a inspiré bien des idéalistes - à commencer par Platon. Diverses sources de l’antiquité[i] rapportent que c’est lui également qui auraient utilisé en premier les termes de « philosophie » et « philosophe ». Qu’est-ce qui a poussé Pythagore à créer ces termes voués à bel avenir ? Les sages de la Grèce La civilisation grecque de l’antiquité aimait honorer les individus les plus doués dans tous les domaines : des compétitions étaient ainsi organisées pour donner occasion aux meilleurs de se surpasser. Les jeux Olympiques permettaient aux athlètes de briller de tous leurs feux. Les champs de bataille donnaient occasion à certains guerriers de montrer un courage récompensé par divers honneurs. Grâce aux concours de tragédie – les dithyrambes de Dionysos –les noms de quelques illustres vainqueurs - Eschyle, Sophocle et Euripide - sont arrivés jusqu’à nous. Les anciens grecs avaient aussi le souci de désigner officiellement des sages qui pouvaient servir de modèle aux autres. Un jour, on s’adressa à Pythagore pour le faire entrer dans le cercle restreint des « sages de la Grèce ». Il réunissait en effet les qualités du sage – du sophos. Son savoir était exceptionnel– et pas seulement en mathématiques. Son attitude morale pouvait servir d’exemple. Enfin, son habileté - notamment dans les affaires humaines – ne manquait pas d’être saluée de tous. Pourtant, à la surprise générale, Pythagore a d’abord repoussé cette offre honorifique. Pourquoi Pythagore refuse d’être nommé « sage » Pour quelles raisons ? Pythagore s’inscrivait dans la tradition qui valorise la mesure en toute chose. Pour les anciens grecs, il faut éviter absolument la démesure – l’hubris - qui donne le sentiment à l’homme d’être tout puissant et le conduit à franchir la ligne de partage entre l’humain et le divin. Une chose est la perfection des Dieux, autre chose l’imperfection des hommes. Or la sagesse, figure de l’excellence, semble bien être un attribut d’un être parfaitement savant, impeccable dans son attitude et d’une habileté sans failles – bref, elle ne semble pouvoir être attribuée qu’aux Dieux. Les hommes avec tous leurs défauts et limites ne peuvent dès lors se dire sages en ce sens qu’avec beaucoup d’imprudence et d’impudence. Accepter d’être déclaré sage de façon irréfléchie montrerait qu’on ne l’est pas du tout. C’est pourquoi Pythagore refuse le titre prestigieux de sages de la Grèce. Il semble même en contester la légitimité. Néanmoins, par souci d’apaisement, il suggère un changement de terminologie qui va permettre de trouver un terrain d’entente. Plutôt que d’être nommé sophos, Pythagore propose une appellation plus modeste : il n’est pas un sage mais quelqu’un qui aime la sagesse : un philosophos. Un philosophe Philosophie, limites humaines et sagesse Modestie de la philosophie Le terme « philosophie » signifie « l’amour de la sagesse ». Si on cultive l’amour de la sagesse, c’est qu’elle nous semble éminemment aimable mais qu’en même temps, nous savons qu’elle nous échappe toujours du fait de notre imperfection. « Nobody is perfect ». Le philosophe se différencie ainsi toujours de celui qui est arrivé au dernier degré de la sagesse. C’est dans cette perspective, que, plus tard, Platon soulignera[ii] « Parmi les Dieux, il n’y en a aucun qui s’emploie à philosophe
Sun, 03 Oct 2021 - 13min - 23 - L'Instant Philo : Le Coupable et la Victime
Le Coupable et la Victime Illustration : Adam et Eve chassés du jardin d'Eden par Masaccio (Eglise de Sante Maria del Carmine, Florence) Texte de l'émission L’instant philo Le coupable et la victime. Emission du 05/09/2021 Constats Un constat tout d’abord : il y a des détresses sans coupables extérieurs, de l’adversité sans adversaire, des malheurs qui nous accablent sans volonté malveillante qui se cachent derrière eux. Il existe des accidents dans nos parcours de vie qui ne peuvent trouver nécessairement de responsables. Cela peut soulager quand on va mal de croire avoir trouvé la cause de nos malheurs dans une personne, un groupe ou un complot quelconque. On préfère croire qu’on est victime d’une grande injustice plutôt que d’être abandonné dans une détresse qui nous paraît absurde ou dont on répugne à chercher l’explication en soi-même. René Girard[i] a su montrer à quel point dans l’histoire la désignation arbitraire d’un bouc-émissaire sur lequel on s’acharne peut être fréquente. Cela sert de soupape de décompression à une société qui passe ainsi du simple constat attristé et parfois désespéré du malheur à l’accusation délirante qui précède souvent de peu la violence. On projette son mal-être sur une personne ou un tout groupe qu’on se plait à haïr, à accabler de tous les maux, voire même à lyncher, persécuter, massacrer. Cela peut faire du bien de faire du mal quand on est mal. Mais la culpabilisation, détournée de sa source rationnelle, devient pure accroche de la haine sur un bouc-émissaire innocent qui sert d’exutoire. Pourtant, nous pouvons être malheureux sans être victime de qui que ce soit et, par conséquent, sans pouvoir identifier un ou des coupables. Rude vérité tant il est vrai qu’on cherche souvent du sens à sa souffrance personnelle en identifiant une volonté de nuire qui en serait la cause. La souffrance est parfois un symptôme qui ne cache aucune malveillance mais la simple dureté et l’indifférence de l’ordre des choses. C’est alors à nous de nous dégager de ces explications imaginaires qui ne nous soulagent que pour nous plonger dans la haine et le ressentiment. Au lieu de trouver des individus à maudire, mieux vaut balayer devant sa porte Culpabilisation et victimisation Toute culpabilisation des autres n’est pas pour autant à rejeter. Avec les mouvements « Me-too »[ii] et « Black lives matter », la parole de certaines victimes a pu se faire entendre et l’impunité de certains coupables être mis à mal. On peut comprendre que des thèmes liés au contexte historique et culturel nord-américain - insistance sur la race ou influence du puritanisme - puissent devenir problématiques dans la réception de ces mouvements. Mais, on ne va pas se plaindre d’une mise en accusation légitime de délinquants ou de criminels ni d’une saine reconnaissance des droits et de la dignité des victimes. Ce n’est que justice. Ensuite, que des personnes prennent prétexte du statut de victime pour se venger ou exorciser leur mal-être à l’aide d’accusations infondées : ce n’est pas nouveau. Il n’est pas rare non plus que des coupables se présentent comme des victimes[iii]. Dans le récent film iranien de Saeed Roustayi, La loi de Téhéran, un juge rappelle à un important dealer qui justifie ses actes par l’insupportable pauvreté dans laquelle se trouvait toute sa famille que la misère sociale ne peut justifier l’organisation de tout un réseau criminel. Le fait de se sentir victime peut être une posture servant à justifier l’injustifiable. Au point que certains criminels n’hésitent pas parfois, de façon perverse, à tenir leurs victimes comme les vrais coupables. Victimisation et culpabilisation constituent, on le voit, des leviers importants dans les relations humaines mais elles peuvent être utilisées à mauvais escient. C’est pourquoi il est souhaitable d’examiner de plus près ce couple ce qu’il faut entendre par coupable et victime. Définition générale de la culpabilité
Sun, 05 Sep 2021 - 15min - 22 - L'Instant Philo : La difficile perception de notre place dans le tempsSun, 28 Nov 2021 - 16min
- 21 - L'Instant Philo : La sagesse et le sens des limites - partie 2. « La science moderne »
La sagesse et le sens des limites. 2. La science moderne. Du récit mythologique à l’analyse rationnelle du monde Autour du sixième siècle avant notre ère, les penseurs présocratiques ont cherché à rendre raison de l’univers dans sa totalité à l’aide de principes accessibles à la raison. Pour ce faire, ils ont rompu avec cette facilité qui consiste à vouloir tout expliquer par les récits mythologiques car la volonté des Dieux se révèle bien vite être l’asile de l’ignorance. Les présocratiques ont ainsi fixé à leur manière le domaine de définition de la science. Parmi eux, des matérialistes cherchaient à expliquer la nature à l’aide d’un des quatre éléments. Thalès estimait que tout provenait de l’eau. Pour Héraclite, c’était le feu. Les idéalistes, de leur côté, cherchaient à comprendre le cosmos à partir de principes abstraits : l’être pour Parménide ou le nombre pour Pythagore. Socrate s’est appuyé sur cette montée en puissance de la rationalité mais, au lieu d’avoir l’ambition de rendre compte du tout de l’univers, il s’est modestement concentré sur une nouvelle façon de définir les notions qui nous servent à penser, que ce soit le courage, l’amour ou la science elle-même. On est passé ainsi d’un grand récit censé éclairer le sens de l’existence humaine à une analyse minutieuse qui, à partir d’un constat d’ignorance, développe ses efforts sur des concepts précis et ambitionne de construire patiemment un savoir limité mais fondé en raison. La rupture étant brutale, il n’est pas étonnant de constater que certains présocratiques ont continué à proposer une vision globale du monde. Le désir d’une compréhension d’ensemble, s’il ne se berce pas d’illusion, reste stimulant dans la recherche scientifique. Toutefois, l’affirmation socratique « tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien » nous rappelle que la philosophie est d’abord un rude exercice qui suppose de faire le deuil des certitudes et d’un rassurant déjà-là des significations. Ce passage d’une confiance accordée aux grands récits symboliquement structurants à la critique pointilleuse mais éclairante de la raison s’est rejouée lors de l’apparition de la science moderne avec tout ce que cela implique de déchirements et d’espoirs, de rejet de la tradition et de changements de perspective. C’est ce moment de bascule où la conscience des limites de la science médiévale a permis d’accoucher d’une nouvelle représentation du monde dont nous sommes les héritiers que nous voudrions aujourd’hui examiner. Science moderne et conscience de l’ignorance. Yuval Noah Harari dans son livre Sapiens[i] souligne l’importance de la découverte de l’ignorance dans le développement de la science moderne. Il écrit : « A trois égards critiques, la science moderne diffère des traditions précédentes en matière de savoir » Il place en premier : « L’empressement à s’avouer ignorant. La science moderne repose sur le constat latin : « ignoramus », « nous ne savons pas ». Elle postule que nous ne savons pas tout. » Plus loin, il note : « la révolution scientifique a été non pas une révolution du savoir, mais avant tout une révolution de l’ignorance. La grande découverte qui l’a lancée a été que les hommes ne connaissent pas les réponses à leurs questions les plus importantes. » Dans les traditions prémodernes, tout était censé avoir été déjà dit : la seule recherche importante consistait à bien comprendre les récits et les paroles transmises. Harari précise « Les grands Dieux ou le Dieu tout puissant ou les sages du passé possédaient une sagesse qui embrassait tout et qu’ils nous ont révélée dans les Ecritures et les traditions orales »[ii]. Galilée, en remettant en cause la cosmologie de Ptolémée, héritée en partie d’Aristote et adoptée par l’Eglise, souligne la fausseté de cette conviction. Pendant des siècles, on a cru savoir ce qu’était l’univers or nous étions ignorants. Il faut partir de ce constat. A la même époque, Descartes commence ainsi ses Méditations métaphysiques par
Sun, 31 Oct 2021 - 13min - 20 - L'Instant Philo : La représentation du temps dans la chanson populaire
La représentation du temps dans la chanson populaire La représentation du temps dans la chanson populaire Introduction Pour cette seconde émission de l’été, je propose un petit parcours sur ce que les chansons populaires nous disent de notre rapport au temps. Les perspectives y sont certes diverses et de qualité variable mais j’aimerais montrer qu’on y trouve souvent matière à réflexion. La chanson populaire sait notamment plutôt bien décrire l’aspect destructeur et dévorant du temps. Elle est habile aussi à chanter le temps du bonheur, de l’espoir et de l’amour. Enfin la nécessité de prendre soin du temps présent n’est pas absente non plus des chansons qui explorent ainsi le temps dans ces trois dimensions : le passé, le présent et le futur. https://www.youtube.com/watch?v=JwYX52BP2Sk Quand la pop music aborde le temps de l’horloge à la manière des Pink Floyd dont nous nous venons d’écouter un extrait du célèbre morceau Time, la représentation de la durée prend un aspect réaliste, technique, froidement répétitif et pourtant envoûtant. Le temps qui court, le passé et la mélancolie Dans cette composition des Pink Floyd, on remarque que le temps mesuré, symbolisé par le rythme impersonnel et triomphal des horloges fait assez vite place à des considérations sur le temps, vécu comme un déclin progressif. A la fin de ce titre, les thèmes plus classiques de la vanité et de la fragilité de l’existence contrastent avec la régularité implacable du battement de la trotteuse des secondes qu’on entend au début.[i] La mélancolie et la nostalgie produites par le temps qui passe nourrissent souvent les chansons populaires. En 1973, la même année que les Pink Floyd, Alain Chamfort, pour donner un autre exemple, se fait remarquer avec une chanson dont voici le refrain Alain Chamfort : Le temps qui court https://www.youtube.com/watch?v=N1YrTl0Fgpc : Avec ce titre, Alain Chamfort est, si je puis dire, dans l’air du temps des années soixante-dix qui opposait bien volontiers l’âge d’or de l’enfance à l’âge adulte bien trop sérieux, plein de concessions et par conséquent moins heureux. Reste que le temps qui court, ne nous conduit pas seulement à l’âge adulte, il finit un jour par nous retirer la perspective même d’un avenir quand la vieillesse arrive. Et cela arrive, comme le chante Charles Aznavour, sans qu’on ait vu le temps passer : Charles Aznavour : je n’ai pas vu le temps passer : https://www.youtube.com/watch?v=SObDQoTCnuI : La mélancolie, déjà présente dans les deux extraits précédents est à son comble avec Léo Ferré qui souligne avec force la tristesse de la vieillesse qui est un deuil à faire de tout le passé sans autre perspective d’avenir que de devoir tirer sa révérence : Léo Ferré : Avec le temps – du début à 1mn 11 jusqu’à « faire sa nuit » en baissant à partir de 1mn 08) https://www.youtube.com/watch?v=ZH7dG0qyzyg 2. Temps, enthousiasme et avenir Il ne s’agit pas de se complaire dans l’aspect le plus désespérant du temps. Notre temporalité est également celle des projets exaltants, des réussites, des amours et de ces « dimanches de la vie » qui sont synonymes de bonheur. Dans nos rapports différents à la durée : l’un est hanté principalement par le passé et nourri de souvenirs, l’autre est ouvert sur un avenir que nous attendons avec enthousiasme. Ces perspectives sur le temps sont d’ailleurs le plus souvent intimement liées à notre situation concrète dans l’existence humaine, c’est-à-dire à notre âge. Le poids du passé, la nostalgie et les regrets finissent par se faire sentir de plus en plus au fur et à mesure que la vieillesse s’installe car le présent devient difficile et le futur se rétrécit comme peau de chagrin. A l’inverse, la joie communicative face à l’avenir est habituellement typique de la jeunesse. Au début de sa carrière, Johnny Halliday a ainsi su chanter l’enthousiasme d’avoir la vie devant soi : Johnny Halliday : Pour moi la vie va commencer : https://www.youtube.com/watch?v=YTJoJRTb0L8 Comme le
Sun, 08 Aug 2021 - 12min - 19 - L'Instant Philo : L'amitiéSun, 11 Jul 2021 - 13min
- 18 - L'Instant Philo : L'immortalité
L'immortalité « L’instant Philo ». Emission du dimanche 13 juin 2021 L’immortalité La prise de conscience de la mortalité est une spécificité bien humaine : les autres animaux n’en n’ont pas une idée claire et les Dieux échappent à la mort dans la description que les religions en proposent, qu’ils soient jugés immortels comme chez les Grecs anciens ou éternels comme dans le monothéisme. Rejeter ou minimiser la mortalité, ne serait-ce pas, dès lors, oublier un élément constitutif de notre condition humaine ? Pourtant, l’humanité, seule espèce qui se sait mortelle, est également celle qui aspire, depuis la nuit des temps, à être immortelle. La tension est forte. Le paradoxe instructif. Tout se passe comme si la durée limitée de notre existence était chose si insupportable qu’elle devait être immédiatement contrebalancée par la croyance en une possibilité de prolonger la vie. Alors, l’immortalité n’est-elle pas qu’une consolation qu’on oppose à la perspective d’une mort qu’on sait inévitable ? Il est vrai que la peur de la mort pour le philosophe Epicure est bien celle qu’il faut soigner en priorité car elle est source de tourments et d’illusions[i]. Cette peur étant clairement une des émotions les plus puissantes et les plus déstabilisantes qui soient. L’immortalité religieuse Les deux figures principales de l’immortalité religieuse Les premières sépultures individuelles connues datent du paléolithique moyen, aux environs de 70 000 ans avant notre ère. Elles se présentent comme des sortes de vestibules. La mort, en effet, loin d’être un arrêt définitif de la vie, est considérée dès le commencement comme un passage de la vie ordinaire à une autre modalité de l’existence. Edgar Morin dans son essai L’homme et la mort[ii], souligne que dans la période archaïque, les hommes préhistoriques dans le culte qu’ils vouaient aux ancêtres avaient le sentiment de rester en dialogue avec ces défunts qu’ils imaginaient encore bien présents dans une réalité parallèle à la nôtre. Dans la période suivante qu’Edgar Morin nomme métaphysique, l’immortalité prend une forme qui nous est plus familière. On considère alors qu’il y a mort quand l’âme se sépare du corps pour aller résider dans un au-delà. De Platon à Descartes, en passant par des religions aussi différentes que l’hindouisme et le monothéisme, l’enveloppe charnelle est censée suivre la loi qui fait que tout ce qui naît, finit par mourir. L’âme, quant à elle, a pour destin d’être immortelle et déroge ainsi à la logique du vivant. Dans cette représentation, la vie spirituelle après la mort ressemble si peu à l’existence incarnée sur terre que vivants et morts ne communiquent plus et vivent séparés, chacun dans leur monde Des représentations mixtes. Les représentations religieuses de l’immortalité se distribuent ainsi selon deux modèles assez différents. Des représentations intermédiaires et mixtes ont aussi existé, à l’instar de celle où en Egypte, par exemple, le cadavre d’un Pharaon, a pu être momifié pour qu’il puisse rester physiquement encore présent dans notre monde selon la logique archaïque et, en même temps, placé symboliquement sur un bateau dans son tombeau pour que son âme puisse se rendre dans un autre monde, comme le conçoit la vision métaphysique. Points communs à toutes les représentations religieuses Ces conceptions religieuses de l’immortalité ont en commun de rejeter l’idée jugée trop accablante d’une mort qui serait une fin définitive. Elles ignorent par conséquent les bénéfices de notre condition de mortels. Savoir que la vie a un terme a, en effet, des effets pratiques essentiels. Cela nous invite à en bien profiter. « Quand je pense à la mort, ce n’est pas pour mourir mais pour vivre » déclarait ainsi André Malraux. Il est certain que la croyance en l’immortalité, à l’inve
Sun, 13 Jun 2021 - 15min - 17 - L'Instant Philo : Religion animiste et représentation du monde
Religion animiste et représentation du monde Illustration : MasqueYupik, tribu inuit animiste (Musée du quai Branly) Texte de l'émission : L’instant philo. Emission du 16 mai 2021 Religion animiste et représentation du monde Introduction Une bande dessinée originale d’Alessandro Pignocchi intitulée Petit traité d’écologie sauvage propose en trois tomes une sorte de fable plutôt déconcertante. L’auteur imagine en effet un monde où toute l’humanité s’est convertie à la religion animiste des peuples d’Amazonie pour lesquels « les plantes et les animaux sont considérés comme des partenaires sociaux ordinaires »[i]. Pignocchi imagine ainsi un Donald Trump qui déserte les terrains de golf et les meetings pour se consacrer à l’observation des belettes. Un François Hollande qui fait arrêter son chauffeur, toutes affaires cessantes, pour faire une invocation à l’esprit du hérisson qui vient d’être écrasé involontairement. Enfin, un Vladimir Poutine qui annonce solennellement que le mariage avec des fruits et des plantes sera autorisé. On le constate aisément, cette bande dessinée nous place dans un univers complétement décalé et utopique. Mais quel intérêt de proposer une telle fiction ? Est-ce seulement une fantaisie faite pour nous distraire ? Et que faut-il entendre précisément par animisme ? Qu’est-ce qu’une telle religion qui nous semble dépassée, désuète et même superstitieuse peut encore nous apprendre ? L’animisme, avec sa représentation du monde si particulière, peut-elle vraiment nous apporter quelques utiles éclaircissements en ces temps de crise écologique ? Une définition de l’animisme selon l’anthropologue Philippe Descola. Pour comprendre les enjeux de ce récit de politique-fiction très étrange que propose Alessandro Pignocchi, quelques précisions sont nécessaires. Ce dessinateur a été très influencé par un disciple de Claude Lévi-Strauss, l’anthropologue Philippe Descola qui a notamment étudié les Achuar, un peuple animiste d’Amazonie. Qu’est-ce que l’animisme ? « L’animisme est la propension à détecter chez les non humains – animés ou non animés, c’est-à-dire les oiseaux comme les arbres – une présence, une âme si vous voulez, qui permet dans certaines circonstances de communiquer avec eux. » déclare Philippe Descola. Les animistes estiment ainsi que tous les êtres sur terre partagent une même intériorité constituée de pensées, de désirs, de volonté, de mémoire, etc. En conséquence de quoi demandes, prières et invocations diverses peuvent être adressées indifféremment à un humain, un animal ou à une plante. On peut trouver dans Le seigneur des anneaux, ce roman de Tolkien qui était féru d’histoire des religions et de mythologies, plusieurs illustrations de comportements animistes. A un moment par exemple, les hobbits traversent une forêt dense et dangereuse et ils se retrouvent à négocier et discuter avec des arbres pour trouver une issue favorable. Une religion dépassée ? Pour nous de toute évidence, une telle manière de concevoir les choses semble naïve et même superstitieuse. Il est facile et légitime de pointer ici une illusion qui a pour nom anthropomorphisme – c’est-à-dire une propension à accorder à un être qui n’est pas humain une forme et des caractéristiques humaines, en l’occurrence une conscience et une pensée. On comprend d’ailleurs mieux ainsi pourquoi la religion animiste a eu un tel succès : imagine-t-on les hommes préhistoriques face à un monde dont la logique, faute d’avoir les explications scientifiques que nous détenons, leur échappent totalement ? Face à bien des événements terribles et terrifiants, ils font constamment l’expérience de leur ignorance et de leur impuissance et pourraient ainsi sombrer dans un vrai désespoir. Heureusement, le constat désespérant auquel arrive leur intelligence peut être compensé par une fabulation spontanée et protectri
Sun, 06 Jun 2021 - 12min - 16 - L'Instant Philo : Roi des animaux
Le roi des animaux Le roi des animaux L’instant Philo, émission du dimanche 21 mars 2020 Quels sont les prétendants à la couronne ? Le lion Dans la fable intitulée LE LION S' EN ALLANT EN GUERRE, Jean De La Fontaine s’appuie sur le thème classique du lion, roi des animaux : « Le Lion dans sa tête avait une entreprise. Il tint conseil de guerre, envoya ses Prévôts, Fit avertir les Animaux :Tous furent du dessein, chacun selon sa guise : L'Éléphant devait sur son dos Porter l'attirail nécessaire, Et combattre à son ordinaire ; L'Ours s'apprêter pour les assauts ;Le Renard ménager de secrètes pratiques ;Et le Singe, amuser l'ennemi par ses tours.Renvoyez, dit quelqu'un, les Ânes qui sont lourds,Et les Lièvres sujets à des terreurs paniques.Point du tout, dit le Roi ? Je les veux employer.Notre troupe sans eux ne serait pas complète.L'Âne effraiera les gens, nous servant de trompette;Et le Lièvre pourra nous servir de courrier. » La Fontaine se plaît à montrer l’habileté du félin souverain à tirer le meilleur parti des autres animaux, ses vassaux. Façon indirecte de donner une leçon politique qu’il formule ainsi : « Le monarque prudent et sageDe ses moindres sujets sait tirer quelque usage, Et connaît les divers talents.Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens. » Les autres prétendants au titre De nos jours, avec une morale et un style bien différents, les studios Walt Disney ont produit Le Roi lion. Cependant, force est de constater que pour le titre de « roi des animaux », il y a eu au cours de l’histoire bien d’autres prétendants. Le roi des animaux désigne, en effet, l'animal sauvage qui est placé, dans la dimension symbolique d'une culture, au sommet ou au-dessus de la faune connue. C’est habituellement l’animal réputé le plus fort – qu’il soit prédateur ou non. Dans certaines régions d’Afrique, ce fut ainsi pendant un temps l’éléphant - roi plein de sagesse qui se caractérise par sa force tranquille car il n’utilise la violence qu’avec grande parcimonie. Au royaume du Dahomey, le léopard a hérité du titre honorifique. Les souverains de cette contrée prenaient le nom de ce félin. Il y a quelques années encore, dans une autre région d’Afrique, le « léopard de Kinshasa » désignait le président Mobutu et ce dernier portait toujours une toque en peau de léopard – symbole de puissance. Sous d’autres latitudes, de façon plus surprenante, le Cerf est désigné comme le roi des forêts. Dans le film d’animation japonais : Princesse Mononoké de Miyazaki, il est même question du Dieu-Cerf, faiseur de montagne et esprit de la forêt dans un contexte médiéval explicitement animiste. Il est vrai que ce cervidé géant a de quoi surprendre et fasciner grâce à son aspect mi-animal-mi arbre avec ses bois majestueux qui lui font comme un ramage sur la tête. Enfin, on l’a bien oublié mais l’Ours brun au moyen-âge était vu comme le roi des animaux, notamment en Europe. Le prénom celte du roi Arthur signifie d’ailleurs l’ours. Ce grand mammifère des forêts et des montagnes n’est détrôné par le lion qu’autour du XIIe, siècle de Richard Cœur de Lion - sous l’influence de L’église qui voit dans ce grand fauve un symbole chrétien et dans la fascination pour l’Ours, une réminiscence du paganisme. Michel Pastoureau a publié un ouvrage intitulé : L’ours, histoire d’un roi déchu qui décrit fort bien la vénération que cet animal a pu susciter. Questionnement La liste pourrait être allongée … Mais, quelle idée – me dira-t-on - de prendre pour thème de réflexion l’expression « le roi des animaux » ? La formule n’est-elle pas un peu naïve ? Un peu confuse aussi ? Pourquoi pas une reine ? Comme les figures invoquées pour tenir ce statut sont toujours des êtres qui se caractérisent par leur puissance et leur force, estimerait-on un peu vite qu’une figure féminine est par principe exclue ? Ensuite, parler du roi des animaux, c’est user d’
Sun, 06 Jun 2021 - 14min - 15 - L'Instant Philo : Avec qui parle-t'on vraiment ?
Avec qui parle-t'on vraiment ? L’instant philo. Avec qui parle-t-on vraiment ? Texte de l’émission du 18/04/2021 Introduction Discussions et échanges ont beau être au rendez-vous dans une journée, à la fin il est fréquent que le sentiment de n’avoir vraiment parlé qu’à bien peu de monde - voire même à personne, soit bien présent. Force est de constater qu’avoir un vrai dialogue où sont échangées des choses importantes grâce à une écoute réciproque de qualité n’est pas si courant. Comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi avons-nous trop souvent l’impression qu’en dépit des nombreuses paroles qui ont été prononcées, bien peu de choses, en vérité, se sont dites ? Parler pour ne rien dire ? Vacuité du propos et sophistique Plusieurs explications peuvent être avancées. Il y a tout d’abord des conversations superficielles. Ce sont des bavardages peu consistants dans lesquels on peut se complaire, bien qu’ils ne disent rien du réel. Il existe aussi une rhétorique dont la force persuasive est, aux yeux de certains, un instrument de pouvoir. Dans l’antiquité grecque, les sophistes faisaient ainsi profession d’apprendre à parler de tout et à devenir capable de prendre l’ascendant sur les autres. Les philosophes ont toujours bataillé contre ces communicants sans vergogne qui privilégient la forme séduisante du discours à la profondeur de son contenu, la formule qui accroche – la punchline ! – à la vérité du propos. Plus proche de nous, Henri Bergson a forgé une expression pour désigner l’individu adepte de ce genre de discours, c’est l’homo loquax qu’il présente ainsi : « Nous mettons très haut l’intelligence. Mais nous avons en médiocre estime l’« homme intelligent », habile à parler vraisemblablement de toutes choses. Habile à parler, prompt à critiquer. Quiconque s’est dégagé des mots pour aller aux choses, pour en retrouver les articulations naturelles, pour approfondir expérimentalement un problème, sait bien que l’esprit marche alors de surprise en surprise. Hors du domaine proprement humain, je veux dire social, le vraisemblable n’est presque jamais vrai.»[1] Ces discoureurs qui se paient de mots et brassent du vide, en usant d’une langue de bois adaptable à toutes les situations peuvent être heureusement identifiés et épinglés. L’humoriste Raymond Devos dans un sketch datant de 1979 s’amuse ainsi à imiter l’allocution politique d’un tel homo loquax : https://www.youtube.com/watch?v=hz5xWgjSUlk, de 1mn43 et 2mn 32. La fonction socialisante du langage Ajoutons que certaines discussions socialement importantes, on le sait, manquent cruellement de contenu : il s’agit d’échanger quelques mots aimables et polis avec des voisins, des personnes dans la rue ou des collègues. On parle de choses et d’autres, de la pluie et du beau temps – et ce n’est pas inutile, encore moins stupide. On parle alors certes pour ne rien dire de bien profond mais on ne parle pas pour ne rien faire. Dans la conversation ordinaire en effet, on prend contact, on fait connaissance, on s’apprivoise, on devient plus familier : on maîtrise mieux notre entourage : c’est rassurant et humain. « Conversation signifie conservation » remarquait Bergson, en jouant sur les mots. Quelqu’un avec qui on échange quelques paroles banales, n’est plus cet inconnu chez qui reste toujours une part de dangereux mystère. Les individus peu loquaces ou ceux qui ne causent à personne et ne disent même pas « bonjour ! » sont mal vus. Ils suscitent la méfiance, font l’objet de médisance, nourrissent bien des spéculations. Ils ne bénéficient guère de la solidarité du groupe en cas de difficultés car on estime, à tort ou à raison, qu’ils n’ont pas fait l’effort de dire ces quelques mots qui sont les « Sésame ouvre-toi ! » de la sociabilité minimale. Il est donc important de prendre le temps d’établir le contact avec les autres. Les linguistiques placent tous ces discours pauvres en contenu mais indispensables aux bonnes relations sociales dans la fonction p
Sun, 06 Jun 2021 - 14min - 14 - L'Instant Philo : La prise de conscience
La prise de conscience L’instant philo. Emission du dimanche 21 février 2021 La prise de conscience Le succès un peu inattendu de la série d’Arte « En thérapie » dont l’essentiel se passe dans un cabinet de psychanalyste montre l’intérêt que nous portons actuellement aux exercices d’introspection. Selon Freud, la méthode d’association libre des idées permet l’analyse des aspects inconscients de notre subjectivité. Cette prise de conscience nous ouvre de nouvelles marges de manœuvre et nous fait mieux comprendre les désirs qui nous structurent en profondeur. Mieux connaître de façon sensible, les ressorts parfois cachés de notre personnalité permet d’agir, notamment dans nos relations avec les autres de façon plus éclairée. On peut éviter de la sorte scénario répétitifs et blocages. La prise de conscience nous libère ainsi de l’emprise de l’inconscient. Bonne nouvelle sans doute que cet engouement pour une œuvre de fiction qui met en avant un travail de retour sur soi, sans en dissimuler les difficultés et les ratés ! L’agitation parfois superficielle du consumérisme et le miroir aux alouettes de la société de spectacle nous détournent souvent de ce qui se passe en nous. Et notre conscience peut sortir d’elle-même sans pour autant devenir plus lucide sur le monde qui l’entoure, se tenant ainsi comme en suspens loin de tout, avec en plus parfois, l’illusion d’être dans la normalité. La prise de conscience ne devient-elle pas dans ces conditions indispensable pour appréhender réalité extérieure et intériorité sur quoi notre perception habituelle des choses nous renseigne souvent si mal ? L’inconscient dans tous ses états. Selon Aristote, pour comprendre le bien, il faut saisir ce qu’est le mal. Pour bien cerner la vérité, il est important de méditer sur son antonyme : l’erreur. Ainsi pour prendre toute la mesure de la question : « qu’est-ce qu’être vraiment conscient ? », il faut se demander : « qu’est-ce qu’être inconscient ? » Quand on dit d’une personne qu’elle est inconsciente, cela peut signifier trois choses différentes. Nous avons déjà évoqué le sens psychanalytique Mais être dans un sommeil profond ou encore dans le coma, c’est aussi « être inconscient ». S’évanouir, c’est faire l’expérience d’un écran qui s’éteint subitement ; mieux c’est ne plus rien percevoir. Mais avec le monde extérieur qui s’éclipse, nous aussi, nous disparaissons. Tout s’arrête. Ceux devant lesquels nous nous sommes pâmés, ont devant eux un corps inerte et déserté par la personne qui y loge ordinairement. La perte de conscience est un état finalement qui ressemble à la mort qui pour cela fascine, inquiète et effraie. Quand ensuite on sort du coma, on constate que la réalité qui nous entoure reprend ses formes progressivement. On retrouve, mieux, on reconstitue le monde. Pour autant, être éveillé ne signifie pas encore être parfaitement conscient. Nous pouvons être détournés en partie de ce qui nous entoure par des pensées qui nous renferment en nous-même. Le malheur trop souvent retire le goût d’observer le chatoiement du réel là où le bonheur pousse à découvrir et à embrasser le monde. « Le monde d’un homme heureux est un autre monde que celui du malheureux[i] » notait le philosophe autrichien, Ludwig Wittgenstein. Art et élargissement de la conscience selon Bergson Même sans être spécialement distrait par les soucis ou par quelque tendance à la rêverie, notre perception opère plus ou moins une sélection dans ce qui se présente à elle en fonction des impératifs de l’action. Henri Bergson déclare ainsi dans son essai sur Le rire : « Vivre, consiste à agir. Vivre, c’est n’accepter des objets que l’impression utile pour y répondre par des réactions appropriées : les autres impressions doivent s’obscurcir ou ne nous arriver que confusément. Je regarde et je crois voir, j’écoute et je crois entendre, je m’étudie et je crois lire dans le fond de mon cœur. Mais ce que
Sun, 06 Jun 2021 - 13min - 13 - L'Instant Philo : Mensonges et sincérité
Mensonges et sincérité Mensonge et sincérité L’instant philo Emission du 13/12/2020 Une confusion fréquente. Quel est le contraire du mensonge ? La vérité ! Telle est la réponse spontanée qu’on obtient le plus souvent lorsqu’on pose la question. Pourtant, le dictionnaire nous indique clairement qu’il n’en est rien. Le terme opposé au mensonge est en effet la sincérité ou encore la franchise. La vérité se définit habituellement par l’accord de la pensée avec le réel. En clair, je suis dans le vrai lorsque ma représentation des choses correspond à ce qui existe. La sincérité elle, est un accord de notre discours avec notre pensée. On est franc quand on dit ce qu’on pense. Toutefois quand on dit ce qu’on pense, on peut être dans l’erreur qui est le contraire du vrai. Et si on est pris en flagrant délit de propagation involontaire de quelque chose de faux, on peut préciser qu’on ne cherchait pas à tromper les autres mais simplement qu’on se trompait. On était dans l’ignorance et non dans le désir de manipuler. On le voit : une chose est donc la sincérité, autre chose la vérité. Une chose est le mensonge, autre chose l’erreur. Vérité et erreur désignent la qualité d’un discours qui porte sur la connaissance du réel et relèvent d’un jugement scientifique. Mensonge et sincérité appellent plutôt un jugement moral. On condamne la tromperie et on fait l’éloge de la franchise. Nous avons donc affaire à deux couples de notions qui décrivent des réalités de nature différente. Cette confusion qui nous conduit à considérer la vérité comme l’opposé du mensonge semble donc clairement sans aucun fondement. Pourtant, cette confusion est si courante qu’il y a de quoi s’interroger. D’autant que le langage ordinaire persiste et signe dans le brouillage des frontières. Le contraire de la vérité est en effet la fausseté mais cette dernière, comme on le sait, désigne autant le caractère de ce qui est erroné qu’une attitude hypocrite et manipulatrice qui manifeste bien une absence de sincérité. Quelqu’un à qui on ne fait pas confiance, on dit bien de lui qu’il est « faux » Cette confusion persistante peut-elle nous apprendre quelque chose ? C’est ce que nous aimerions examiner. N’aurait-il pas, en effet, parfois quelque chose de faux dans la sincérité ? Et inversement, n’y aurait-il, dans certains cas, une profondeur et vraie humanité dans le mensonge ? L’ambivalence du mensonge et de la sincérité. La morale commune considère habituellement que la sincérité est une qualité et le mensonge un défaut tout à fait détestable. Il y a de très bonnes raisons à cela. Encore faut-il faire bien attention à ce qu’une conception erronée de la franchise ne conduise pas à des discours irréfléchis. Etre sincère, c’est dire ce que l’on pense certes mais comme le soulignait Montaigne[i], en son temps : « Il ne faut pas tout dire, car ce serait sottise. » On connaît tous des personnes qui disent tout ce qui leur passe en tête et c’est souvent pénible, parfois blessant, toujours un peu ridicule. La logorrhée, l’absence de retenue et de pudeur, voire une agressivité du propos mal contrôlée montrent que la sincérité pour rester une qualité demande à être limitée et réfléchie. Elle ne consiste pas à dire tout ce que l’on pense mais plutôt à penser vraiment tout ce que l’on dit. Si on constate parfois avec honte que nos paroles ont dépassé notre pensée, c’est que la vraie sincérité ne doit pas être confondue avec ces discours que nos passions en général et, une spontanéité mal inspirée, en particulier, nous font tenir de façon dommageable. Montaigne ajoutait : « Il ne faut pas dire tout ce que l’on pense car ce serait sottise : mais ce que l’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement c’est méchanceté. » L’absence de sincérité est donc pour lui condamnable. Le philosophe Emmanuel Kant v
Sun, 06 Jun 2021 - 13min - 12 - L'Instant Philo : L'imprévisible
L'imprévisible Texte de l'émission : L’imprévisible « L’instant Philo » Emission du dimanche 24 janvier 2021 S’il y a quelques temps on nous avait annoncé qu’une épidémie mondiale changerait profondément les habitudes de tous les hommes sur terre, imposant un peu partout des confinements stricts, des couvre-feux et ralentissant l’ensemble des activités, nous aurions considéré qu’une telle affirmation relevait davantage d’un bon scénario de science-fiction ou d’anticipation – digne de la série Black Mirror – qu’à une prévision sérieuse de l’avenir proche. Mais l’improbable est devenu réel. L’histoire est pleine de ces coups de théâtre que personne n’avait vu arriver et qui changent durablement la donne. L’imprévisible laisse partout son empreinte sur les événements humains. Jusque dans nos existences individuelles, le hasard d’une bifurcation fait parfois tout changer, pour le meilleur comme pour le pire. L’imprévisible peut en effet constituer une véritable aubaine. Il est clair qu’une existence où tout serait prévu d’avance et sous contrôle aurait de quoi susciter l’ennui, voire même un certain effroi. Reste qu’en ce moment, l’imprévisibilité se fait oppressante : avec les incertitudes liées à l’épidémie, combien de projets restent lettre morte ? Comment planifier même dans un avenir proche ce que nous envisagions auparavant avec l’insouciance de ceux qui avaient pris l’habitude de compter sur la stabilité des choses ? Trop d’imprévu condamne à une certaine impuissance et nous arrime à un présent sans grande perspective de réjouissances. Sommes-nous donc condamnés à voir apparaître une bonne partie des événements dans nos existences comme des silhouettes étranges et fantomatiques qui surgissent de la brume sans qu’aucun indice, ni signe ne les aient annoncé? Une chose est certaine : ouvrir quelques pistes de réflexion sur cet imprévisible qui occupe actuellement une plus si grande place dans nos vies, semble bien utile. Imprévisibilité, imprévoyance et responsabilité. On surestime peut-être la puissance de l’imprévisibilité. Cela fait quelques années par exemple que les scientifiques estiment qu’une des menaces à prendre très au sérieux pour l’ensemble l’humanité, ce sont les épidémies. Quelques-unes ont déjà causé bien des ravages. Les zoonoses, ces infections qui se transmettent de l’animal à l’homme sont à l’origine de près de 75% des maladies émergentes. Après le S.R.A.S, la maladie de Creutzfeldt Jakob, le virus Ebola, l’apparition de la covid 19 n’est donc pas totalement surprenante. Avec du recul, on estime que bien des événements qui nous ont d’abord déconcerté étaient en partie prévisibles. Mais peut-être y-a-t-il une sorte d’illusion de l’après-coup qui nous fait estimer rétrospectivement plus conscients que nous l’étions ? Une chose est certaine : la cause déclenchante ainsi que l’aspect concret des événements prévus restent imprévisibles. Ces remarques nous conduit à nous demander : pourquoi, s’il était envisageable de prévoir une menace épidémique, n’avons-nous rien prévu pour amortir le choc – voire pour éviter la catastrophe dont nous savons qu’elle est liée à une expansion déraisonnable du territoire occupé par l’humain au nom du profit, qui nous place en promiscuité avec des animaux sauvages pouvant nous transmettre diverses maladies ? On remarque d’abord que dans la formule : « pourquoi si une pandémie était prévisible, n’avons-nous rien prévu ? » le verbe « prévoir » a deux sens différents. L’un désigne une connaissance qui trouve sa forme achevée dans la prévision scientifique. Prévoir, c’est connaître de façon assurée le futur. Par exemple, tout le monde sait que quelques mois après la douceur et l‘abondance de l’été, l’hiver arrivera avec ses difficultés. Dans la célèbre fable de La Fontaine, « La cigale et la fourmi », la Cigale en fait l’expérience qui, « ayant chanté tout l'été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut v
Sun, 06 Jun 2021 - 12min - 11 - L'Instant Philo : Tolérance et laïcité
Tolérance et laïcité : Illustration Tableau d'Edouard Débat-Ponsan qui décrit après la saint Barthélémy, la sortie de Catherine de Médicis à la porte du Louvre Texte de l'émission Tolérance et laïcité Les religions ont une face glorieuse : elles ont été civilisatrices, elles ont nourri l’esprit des hommes, inspiré des œuvres marquantes dans tous les domaines de l’art et ont permis de faire advenir de grandes choses dans l’histoire. Mais elles ont aussi une face obscure qui peut légitimement nous faire très peur. Toutes les religions, sans exception, peuvent en effet sombrer dans le fanatisme et la violence. Les exemples ne manquent pas. Si nous désirons avoir une description à charge de tout ce que le christianisme a pu inspirer comme actions violentes, obscurantistes et liberticides, la lecture du Traité sur la tolérance de Voltaire est édifiante. L’Islamisme – déformation intégriste et assez récente de l’Islam qui s’inspire notamment des écrits de Sayeb Qotb1 - impose dans certains pays des normes de comportement parfois assez délirantes et une morale sexiste et violente : les libertés et l’égalité sont évidemment malmenées. On sait également que partout dans le monde, des individus se réclamant de cette mouvance commettent des meurtres et des massacres. En France, dernièrement un professeur d’histoire-géographie et des fidèles dans une église catholique ont été tués dans des conditions d’une rare brutalité. A Kaboul en Afghanistan, des islamistes ont tiré à bout portant il y a une dizaine de jours de cela sur des étudiants qui avaient le tort d’aller s’instruire. Au Cameroun, au Tchad et au Nigéria, les fanatiques de Boko Haram – mouvement extrémiste dont le nom signifie « l’éducation est péché » - ont fait déjà plus de 30 000 victimes depuis 2009 dans cette partie de l’Afrique. Il est clair aussi, dans un autre genre, qu’un film comme Kadosh d’Amos Gitaï montre que les formes intégristes du judaïsme n’ont rien à envier aux autres formes d’extrémisme religieux. Enfin, pour compléter ce rapide tour des horreurs humaines, on sait qu’en Birmanie actuellement les Rohingyas sont persécutés, peuple qui a le tort aux yeux des intégristes bouddhistes d’être différents et traditionnellement de confession musulmane. Inutile de multiplier à l’infini les exemples, on le voit les croyances religieuses peuvent faire peser des menaces très concrètes sur les libertés, la paix civile, la justice et l’égalité entre citoyens. Tolérance et laïcité constituent les deux grandes réponses politiques à ces menaces. Elles sont toutes deux, des dispositifs qui cherchent à garantir une cohabitation pacifique d’individus ayant des options spirituelles différentes au sein d’une société libre et juste. Il paraît indispensable en ces temps troublés et confus de nous pencher sur leur sens profond et leur valeur irremplaçable. Qu’est-ce que La tolérance ? Pourquoi la tolérance ? Rappel historique. La nécessité de la tolérance se fait sentir lorsque plusieurs croyances – au moins deux – s’affirment et finissent par entrer en conflit au sein d’une société. En Europe, l’affichage de 95 thèses à Wittenberg le 31 octobre 1517 par un moine augustin nommé Martin Luther, point de départ du protestantisme, va conduire à des affrontements sanglants entre catholiques et protestants. L’édit de Nantes signé par Henri IV en 1598 est un édit de tolérance. Il visait à pacifier en France qui a connu les massacres de la Saint Barthélémy les relations extrêmement tendues entre catholiques et protestants. Avec l’édit de Versailles de 1787, autre « édit de tolérance », Louis XVI redonne aux Huguenots des droits et une protection qu’ils avaient perdus. Quelques éléments de définition Tolérer, on le voit dans ces exemples, 1) c’est accepter toujours avec une certaine réticence finalement d’autres pratiques religieuses – souvent en conservant une religion officielle qui peut de n
Sun, 06 Jun 2021 - 12min - 10 - L'Instant Philo : La recherche du bonheur
La recherche du bonheur La recherche du bonheur « L’instant philo », émission du dimanche 18 octobre 2020 « Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception ; quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous vers ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagnés de différentes vues. La volonté (ne) fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu’à ceux qui vont se pendre. »[i] Cet extrait tiré des Pensées de Pascal souligne diverses choses de façon frappante. Tout d’abord, la recherche du bonheur est la chose au monde la mieux partagée. Personne n’échappe au désir d’être heureux – même les gens les plus désespérés. Ensuite, cette recherche peut prendre des figures très différentes et même paradoxales : carrière militaire, vie de libertinage, vocation religieuse et même suicide. Cet aspect mortifère de la recherche du bonheur que Pascal se plaît à souligner tient à sa croyance religieuse : toute vraie satisfaction nous échappe sur terre qui est la vallée des larmes pour les humains marqués par le péché originel. Le vrai bonheur est en Dieu dans l’au-delà : quiconque croit pouvoir l’atteindre ici-bas se condamne à une grande déception, voire au désespoir. Si on écarte cet acte de foi bien pessimiste dont l’examen rationnel d’une question ne peut se satisfaire, ce que l’on peut retenir dans ce texte, c’est qu’il n’y a pas une formule unique du bonheur, ni, par conséquent, de chemin tout tracé pour y arriver. La recherche du bonheur est une affaire éminemment subjective et personnelle. Emmanuel Kant note dans La Critique de la Raison Pratique : "Ce en quoi chacun doit placer son bonheur dépend du sentiment particulier de plaisir et de peine que chacun éprouve ; bien plus, dans un seul et même sujet, ce choix dépend de la diversité des besoins suivant les variations de ce sentiment" Toute démarche pour accéder au bonheur est donc une vraie aventure singulière qui demande à chacun de bien savoir ce qu’il est, ce qu’il veut et ce qu’il peut en fonction de la situation concrète dans laquelle il est placé. D’où les hésitations multiples que nous avons sur la marche à suivre. Pourtant, personne visiblement ne renonce à ce bonheur mal défini dont la présence à l’horizon peut illuminer toute notre existence d’un soleil trompeur. Quand on part à la recherche du bonheur, ne sommes-nous pas en train de nous engager dans une entreprise finalement hasardeuse ? Une conception du bonheur bien propre à rendre malheureux. Le chemin qui mène au bonheur n’est pas facile à trouver et, il est parsemé d’embûches et de chausse trappes. Il y a en effet des représentations du bonheur qui, si nous les prenons pour argent comptant, sont bien propres à nous rendre malheureux, tant il est vrai que ce que nous avons en tête finit par avoir une grande influence sur ce que nous vivons. Prenons, la définition du bonheur proposée par Emmanuel Kant : « Le bonheur, écrit-il, est l’état dans le monde d’un être raisonnable à qui, dans tout le cours de son existence, tout arrive selon ses souhaits et sa volonté. » A première vue, cette conception du bonheur semble acceptable. Quand dans notre vie, tout se passe selon nos désirs, nous sommes effectivement heureux. Inversement, être malheureux, c’est souffrir de ce décalage parfois cruel entre ce que l’on désire de l’existence et ce qu’elle finit par nous offrir. Force est de constater, toutefois, que Kant avance une représentation maximaliste du bonheur comme satisfaction totale tout le temps de tous nos désirs. Il accorde avec une certaine honnêteté que la conception du bonheur qu’il défend est un idéal de l’imagination. Mais il met la barre si haute que jamais nous ne serons en capacité de la franchir. Il est clair en effet que toutes nos aspirations ne peuvent p
Sun, 06 Jun 2021 - 14min - 9 - L'Instant Philo : Quelle définition de la nature pour une philosophie de l'écologie ?
L’instant Philo Emission du 23 août 2020 Quelle définition de la nature pour une philosophie de l’écologie ? Face à la crise écologique, la pensée contemporaine est confrontée à un vrai dilemme. D’un côté, elle voit bien que sous le nom de nature, les hommes dans la culture occidentale se sont forgé des représentations qui parlent souvent plus de ce qui les préoccupe que de l’univers dans lequel ils sont objectivement placés. Faut-il dès lors déconstruire cette notion de nature et l’abandonner comme le suggèrent certains auteurs ? Mais, d’un autre côté, comment lutter efficacement pour la préservation de la nature si on renonce à donner quelque crédit à cette expression ? Il faut espérer alors qu’au-delà de l’opposition entre la nature naïvement idéalisée des anciens et l’image que s’en font les modernes qui estiment que la nature est vouée jusqu’à l’épuisement à l’exploitation et à l’extraction de ses ressources, une autre représentation plus réaliste surgisse. Une représentation qui permettrait d’envisager un rapport plus équilibré entre les hommes et leur planète et qui détournerait l’humanité de ses fantasmes de domination pour la replacer dans l’ensemble des vivants. Des raisons de renoncer à cette notion de nature 1) Une nature vulnérable ? En projetant sur la nature, lors de la naissance de la science moderne, notre désir de toute puissance, nous avons déréglé toutes nos relations au monde. Certaines erreurs de jugement finissent, en effet, parfois par produire dans le réel des dysfonctionnements majeurs – surtout lorsqu’elles concernent les conditions de la vie sur terre. C’est pourquoi chez quelques penseurs de l’écologie, une représentation de la nature affaiblie et vulnérable que les hommes doivent soigner et protéger est apparue. Tout se passe comme si la mère nature protectrice des anciens s’était, sous les coups de boutoir de la modernité qui l’a fait tomber brutalement de son piédestal, transformée en une vieille femme fragile qu’il faut aider à avancer dans l’existence. Les visions les plus catastrophistes donnent même le sentiment inquiétant d’être au chevet d’une nature agonisante. Inversement, l’homme, aveuglé qu’il est par ses fantasmes d’espèce dominante, semble se transformer en prédateur impitoyable. Et même, d’une certaine façon, en parasite peu conscient visiblement d’épuiser la terre dont il se nourrit. 2) Anthropomorphisme et anthropocentrisme Mais, quand nous concevons la nature à la manière d’une mère nourricière ou d’une personne diminuée et vulnérable nous cédons à l’anthropomorphisme - cette tendance à donner systématiquement une forme humaine à ce qui n’est pas humain. Et en même temps dans cette représentation, quand on considère l’être humain comme un enfant docile, comme un exploitant sans vergogne ou encore comme un infirmier au chevet d’une patiente, non seulement il est situé à l’extérieur de la nature mais on lui confie également alors un rôle central. Une doctrine alternative : Spinoza. S’il y a bien un penseur qui permet de lutter contre le dualisme – la conception selon laquelle le monde est divisé en deux domaines distincts : la société humaine d’une part, et la nature matérielle, d’autre part - et de batailler contre l’anthropocentrisme - cette tendance narcissique de l’humanité à se placer toujours au centre, c’est bien Spinoza. Ce philosophe du XVIIème siècle propose en effet une doctrine alternative à celle de Descartes dont il connaît très bien la pensée. Et Spinoza assurément est une des grandes sources d’inspiration des contemporains qui cherchent à renouveler la conception de la nature. Contre le dualisme tout d’abord, Spinoza pense la nature comme un grand tout dans lequel tout être vit, se développe et s’affirme. Deus sive nature. La formule latine peut être traduite ainsi : « Dieu et la
Sun, 06 Jun 2021 - 13min - 8 - L'Instant Philo : Pitié pour les animaux
« L’instant philo », émission du 20/09/2020 Pitié pour les animaux ! Introduction On a appris dernièrement, non sans une certaine stupéfaction, que depuis 50 ans près des trois quart des animaux sauvages ont disparu de notre planète. Le chiffre vient d’être fourni par le W.W.F., l’association australienne qui se préoccupe de la protection de la vie sauvage. Face à une telle hécatombe, on finit par parler d’une sixième extinction massive des espèces animales dont la particularité est d’être causée par une des espèces présentes sur terre : l’espèce humaine avec sa pétulante activité économique, son essor technologique, et sa démographie galopante. Les animaux d’élevage ne sont pas en meilleure situation, même s’ils ne sont pas menacés de disparition : élevage en batterie des poulets qui, devenus fous, finissent si leur bec n’est pas sectionné par s’entretuer ou s’entredévorer, ferme gigantesque où bovins et porcs sont immobilisés et abrutis par des médicaments dans un univers concentrationnaire : les exemples de traitements cruels sont multiples. Heureusement, pourrait-on se dire, les animaux de compagnie, eux, ont au moins une vie agréable mais c’est oublier estime la philosophe Elisabeth de Fontenay, spécialiste de la question de l’animal, que « la cruauté envers les bêtes est (…) une violence banale, quotidienne, légale : celle des atrocités non passibles de sanctions. »[i] Alors, même s’il existe quelques législations - en France, par exemple la loi de 1978 contre les actes de cruauté à l’égard des animaux - force est de constater que l’animal reste en droit un bien meuble, une chose qui appartient à un propriétaire humain qui peut en faire presque tout ce qu’il veut. Son statut juridique n’est pas vraiment protecteur. Par ailleurs, force est de constater que notre morale concerne principalement les relations entre humains. L’impératif : « tu ne tueras point ! » par exemple, ne s’est jamais appliqué aux animaux de façon spécifique : tout au cours de l’histoire, ils ont pu être ainsi chassés, sacrifiés et mangés. Alors face à cette insuffisance du droit et à l’habituelle limitation de nos devoirs moraux au cercle des humains, n’est-il pas souhaitable de cultiver cette pitié à l’égard des animaux qui seul, peut-être, peut nous conduire à mieux les protéger. En tout cas, rester indifférent aux traitements cruels infligés aux animaux et au recul spectaculaire de la biodiversité sur terre, semble difficile et peu souhaitable. Sens d’une pitié éprouvée pour les animaux selon Rousseau. La sensibilité joue un rôle indéniable dans le développement de notre personnalité morale, même si on sent bien qu’elle peut aussi nous égarer. La pitié éprouvée pour les animaux est un bon exemple de l’ambivalence et l’ambiguïté de ce qu’on peut nommer des sentiments moraux. Pour Jean-Jacques Rousseau, la pitié est un élément constitutif de la psychologie morale. Et il estime que « la force de la pitié naturelle » est telle que les mœurs les plus dépravés ont encore peine à la détruire. Comment définit-il la pitié ? En l’homme naturellement « il y a – écrit-il - un principe qui tempère l’ardeur qu’il a pour son bien-être par la répugnance innée à voir souffrir son semblable. » Quel rapport, me direz-vous, avec les animaux ? C’est que l’homme est ému non seulement par la souffrance de ces congénères mais aussi par celle des animaux qui lui ressemblent de quelque façon. Le sentiment de pitié déborde ainsi le cadre de l’humanité et s’étend aussi sur les animaux comme les chiens, les vaches ou les singes dont on sait percevoir les émotions et les ressentis. Pour Rousseau, la pitié constitue donc un frein naturel à la dureté de l’égoïsme, aux excès et aux cruautés dans lesquels l’homme pourrait tomber notamment dans son commerce avec les bêtes. La pitié, la modestie et l’humilité Cette pitié révèle également, de façon sensible, aux yeux de notre philosophe, une sorte de c
Sun, 06 Jun 2021 - 14min - 7 - L'Instant Philo : La Nature : Fantasme ou Réalité ?
L’instant philo. La nature : fantasme ou réalité ? Emission du 26 juillet 2020 Quand on veut aborder philosophiquement la notion de « nature », on se heurte rapidement à quelques obstacles sérieux. Car il faut d’abord en donner une définition générale – ce qui n’est pas du tout évident. Et au demeurant, quand on a réussi à le faire, on s’aperçoit rapidement que ça ne suffit pas. En effet, diverses représentations de la nature se glissent subrepticement dans nos pensées et se disputent la préséance. Si on veut vraiment tâcher d’y voir clair, il s’avère alors indispensable d’examiner de façon critique ces représentations souvent imaginaires qui nous influencent beaucoup plus qu’on ne le pense. A tel point d’ailleurs qu’on peut même finir par se demander si la notion de nature correspondrait vraiment à une réalité tout à fait identifiable. La nature ne serait-elle pas finalement une sorte de concept fourre-tout dans lequel bien des fantasmes de l’humanité ont trouvé refuge? Analyse générale. Définition générale L’humanité a créé des objets techniques, des législations, des langues ou encore des œuvres d’art qui n’auraient jamais pu voir le jour sans elle. Mais les animaux sauvages, les plantes, les montagnes, les continents ainsi que l’ensemble des planètes et des galaxies n’ont jamais eu besoin des hommes pour apparaitre, pour mener leur bonhomme de chemin et parfois disparaître.[i] On voit par ces considérations simples que la nature désigne habituellement tout ce qui existe indépendamment des productions intentionnelles de l’homme : la nature se distingue alors de l’artifice et de la culture. Elle se caractérise également par son aspect englobant. La terre et l’univers dans lesquelles nous vivons existaient bien avant nous et seront encore présents quand toute trace de notre espèce se sera effacée. Enfin, la nature a sa propre logique : les lois naturelles ne se confondent pas avec les lois humaines. Valeur de cette notion ? Reste que l’homme détient la faculté de pouvoir transformer en profondeur son milieu de vie. Et si beaucoup de personnes actuellement se rassemblent sous l’étendard de la « protection de la nature » - comme en témoigne ce qu’on a appelé « la vague verte » aux dernières élections municipales en France – c’est précisément parce que la modalité actuelle des interventions humaines sur son environnement finit par créer de graves problèmes. Ces derniers ont pour noms : pollution dévastatrice, changement climatique, et sixième extinction massive des espèces animales. Face à cela, le remède le plus souvent avancé consisterait à rééquilibrer la balance, à rompre avec une exploitation violente des ressources sur terre et à redonner plus de place à des logiques respectueuses de notre environnement. La conjoncture actuelle nous invite à adhérer spontanément, on le constate, à une représentation positive de la nature. Pourtant, il existe des représentations concurrentes beaucoup plus critiques qui ont leur cohérence et dont l’examen va nous conduite à approfondir la réflexion. Le poète Charles Baudelaire montre ainsi avec brio qu’on peut être très sceptique au sujet de certaines représentations trop élogieuses de la nature. Voici ce qu’il écrit en1855 à un de ces collègues : « Mon cher Desnoyers, Vous me demandez des vers pour votre petit volume, des vers sur la nature, n’est-ce pas ? Sur les bois, les grands chênes, la verdure, les insectes, — le soleil, sans doute ? Maisvous savez bien que je suis incapable de m’attendrir sur les végétaux, et que mon âme est rebelle à cette singulière religion nouvelle qui aura toujours, ce me semble, pour tout être spirituel, je ne sais quoi de shocking. Je ne croirai jamais que l'âme des Dieux habite dans les plantes, et, quand même elle y habiterait, je m’en soucierais médiocrement et considérerais la mienne comme d’un bien plus haut prix
Sun, 06 Jun 2021 - 10min - 6 - L'Instant Philo : La loi du Talion
La vengeance et la loi du talion « L’instant philo » du 28 juin 2020 Quand nous avons le sentiment d’avoir été maltraité et gravement lésé, on désire spontanément que justice nous soit rendue. Il arrive parfois que la réparation à laquelle nous aspirons ne puisse être prise en charge par l’institution judiciaire Alors, il ne reste plus qu’à se faire justice soi-même. Et la loi du talion -« Œil pour œil, dent pour dent ! » - est habituellement invoquée pour justifier notre désir de vengeance. Pourtant, on assimile alors deux réalités finalement bien différentes : d’un côté, la vengeance haineuse dont les effets peuvent être excessifs et dévastateurs et de l’autre, la loi du talion dont j’aimerais montrer qu’elle est un principe de justice qui invite à trouver un équilibre entre crime et châtiment en vue de régler les conflits qui pourraient envenimer les relations humaines. On sent bien toutefois que quand on affirme qu’il faut distinguer la loi du talion de la vengeance, cela heurte un préjugé très tenace : pourquoi avons-nous tant de mal à lever cette confusion ? Présentation générale Premières formulations et sens général La première formulation de la loi du talion se trouve dans Le code d’Hammurabi, texte juridique babylonien du dix-huitième siècle avant notre ère : « § 196 : Si quelqu'un a crevé un œil à un notable, on lui crèvera un œil. § 197 : S'il a brisé un os à un notable, on lui brisera un os. § 200 : Si quelqu'un a fait tomber une dent à un homme de son rang, on lui fera tomber une dent. » Quelques siècles plus tard, la loi du talion trouve une autre expression dans l'Ancien Testament. Après les dix commandements, Dieu enseigne à Moïse diverses règles de justice pénale concernant les coups et blessures dont celle-ci :« Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure.» Exode, 21,22 La loi du talion rappelle toujours de façon très concrète la nécessité de poser une équivalence raisonnable entre crime et châtiment. Il serait, par exemple, tout à fait inique de condamner à mort l’auteur d’un petit larcin. La loi du talion est donc bien un principe de justice qui, dans son souci de trouver une sanction bien proportionnée à la faute, s’oppose clairement à la vengeance dont la réaction est bien souvent excessive. C’est pourquoi encore maintenant se faire justice soi-même en France contrevient aux règles les plus élémentaires du droit. Le rôle de la loi du talion dans les systèmes antiques de justice Une des fonctionsd’abord de ce cette loi du talion a été de donner un cadre plus acceptable à un système de justice antique dominé par la vengeance. Le philosophe Hegel remarque ainsi dans Les principes de la philosophie du droit : « Le châtiment prend toujours la forme de la vengeance dans un état de la société où n’existent encore ni juges, ni lois. » Et plus loin, il précise : "Dans cette sphère de l’immédiateté du droit, la suppression du crime est sous sa forme punitive vengeance. Selon son contenu, la vengeance est juste, dans la mesure où elle est la loi du talion. » Hegel : Les principes de la philosophie du droit Hegel souligne en effet que la ven
Sun, 06 Jun 2021 - 11min - 5 - L'Instant Philo : Peut-on discuter sans se disputer ?
Peut-on discuter sans se disputer ? « L’instant philo » du 31 mai 2020 Thème : Peut-on discuter sans se disputer ? L’art du dialogue bien mené selon Blaise Pascal L’état d’exception dans lequel le confinement nous a placé, a conduit, à tort ou à raison, à passer parfois sous silence certains sujets, à rendre plus difficile l’abord de certaines questions et à reporter à plus tard des discussions dont on se disait qu’elles n’avaient pas trop leur place dans la situation. Une certaine liberté de ton et de parole de nouveau à l’ordre du jour avec le déconfinement – ce dont on ne peut que se réjouir. Mais comment faire pour que les discussions qui vont pouvoir reprendre puissent être vraiment fécondes et intéressantes ? Peut-on éviter que nos discussions échouent sur les écueils habituels ? Je pense notamment à l’absence d’écoute réciproque, à la farouche susceptibilité qui nous fait craindre d’être contredit en public, à la vanité qui fait que nous désirons toujours avoir le dernier mot, et de façon plus neutre, à la difficulté que nous éprouvons à saisir ce que les autres veulent vraiment dire quand leurs idées ne sont pas du tout les nôtres. Quand on est en désaccord, peut-on arriver à discuter sans se disputer ? Comment peut-on sortir des impasses dans lesquelles nous mènent habituellement les conversations du café du commerce ? La tentation, en effet, quand on constate une divergence profonde des points de vue consiste le plus souvent à rejeter péremptoirement le discours des autres. Une règle simple pour bien mener un dialogue J’aimerais aujourd’hui réfléchir à l’attitude à adopter pour arriver à mieux dialoguer. Une des pensées de Blaise Pascal contient toute une réflexion sur l’art de la discussion dont on peut, je crois, s’inspirer avec bénéfice. Pascal, en son temps, au dix-septième siècle, a défendu la théorie de Galilée pourtant condamné par l’Eglise. Il a bataillé contre la pensée libertine, d’un côté et, de l’autre, contre l’influence en théologie des jésuites. Autant dire que Pascal avait tout intérêt à être rompu à un art de la conversation pleine de diplomatie, de finesse et de tact. D’où cette Pensée qui est la neuvième dans l’édition Brunschvig. Il écrit : « Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté, il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté pour où elle est fausse. Il se contente de cela car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés : or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas s’être trompé ; et cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir et de ce que naturellement, il ne peut se tromper dans le côté qu’il envisage. » L’objectif de cette pensée de Pascal est clairement de proposer une méthode pour faciliter le dialogue et la recherche en commun de la vérité. Tout d’abord, Pascal tient compte de la susceptibilité de tout interlocuteur. Il indique qu’il faut éviter blesser inutilement celui avec lequel on n’est pas d’accord. Le traiter d’ignorant avec mépris ou suggérer lourdement qu’il ne comprend vraiment rien est maladroit ! L’individu peut se braquer et ce serait normal. Mieux vaut souligner ce qui est pertinent dans son discours en précisant néanmoins que d’autres aspects n’ont pas été vus. « On ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas s’être trompé » Il reste évidemment opportun de repousser l’interlocuteur malhonnête dans les cordes. Toutefois, quand on a à faire à un discutant sincère – ce qui arrive assez souvent tout de même - il faut, selon Pascal, tâcher de comprendre comment il prend les choses et ce qu’il saisit du réel. Pour Pascal, il est rare que quelqu’un qui s‘exprime avec conviction ne dise strictement rien. Rares sont ceux qui sont totalement « à côté de la plaque » - pour reprendre une expression familière - dès l
Sun, 06 Jun 2021 - 12min - 4 - L'instant Philo : Désir et lassitude
Désir et lassitude Illustration : L'ennui, un tableau de Gaston de la Touche Texte de l'émission : Désir et lassitude « L’instant philo » Emission du 3 mai 2020 Elle s’invite de temps en temps, sans qu’on l’ait sollicité, dans nos occupations professionnelles ou privées, dans les familles, parmi les amis, entre les amants, au sein même des relations les plus intenses et les plus émouvantes. Et, sans crier gare, elle s’installe parfois durablement et commence son impitoyable travail de sape. Elle peut ainsi déposer sa couche de poussière et de rouille sur le métal des nouveautés les plus passionnantes. Elle finit par émousser la lame du désir qui nous faisait trancher ces vieilles habitudes qui nous empêchent d’avancer. Elle neutralise nos volontés de changer, nous paralyse, et tente de nous placer dans une vision déprimante des choses. Elle met du gris sur les couleurs de l’existence et rend fade tout ce qui mettait du piment dans notre vie. Bref, elle transforme le désir en ennui, le passionnant en désolant, nos amours en tristes cohabitations. Pourtant son nom est plutôt doux et caressant : elle s’appelle la lassitude. Peut-être est-elle le ver dans la pomme du désir qui nous condamne ici-bas à l’ennui et à la déception – bref au malheur. Telle est, en tout cas, l’hypothèse qui peut paraître bien séduisante d’un certain pessimisme que nous aimerions examiner et critiquer. Car cette représentation des choses aussi lucide puisse-t-elle paraître se révèlera peut-être à l’analyse réductrice et ignorante du rapport bien plus complexe que le désir entretient avec la lassitude et l’ennui. La logique du désir aux yeux des pessimistes Puisque nous avons le projet de critiquer la doctrine pessimiste, il est important d’examiner ses arguments. Une définition du désir par le philosophe Leibniz, qui est né en 1646 et est mort en 1716 est bien utile pour commencer notre analyse. Elle est tirée des Nouveaux essais sur l’entendement humain. « L’inquiétude qu’un homme ressent en lui-même par l’absence d’une chose qui pourrait lui donner du plaisir si elle était présente, c’est ce qu’on nomme désir. » Tout d’abord, le désir est présenté par Leibniz comme une « inquiétude ». Le terme ici n’est pas à prendre au sens psychologique qui renvoie à la crainte, au stress et à l’anxiété. Il faut le prendre au sens étymologique. L’inquiétude est littéralement l’absence de quiétude, de tranquillité ou de repos. Désirer c’est donc être agité intérieurement par quelques mouvements de l’âme et être conduit ainsi à intervenir sur le monde qui nous entoure. L’homme qui désire n’est pas du côté du calme plat qui définit parfois des périodes de l’existence où l’on dit alors qu’on est « tranquilles ». Leibniz nous rappelle donc que le désir est principe d’action et producteur de liens sociaux et affectifs. Tout à l’opposé, la lassitude est ce qui nous pousse souvent à interrompre une activité et, parfois, à sortir d’une relation. Elle est très proche de l’antonyme du désir – à savoir l’aversion qui peut prendre la forme du dépit, de la haine, du dégoût, parfois de l’indifférence. Cette nature de la lassitude si contraire au désir peut finir par le miner de l’intérieur – comme le ver dans le fruit. On comprend dès lors mieux la doctrine des pessimistes. Car la lassitude qui accompagne tous nos engouements comme son ombre maléfique, semble bien vouer le désir à un perpétuel et très répétitif échec. Arthur Schopenhauer, qui est le grand représentant du pessimisme philosophique au XIX siècle peut ainsi écrire dans Le monde comme volonté et représentation : « Sans nous lasser, nous courrons de désir en désir ; en vain chaque satisfaction obtenue, en dépit de ce qu’elle promettait ne nous satisfait point, le plus souvent ne nous laisse que le souvenir d’une erreur honteuse ; nous continuons à ne pas comprendre, nous recommençons le jeu des Danaïdes[i] et nous voilà à poursuivre de nouveaux désirs. » P
Sun, 06 Jun 2021 - 13min - 3 - L'Instant Philo : La Distraction
L'Instant Philo : La Distraction VivaCulture L’instant philo Emission du 5 avril 2020 Thème : La distraction Un résumé par Léa Beauchamps, élève de classe préparatoire ECS de septembre 2019 à juin 2021au lycée François 1er du Havre de cette émission consacrée au thème de la distraction Dans le contexte actuel, avec la pandémie mondiale, la distraction nous permet de nous détourner de la situation stressante du confinement. En effet, nous avons besoin de nous distraire ou encore d’être distrait. La distraction peut apparaitre sous deux formes : l’une est active et en ce sens la distraction consiste à se distraire c’est-à-dire à se changer les idées, à se divertir. L’autre est à la forme passive : la distraction consiste alors à être distrait. Ces deux formes sont très distinctes : Dans un premier temps, être distrait c’est être amusé, être divertie par d’autres personnes ou par un évènement drôle. Dans un autre sens, être distrait c’est un état d’inattention au présent. Ce qui signifie que l’on a été happé par une pensée qui nous rend absent temporairement à ce qui se passe. On peut donc légitimement se poser la question : Où sommes-nous donc quand nous sommes distraits de cette façon ? Plusieurs réponses : nous sommes dans nos pensées, nos souvenirs, dans nos rêves. Dans tous les cas nous sommes ailleurs. Cette dernière forme de distraction nous montre que nous sommes capables de nous téléporter en une autre dimension du réel (mais aussi sans doute une autre dimension du temps). Nous sommes donc dotés d’une capacité qui nous permet d’être ailleurs, de nous évader du présent, en bref d’être distrait. Que pouvons- nous apprendre cet état singulier de distraction ? Premièrement si nous pouvons nous absenter de cette façon c’est sans doute pour mieux nous rendre présent à ce qui est absent de nos perceptions des choses extérieures, c’est-à-dire pour mieux percevoir nos états d’âme, nos idées, nos souvenirs ou encore nos projets. Pour résumer, la distraction nous permet de mieux explorer nos pensées. Toutes ses réalités internes peuvent, en effet, tant nous occuper que cela nous empêche de nous préoccuper de ce qui nous entoure. C’est pourquoi notre attention peut se détacher du présent pour se tourner vers le domaine de l’intériorité. Être distrait ce n‘est donc pas du tout se retrouver dans un état d’abrutissement ou de vide complet dans lequel la grande fatigue nous place parfois. Prenons l’exemple de la distraction de Socrate. Ce dernier explique qu’un « démon », de temps en temps, le mettait en arrêt complet. Pour les grecs de l’antiquité, un démon (daemon) est un être supérieur qui n’est pas nécessairement diabolique mais une sorte d’ange gardien dont la fonction est de guider plus que de pervertir. Dans le Banquet de Platon on retrouve une description rapide où Socrate suspend toute attention à ce qui l’entoure pour se plonger dans ses pensées. Dans ce passage il y a une mise entre parenthèse du monde extérieur qui rend possible une bonne exploration du riche contenu de notre intériorité. Cette intériorité est constituée de nos idées mais aussi de nos sentiments, nos décisions et les représentations de notre imagination. Par conséquent, on peut donc conclure qu’il y a un lien très fort entre la distraction et l’imagination qui est la faculté de rendre présent (notamment sous forme d’image) ce qui est absent dans ce qui nous entoure. L’imagination nous rend donc aussi absent au présent puisqu’elle nous transporte dans une autre dimension du monde. De même, nous pouvons faire défiler en nous l’image d’une chose absente mais qui a existé, il s’agit du souvenir. La mémoire est en ce sens une sorte d’imagination reproductrice. Être distrait consiste donc à explorer notre pensée grâce à l’imagination afin de percevoir tout un monde qui a disparu ou qui n’est pas encore apparu, voire même tout un monde qui n’existera jamais. La distraction nous enseigne donc qu’il y a bien plus de choses dans notre intériorit
Sun, 06 Jun 2021 - 13min - 2 - L'Instant Philo : Peut-on parler d'une éthique contemporaine ?Sun, 06 Jun 2021 - 13min
- 1 - L'Instant Philo : Faut-il avoir peur de la technique ?Sun, 06 Jun 2021 - 16min
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