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- 1113 - Ephrem Yalike: «La Centrafrique est un pays sous emprise des Russes, toutes leurs actions échappent au gouvernement»
À Bangui, on le croit dans les prisons des mercenaires russes depuis neuf mois, ou mort. Le journaliste Ephrem Yalike a été pendant près de trois ans un rouage de la communication du groupe Wagner en Centrafrique, jusqu'à ce qu'il soit soupçonné de traitrise après la révélation d'une bavure commise par les mercenaires. Mais il a pu fuir le pays avec l'aide la plateforme des lanceurs d'alerte en Afrique (PPLAAF).
Dans une enquête du consortium Forbidden stories à laquelle RFI est associée avec neuf autres médias, il raconte comment fonctionne le système de désinformation à Bangui, entre placement d'articles contenant des fausses informations et manifestations montées de toutes pièces.
« Plongée dans la machine de désinformation russe en Centrafrique » est une enquête à retrouver sur RFI.fr et nos environnements numériques.
RFI : De 2019 à 2022, vous avez été un des communicants des mercenaires russes qui opèrent en Centrafrique. Pourquoi avez vous décidé de quitter le pays, de raconter votre histoire et de lever le voile sur les opérations de communication qu'ils mènent dans votre pays?
Ephrem Yalike : J'ai décidé de raconter ce que j'ai vécu et ce que moi aussi j'ai eu à faire, parce que je me suis rendu compte que les Russes en Centrafrique opèrent dans un mode où il n'y a pas le respect des droits humains. C'est pourquoi je me suis dit je ne peux pas rester silencieux, je dois dénoncer ce qui se passe dans mon pays pour que ça puisse aider et que les Centrafricains puissent comprendre réellement la présence russe en Centrafrique.
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Et pour cela, vous avez dû quitter Bangui. Parce qu'aujourd'hui, pour un journaliste centrafricain, donner la réalité de la présence russe dans le pays, c'est impossible ?
Aujourd'hui en Centrafrique, pour un journaliste centrafricain, dénoncer et dire la réalité de ce que les Russes font, c'est se mettre en danger. Parce que je peux vous dire, que toutes les actions des Russes échappent au contrôle du gouvernement. Dans leur mode opératoire, quand tu dénonces, tu deviens automatiquement leur cible. C'est pour cela que je me suis dit pour que pour être libre, dire ce que je pense, et ce que je faisais, il me fallait quitter le territoire.
D'ailleurs, jusqu'à ce matin à Bangui, tout le monde pense que vous êtes soit en prison au camp de Roux, dans les geôles des Russes, soit mort ?
Tout à fait. En ce moment dans la capitale, le doute plane sur ma situation. Mais, je ne suis pas en prison, je suis bel et bien hors du territoire.
Quand vous avez été approché fin 2019 par les Russes à Bangui, vous avez tout de suite accepté. Pourquoi ?
J'ai accepté tout de suite de collaborer avec les Russes, parce que, à cette époque, la République centrafricaine venait de sortir d'une crise. En tant que Centrafricain, il était de mon devoir de contribuer au retour de la paix dans mon pays. À cette époque, la République centrafricaine a été abandonnée par son ancien partenaire, lors du départ des forces Sangaris du pays. Et l'arrivée des Russes était considérée comme un ouf de soulagement pour tout le peuple centrafricain. Donc moi étant journaliste, contacté par les Russes pour collaborer avec eux, ça m'a fait plaisir de contribuer au retour de la paix dans mon pays.
Pour soutenir les actions des Forces armées centrafricaines. Mais il y avait aussi une motivation financière. Vous ne le cachez pas.
Tout à fait, cette action qui m'avait été demandée était de vulgariser les actions de neutralisation menées par les forces armées centrafricaines conjointement avec les Russes, ça ne me posait aucun problème. J'ai accepté. Et deuxièmement, il y avait cette oportunité financière qui pouvait me permettre de financer mes études. En étant journaliste en République centrafricaine, c'était difficile de joindre les deux bouts seulement avec le salaire mensuel du journaliste. Dans les journaux de la place, je n'atteignait pas 70 000 francs CFA, mais quand j'ai commencé à travailler avec les Russes, automatiquement j'ai gagné plus de 200 000 francs
200 000 puis même 500 000 plus tard ?
Tout à fait.
L'homme qui vous a recruté et qui sera votre interlocuteur pendant toute votre collaboration, c'est Mikhaïl Prudnikov, que vous connaissiez comme « Michel » ou « Micha ». Il était toujours flanqué d'un interprète. Qui est il exactement à Bangui ? Quelle est sa mission en Centrafrique ?
Lui, il me dit qu'il est responsable, directeur de la communication et des relations publiques de la mission russe en République centrafricaine. Donc, c'est toujours avec lui que je collabore. Selon ce qu'il me dit, il est chargé d'analyser la méthode de la communication de la mission en République centrafricaine et d'impacter sur les médias centrafricains pour parler positivement de la mission russe dans le pays. Et maintenant d'étudier comment faire à ce que le peuple centrafricain puisse avoir confiance aux Russes qui sont dans le pays.
Mais en réalité, il fait beaucoup plus que ça ?
En réalité, il fait beaucoup plus que ça, et à ma connaissance, il part dans d'autres pays africains pour faire la même chose qu'en République centrafricaine.
Alors parmi les missions que « Micha » vous assigne, il y a faire des revues de presse de tout ce qui se dit sur la présence russe dans le pays, écrire des articles pour discréditer les voix critiques, mais aussi placer des sujets favorables dans des journaux contre rétribution. Concrètement, comment est ce que ça fonctionnait?
Tout à fait. Il me donnait une thématique, il vérifiait si c'était conforme à ses exigences. Il m'indiquait ensuite certains médias dans lesquels je devais les publier. je leur donnais 10 000 francs à chaque fin du mois. Je tenais un tableau Excel que je lui donnais avec le nom du média, l'article publié, la date et la photo pour qu'il me donne l'argent, que je puisse rémunérer chacun de ces journalistes.
La situation de la presse en Centrafrique est-elle et si précaire au point que cette pratique n'ait jamais posé de problème ?
La situation de la presse en République centrafricaine, reste et demeure précaire. Donc cette situation n' gêné personne. Quand tu travailles, tu dois aussi vivre. Donc certains journalistes, même s'ils étaient contre, étaient contraints par le besoin d'argent de prendre et de publier ces articles.
Autre mission, vous avez organisé des manifestations parfois contre la France, parfois contre les Etats-Unis, souvent contre l'ONU. Comment ça se passait exactement l'organisation de ces manifestations ?
Parfois lui Micha m'appelait et me donnait une thématique pour la semaine. Il me disait : « Nous souhaitons que tu puisses organiser une marche pour dire que la population en a marre de la présence de la Minusca (mission de l’ONU) ». Je devais cibler un leader de la place, lui demander s'il avait la capacité de mobiliser 500 personnes pour une manifestation devant le siège de la Minusca à telle date, et il me disait que c'était possible. La veille, « Micha » et son équipe écrivaient des mots sur les cartons, sur les papiers, pour que les manifestants puissent les tenir et faire semblant que ces écrits étaient les leur, alors qu'en réalité ça venait de Michel. Par rapport au nombre des manifestants, je remettais l'enveloppe aux leaders. Je faisais cela dans la discrétion totale pour que personne ne soit au courant.
Et chaque jeune qui venait recevait environ 2000 francs (3euros)
Environ 2000 francs CFA.
Une cible récurrente de ces manifestations, c'était la Minusca, la mission de l'ONU. Pourquoi ?
Les Russes et la Minusca sont dans le pays à peu près pour un même objectif, aider le gouvernement à pacifier le pays. Donc du coup, les Russes veulent se faire passer aux yeux du peuple centrafricain comme les meilleurs, et pour cela, il faut qu'ils puissent discréditer les actions menées par l'ONU en République centrafricaine. C'est pourquoi toutes ces manifestations visent la MINUSCA.
Les manifestations hostiles à la présidente de la Cour constitutionnelle, madame Darlan, en 2022, et pour le changement de Constitution en 2023, ce sont aussi les Russes qui étaient à la manœuvre ?
Les manifestations concernant la destitution de madame Darlan, les manifestations pour la Constitution, tout ça, c'était la mais des Russes derrière. Il y a certaines manifestations qui sont organisées. Mais moi qui travaille avec eux, je ne suis pas au courant. Après, ils m'appellent, ils me donnent seulement des articles, des photos à publier.
Ce n'est pas vous qui avez organisé celles là, mais vous avez la certitude que ce sont les Russes qui les ont organisées via d'autres canaux ?
Et là arrive l'épisode de Bouar. On vous a demandé d'écrire que les mercenaires de Wagner sont venus en aide à des civils peuls blessés, alors que ce sont eux qui leur ont tiré dessus. Est ce que vous pouvez nous raconter cet épisode.
À cette époque, un matin, Micha m’appelle et me dit « Il y a une urgence, nous devons partir à Bouar pour sauver certains peuls qui sont en difficulté ». J'ai dit OK. « Nous avons retrouvé deux peuls qui blessés à l'hôpital régional de la ville de Bouar ». Dans l'avion, Micha m'a dit qu’ils avaient été attaqués par les groupes armés, notamment les 3R. On arrive sur les lieux, il y a un interprète, la manière avec laquelle l'interprète leur demande de me parler et pour qu'il puisse m’interpréter, étant journaliste, je savais que c'était pas concrètement ce qu’ils étaient en train de lui dire et qu'il me transcrivait , donc je prenais note de tout ce qu'il me disait.
Et quand on était dans l'avion avec lui, je lui ai dit « Michel, tu penses réellement que ce sont des 3R qui ont fait du mal à ce groupe ? Parce que je travaille avec toi, tu dois me dire la vérité pour me permettre de voir dans quel angle orienter pour que l'article puisse prendre du poids ». Il me regarde en me disant « ok, ce que je te dis, ça doit rester confidentiel entre nous. Certains de nos de nos confrères les ont attaqués. C'est après qu'on s'est rendu compte que c'étaient des innocents et nous sommes venus à leur secours pour les sauver. Donc tu dois tout faire pour que l'article soit positif à notre égard »
Ils ont voulu prendre le contrôle du narratif. Le problème, c'est que la vérité est sortie quelques semaines plus tard dans un journal local et que vos patrons ont cru que vous les avez trahis et qu'ils vous ont menacé physiquement à ce moment là.
Oui, un mois plus tard, la vraie information est sortie dans un journal de la place, et à ma grande surprise, un matin, j'ai reçu un appel : « je suis devant devant ta maison » alors que je ne lui ai jamais montré ma maison depuis qu’on collabore. Il m'a conduit quelque part, je ne savais même pas où on allait. Donc c'était derrière, à la sortie nord, route de Boali, on a dépassé PK 26. Il s'est arrêté et m'a dit « je vais te poser une seule question. Tu dois me dire ce qui t'a poussé à dire la vérité à ces journalistes qui ont dévoilé l'information ». A ce moment-là, il a déposé son arme à côté. Automatiquement, il a ramassé mon téléphone.
Son interprète a commencé à fouiller pour voir avec qui j'avais été en contact. Il a fouillé. Il n'a rien trouvé. Il m'a menacé. « Tu dois l'avouer, ici, il y a personne ici. Tu sais ce qui peut t'arriver » J’ai dit « Michel, je ne peux pas dire ce que je n'ai pas fait ». Il a insisté, avec des menaces à l'appui, des intimidations de mort. Je lui ai dit « Si je l'avais fait, je te l'aurais dit. Je n'ai rien fait, je te l'ai dit ». J'étais apeuré. Mais comme je n'avais rien fait, je ,'ai pas avoué ce que je n'avais pas fait. Il a pris mon téléphone, il est parti. Il m'avait abandonné dans cette brousse. Cette information, je l'ai dite à personne parce qu'en me quittant, il m'a dit : « tout ce qui vient de se passer ici, mettons en tête que nos services secrets sont désormais derrière toi. Si on entend un seul instant que tu as été menacé, tu ne resteras pas vivant ».
Effectivement, ils vous tiennent bien à l'œil, puisque deux ans plus tard, après une longue préparation, vous vous apprêtez à quitter le pays en février 2024 et au moment où vous allez partir de l'aéroport de Bangui, vous êtes retenu. Et là, vous comprenez que ce sont les Russes qui sont à la manœuvre et qui vous font retenir à l'aéroport dans un bureau de police.
Tout à fait. À ma grande surprise, à mon départ, j'ai été retenu à l'aéroport, empêché de voyager par le commissaire qui n'arrivait pas à m'en donner la raison en plus. Il m'a dit : « Tu penses partir avec toutes les informations que tu détiens ». Je lui ai demandé : « quelles informations ? » « Tu vas voir avec les Russes ». Le commissaire de l'aéroport a été commissionné par les Russes pour m'empêcher de voyager à l'aéroport ce jour là.
Donc le reste de votre famille a pu partir. Vous, vous vous êtes caché quelques jours, êtes parvenu à traverser l'Oubangui en pirogue et ensuite via le Congo, à gagner la France. Avec le recul, est ce que vous regrettez cette collaboration ? Est ce que vous regrettez vos actions ?
Si je n'avais pas regretté cette collaboration, je n'aurais pas décidé de les dénoncer. J'ai regretté cette collaboration parce que moi, au départ, je croyais que c'était pour aider mon pays. Ils se présentent comme des partenaires venus aider à ce pour la paix, mais font autre chose, violentent, sont dans la désinformation, trompent l'opinion. C'est pas en faisant ça, qu'on va aider le peuple. Du coup, j'ai regretté l'action que moi-même j'ai posée en collaborant avec eux.
Comment vous qualifieriez aujourd'hui la présence russe en Centrafrique?
C'est une présence d'intérêts personnels, des intérêts des Wagner, des intérêts des Russes. Ils n'aident pas. Je parie ma tête que s'il était question d'arrêter la violence en Centrafrique, les Russes l'auraient fait depuis longtemps. Il font semblant pour que la crise perdure et que leur présence puisse s'élargir en République centrafricaine, pour qu'ils puissent mettre en œuvre tous les plans qu'ils ont en tête.
C'est un pays sous emprise ?
Selon moi, c'est un pays sous emprise des Russes, on le voit avec les actions menées par les Russes, l'exemple est simple : quand j'ai été empêché à l'aéroport de voyager, ça c'est une violation à ma liberté d'aller et de revenir. Mon avocat a contacté les autorités judiciaires et policières. Jusqu'alors, il n'y a eu aucune réponse parce que l'instruction vient des Russes. Rien ne peut se faire sans eux.
Votre témoignage et les éléments factuels qui sont présentés dans l'enquête de Forbidden Story amèneront des attaques contre vous au pays. On vous appellera sûrement un traître ou un vendu. Que répondez vous à ceux qui douteraient de votre franchise ou de votre honnêteté ?
C'était moi seul qui ai travaillé avec eux et quand je travaillais avec eux, je ne l'ai dit à personne. Et si aujourd'hui j'ai décidé de dénoncer, il en va de mon honnêteté et de ma dignité. Ceux qui pensent que j'ai été manipulé, que je suis un vendu, c'est leur point de vue. D'ailleurs, j'ai la conscience tranquille. Les vrais patriotes en Centrafrique m'ont encouragé. Tout ce qui se dira, me sera égal parce que je ne regrette rien.
L'enquête est à lire ici : Plongée dans la machine de désinformation russe en Centrafrique
Thu, 21 Nov 2024 - 1112 - Pascal Affi N'Guessan: «Ce serait un grand risque que monsieur Ouattara soit candidat en 2025»
En Côte d'Ivoire, nous ne sommes plus qu'à onze mois de la présidentielle, et Pascal Affi N'Guessan vient d'être désigné par le Front populaire ivoirien (le FPI), comme son candidat à ce scrutin. L'ancien Premier ministre ira-t-il seul à la bataille ? Non, déclare-t-il ce matin sur RFI. Pascal Affi N'Guessan est en train de se réconcilier avec l'ancien président Laurent Gbagbo. Il nous révèle qu'une rencontre entre les deux leaders historiques de la gauche ivoirienne est même envisagée. De passage à Paris, le président du FPI répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Vous êtes candidat à la présidentielle de l'an prochain pour le FPI. Mais en 2020, vous avez appelé à un boycott actif parce que le président Ouattara se présentait pour un troisième mandat. Si l'an prochain, il se présente pour un quatrième mandat, qu'est-ce que vous ferez ?
Pascal Affi N'Guessan : Mais nous avons déjà appelé à ce qu'il renonce à ce quatrième mandat. Parce que déjà, le troisième mandat, vous le savez bien, a été assez chaotique. Et depuis, la situation s'est dégradée aussi bien au niveau intérieur qu'au niveau international. Ce serait un grand risque pour le pays que Monsieur Ouattara soit encore candidat en 2025.
Et pourtant, il y a un taux de croissance annuel supérieur à 7 %, non ?
Oui, c'est vrai. Mais vous savez, le taux de croissance n'a rien à voir avec la réalité. Sur le plan social, c'est la catastrophe. L'espérance de vie a reculé sous Monsieur Ouattara de 58 à 57 ans. L'indice de développement humain s'est dégradé. Il y a beaucoup de pauvreté. Sur le plan politique, la réconciliation nationale est un échec. Sur le plan de la gouvernance, il y a beaucoup de malversations, beaucoup d'enrichissement illicite, de corruption. Et donc il y a une forte attente de la part des Ivoiriens au changement.
Le RHDP au pouvoir appelle Alassane Ouattara à se présenter l'an prochain. A votre avis, il va y aller ou pas ?
Je ne crois pas. Je ne pense pas. Parce que Monsieur Ouattara est bien conscient du risque que cela représente pour lui-même et pour le pays s'il était candidat.
Et à votre avis, qui sera le dauphin d'Alassane Ouattara pour le RHDP ?
C'est une question interne.
Vous avez une petite idée ?
Oui, j'ai une petite idée, mais je la garde pour moi.
On parle du vice-président Tiémoko Meyliet Koné…
Évidemment. Quand on a été vice-président, on aspire légitimement à être président. Donc ce ne serait pas une surprise si c'était lui qui était choisi comme le candidat du RHDP.
Et quelle est votre stratégie en vue de la présidentielle d'octobre prochain ? C'est d'y aller seul ou de faire alliance avec d'autres ?
Vous savez, en Côte d'Ivoire, aucun parti à l'heure actuelle, qu'il soit au pouvoir ou pas, ne peut gagner seul. Nous avons des appels du pied émanant du PPA-CI du président Laurent Gbagbo et il y a donc des frémissements en faveur de ces retrouvailles. Et je suis persuadé que nous allons nous retrouver pour gagner ensemble l'élection de 2025.
Alors, Laurent Gbagbo n'a pas toujours été gentil avec vous. Quand il est parti avec le PPA-CI, il a traité votre parti FPI « d'enveloppe vide »…
C’est ça. Mais aujourd'hui, le président Gbagbo se tourne vers cette enveloppe soi-disant « vide », ce qui signifie qu'elle n'est pas aussi vide que ça, parce qu'on ne court pas derrière une enveloppe vide, on ne fait pas appel à une enveloppe vide pour construire un rassemblement. Le président Gbagbo a bien compris que c'est dans ces retrouvailles que nous avons une chance de revenir au pouvoir. Il a lancé un appel depuis Bonoua [le 14 juillet dernier], il a envoyé plusieurs délégations en notre direction et donc je pense que le moment est venu de nous retrouver et nous allons faire en sorte que ces retrouvailles-là conduisent notre famille politique au pouvoir en 2025.
Et vous seriez tous deux candidats en octobre, quitte à vous désister pour le mieux placé au deuxième tour ? Comment vous voyez les choses ?
Tout cela est à négocier. Juste avant ce déplacement en Europe, nous avons reçu une délégation du PPA-CI et il est question que le président Gbagbo et moi, nous nous retrouvions, parce qu'au-delà de l'accord, il y a une réconciliation à organiser. Nous nous sommes opposés. Pour pouvoir rassurer l'opinion, pour pouvoir crédibiliser une quelconque alliance, il faut d'abord que nous donnions des signaux forts à l'opinion, pour montrer que nous avons tourné la page des dissensions. Et cette nouvelle dynamique doit être matérialisée par une rencontre. Et je pense qu'à l'occasion de cette rencontre, nous allons échanger sur la manière d'aller ensemble à ces élections de 2025.
Et si Laurent Gbagbo reste inéligible, que se passera-t-il ?
Il appartiendra au président Gbagbo de voir quelle est la posture à adopter. Mais ce qui est important, c'est que nous soyons ensemble pour ces élections, soit avec le candidat du FPI soutenu par le PPA-CI. Évidemment, étant donné qu'il y a un ticket, ce sont des choses qui se négocient, pour mobiliser l'électorat de gauche afin qu'ensemble nous puissions gagner.
Est-ce que l'ancien ministre de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, ne convoite pas lui aussi l'électorat de Laurent Gbagbo ? Et est-ce qu'il ne risque pas d'être pour vous un rival politique ?
Il est plus jeune, il a le temps pour lui et je pense que, à l'heure actuelle, il s'agit pour la Côte d'Ivoire de savoir choisir un président qui soit en quelque sorte une passerelle entre l'ancienne génération [incarnée par] le président Gbagbo, le Président Alassane Ouattaraet cette nouvelle génération dont vous parlez. Et je pense que, logiquement, je devrais être le candidat de la transition, le candidat de la passerelle, pour permettre à cette nouvelle génération de se renforcer, et demain, d'assurer la relève.
Wed, 20 Nov 2024 - 1111 - Sénégal: «Le Pastef est sur la bonne voie pour gagner une majorité qualifiée»
Au Sénégal, c'est sans doute ce mardi 19 novembre 2024 que l'on saura si le Pastef est en mesure de franchir la barre des trois cinquièmes des députés dans la future Assemblée nationale. La question est importante, car, dans ce cas, le parti du président Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko pourra changer la Constitution, et faire poursuivre en justice certains dignitaires de l'ancien régime. Pape Fara Diallo est maître de conférences en sciences politiques à l'université Gaston-Berger. En ligne de Saint-Louis du Sénégal, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Est-ce que le Pastef est en mesure d'avoir une majorité qualifiée dans cette Assemblée et de pouvoir faire les réformes qu'il souhaite ?
Pape Fara Diallo :D'après les résultats que nous voyons, au-delà d'une majorité absolue, le Pastef est sur la bonne voie pour gagner une majorité qualifiée de 99 députés au moins. Pour le moment, rien que pour le vote majoritaire, le Pastef dépasserait les 100 députés. Donc, de ce point de vue, le Pastef aura les coudées franches pour pouvoir voter des lois constitutionnelles et des lois organiques, qui lui permettraient de modifier la Constitution et d'initier les réformes majeures. Parmi ces réformes, il y a d'abord la volonté du président de la République, Bassirou Diomaye Faye, de réduire les pouvoirs du président qui sont clairement exorbitants selon notre Constitution. Entre autres réformes aussi, il y a la volonté d'installer très rapidement la Haute Cour de justice qui permettrait de juger les autorités qui avaient un privilège de juridiction, notamment les [anciens] ministres et l'ancien président de la République, parce qu'on a agité le dossier de la reddition des comptes. Pour que ce dossier puisse aboutir, il faut avoir installé la Haute Cour de justice et ça fait partie des premières mesures que cette nouvelle Assemblée prendra.
Alors, à quelles conditions la future Assemblée nationale peut-elle instaurer une Haute Cour de justice ?
La Haute Cour de justice est prévue dans la Constitution, mais c'est une institution qui ne peut être installée que par une majorité qualifiée de 3/5 et cela équivaut à 99 députés sur les 165.
Et ça, c'est évidemment l'un des enjeux des jours qui viennent. Est-ce que le Pastef aura cette majorité pour pouvoir installer une Cour qui pourra juger les dignitaires de l'ancien régime, c'est ça ?
Vu les résultats provisoires, effectivement, le Pastef est bien parti pour avoir un peu plus d'une centaine de députés et la majorité qualifiée pour pouvoir installer la Haute Cour de justice. D'autant plus que la Haute Cour de justice est la seule juridiction habilitée à juger les ministres et les anciens présidents. Et puisque le Pastef a battu campagne sur la nécessaire reddition des comptes et la promotion de la transparence et de la bonne gouvernance, l'installation de la Haute Cour de justice constitue une urgence, si on entend bien les propos du Premier ministre Ousmane Sonko durant la campagne.
Alors avant son départ du pouvoir, Macky Sall a fait voter une loi qui amnistie les auteurs de violences depuis 2020 au Sénégal. Est-ce que cette loi ne protège pas tous ces dignitaires ?
Oui, mais ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. C’est le parallélisme des formes en droit. Et le Premier ministre Ousmane Sonko l’a clairement annoncé durant la campagne, ça faisait partie d’ailleurs du programme de législature de Pastef, c'est qu’une fois la nouvelle Assemblée installée et qu'ils auraient une majorité qualifiée à l'Assemblée nationale, ils allaient revenir sur la loi d'amnistie.
Depuis six mois, les Français essaient de savoir si le Pastef au pouvoir va maintenir ou fermer leur base militaire à Dakar. De ce point de vue, qu'est-ce que ce résultat des législatives peut changer ?
Alors moi, je pense que l'État du Sénégal n'est plus dans la logique clairement affichée de vouloir fermer les bases militaires. L’État du Sénégal est dans la logique de rediscuter avec l'État français pour que les relations soient plus équilibrées. Donc, de ce point de vue, les deux visites du président Bassirou Diomaye Faye à Paris ont semblé révéler une nouvelle volonté des autorités sénégalaises de revoir leurs relations avec la France pour que cela soit des relations beaucoup plus équilibrées. Le mot « respect » est revenu plusieurs fois dans le discours du président Diomaye Faye sur le respect mutuel quand il était à Paris. Donc, je pense que l'enjeu, ce n'est pas pour le moment de fermer les bases militaires, mais de voter une loi sur le patriotisme économique et de faire en sorte que les entreprises sénégalaises puissent avoir plus de parts de marché dans la commande publique et que les entreprises étrangères, françaises principalement, ne soient pas les seules entreprises qui gagnent les plus grandes parts de marché. Mais je crois que la fermeture des bases militaires n'est plus, à mon avis, une priorité pour le gouvernement du Sénégal.
Depuis six mois, Jean-Marie Bockel, l'envoyé personnel du président français, essaie de pouvoir venir à Dakar pour savoir quel sera l'avenir de la base militaire française sur place. Et depuis six mois, les Sénégalais lui répondent « attendez la fin des législatives ». On voit bien que c'est une façon pour le Pastef au pouvoir de gagner du temps. Comment les choses vont elles se passer dans les semaines qui viennent, à votre avis ?
Justement, cette volonté du parti au pouvoir de gagner du temps, moi, je l'interprète comme une façon pour eux de revoir leurs priorités. En termes de résultats concrets et immédiats, qu'est-ce que l'État du Sénégal gagnerait à fermer les bases militaires françaises ? Comparé à tout ce que l'État du Sénégal peut gagner en renégociant les contrats ou bien en votant très rapidement une loi sur le patriotisme économique ? C'est une question diplomatique. La question de la fermeture des bases militaires avait été agitée dans le programme du parti Pastef avant l'élection présidentielle. Mais on n'a pas entendu une seule fois le Premier ministre Ousmane Sonko, durant la campagne pour les élections législatives, se prononcer sur la question de la fermeture ou non des bases militaires françaises.
Tue, 19 Nov 2024 - 1110 - Togo: «Le peuple n’accepte pas ce coup d’État constitutionnel»
Le Togo est entré dans la Ve République depuis la promulgation - début mai 2024 - d'une nouvelle Constitution. Le pays est passé d'un régime présidentiel à un régime parlementaire qui supprime l'élection présidentielle au suffrage universel direct. Le texte n'a pas été soumis à référendum, mais adopté par des députés après la fin de leur mandat, et en pleine campagne pour les élections législatives du 29 avril.
Six mois plus tard, alors que toutes les nouvelles institutions ne sont pas encore en place, le texte continue de susciter la colère d'une partie de l'opposition et de la société civile, qui y voient un moyen pour le président Faure Gnassingbé (au pouvoir depuis la mort de son père en 2005) de continuer à diriger le pays sans limitation de mandat. Parmi les voix critiques, Brigitte Kafui Adjamagbo Johnson, coordinatrice de la DMP (dynamique pour la majorité du peuple) et à la tête de la CDPA (Convention démocratique des peuples africains). De passage à Paris, l'opposante répond aux questions de Magali Lagrange.
RFI : Vous avez été élue députée il y a six mois. Dans cette Assemblée, 108 sièges sur 113 sont occupés par des membres du parti Unir, le parti au pouvoir. Vous avez dénoncé ces résultats, mais vous avez décidé quand même de siéger. Pourquoi ?
Brigitte Kafui Adjamagbo Johnson : Parce que, voyez-vous, on est engagés dans un combat. J'y suis pour continuer à leur dire : « Le peuple n'est pas d'accord avec ce que vous faites. Le peuple n'accepte pas ce coup d'État constitutionnel par lequel vous avez installé la Ve République » et je ne ferai rien pour aider à mettre en place les institutions de cette Ve République.
Mais donc, une fois que les institutions seront en place, vous ne jouerez pas le jeu de ces nouvelles institutions ?
Je ne contribuerai pas à la mise en place de ces institutions. Je dénoncerai, au contraire. D'ailleurs, vous imaginez que le prochain président de la République, qui est totalement dépouillé de tout pouvoir, ne sera pas élu par le peuple au suffrage universel direct. Mais il y a pire. Celui qui va détenir désormais tous les leviers du pouvoir ne sera pas un élu non plus. Il sera tout simplement désigné par le parti dit majoritaire.
Justement, vous qui dénoncez le pouvoir du président actuellement ou en tout cas dans le régime présidentiel précédent, est-ce que ce n'est pas bon de donner plus de pouvoir au Parlement ?
Plus de pouvoir au Parlement, mais pas à un Parlement monocolore. Et encore faut-il que le peuple souverain ait fait ce choix-là. Or, vous interrogez les Togolais aujourd'hui, ils vous diront : « pour nous, notre problème aujourd'hui, ce n'est pas de changer de régime politique, mais c'est de faire en sorte que notre pays soit gouverné démocratiquement ».
Cette fois, on n'a pas vu de mobilisation des Togolais dans la rue pour dire non à ce changement de Constitution. Comment vous l'expliquez ?
Vous avez raison, je l'explique tout simplement par le fait que les Togolais ne veulent pas, ils savent très bien qu’en voulant manifester, ils vont se faire massacrer. Ils savent très bien que le régime exploite l'actuelle loi sur la liberté de manifester pour empêcher toute manifestation. Et vous pouvez voir l'exemple de ce qui se passerait si les Togolais descendaient à nouveau dans les rues avec ce qui s'est passé le 29 septembre.
Donc, le 29 septembre, vous aviez organisé une réunion au siège de votre parti, en présence du député sénégalais Guy Marius Sagna, qui est aussi député de la Cédéao. Et la réunion a été interrompue par des violences. Plusieurs personnes ont été blessées. Est-ce que vous savez où en est l'enquête, un mois et demi après ?
Ce que nous savons, c'est que l'enquête a démarré. On nous a demandé de collaborer, donc nous avons fourni une liste de personnes qui ont été auditionnées. Aujourd'hui, on attend. Mais nous demandons plutôt que ce soit des enquêtes internationales qui soient menées. Nous voulons savoir ce qui s'est passé. Il est temps que l'impunité s'arrête au Togo.
Si je reviens sur votre décision de siéger à l'Assemblée nationale, il y a d'autres partis d'opposition qui ont fait un autre choix, l'ANC de Jean-Pierre Fabre par exemple. Est-ce qu'il y a eu entre les partis d'opposition élus à l'Assemblée une concertation ? Est-ce que vous avez essayé de vous mettre d'accord sur une ligne à suivre ?
Oui, il y a eu une concertation. Mais bon, ces collègues ont décidé d'utiliser plutôt cette stratégie pour dénoncer ce qui s'est passé. Et je pense que l'essentiel, c'est que nos stratégies convergent à obtenir le changement que nous souhaitons.
Le pouvoir togolais dit souvent, quand il parle de l'opposition, que l'une de ses faiblesses, c'est de ne pas savoir s'entendre. Est-ce que ces divisions ou en tout cas ces postures un peu différentes, ça ne leur donne pas raison ?
Pas du tout. Parce que si cette division de l'opposition l’affaiblissait vraiment, le pouvoir ne déploierait plus aucun effort pour biaiser les résultats des élections. La division interne à l'opposition est l'affaire de l'opposition. Nous y travaillons. Ça ne peut jamais être l'affaire de notre adversaire.
Mon, 18 Nov 2024 - 1109 - COP29: «Le plus important, c'est de faire porter la voix de l'Afrique»
La Première ministre de la République démocratique du Congo (RDC), Judith Suminwa Tuluka, vient de rentrer de Bakou, en Azerbaïdjan, où elle a représenté son pays à la COP29 sur le climat. Son objectif : réévaluer à la hausse les financements en provenance des pays riches à destination des pays en développement, afin que ces derniers puissent financer leur transition et s'adapter aux conséquences du réchauffement climatique. Jusqu'ici, la RDC n'a rien reçu comme financements directs, elle espère cette fois-ci obtenir des partenariats gagnant-gagnant.
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Sat, 16 Nov 2024 - 1108 - Référendum constitutionnel au Gabon: «Le moment est venu de rendre le pouvoir aux civils»
Après le Premier ministre et coordinateur de la campagne pour le « oui » au référendum constitutionnel prévu demain, samedi 16 novembre, RFI donne la parole à un tenant du « non », Albert Ondo Ossa, candidat lors de la dernière élection (élections générales gabonaises du 26 août 2023) qui continue de revendiquer sa victoire à ce scrutin rendu caduc par le coup d'État militaire de 2023. Ce professeur d'université, qui dénie le droit d'organiser un tel référendum au pouvoir de transition, appelle les Gabonais à lui faire barrage massivement. Il répond aux questions de Esdras Ndikumana.
RFI : Pourquoi est-ce que vous vous opposez à ce projet de Constitution ?
Albert Ondo Ossa : Alors, je ne veux pas faire du juridisme, il faut passer en revue les articles. Effectivement, je pense que l'homme politique que je suis repose son appréciation sur deux choses : l'esprit du texte d'une part, la procédure conduisant à son élaboration et à son adoption d’autre part. Alors, pour ce qui est de l'esprit, deux éléments sont importants à relever. Le président de la transition au Gabon manque de posture, de légitimité, de crédibilité. Il a besoin d'un texte susceptible de le crédibiliser, de le légitimer, de le légaliser. Un texte ne peut rendre légal ce qui est illégal, pas plus qu'il ne suffit pas à légitimer ce qui est illégitime, car nul ne peut se prévaloir de sa turpitude. Donc, à partir de ce moment-là, véritablement, la seule chose, c'est pouvoir dire non au référendum.
L’une des dispositions qui fâchent dans son projet de Constitution, c'est la limitation de l'âge de 35 à 70 ans pour être candidat à l'élection présidentielle. Est-ce que vous vous sentez visé personnellement, vous, qui venez d'avoir justement 70 ans ?
On se sent visé si on va dans leur logique, c'est-à-dire faire du juridisme. Non, je me sens pas du tout visé. Le problème, c'est que globalement, un référendum, c'est un vote qui permet à l'ensemble des citoyens d'approuver ou de rejeter une mesure proposée par le pouvoir exécutif. Dans ce genre d'opération, aucun calcul politicien n'est permis, aucune justification de bas-étage n’est plausible. Le choix à opérer est clair : ou on accepte le texte dans son intégralité ou on le rejette globalement. Et c'est en cela que toutes les arguties et autres gesticulations des partisans du « oui » sont superfétatoires, voire indécentes. Le choix est simplement facile et clair : ou la République ou la déchéance. Or, je suis un démocrate, je recommande au peuple gabonais de voter pour la République. Voilà. Et c'est clair.
Je reviens encore sur cette question, quand même, c'est important. Par exemple, si le « oui » passe, la prochaine fois, vous ne pourrez pas vous présenter parce que vous aurez plus de 70 ans. Est-ce...
Ça, c'est ce que vous dites, si le « oui » passe. Le « oui » ne passera pas ! Et dans le cas où il passe, le peuple gabonais qui m'a voté va se lever pour chasser les militaires, leur place est dans les casernes, pas effectivement dans la politique. Ça se passe partout ailleurs.
Une des personnalités qui milite pour le « non » a estimé que ce projet allait mettre en place, je cite, « un homme fort et non des institutions fortes ». Est-ce que vous êtes d'accord avec lui ou pas ?
Un homme fort ou les institutions fortes, moi, je ne rentre pas dans ce débat-là. Ma position est claire : je ne rentre pas dans ce que fait le CTRI (Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions – Ndlr), pour ou contre ; et ma formule : ni allégeance, ni défiance. Donc, je ne me mêle pas de ce débat-là. Je parle de cela parce que j'ai été interpellé par le peuple gabonais qui m'a élu en me demandant ce que je leur recommande. C'est tout. Le reste ne m’intéresse pas. Ils sont dans le non-droit. Je ne veux pas avaliser ce qui est illégal, ce qui est illégitime, ce qui procède du non-droit et du déni de droit. Voilà.
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Est-ce que pour vous ce régime hyper présidentialiste est la preuve de ce que vous dénoncez depuis le coup d'État, à savoir qu'il s'agit davantage d'une évolution du système que d'une rupture ?
Vous allez dans les détails. Mon appréciation du texte, quelque chose qui est mal ficelé au départ est forcément mauvais. Le coup d'État est illégal, la révolution de palais illégale. Tout ce qu'ils font, c'est du non-droit et du déni de droit. Moi, je ne peux pas l'accepter. Donc, j'ai dit aux populations de refuser cela, c'est tout. Et m'amener à regarder tel ou tel article, c'est du juridisme. Je n'en suis pas là. Il faut que les militaires retournent dans les casernes. Ils l'ont déclaré, le moment est venu pour eux de rendre le pouvoir aux civils. C'est là le débat de fond, voilà l'enjeu. Et le peuple gabonais le comprend très bien aujourd'hui.
Retourner dans les casernes, cela passe notamment par l'organisation d'un référendum. Certains appellent à voter « oui », d'autres appellent à voter « non ».
Ah non. Ah non. Non, non. Organiser ? Si les militaires organisent un référendum, cela revient à légaliser l'illégalité. Seul quelqu'un qui est élu dans les conditions normales peut appeler le peuple gabonais à l'élection. Nul ne peut se prévaloir de sa turpitude. C'est inacceptable dans un pays normal, dont le Gabon, aspirant à être un pays normal, ne peut pas accepter qu'un militaire lance un genre de référendum pour légaliser sa forfaiture. Ça ne se comprend pas et ça ne s'accepte pas.
La quasi-totalité de vos anciens alliés dans Alternance 2023 soutiennent aujourd'hui le « oui ». Quelle est votre réaction ?
Oh moi, je les comprends tout à fait. Chacun est libre de faire ce qu'il pense. Ils étaient mes alliés du moment. Ils ne sont plus mes alliés aujourd'hui. Moi, je repose ma popularité, ma crédibilité sur le peuple gabonais. Ça n'a rien à voir. Et majoritairement, le peuple gabonais me soutient. Je n'ai pas de souci par rapport à cela.
Au contraire, vous vous retrouvez aujourd'hui à combattre le texte avec d'anciens cadres du régime Bongo comme l'ex-Premier ministre Bibie By Nze ou l'ex-vice-président Maganga Moussavou, n'est-ce pas étonnant ça ?
Rien n'est étonnant en politique. En politique, il y a la tactique, il y a la stratégie. Et en politique, effectivement, on peut avoir des alliés du moment. Pour le moment, ils prônent le « non ». Moi aussi, je prône le « non ». Peut-être pas pour les mêmes raisons. Moi, je dis que les militaires retournent dans les casernes, leur place est dans les casernes, ils n'ont rien à faire là où ils sont aujourd'hui et, en tout cas, il ne faut pas qu'on légalise effectivement ce qui est illégal. Donc maintenant, savoir qui dit non, qui dit oui, moi, je ne rentre pas dans ces choses-là. Je sais que le peuple gabonais va voter massivement « non » pour que les militaires retournent dans leurs casernes. Voilà.
Beaucoup de ceux qui prennent le « non » parlent aujourd'hui d'un texte qui va faire renouer le Gabon avec le culte de la personnalité. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?
Je ne suis pas là pour faire du juridisme. Je ne me lance pas là-dedans. Je m'en tiens à l'esprit et je m'en tiens à la procédure. On ne peut pas légaliser l'illégalité. Oligui Nguema est illégal. Non, je suis désolé. Ou on est un pays de droit ou on est un pays de non-droit et c'est là tout l'enjeu.
Oligui Nguema, comme vous dites, est aujourd'hui reconnu par la communauté internationale comme président de transition.
Un président de la transition, ce n'est pas un président de la République. L'enjeu, c'est d'avoir un président de la République qui, effectivement, dont l'action porte à conséquence, et personne ne le reconnaît comme président de la République, surtout la communauté internationale. C'est lui qui le dit. Il n'est reconnu nulle part en tant que tel, je suis désolé.
Au-delà de la Constitution, vous avez gardé vos distances avec, justement, le président de transition Brice Oligui Nguema, qui s'est pourtant rapproché de vous au lendemain du coup d'État, pourquoi cela ?
Mais je n'ai pas de problème personnel avec lui, n'allons pas dans les confusions. Je l'ai toujours dit, je n'ai pas de problème personnel avec lui. Il peut chercher à me voir, pas de problème. Je peux chercher à le voir, pas de problème. Donc, ce n'est pas parce qu'il est venu me voir, moi aussi, je suis parti à la présidence, j’ai même été invité à Oyem (ville dans le nord du Gabon – Ndlr) , mais ça ne porte pas conséquence. Nous sommes des citoyens gabonais, lui et moi, il n'y a pas de problème personnel entre nous, mais nous avons une différence d’options, je suis un démocrate, lui, il putschiste. On ne peut pas laisser un pays aux putschistes, voilà ma position.
L'une de vos attaques qui a été relayée par la presse, c'est que vous avez soutenu qu'en un an Oligui Nguema a dépensé plus qu'Ali Bongo en 14 ans, comment est-ce possible ?
Mais vous me demandez, je ne l'ai pas inventé, c'est le rapport du Fonds monétaire international, un rapport qui date du 30 avril. Je suis désolé. Et c'est ce rapport-là qui donne effectivement les chiffres, que je n'ai fait que commenter. Donc, comment est-ce possible ? Allez lui demander ! C’est lui qui dilapide les sous publics, c'est lui qui s'endette à ne plus en finir. Et le résultat, on l'a. Et il n'y a pas seulement le Fonds monétaire international, la Cemac vient d'attirer l'attention parce que le Gabon a eu une mise en demeure. Les entreprises gabonaises, les banques gabonaises sont mises en demeure. Elles doivent avoir une couverture de 100%. Ça, c'est la dernière en date, la Cemac. Donc, ce n'est pas moi. Toutes les instances sous-régionales sont là pour dire que le Gabon est le seul pays, dans la sous-région, qui ne respecte pas les critères de convergence, c'est-à-dire la surveillance multilatérale. Aucun critère. Ni les critères de premier ordre ni les critères de second ordre. Et ça, on n'a jamais vu ça. Oligui Nguema et son CTRI font courir un risque grave à notre pays. Voilà où j'en suis.
Êtes-vous satisfait des conditions dans lesquelles s'est déroulée la campagne pour le référendum constitutionnel de samedi ?
Je ne m'occupe pas de campagne, monsieur. Je n'en ai rien à cirer de la campagne. Je n'ai rien à faire de la campagne. Je me mets en dehors de ce qu'ils font, c'est du non-droit ! C'est une question de principe, c'est des positions de principe. Oligui Nguema et le CTRI, c'est des putschistes. Un putschiste ne peut pas organiser une élection. Je suis désolé, ce n'est pas sa fonction.
Dans ces conditions, est-ce que vous pensez avoir réussi à convaincre les Gabonais de rejeter ce texte, samedi ?
Eh bien, comment on le pense ? C'est la réalité des urnes qui dira si j'ai convaincu ou non. Est-ce que moi, je... je ne suis pas en train... je ne fais pas ce que fait Oligui. Il est dans tous les quartiers, il est partout, sa photo est partout. C'est les mêmes méthodes que le PDG. Pourtant, chaque fois que le PDG a fait ça, le PDG n'a jamais gagné une élection au Gabon. Voilà où nous en sommes. Il subira le même sort que ses mentors, les PDGistes, voilà.
Monsieur Ondo Ossa, comment voyez-vous l'avenir du Gabon si le « oui » l'emporte ?
Je répète, si le « oui », le « oui » ne peut pas l'emporter, donc ne m'amenez pas sur cette voie-là. Le « oui » ne peut pas l'emporter. Si Oligui traficote les résultats comme le PDG en a l'habitude, il subira le même sort qu’Ali Bongo, voilà ce que je dis.
Vous dites à chaque fois que le pouvoir aujourd'hui est illégitime et que c'est vous le président élu. Est-ce que vous vous considérez aujourd'hui comme le président du Gabon ?
Je ne me considère pas… Il y a eu un vote le 26 août, il y a eu des résultats qui ont été donnés. Oligui est destinataire des résultats par l'institution agréée dans les bonnes normes. Moi, j'ai les mêmes résultats, donc quelqu'un qui a été élu. Quelqu’un qui a été élu avec le score que j'ai eu, c'est quelqu'un qui est le président de la République. Il n'y en a pas deux. De l'autre côté, c'est un putschiste.
Mais c'est lui qui est aux affaires.
Ouattara n'est pas venu au pouvoir tout de suite. C'est des situations qui existent par ailleurs dans le monde, être élu et ne pas être au pouvoir. Et le peuple gabonais comprend très bien. Donc, je ne désespère pas. Je serai au pouvoir et Oligui, lui, il sera à la caserne. Voilà.
Fri, 15 Nov 2024 - 1107 - Référendum constitutionnel au Gabon: «On clarifie les pouvoirs du président purement et simplement»
Au Gabon, nous sommes à J-2 avant le référendum constitutionnel prévu samedi 16 novembre. Les partisans du « oui » et du « non » ont labouré le terrain depuis près de dix jours pour tenter de convaincre les électeurs de voter pour leur point de vue. Le Premier ministre et coordinateur national de la campagne pour le « oui » est le Grand invité Afriquede ce matin. Raymond Ndong Sima explique pourquoi les Gabonais devraient voter « oui » dans deux jours et tente de rassurer les tenants du « non ». Il répond aux questions de Esdras Ndikumana.
RFI: Raymond Ndong Sima, pourquoi, selon vous, cette Constitution est-elle bonne pour le Gabon ?
Raymond Ndong Sima : En premier lieu, nous sommes dans une situation transitoire depuis maintenant 14 mois et qu'il faut bien sortir de la transition pour aller vers une situation normale. Or, je rappelle que la Constitution qui est en vigueur, lorsque les militaires prennent le pouvoir le 30 août [2023, NDLR], est une Constitution de 2023 qui comportait un ensemble d'anomalies, pour ne pas dire d'infamies, comme on a pu le voir à l'occasion des élections où le président de la République était maintenant candidat en ticket avec chacun des députés. Donc, oui, c'est une Constitution qui est bonne, il faut bien en sortir.
Quelles avancées portent-elles ?
Les avancées, il y en a un certain nombre. Certaines concernent directement les précisions qui ont été apportées sur les conditions à remplir par les différents candidats. D'autres portent sur l'organisation du pouvoir lui-même en tant qu'architecture générale de l’État. Je pense qu’il y a un certain nombre de points que les spécialistes ont énumérés. Si on les prenait un à un, on verrait exactement à quoi ça correspond.
L'une des dispositions les plus controversées de ce projet de Constitution est celle qui instaure un régime présidentiel jugé très fort. Les partisans du « non » parlent de l'intronisation d'un monarque au pouvoir. Quelle est votre réaction ?
Je suis mal à l'aise sur ce point précis pour la raison très simple que je suis Premier ministre en fonction et que ce point-là, précisément, conduit à la suppression du poste de Premier ministre. Mais vous savez, on ne discute pas des affaires de l'État pour son compte personnel. On en discute dans le sens de l'intérêt général. Je rappelle que deux de mes anciens prédécesseurs à la fonction du Premier ministre ont indiqué que, pour eux, il fallait supprimer la fonction de Premier ministre parce que celui-ci avait des pouvoirs fictifs, donc il valait mieux établir une clarté dans la liaison entre les pouvoirs décrits et les pouvoirs exercés. Donc, dès lors que le plus gros des personnes qui sont concernées se prononcent en faveur de quelque chose, je ne vois pas pourquoi je m'y opposerai.
Mais sur la question précise de l'intronisation d'un monarque au Gabon, qu'est-ce que vous répondez ?
Je voudrais bien qu'on me montre ce qu'on appelle le monarque intronisé. Lorsque l'on prend les dispositions de la Constitution qui était jusque-là, nous avions un président de la République qui définissait la politique de la Nation et un Premier ministre qui conduisait cette politique. Mais, en pratique, nous avions un président de la République qui était président du Conseil supérieur de la magistrature – ce n'est pas une nouveauté –, nous avions un président de la République qui avait à son actif la possibilité de nommer un Premier ministre et de le révoquer – admettons –, ce n'est pas une nouveauté. Quelle est aujourd'hui la différence avec ce qui se passait ? Je vois qu'il n'y a pas de très grande différence. Je pense qu’on est en train de faire des jeux de mots, mais la réalité est que le président de la République disposait déjà de tous les pouvoirs qu'il a aujourd'hui et qu'on clarifie purement et simplement.
Le président peut par exemple dissoudre l'Assemblée, mais le Parlement n'a que la haute trahison comme moyen de pression contre lui. Est-ce que ce déséquilibre des pouvoirs n'est pas dommageable ?
Écoutez, tous les cas de figure sont dommageables. On peut imaginer que telles situations soient dommageables. Moi, j'ai indiqué - si vous m'avez écouté dans mes interventions dans la campagne - clairement que nous sommes dans un cas de figure où il faut prendre une décision à un moment donné. Nous verrons bien, dans la pratique, si ça pose des problèmes, comment on fait pour revenir dessus. En effet, on peut avoir le sentiment que le président disposant de la possibilité de dissoudre d'un côté et le Parlement n'ayant pas la possibilité de le destituer de l'autre, ça crée un déséquilibre, c'est une possibilité. Est-ce que pour autant on a un monarque ? Je ne sais pas.
Alors, pour soutenir le choix pour le « non », les partisans du rejet regrettent la concentration des pouvoirs entre les mains du chef de l'État. La justice, par exemple, va rester sous son contrôle. Que leur répondez-vous ?
Vous savez, le processus qui a été conduit pour arriver au point où nous sommes, on l'a lancé en octobre 2023 en demandant aux uns et aux autres d'apporter des contributions sur le diagnostic de la situation du pays et sur les solutions qu'ils proposaient pour corriger les déséquilibres qui apparaissaient. Je rappelle que ce processus, qui s'est déroulé pendant deux mois, a été suivi ensuite d'un dialogue national. Je pense que les arguments qu'ils invoquent maintenant, ils auraient dû les présenter au moment du dialogue national.
Et contre le fait que c'est, au final, le président Brice Oligui Nguema qui a choisi les éléments qui devaient rentrer dans la Constitution.
En fait, à qui faites-vous allusion quand vous dites les adversaires de cette...
Ceux qui prônent le « non ».
J'entends beaucoup de critiques et cetera, mais je rappelle qu'un débat a eu lieu pendant un mois à Angodjé, sur différents aspects, sur les questions constitutionnelles et cetera. Je n'ai pas entendu qu'ils ont déposé ces arguments à ce moment-là. Ensuite, lorsque le débat a eu lieu à l'Assemblée nationale, lorsque le texte a été transmis au Parlement en congrès, il y a eu beaucoup d'auditions là-bas. Est-ce qu'ils ont fait valoir les arguments à cet endroit ? Je ne sais pas très bien.
Est-ce que finalement le Gabon ne court-il pas le risque de connaître les mêmes travers que sous le régime déchu, les mêmes causes produisant les mêmes conséquences ?
Oui, c'est possible. C'est toujours possible, dans tous les cas de figure au monde, qu'on retrouve les mêmes travers. Mais est-ce que nous pouvions rester dans une position transitoire infinie ? La question, c'est : quelle est la contre-proposition qui a été faite ? Vous savez quel est le grand théorème de l'impossibilité d'agrégation ? Quand on a un texte qui fait 175 articles, est-ce que vous croyez qu'on peut tomber d'accord : la totalité des gens, les citoyens de ce pays, sur les 175 articles ? À un moment donné, il faut bien sortir de la transition. Et c'est vrai qu'il y a des points qui peuvent poser problèmes, mais dans la pratique, on verra comment ils vont se déployer, comment ils vont se dérouler. Autrement, on resterait sur place. Et moi, je considère que, à un moment donné, il faut sortir de la boucle dans laquelle on se trouve. On est dans la boucle transitoire, il y a des propositions qui sont faites, il y a beaucoup de choses qui ont été modifiées, assouplies. Je vous rappelle les questions sur la nationalité, je vous rappelle les questions sur les aspects fonciers. Je n'ai pas le texte en entier sous les yeux, donc je peux ne pas me rappeler tous les détails. Donc, je pense que dans une situation donnée, il faut accepter d'aller au débat et considérer, à un moment donné, qu’on ne peut pas avoir raison sur tous les points. Et il faut prendre date de bonne foi sur le fait qu’on arrive dans une position et on verra bien à la pratique comment ça évolue.
L'ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze qualifie cette Constitution de « texte d'exclusion ». Il cite notamment la question de la limitation d'âge de 35 à 70 ans pour être candidat à la présidentielle ou encore l'impossibilité pour les descendants d'un chef d'État d'être candidat. Votre réaction ?
Bon, je pense d'abord que Bilie-By-Nze est, à mon avis, de tous les Gabonais, celui qui peut le moins s'exprimer sur ces questions tellement sensibles. Je rappelle que monsieur Bilie-By-Nze était, l'année dernière, Premier ministre. Quand on a été à ce point un fossoyeur de la République, en signant, en année électorale, à quelques semaines de l'élection, une loi portant modification des dispositions des conditions de l'élection, on se tait ! On ne parle pas ! C'est ça qu'il devrait faire. Monsieur Bilie-By-Nze est en liberté par la magnanimité de mon gouvernement qui devrait le poursuivre, mais qui a choisi l’apaisement parce qu’on aurait pu le poursuivre pour atteinte, pour forfaiture et violation des lois. Ils ont violé la loi. La loi disait qu'on ne peut pas modifier le Code électoral en année électorale et il a contresigné ça, ça porte sa signature ! Alors, il n'est pas bien placé pour venir nous donner des leçons. Je suis désolé.
Est-ce que le camp du « oui » n'a pas bénéficié d'un certain avantage durant la campagne, au vu des tournées du président de transition, de ses ministres, avant son début ?
Ça, c'est une question que je trouve à la fois, je dirais, logique. Nous sommes dans un gouvernement de transition qui s'est engagé à sortir de là par une restauration des institutions. La logique même veut que l'on propose un texte qui est, dans l'ordonnancement, un des éléments qui permet de revenir à l'ordre normal. Comment le gouvernement peut-il à la fois être en train de travailler pour revenir à l'ordre normal et ne pas porter ce texte là sur la place publique ? Si le président en exercice, qui est un président de la transition, ne porte pas lui-même, dès le départ, les textes qui lui permettent de justifier la parole qu'il a donnée de revenir à la normalité, qui peut le faire ? Et je suis en train de faire en sorte que nous ayons un corpus de texte qui nous permet de sortir de cette transition. Voilà ce qu'on fait. Il y a des malfaçons dedans, il y a des choses. Mais, au final, l'objectif, c'est d'être sorti de là dans un délai raisonnable.
Vous avez évoqué le président de transition. Le général Oligui Nguema a dit ne pas vouloir de Constitution taillée sur mesure. Mais est-ce que ce n'est pas le cas ? C'est ce que certains disent.
C'est un des traits particuliers de la démocratie : chacun a besoin de dire ce qu'il pense, et je crois que c'est une question d'appréciation personnelle. Oui, effectivement, les gens peuvent dire que c'est une Constitution qui est taillée sur mesure. Non, d'autres disent que ce n'est pas le cas. Nous verrons bien à la pratique. Mais je rappelle, tout à l'heure, quand vous évoquiez l'une des personnes qui est opposée, qui indique que le président, il y a discrimination par rapport aux fils de président, il ne faut pas vouloir une chose et son contraire. On ne peut pas vouloir à la fois éviter qu'un système monarchique ne s'installe et s'opposer à ce que les gens ne mettent pas une barrière à ce que les fils de président ne soient pas candidats, ou les filles de président et cetera. Il y a quand même une contradiction là-dedans.
Vous venez de donner aux Gabonais deux jours, jeudi et vendredi, fériés, payés et récupérables. Est-ce à dire que vous craignez un faible taux de participation ?
Oui, et il y a des raisons d'avoir un faible taux de participation, de façon mécanique. Je vais vous expliquer ça. Lorsque nous avons fait les élections présidentielles l'année dernière, les élections ont eu lieu au mois d'août, et les Gabonais et les Gabonais se sont enrôlés sur les listes électorales en prévision de ce que les élections se passeraient pendant qu'ils sont en vacances avec leur famille dans leur province d'origine. C'est ce que la plupart des gens font. Tout le monde sait qu’à partir de la fin du mois de juin, fin juin, les gens s'en vont dans leur province. Or, cette année, l'élection a lieu alors que l'année scolaire a démarré il y a deux mois et la saison des pluies commence à battre son plein et, par conséquent, il y a effectivement des problèmes de mobilité. Ce qui veut dire que les gens, pour aller chez eux, voter, ont besoin d'un peu de temps pour circuler. Donc oui, il peut y avoir une abstention qui serait tout à fait mécanique parce que les gens ne sont pas en vacances, ils sont à leur lieu de travail, que les enfants sont à l'école, et qu'il sera beaucoup plus difficile à tous les pères et mères de famille de se déplacer alors que ça aurait été différent si on avait fait l'élection pendant la période de vacances. Mais vous voyez bien aussi, que si on avait retardé pendant les mois de vacances, on aurait attendu le mois d'août prochain pour faire la partie concernant ce référendum, ça retarderait d'autant la période de retour potentielle à la normalité. Alors, il faut choisir, à un moment donné, l'un des handicaps.
Quel est votre objectif en termes de participation qui serait un véritable indicateur de l'adhésion de la population au projet ?
Mon objectif est que le « oui » l'emporte massivement.
Est-ce qu'il y a un chiffre ?
Aujourd'hui, la population de base, elle cherche qui sont les adversaires. Les gens sont habitués à s'engager à une élection parce qu'il y a deux protagonistes qui sont là. Là, on a un texte. Les populations de l'arrière-pays n'ont pas forcément une vision très claire de ça. Je pense qu'il pourrait y avoir, de ce fait-là, une partie de la population qui ne se mobilise pas nécessairement. Moi, je viens de vous donner la première raison qui est mécanique. Donc, si vous me demandez un taux, je ne suis pas capable de vous donner un taux. Certains s’aventurent dessus, moi, je ne m’aventure pas. Ce que je veux, c'est une victoire nette. Je conduis le camp du « oui », j'ai besoin de gagner nettement, voilà.
Alors, vous étiez ces derniers jours en campagne à Port-Gentil, la deuxième ville du pays, et à Franceville. Quel accueil vous a été réservé dans ce fief des Bongo ?
J'ai été très bien accueilli à Franceville. J'ai été très bien accueilli partout. Bon, je rappelle que, en premier lieu, nous avons eu des mobilisations limitées dans la mesure où il s'agissait pour moi d'aller rencontrer les coordinations de chacune des provinces, coordination de campagne dans chacune des provinces, pour les rebooster, pour les relancer, disons les pousser à se déployer sur le terrain, et leur demander de s'impliquer dans un travail de proximité, c'était ça.
Si la Constitution est adoptée massivement, les élections de fin de transition, est-ce qu'elles doivent être avancées ou est-ce qu'elles doivent être maintenues à août prochain ?
Personne n'a jamais dit que les élections auraient lieu au mois d'août. Je voudrais rappeler que c'est moi qui ai décliné au mois de septembre, à New York, que nous nous étions donnés une date moyenne de 24 mois, en partant d’août 2023, sans forcément nous amener à août 2025. On peut être légèrement avancé ou légèrement après. Si nous terminons de faire le référendum, on verra bien à quel moment nous réunissons les autres conditions pour faire les autres élections qui permettent de mettre en place les différentes institutions. Août 2025, ce n'est pas une date marquée dans le marbre pour moi, c'est un objectif de date. L'essentiel, c'est que, comme on le voit depuis un an et deux mois, nous sommes dans un calendrier, on tient le tempo.
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Thu, 14 Nov 2024 - 1106 - Tiken Jah Fakoly: «Le terrorisme, c'est une gangrène, même les pays les plus développés ont eu du mal à s'en remettre»
Journée spéciale sur RFI avec le chanteur de reggae ivoirien Tiken Jah Fakoly que vous retrouverez tout au long de la journée sur notre antenne. À l’occasion de son Acoustic Tour, Tiken Jah Fakoly est en concert ce mercredi soir à la salle Pleyel de Paris, concert que vous pourrez entendre en direct sur notre antenne. Cette figure majeure du reggae est réputée pour dénoncer les maux de l'Afrique et les travers de certains de ses dirigeants. Militant du panafricanisme, le natif d'Odienné qui vit au Mali revient à notre micro sur le dérèglement climatique qui touche le continent, la souveraineté africaine et la situation politique et sécuritaire au sein de l'AES, l'Alliance des États du Sahel. Il répond aux questions de Frédéric Garat.
RFI : Vous êtes de nationalité ivoirienne, mais il est de notoriété publique que vous vivez au Mali depuis presque 20 ans maintenant où vous avez trouvé refuge. Comment va le Mali de 2024 ?
Tiken Jah Fakoly : Je pense que le Mali va « à la malienne » parce que chaque peuple mérite son dirigeant. Et donc, je pense que ce qui se passe au Mali aujourd'hui, c'est parce que cela convient aux Maliens. Ce que je peux vous dire, c'est que le Mali va à la malienne.
Depuis 30 ans que vous prônez l'Union des pays africains, la scission de l'AES ( l'Alliance des États du Sahel), qui sort entre autres de la Cédéao, est-ce que c'est clairement une désunion ? Et ça va faire mal à qui ?
Disons que, moi, j'ai salué la solidarité entre ces trois pays qui sont en guerre contre le terrorisme. Se mettre ensemble pour chercher les solutions, c'est une bonne idée. Voilà, mais moi je prône l'unité africaine, les États-Unis d'Afrique, donc 54 pays. Donc, moi, je ne fais pas la fête quand il y en a trois qui se mettent ensemble. C'est une belle solidarité, mais qui n'est pas sans conséquence puisque dans ces pays-là, il y a des gens qui sont considérés comme des bons patriotes, et puis d'autres qui sont considérés comme des ennemis de la nation parce qu’ils ne sont pas d'accord avec les idées de ceux qui sont en place. Et…
…il y a des voix dissonantes….
Oui. C'est ce que je déplore dans cette situation. J'aurais voulu que tout le monde soit associé.
Pour que tout le monde soit associé, encore faudrait-il qu'on écoute les autres, même si ce sont des voix dissonantes ou des voix qui ne font pas plaisir. Et on a l'impression qu'en ce moment, tout le monde n’a pas le droit à la parole.
Je pense que, je parle de liberté d'expression avalée par la révolution. J'aurais voulu que tout le monde s'exprime. Parce que vous voyez, si une personne ne peut pas dire ce qu'elle pense, elle va l'avaler, elle va gronder à l'intérieur. Elle peut même aller jusqu'à composer avec l'ennemi, elle peut souhaiter tous les jours après ses prières que ce qui en marche ne fonctionne pas. Et donc voilà, c'est ce qui est déplorable dans la situation. Mais le fait que des Africains décident aujourd'hui de prendre leur destin en main, moi, c'est quelque chose que je salue.
On connaît les principes de la démocratie. Vous avez chanté et vous continuez à chanter la Mangercratie. Est-ce que, en ce moment, on n'arrive pas à une sorte de résurgence de la « militarocratie » ?
Écoutez, c'est ça qui est un peu déplorable, parce que je pense qu’après les combats pour la démocratie, le combat contre le multipartisme, etc, et qu’il y a eu des morts au Mali, des morts en Côte d'Ivoire... pour la démocratie. Même si elle n'est pas top, la démocratie, même si elle a des failles, mais je pense qu’on n’a pas encore mieux...
Elle est perfectible…
Voila ! Et je pense que le fait que le peuple s'exprime, pour moi, c'est ça qui est intéressant. Que ce soient des bonnes élections ou pas, mais le fait que les gens se mobilisent pour aller voter, pour avoir leur mot à dire, je pense que c'est ce qui est intéressant. Donc moi, ce que je peux dire, c'est qu'aujourd'hui, au lieu d'être là tout le temps sous tension ou sous pression des coups d’États, etc, je pense qu'il faut tout faire pour être légitime. Il faut organiser des élections, quitte à se présenter.
Je pense qu’on ne peut pas dire : « Non, c'est des militaires, ils n’ont pas le droit ». Il y a des militaires qui ont été le père de la démocratie dans leur pays : Jerry Rawlings, c'est pour le Ghana, Mathieu Kérékou pour le Bénin. On pourrait même dire ATT [Amadou Toumani Touré] pour le Mali. Donc, c'est possible, mais je pense qu’au lieu de rester dans un truc où on est toujours soucieux de « est-ce qu'il va avoir un coup d’État encore ? Est-ce qu'on va nous laisser ? », je pense que le mieux, c'est de se légitimer et puis en passant par les élections. Comme ça le peuple…
Mais quand ? Quand ces élections ? Les militaires, on a l'impression, jouent un peu la montre quand même.
Bon, tout ça dépendra du peuple malien, du peuple burkinabè, du peuple du Niger. Je pense que c'est à eux de fixer les objectifs aux dirigeants. Pas en restant derrière les écrans, parce qu'aujourd'hui malheureusement la lutte se passe derrière les écrans maintenant. Il n’y a plus de pratique. T'es pas d'accord ? Tu prends [ton téléphone], tu dis « bon, c’est comme ça, c'est comme ça », il n’y a plus de « retrouvons-nous sur la place ». Et donc je pense que tout ça dépend des peuples de ces pays-là.
Il y a un titre et un clip qui ont beaucoup fait parler d’eux ces derniers temps. C’est Actualités brûlantes qui est un titre du chanteur togolais Amen Jah Cissé. Chacun en prend un peu pour son grade... Le Togo, le Cameroun, le Tchad, la Côte d'Ivoire aussi. Qu'est-ce que vous reprochez, dans ce titre, à l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ?
Écoutez, il y a eu 26 secondes dans cette chanson consacrées à l'AES et qui ont fait un tollé. Voilà, je pense que les gars de l'AES pensaient que j'allais être le griot de l'AES, c'est-à-dire que j'allais chanter Assimi Goïta, capitaine Traoré et Tiani. Je pense que c'est à cela qu’ils s'attendaient. Mais moi, je suis Tiken Jah Fakoly, je fais du reggae, mon rôle, c'est de tenir compte un peu de tout le monde, d'être impartial. Donc, je ne pouvais pas...
C'est le propre du reggae.
Voilà ! Moi, je fais du reggae. Je fais du reggae et c'est ce que j'ai toujours fait. Donc, venir m'attaquer parce que j'ai dit que la liberté d'expression a été avalée par la révolution. Moi, j'ai été surpris de la réaction de mes fans, mais en même temps, on s'est...
Une réaction violente, c'était quel genre de réaction ?
Ouais, c'était assez violent quand même. Assez violent, on m'a traité de tout. On m'a dit que la France m'a payé. Et on m'a dit que...
C'est-à-dire que vous avez le droit de critiquer Faure Gnassingbé pour sa révision de la Constitution ou un quatrième mandat éventuel pour Ouattara en Côte d'Ivoire, mais vous n'avez pas le droit de vous attaquer à l'AES, c'est ça ?
Non, je n'ai pas le droit ! Je n'ai pas le droit de m'attaquer à l'AES. C'est parce que je pense que dans l'esprit du soutien de l'AES, c'était Tiken Jah, c'est notre voix, voilà ! Mais moi, je suis aussi la voix des sans-voix, c'est ça qu'ils ont oublié. C'est que moi, je n’ai jamais chanté pour un pouvoir en place.
Donc, chaque critique voit midi à sa porte en ce qui vous concerne.
Exactement.
Mais le Burkina Faso, c'est quand même un pays où, en ce moment, on voit quelqu'un que vous devez bien connaître : Guy-Hervé Kam, qui est l’un des fondateurs du Balai citoyen, qui est actuellement en prison. On voit des journalistes qui sont arrêtés, on voit des syndicalistes qui sont obligés de fuir sinon on va les envoyer au front. Il y a même des vieux pères comme un ex-ministre des Affaires étrangères, Ablassé Ouédraogo, 70 ans, qu’on a envoyé à Kaya. Ça, vous en avez parlé avec Traoré ? Vous en pensez quoi, vous, qui suivez aussi l'actualité au Burkina Faso ?
J'ai même fait une interview à la télé burkinabè pour parler de liberté d’expression quand j’étais en concert là-bas. Seulement, les manipulateurs n’étaient pas rentrés dans le jeu. Parce que ce qui s’est passé, c’est que quand Actualités Brulantes sort, alors, les gens, ils prennent la partie AES, ils balancent sur le net, et puis ils disent que je demandais 83 millions aux dirigeants de l’AES et comme ils ont refusé de me donner…
…vous avez critiqué…
Que j'ai critiqué. Donc, je pense que, non, si on empêche les gens de s'exprimer, eh bien, ils vont rentrer dans le complot parce que, voilà, s’ils ne peuvent pas dire ce qu'ils pensent, ils vont l'avaler, mais ils vont l'exprimer autrement. Malheureusement, moi, c'est ce que je craignais. Bon, aujourd'hui, on a parlé d'union des trois pays, mais je le dis franchement, le Burkina n'a jamais été aussi divisé à ma connaissance. Le Mali n'a jamais été aussi divisé. Puisqu’il y a des « bons Burkinabè » aujourd'hui et des « mauvais Burkinabè ». Et les mauvais Burkinabè, ceux qui sont accusés d'être des mauvais Burkinabè aujourd'hui, vont se battre pour être des bons Burkinabè, parce que ça y va de leur survie, et puis leurs descendants, etc., il faut qu'ils soient Burkinabè. Donc, malheureusement, on parle d'unité, mais moi, je pense qu’on n'a jamais été, malheureusement, aussi divisé.
Moi, je souhaite – comme je l'ai toujours fait –, durant toute ma carrière, je souhaite qu'on laisse les gens s'exprimer, que ceux qui soutiennent les militaires s'expriment, mais ceux qui ne sont pas d'accord avec les militaires aussi s'expriment. Et tout ce que je peux souhaiter, c'est que l'armée burkinabè, que je salue ici, l'armée malienne et nigérienne arrivent au bout de cette tâche qui n'est pas facile. Surtout que faire la révolution avec les terroristes aux fesses, ça ne doit pas être facile. Je pense que Thomas Sankara n’avait pas les terroristes aux fesses. Je veux dire, le terrorisme, c'est une gangrène, c’est des gars invisibles. C’est une guerre pas facile, même les pays les plus développés ont eu du mal à s'en remettre.
Mais est-ce qu'on peut tout faire au nom de cette lutte contre le terrorisme ?
On ne peut pas tout faire, il faut tenir compte des Droits de l'Homme. Il ne faut pas tuer n'importe comment. Enfin, je veux dire, il faut tenir compte de l'humanité quand même. Je pense que... Mais bon, malheureusement, toutes les guerres sont sales. Il y a eu des guerres, ici, en Europe, c'était très sale. Malheureusement, toutes les guerres sont sales. Malheureusement...
Justement, à une heure où l’on parle beaucoup du conflit en Israël ou du conflit en Ukraine, où toute la communauté internationale semble focalisée par ces conflits-là, vous avez l'impression qu'on oublie un peu ce qui se passe au Sahel, par exemple ?
Oui, nous, on a toujours été oubliés. Je pense que des pays comme le Congo-Kinshasa sont en guerre tout le temps, parce que c'est des pays riches. Donc, pour les manipuler, il faut créer des situations pour que pendant que ça se tue, ça s'entretue, on puisse piller les richesses. Je n'accuse pas directement, mais je dis qu’à chaque fois qu'il y a des problèmes en Afrique, c'est minimisé. Mais c'est à nous de nous faire respecter. Je pense qu’il faut se rapprocher, il faut être unis pour représenter un gros bloc, pour que quand il y a des problèmes, les gens en tiennent compte aussi.
La perspective d’avoir l'Union africaine ou un pays africain au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, comme il en est question en ce moment, c'est une bonne chose d'après vous ?
Ah oui ! Oui, il faut que l'Afrique ait une voix. Vous savez, nous sommes dans une chaîne mondiale, le monde ne peut pas fonctionner totalement sans l'apport de l'Afrique. Les matières premières de l'Afrique représentent beaucoup dans le fonctionnement du monde. Donc, si on apporte, il faut qu'on nous donne aussi la parole. Le fait de nous donner la parole, ça permettra de nous mettre au même niveau que les autres.
Tiken Jah Fakoly, vous qui avez créé des écoles au Mali, en Guinée, en Côte d'Ivoire, la rentrée scolaire malienne, cette année, a été retardée à cause des intempéries et des inondations. À une heure où l’on a une COP29 à Bakou en Azerbaïdjan, est-ce que vous avez le sentiment que, une fois de plus, l'Afrique paye les pots cassés du dérèglement climatique ?
Ah oui ! L'Afrique paye les pots cassés du dérèglement climatique alors qu'elle contribue moins au réchauffement climatique. Mais c'est la lutte commune qui va changer tout cela. Il faut qu'on se mette ensemble, faire un bloc, et puis dire « voilà, on ne peut plus accepter, on ne peut plus accepter que les choses se passent comme ça ». Il faut qu'on se mette ensemble pour représenter ce gros bloc avec une seule voix qui dira aux pays occidentaux : « C'est à vous d'arrêter vos usines et nous donner la possibilité de rattraper un peu ». Puis, je pense que dans cette affaire de climat, il y a une grande hypocrisie.
Laquelle ?
Personne ne veut s'attaquer à la Chine, alors que c'est l'un des plus gros pollueurs. Personne ne veut faire des reproches à l'Inde, parce qu'ils sont puissants. Et, malheureusement, tant qu’on ne dira pas les choses comme il faut, tant que chacun ne se rendra pas compte de sa responsabilité et ne changera pas de comportement, je pense que les choses iront toujours mal dans notre maison commune qui est la planète.
Le fait qu'il y ait un climato-sceptique qui soit réélu à la présidence américaine ces jours-ci, Donald Trump, ça vous inquiète, vous, pour l’Afrique ?
Au niveau du climat, ça m’inquiète. Je pense qu’il faut être fou pour ne pas voir ça, pour ne pas prendre des mesures. Mais bon, c'est la course à l'argent. L'argent, l'argent, l'argent, l'argent... Donc, je pense que c'est ce qui rend les gens fous. Moi, je pense qu'il est temps d'écouter la planète.
L'un des autres arguments de campagne de Donald Trump, c'était la politique migratoire. On assiste aussi en Europe à un durcissement de cette politique, en France. Là aussi, c'est un motif d'inquiétude pour vous ?
Un motif d'inquiétude pour tous mes compatriotes qui sont aux États-Unis. Je respecte, je veux qu'il y ait la liberté de mouvement, mais franchement, je ne fais pas partie des Africains qui veulent encourager les gens à partir. Je dis « tout le monde a le droit, mais notre place, c'est en Afrique ».
Et vous respectez d'autres pays, d'accord, mais le respect, c'est une réciprocité aussi. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il faudrait qu'il y ait peut-être une réciprocité aussi ?
Mais bien sûr, bien sûr, c'est ce que j'ai dit dans mes chansons, comme quand je chante Ouvrez les frontières, ce n'est pas pour encourager, mais c'est pour défendre un droit. Parce que les Occidentaux, ils viennent en Afrique où ils veulent, quand ils veulent, faire ce qu'ils veulent, prendre ce qu'ils veulent et rester s'ils veulent. Donc, je pense qu’il serait important qu'on nous laisse aussi ce droit-là d'aller où on veut, quand on veut, faire ce qu'on veut.
Mais pour que le message passe, est-ce qu’il ne faudrait pas faire, comme le Sénégal a fait une époque, du temps d'Abdoulaye Wade, où justement des visas avaient été imposés aux étrangers, notamment aux Européens qui voulaient vivre au Sénégal.
Mais je pense que c'est ce qu'il faut faire. De toute façon, tôt ou tard, ça viendra. Je pense que nous, c'est nous qui allons demander un jour à ce que les choses soient limitées de notre côté. Parce que l'Afrique, c'est le continent - une fois qu’il y aura la stabilité totale dans les pays africains - l’Afrique sera le pays le plus sollicité. Et, je pense que, l'avenir nous le dira, je pense que c'est nous qui allons choisir quel Français va venir en Afrique ou bien quel Américain va venir. Je pense que c'est important qu'il y ait cette réciprocité, c'est ça qui va nous permettre de nous respecter les uns et les autres.
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Wed, 13 Nov 2024 - 1105 - Élections législatives au Sénégal: «Le président a de fortes chances d’obtenir la majorité»
Au Sénégal, c’est la dernière ligne droite avant des législatives cruciales convoquées dimanche 17 novembre par le président Bassirou Diomaye Faye, qui a dissous en septembre l’Assemblée nationale pour demander aux Sénégalais de lui donner une majorité et les moyens d’agir. Babacar Ndiaye, analyste politique et directeur de recherche au think tank Wathi est notre invité. Il répond aux questions d'Esdras Ndikumana.
RFI : Babacar Ndiaye, est-ce que vous pensez que le Pastef et son Premier ministre Ousmane Sonko à la manœuvre dans cette campagne ont de bonnes chances d'être suivis par les électeurs sénégalais et de décrocher cette majorité qu’il leur demande ?
Babacar Ndiaye : Dans l'histoire politique du Sénégal, le président élu a toujours obtenu la majorité à l’Assemblée nationale. Et, le 24 mars, comme vous le savez, le président Diomaye Faye, après avoir été plébiscité par les Sénégalais avec quand même ses 54%, oui, il y a de fortes chances qu'il obtienne la majorité absolue sept mois après cette présidentielle. D'autant plus qu'il a décidé, comme vous le savez, de dissoudre l'Assemblée nationale il y a deux mois, Assemblée dans laquelle il n'avait pas la majorité. Donc il y a, j'allais dire, une forme de cohérence dans tout cela. Donc, il y a de fortes chances évidemment que cette majorité, il puisse l'obtenir.
Quels sont les arguments du camp présidentiel pour convaincre les Sénégalais de voter pour eux ?
Je crois que la campagne du camp présidentiel s'est inscrite dans une forme de continuité avec celle de la présidentielle, avec un discours toujours axé sur la bonne gouvernance, dans la gestion des biens publics, sur la nécessité de la reddition des comptes. Mais fondamentalement, ce qui est intéressant d'observer dans ces élections législatives, c'est le Premier ministre Osmo Sonko, qui est aussi tête de liste du parti présidentiel donc Pastef. Dans les zones ciblées où il est allé, il a dressé le programme prévu par zone sur la base du nouveau référentiel des politiques publiques, donc le nouveau programme, l'agenda national de transformation 2050, « Sénégal 2050 ». Et il a pu parler dans ces zones-là d'infrastructures, d'économie, d'éducation, de création d'emplois... Bref, ce que le gouvernement va faire dans ces différentes zones. Évidemment, les questions de souveraineté économique, politique ou alimentaire, aussi, ont été au cœur de son discours. Donc, peut-être que ce sont des arguments, des éléments qui peuvent être intéressants pour les populations et qui peuvent aussi être dans une forme d'écoute. Et ensuite, cela peut aussi leur permettre, pourquoi pas voter pour ce camp-là.
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Alors, on a, face au Pastef, une opposition divisée avec au moins trois grandes coalitions dont une menée à distance par l'ancien président Macky Sall. Quels thèmes mettent-ils en avant pour tenter de convaincre la population de les choisir eux ?
La campagne n'est pas encore terminée, il reste encore quelques jours. Mais il est clair que nous avons assisté à une opposition frontale surtout contre Ousmane Sonko qui est la tête de liste du pouvoir. Et moi, personnellement, je m'attendais à de vrais débats de fond, des débats de fond sur le nouveau référentiel, les politiques publiques qui ont été lancés par le gouvernement. Et donc, je m'attendais à des analyses en profondeur, des débats sur les choix économiques, sur l'éducation, la santé ou encore l'emploi des jeunes. Bref, des vrais débats sur le programme présidentiel. Mais on a surtout eu beaucoup de polémiques, et je dois dire que l’on n'a pas eu des débats de fond, ce qui était pourtant annoncé, qui devait être au rendez-vous. On a surtout eu beaucoup de critiques et notamment sur un pays qui serait à l'arrêt depuis la présence au pouvoir de monsieur Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko. Donc voilà, je pense qu’on aurait pu avoir un débat beaucoup plus axé sur, véritablement, ce qui intéresse les Sénégalais, notamment l'économie, l'éducation, la santé et surtout l'emploi des jeunes, et même pourquoi pas sur la migration. Donc, voilà un peu, ces sujets-là, qui n’ont pas lieu, pouvaient vraiment intéresser les populations.
À ce propos justement, qui est-ce que les Sénégalais rendent responsable de l'immobilisme observé depuis la présidentielle d'avril ? Diomaye Faye et le Pastef ou l'opposition qui contrôlait jusqu'ici l'Assemblée nationale ?
Je ne sais pas si on peut parler d’immobilisme. Nous sommes encore dans les premiers mois du mandat. Évidemment, c'est peut-être le discours de l'opposition. Mais dans ces premiers mois, il a fallu passer par des phases de nomination du nouveau gouvernement, des directeurs et présidents de conseils d'administration. Il y a eu donc cette phase de transmission dans la prise en main des dossiers. Évidemment aussi, nous avons assisté à une opposition entre le parti au pouvoir et les différentes parties de l'opposition, notamment à l'Assemblée. Souvenez-vous, au mois de juin, ce refus d’avoir un débat sur justement le débat d'orientation budgétaire parce qu'il y avait une confrontation qu'on avait à l'Assemblée nationale. Il y a eu aussi cet épisode lié à la déclaration de politique générale. Donc voilà, ce sont ces éléments-là, finalement, qui ont poussé le président... Sans compter aussi, j'allais l'oublier, la volonté du président de supprimer deux institutions au niveau de la Constitution qu'il jugeait budgétivore. Et donc voilà, je crois quand même que durant sept mois, il y a eu beaucoup, beaucoup d'éléments. Maintenant, je crois qu'aujourd'hui, résolument maintenant, les Sénégalais vont aller vers les élections législatives et indiquer maintenant pour quel camp ils se positionnent et en fonction de tout ce qu'on a pu avoir ces derniers mois.
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Est-ce que Macky Sall qui est resté prudemment à l'abri au Maroc, lui, l'ancien chef de l'État, ne joue pas gros en prenant la tête de la campagne électorale d'une coalition qui s'est divisée en deux depuis la présidentielle d'avril ?
Le choix du présent Macky Sall, qui s'est tourné vers une carrière internationale, d'être tête de liste de sa coalition est, selon moi, un peu étonnant. Il est revenu en politique au bout de six mois, même s'il faut le dire, il était resté chef de son parti. Et d'ailleurs, selon moi, c'est l'éternelle question des partis qui ont du mal à exister en dehors de la figure tutélaire du fondateur, surtout après la perte du pouvoir. Et donc, le président Macky Sall s'engage dans un nouveau combat en portant cette liste, et nous verrons, au soir du 17 novembre, si ce choix de conduire cette liste est un choix payant. Et là, nous sommes dans le dernier jour de la campagne, il n'est pas sur le terrain, au Sénégal, comme le sont les autres têtes de liste et coalitions. Et donc, c'est quand même des choix étonnants dans cette campagne. D'autant plus qu'il gère cette campagne à distance.
L’ancien Premier ministre de Macky Sall, Amadou Ba, a constitué sa liste pour les législatives. Pensez-vous qu'il soit capable de tirer son épingle du jeu face à cette opposition divisée ?
Amadou Ba est arrivé deuxième à l'élection présidentielle avec 35%, il faut le rappeler. Et depuis ce scrutin, il a aussi fait des choix, il a choisi d'emprunter sa propre voie en quittant l'ancienne coalition au pouvoir, donc en quittant l'APR. Il a créé son mouvement politique qui s'est allié aussi au Parti socialiste, qui l’a rejoint dans sa coalition, mais aussi par d'anciens leaders et ministres de l’APR qui ont rejoint sa coalition. Et cela sera l'occasion pour moi de voir ce qu'Amadou Ba pèse en termes de poids électoral avec ces élections législatives. Même si on n'est pas dans une élection présidentielle, on est dans les élections législatives et le mode de scrutin est différent.
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Est-ce que la politique du diviser pour régner, tentée par Ousmane Sonko en choisissant de débattre uniquement avec Amadou Ba, est-ce que cette politique peut marcher ?
Il me semble que l'intérêt quand même d'un débat avec Amadou Ba ait été dicté par deux choses. Et c'est dommage d'ailleurs que ce débat n'ait pas eu lieu au passage. D'abord par le fait qu'Amadou Ba était arrivé deuxième à l'élection présidentielle avec quand même 35% et surtout qu'il était le dernier Premier ministre de Macky Sall. Il a été aussi ministre de l'Économie et des Finances, il faut le rappeler. Et donc c’est le fait qu'il ait été celui qui matérialisait le bilan du président Macky Sall d’une certaine manière, qui a peut-être poussé le Premier ministre Ousmane Sonko à vouloir avoir un débat avec un interlocuteur comme Amadou Ba.
À votre avis, est-ce que ces législatives pourraient se résumer en un match retour entre le camp Diomaye Faye-Ousmane Sonko contre celui de Macky Sall ? Ou alors Amadou Ba et le maire de Dakar, par exemple, Barthélémy Dias, peuvent créer la surprise ?
En tout cas, nous avons quatre grands pôles, c'est ce qui semble se dessiner. On a le Pastef évidemment, on a la coalition de Macky Sall avec un allié étonnant qui est le PDS, nous avons Amadou Ba, vous l'avez indiqué, et enfin nous avons aussi cette coalition qui est portée par le maire de Dakar, Barthélémy Dias. Voilà, on a l'impression qu'il y a ces quatre grandes coalitions qui sont plus en vue. Mais il faut quand même rappeler que dans cette élection, nous avons 40 listes, comme ça a été le cas avec la présidentielle, avec des candidats quand même qui ont eu des scores très faibles, en déphasage avec leur statut. Et donc voilà, je crois que le 17 novembre nous indiquera le choix des Sénégalais et nous aurons une lecture beaucoup plus claire de la tendance et, évidemment, du positionnement des uns et les autres par rapport au vote des Sénégalais.
À part la majorité que tentent de décrocher leur camp présidentiel, quel est l'enjeu de ces législatives selon vous ?
Vous l'avez rappelé, l'enjeu est d'avoir la majorité absolue, évidemment. Une majorité, j'allais dire, pour initier les réformes promises dans le domaine de la justice, dans le domaine de la bonne gouvernance, avec la mise en place de cette haute cour de justice à l'Assemblée nationale pour les supposés scandales financiers qui auraient touché d'anciens ministres et autres. Mais plus globalement, j'allais dire que l'enjeu, c'est d'avoir une Assemblée aussi qui se préoccupe des intérêts des Sénégalais avec des débats de qualité. Et aujourd'hui, au Sénégal, certains veulent une Assemblée nationale de rupture avec ses différents compartiments, avec des députés qui vont être là pour s'intéresser aux préoccupations des Sénégalais, qui sont aussi capables de pouvoir faire des propositions de lois allant dans le sens de l'intérêt des Sénégalais, mais aussi de manière plus basique de suivre l'action du gouvernement par rapport aux réformes qui sont initiées. Donc voilà un peu les enjeux. Mais évidemment, l'enjeu principal reste cette volonté du pouvoir d'avoir cette majorité absolue pour pouvoir initier les réformes promises aux Sénégalais. Et c'était ça aussi qui avait, d’une certaine manière, fait pencher la balance durant l'élection présidentielle avec cette victoire au premier tour du président Diomaye Faye.
Mais on peut dire également qu'il y a une reconfiguration du champ politique qui va se jouer lors de ces législatives.
Oui, évidemment, je crois que, en fonction des résultats, il y aura forcément une configuration nouvelle. Parce que, voilà, depuis l'élection présidentielle, il y a un renouvellement. Il y a certains, par la force des choses, qui sont plus en retrait dans le champ politique. On a l'impression qu'une nouvelle génération émerge aussi et donc, à ce niveau-là, les résultats aussi pourront permettre de voir si on est dans une nouvelle dynamique en termes de positionnement et de posture. Même si aussi, dans ces élections législatives, on a eu des coalitions quand même qui interrogent. On a vu d'anciens partis qui étaient en confrontation directe sur des positions totalement opposées qui sont allés en coalition. Et donc, les Sénégalais aussi ont été spectateurs ces coalition, par moment, que nous avions du mal à pouvoir imaginer encore il y a quelques années. Et donc, évidemment, cette reconfiguration dont vous parlez, peut-être qu’elle sera initiée après ces élections législatives. Mais beaucoup de candidats et de partis jouent aussi leur avenir politique à travers ces élections législatives évidemment.
Tue, 12 Nov 2024 - 1104 - Seyni Nafo: «Les chefs d’État africains sont beaucoup plus présents sur la question climatique»
La COP29, la 29e conférence de l’ONU sur le changement climatique, démarre ce lundi matin à Bakou, en Azerbaïdjan. Le principal enjeu est de savoir si les États vont se mettre d’accord sur un nouveau montant d’aide aux pays en développement pour financer leur transition énergétique. Seyni Nafo est le porte-parole du groupe des négociateurs africains. Il préside aussi le Fonds vert pour le climat et coordonne l’Initiative d’adaptation de l’Union africaine. En ligne de Bakou, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Qu'est-ce que vous attendez de cette COP29 ?
Seyni Nafo : On attend un résultat ambitieux sur la nouvelle cible de financement qui doit remplacer la cible des 100 milliards. Pour les ministres et chefs d'État africains, les instructions qui nous ont été données, c'est d'avoir une cible qui est à peu près à 1300 milliards de dollars, ce qui serait en adéquation avec les besoins des pays en développement.
Ces dernières années, l'aide des pays riches en faveur des pays en développement pour leur adaptation climatique s'élevait à 100 milliards de dollars par an. Si vous visez 1300 milliards à partir de 2025, ça veut dire treize fois plus d'argent, c'est ça ?
En fait, nous sommes déjà entre 105 et 115 milliards pour 2025. Donc nous partirons en fait d'un plancher de 110 pour aller vers un plafond à 1300 à l'horizon 2035.
Avec une augmentation progressive tous les ans…
Exactement, tous les ans.
Alors, il y a un problème tout de même, c'est que Donald Trump va revenir au pouvoir. En 2017, il avait annoncé le retrait de son pays de l'accord de Paris de 2015 sur le climat et maintenant qu'il est réélu, est-ce que vous ne craignez pas qu'il recommence et qu'il retire son pays de tous ces accords ?
Oui, il est très probable que les États-Unis se retirent de l'Accord de Paris et peut-être même pire, qu'ils se retirent de la Convention même des Nations Unies sur le climat. Mais on se rappelle qu'en 2016, l'administration Trump avait créé une grande agence bilatérale de développement, la DFC Development Finance Corporation, qui avait eu à l'époque une augmentation de capital jusqu'à 60 milliards de dollars dans les pays en développement, notamment pour soutenir le secteur privé américain, mais pas que. Et donc ce qu'il va falloir faire, nous en discutons beaucoup au niveau du groupe, c'est de regarder également du côté du bilatéral, où il y a des opportunités.
L’Afrique aujourd'hui a un siège au G20, ce qui n'était pas le cas en 2016. Les chefs d'État africains sont beaucoup plus présents sur cette question climatique. L'année dernière, notamment, nous avons eu le premier sommet des chefs d'États africains sur le climat. Donc notre stratégie à nous est de travailler également sur un agenda bilatéral États-Unis-Afrique et nous pensons que l'Afrique a des cartes à jouer au-delà de la Convention climat.
Mais franchement, avec un climatosceptique à la Maison Blanche, est-ce que vous pensez vraiment que l'enveloppe des pays riches va augmenter jusqu'à 10 à 12 fois la somme actuelle d'ici 2035 ?
Vous savez, nous sommes dans une négociation. 1300 milliards est l'objectif final. C'est-à-dire que pour nous, sans fétichisme, beaucoup plus que le chiffre lui-même, le plus important serait d'atteindre un certain nombre d'objectifs, par exemple l'accès universel aux énergies modernes.
Les pays riches qui financent cette enveloppe affirment qu'ils ne représentent que 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Et ils demandent à présent que la Chine et les pays du Golfe soient mis, eux aussi, à contribution. Qu'est-ce que vous en pensez ?
En fait, c'est une stratégie de négociation des pays développés. La réalité est que la Chine, tout comme les pays du Golfe, contribuent à l'effort climatique. Vous pouvez regarder les financements octroyés par la Banque de développement de Chine, par la Banque export de Chine, par les fonds saoudiens pour le développement, par la Banque islamique pour le développement... La réalité est que les pays du sud contribuent et contribuent autant sinon plus que les pays développés.
Oui, mais si vous demandez 1300 milliards de dollars d'aide par an d'ici 2035, ça représente un gros effort pour tous les pays à qui vous vous adressez. Alors du coup, pourquoi la Chine serait-elle exemptée de faire cet effort ?
Nous sommes dans un système monétaire international, c'est-à-dire qu'on crée littéralement de la monnaie. La Réserve fédérale des États-Unis, la BCE, la Banque du Japon créent de la monnaie. On a injecté des sommes colossales qui se situent en dizaines de milliards de dollars sous le Covid, sans que ça pose aucun problème. Donc, pour nous, le problème n'est pas que la Chine contribue ou pas. Les pays développés ont les moyens de contribuer.
Même si aujourd'hui les pays développés ont de gros problèmes budgétaires devant eux ?
Nous pensons qu'il y a des instruments financiers qu'on peut mobiliser et qui auraient un impact nul sur les budgets, notamment les DTS, les droits de tirage spéciaux du FMI, qui est la monnaie du FMI. Cela a été fait pour le Covid. Nous pouvons mobiliser ce type de monnaie. Les banques centrales peuvent être mises à contribution en injectant des liquidités. Donc, il existe des instruments financiers. La question est une question de volonté politique.
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Mon, 11 Nov 2024 - 1103 - Mayotte: «L'opinion a été fabriquée sur ce territoire avec des discours xénophobes»
Séparée du reste des Comores en 1974, département français depuis 2011, l'archipel de Mayotte est aujourd'hui encore un territoire disputé. Rémi Carayol, journaliste indépendant publie un livre sur cette histoire complexe, et souvent falsifiée. Mayotte, département colonie est paru aux éditions La Fabrique. Rémi Carayol est notre invité ce matin pour en parler au micro de Florence Morice.
Sat, 09 Nov 2024 - 1102 - Jean-Jacques Lumumba: «La corruption vit encore ses beaux jours en RDC»
En 2016, il avait dénoncé des faits de corruption sous le régime de Joseph Kabila, et avait dû s’exiler à la suite de menaces de mort. Aujourd’hui, huit ans après, l’ex-banquier Jean-Jacques Lumumba rentre à Kinshasa, et espère pouvoir défendre sur place, au Congo, les lanceurs d’alerte qui, comme lui, traquent l’argent sale et ceux qui en profitent. En ligne de la capitale congolaise, le petit-neveu de Patrice Lumumba répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Jean-Jacques Lumumba, où en est la lutte anti-corruption aujourd'hui en RD Congo ?
Jean-Jacques Lumumba : La lutte anti-corruption est en train de vivre des moments assez compliqués parce que, vous savez, il y a une institution qui a le vent en poupe, qui lutte contre la corruption, qui est l'Inspection générale des finances (IGF), chapeautée par Monsieur Jules Alingete. Mais la justice fait encore défaut parce que, pour beaucoup de dossiers, il n'y a pas d'avancées significatives.
Et alors, quand certaines personnes sont incriminées par un rapport d'enquête de l'Inspection générale des finances, qu'est-ce qui se passe ?
Quand une personne est incriminée, le dossier va auprès de la justice, mais je crois que la justice en RDC est sérieusement malade. Ce mercredi d'ailleurs, le ministre de la Justice l'a dit, en ouverture des états généraux de la justice, que la justice congolaise est malade. Et je pense qu'à ce stade-là, il y a quand même énormément de choses à faire, compte tenu du fait qu'il reconnaît que sept personnes sur dix ne sont pas satisfaites des verdicts rendus par la justice congolaise.
Donc, en fait, jusqu'à présent, aucun rapport de l'IGF n'a été suivi d'une enquête judiciaire. C'est ça ?
Il y a quelques rapports que l'on voit qui sont suivis d’enquêtes judiciaires, mais c'est très peu. La proportion entre les rapports produits et le niveau de la justice qui est rendue est très très faible à ce stade.
Il y a huit ans, vous avez quitté votre pays pour vous mettre à l'abri. Qu'est-ce qui vous décide à rentrer aujourd'hui, malgré les risques ?
Je pense qu'à un moment donné, il fallait faire le choix entre rester en exil éternellement et venir dans mon pays où j'ai mes racines pour pouvoir faire avancer certaines causes, entre autres la protection des lanceurs d'alerte. Donc, c'est le choix que j'ai fait malgré les risques, comme vous le dites si bien, de venir et de faire cela en RDC.
Et vous rentrez aussi au moment où se tiennent les états généraux de la justice ?
Evidemment, c'est une belle coïncidence à un moment clé et épineux pour la lutte contre la corruption en RDC, d'autant plus que vous savez, en RDC, j'ai deux compatriotes qui vivent aujourd'hui en exil en France, Gradi Koko Lobanga et Navy Malela Mawani, qui ont été condamnés à mort par contumace pour avoir dénoncé la corruption. Donc, c'est un très bon moment et je crois que ce sera une occasion de mettre en valeur cette lutte contre la corruption et surtout l'impact de la justice sur cette lutte contre la corruption qui doit devenir effective et assez répressive.
Quand vous avez quitté le Congo en 2016, vous étiez dans le collimateur du régime de Joseph Kabila, dont vous aviez dénoncé les dérives et la corruption. Alors, depuis l'alternance de 2019 et l'arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, est-ce que c'est toujours le même degré de corruption ou pas ?
Je pense que la corruption vit encore ses beaux jours en RDC, il faut le reconnaître. Mais je crois qu'il faudrait aussi dire qu'il y a une petite avancée en ce qui concerne l'Inspection générale des finances, parce qu'à l'époque de Joseph Kabila, les rapports n'étaient pas faits. Tout ce qui était dit sur la corruption était sensiblement et systématiquement étouffé. Mais aujourd'hui, on peut parler des rapports, on peut dire et savoir ce qui se fait. Les rapports sont faits et malheureusement la justice ne suit pas.
Y a-t-il à l'heure actuelle, au sein du pouvoir, des dirigeants congolais qui voient votre retour d'un bon œil ?
Evidemment, il y a des dirigeants qui ont facilité ce retour et je dois le reconnaître. J'ai cité par exemple le directeur de cabinet adjoint du chef de l'État, Monsieur André Wameso, ou l'inspecteur général des finances, Monsieur Jules Alingete. Il y a beaucoup d'autres personnes qui ont rendu ce retour facile parce qu'elles estiment que cela pourrait contribuer à faire avancer des questions de lutte contre la corruption.
Mais vous savez que vous allez déranger d'autres personnalités congolaises ?
Je le sais très bien. Je me prépare à ça. Le combat va être rude, mais je pense que c'est la vérité et la justice qui vont finir par gagner.
Et avez-vous pu évaluer la perte que représente la corruption pour l'économie du Congo ?
Plusieurs rapports, il y a quelques années, ont évalué une perte sèche de plus de 15 milliards de dollars américains tous les ans à cause de la corruption en RDC.
Alors vous parlez de 15 milliards. Or, à l'heure actuelle, le budget du Congo tourne autour de 12 milliards de dollars. Voulez-vous dire que, sans la corruption, on pourrait doubler ce budget ?
Evidemment, je crois que le budget de la RDC pourrait sensiblement être doublé si la corruption était sérieusement endiguée. On peut passer, pourquoi pas, de 12-13 à plus de 20 milliards de dollars tous les ans. Mais au-delà de serrer les vis autour de la corruption, il y a lieu de rationaliser les dépenses de l'État pour qu'elles puissent être dans les dépenses beaucoup plus sociales et des dépenses d'investissement qui, demain, pourront sérieusement réduire la pauvreté en République démocratique du Congo.
Quelles sont les dépenses inutiles à vos yeux aujourd’hui ?
Je crois que toutes les grandes institutions de l'État, gouvernement, présidence de la République, Assemblée nationale et autres, doivent être sérieusement réduites et que les gouvernants puissent avoir des salaires moins importants pour permettre à ce que la répartition de la richesse puisse être équitable à tous les niveaux.
Est-il vrai que les députés et les sénateurs congolais sont parmi les mieux payés du monde ?
Je crois que les députés et sénateurs congolais sont parmi les mieux payés du monde.
Fri, 08 Nov 2024 - 1101 - Forces françaises en Afrique: «Nos partenaires africains ne souhaitent pas notre départ», dit Jean-Marie Bockel
La France doit-elle ou non maintenir des bases militaires en Afrique ? C'est à cette question sensible que l'ancien secrétaire d'État, Jean-Marie Bockel, est chargé de répondre, à la demande du président français Emmanuel Macron, qui l'a désigné comme son Envoyé personnel auprès des pays africains concernés par la reconfiguration du dispositif militaire français. Il y a deux semaines, avant le Conseil de défense du 23 octobre à l'Élysée, Jean-Marie Bockel a rendu, au chef de l'État, un pré-rapport, qui reste encore secret. Mais ce matin, sur RFI, il en dévoile les grandes lignes, notamment sur le Sénégal et le Tchad. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Vous évoquez une réduction drastique des effectifs militaires français en Afrique. Est-ce à dire que les bases françaises de Dakar, d'Abidjan, de Libreville, n’abriteront plus que 100 hommes chacune ?
Jean-Marie Bockel : Non, on n'est pas du tout dans une question de chiffrage. Nous avons une nouvelle étape qui fait l'objet, dans chaque pays, d'une discussion avec les responsables du pays, autour de l'idée que nous devons garder un dispositif socle qui permette, au niveau de l'accès, de la logistique, de la capacité, de remonter en puissance, si je puis dire, chaque fois que c'est nécessaire, à la demande du partenaire, face à une menace extérieure. Et autour de l’idée qu'à côté de ce dispositif socle, il y a un renforcement du soutien et de la réponse à des attentes en matière de sécurité des pays du périmètre, que ce soit en matière de formation, d'école, de renseignement, d'entraînement, de forces spéciales, mais aussi en matière d'équipements, de nouvelles technologies, etc. Et comme me le disait tel président africain que j'ai rencontré, « ce qui compte, ce n'est pas le nombre de soldats français demain dans ma base, c'est ce qu'on va pouvoir faire encore mieux ensemble ».
C’est le président ivoirien Alassane Ouattara, qui vous a dit ça ?
Le président Ouattara m'a dit ça avec ses mots à lui, mais le président Déby [Mahamat Idriss Déby, du Tchad, NDLR] également. Quant au président Oligui [Brice Clotaire Oligui Nguema, du Gabon, NDLR], c'est aussi son état d’esprit.
Même s'il ne reste que quelques centaines d'hommes dans chacune de ces bases françaises, les anti-Français diront « ce sont encore quelques centaines de trop ». Pourquoi ne pas fermer tout simplement les bases françaises en Afrique ?
En fait, les partenaires des trois pays avec lesquels nous avons déjà bien avancé ont été très clairs. Ils ne souhaitent pas notre départ.
Ni le Tchad, ni le Gabon, ni la Côte d'Ivoire ?
Absolument. Mais ils comprennent l'évolution du format, l'évolution du partenariat. Et donc, partir comme ça, du jour au lendemain, c'est en fait tirer un trait sur un partenariat souvent très ancien et qui, à bien des égards, même s’il a vocation à évoluer, a été apprécié et a fait partie aussi de la qualité de la relation que nous avons dans tous les domaines avec ces pays. Et donc, je pense que, si on avait fait ça simplement par peur d'être peut-être un jour chassé, mais comment nos partenaires l'auraient-ils perçu ? Mal, à juste titre.
Parmi les pays que vous avez visités, c’était en mars dernier, il y a le Tchad où sont stationnés actuellement quelques 1 000 soldats français. Est-ce que la réduction des effectifs français y sera aussi drastique que dans les autres pays ?
Oui, bien sûr, elle sera significative, importante. Mais sans préjuger de la discussion entre les responsables français, à commencer par le président de la République et son homologue tchadien sur ces questions, ce n'est pas à moi de décider ce qui in fine se fera, mais je sais ce sur quoi, avec ma petite équipe, nous avons travaillé en dialogue constant avec bien sûr le partenaire tchadien à tous niveaux, dans les propositions, dans mes propositions, je crois qu'elles cheminent bien. Le dispositif permettra, et pas simplement sur un seul site, de préserver l'essentiel du partenariat à partir de ce dispositif socle, de ce point d'entrée, avec toute la dimension logistique, de formation, la dimension aérienne de renseignement. Ce qui compte, me disait le président du Tchad, Mahamat Déby, ce qui compte, ce n'est pas le nombre de soldats, c'est la qualité de notre partenariat et c'est ce à quoi nous travaillons.
Voilà six mois que vous devez aller au Sénégal, mais vous n'y êtes toujours pas allés. Alors est-ce que c'est seulement parce qu'il y aura des législatives dans dix jours ? Est-ce que ce n'est pas aussi parce qu'il y a quelques mois, le Premier ministre Ousmane Sonko a déclaré que la présence durable de bases militaires étrangères était incompatible avec la souveraineté du Sénégal ?
En fait, il y a eu ces déclarations qui ne nous ont pas échappé. Il y a eu aussi la visite du président Diomaye Faye à Paris le 20 juin. J'étais présent, et il a eu l'occasion de dire au président Macron, qui évoquait la possibilité de partir, que non, qu'il fallait simplement nous laisser le temps d'établir une position claire sur le devenir de la base militaire, même des sites militaires français au Sénégal. Et les contacts qu'il y a pu y avoir depuis sont toujours dans cet état d'esprit. Au lendemain de l'élection du mois de novembre, il y aura un moment important où les responsables sénégalais pourront dire aux responsables français « voilà ce que nous souhaitons, le moment est venu pour en parler ». Une chose est ce qui peut être dit dans une période de changement, une chose est ce qui pourra se faire au lendemain d'une élection, ce sont deux temps différents.
Thu, 07 Nov 2024 - 1100 - Cheikh Tidiane Gadio: «Trump n’est pas prévisible, ça va être un problème dans ses relations avec l’Afrique»
Qui va gagner la nuit prochaine aux États-Unis ? Kamala Harris ou Donald Trump ? La bataille est beaucoup suivie aussi en Afrique. Cheikh Tidiane Gadio connait bien l'Amérique du Nord. Il est diplômé de l'Université d'État de l'Ohio. Puis, il est rentré au Sénégal, où il est devenu ministre des Affaires étrangères sans discontinuer pendant neuf ans et demi, de 2000 à 2009. Un record national ! Aujourd'hui, il préside l'IPS, l'Institut panafricain de stratégie, en charge de la paix, de la sécurité et de la gouvernance. En ligne de Dakar, il confie ses espoirs et ses craintes au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Quel bilan faites-vous de la politique africaine du président Biden ?
Cheikh Tidiane Gadio : Je crois que Biden a quand même réussi certaines choses qui ont été très, très positives pour l'Afrique. Un des grands problèmes que l'Afrique avait avec des dirigeants américains, c'est qu'en général, ils ne s'intéressaient pas trop à l'Afrique. Il y a eu quelques ruptures. George Bush, qui est républicain, avait lancé le MCA [Millennium Challenge Account, NDLR] et avait montré un intérêt réel pour un nouveau partenariat avec l'Afrique. Mais ce que Biden a réalisé, à mon avis, est allé beaucoup plus loin. Il a, par exemple, ramené [en décembre 2022 à Washington] le sommet États-Unis - Afrique qu’Obama avait instauré. Ensuite, il s'est battu récemment pour que l'Afrique soit dotée d'un siège permanent au Conseil de sécurité, mais sans droit de veto, ce qui est absolument à discuter, bien sûr. Globalement, je crois que c'est un grand homme d'État qui a vraiment le sens du service à son pays et un peu à l'humanité. Je trouve qu'il a beaucoup d'empathie aussi, et je pense qu'il est antiraciste. Il a eu une excellente collaboration avec Obama et ensuite, il a une bonne collaboration avec Kamala Harris. Donc, au total, il a beaucoup aidé l'Afrique.
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Sur le plan sécuritaire, les effectifs militaires américains en Afrique sont tombés de 5 000 soldats en 2017 à 1 500 soldats aujourd'hui. Est-ce que c'est parce que les Américains veulent partir ou parce que les Africains ne veulent plus des Américains ?
Alors, paradoxalement, je ne crois pas que ce soient les Africains qui ne veulent plus des Américains. Mais les Africains veulent une forme de coopération beaucoup plus affirmée, beaucoup plus présente et réelle en matière de renseignement, d'intelligence, d'équipements en satellites par exemple, de surveillance des mouvements des jihadistes et autres. Beaucoup de choses sur lesquelles les Africains ont exprimé beaucoup d'intérêt et de besoin et ils n'ont malheureusement pas eu de réponse favorable. Et effectivement, il y a le grand débat maintenant sur la présence de l'Occident en Afrique, mais je ne crois pas que les États-Unis soient particulièrement ciblés. Ce qui se passe avec la France, l'Union européenne et tout ça, c'est lié quand même à un passé assez spécial qui n'est pas le même que les relations qu'on a eues avec les Américains.
Au Niger, après le putsch de juillet 2023, les Américains ont espéré pouvoir conserver leurs bases militaires, à la différence des Français, mais finalement, au mois de mars dernier, ils ont été chassés eux aussi. Est-ce le signe que leur offre sécuritaire n'est pas aussi concurrentielle que celle des Russes ?
Absolument. Je pense que les Russes sont tombés à un moment, en Afrique, où ce que j'appelle le populisme et certaines formes de souverainisme ont amené un certain nombre de nouvelles politiques. Et les Russes ont su en profiter. Mais pour moi, l'Afrique ne doit pas chercher, disons, entre guillemets, à rompre avec l'ancienne tutelle parce qu'on a négocié une nouvelle tutelle, ce n'est pas bon pour l'Afrique. Et j'espère que les Africains vont se ressaisir de ce point de vue. Donc, pour les Américains, comme vous le savez, Africom, les différentes initiatives qu'ils ont en matière de sécurité, ce n'est pas très inclusif. Ils contrôlent à peu près tout. Moi, j'ai des informations sur leurs relations avec le Nigeria dans la lutte contre Boko Haram, c'était assez distant, c’étaient des conseils. Très peu de matériel ou de financements. Mais l’engagement qu'on pouvait attendre des États-Unis en tant que puissance mondiale qui a subi de lourdes pertes à cause du terrorisme et qui a une coalition mondiale de plus de 60 pays, cet engagement, on ne l’a pas franchement vu en Afrique, et ça, je crois, c'est une brèche ouverte dans laquelle les Russes se sont engouffrés.
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Vous ne voyez pas d'autres pays d'Afrique de l'Ouest sur lesquels les Américains pourraient s'appuyer sur le plan sécuritaire, comme le Nigeria, le Ghana ou la Côte d'Ivoire ?
Et même le Sénégal, hein. Il y a des formes de coopération sur lesquelles les Américains ne font pas beaucoup de publicité, mais il y a quand même une certaine proximité. Je sais qu'ils travaillent beaucoup avec le Nigeria parce que c'est la puissance non seulement de l'Afrique de l'Ouest, mais peut-être la puissance continentale la plus importante. Et le Nigeria vit une situation extrêmement dramatique avec Boko Haram - 40 000 morts, c’est quand même beaucoup -, et cette organisation reste très active. L'État islamique reste très actif aussi. Le Ghana, bien entendu, a toujours été un pays partenaire des États-Unis. La Côte d'Ivoire intéresse les Américains aussi bien au plan économique qu’au plan sécuritaire. Et le Sénégal aussi, bien entendu, est un pays qui est généralement visé par l'Amérique comme étant un pays modèle, surtout en matière de démocratie et autres.
Et vous pensez que les relations entre les États-Unis et le Sénégal vont continuer sur le plan sécuritaire malgré l'arrivée du Pastef au pouvoir à Dakar ?
Ça, c'est effectivement une grande question. Le Pastef se réclame du souverainisme dans lequel ils sont en train de mettre un contenu. Donc, je crois que tous les partenaires traditionnels sont à l'affût, essayent de comprendre pour bâtir une nouvelle relation. Vous savez, en diplomatie, comme disait l'autre, l'ambiguïté constructive est une bonne chose, ce qui gêne, c'est quand vous n'êtes pas prévisible, quand on n'arrive pas à prédire un peu l'avenir immédiat. Et c'est ce qui arrive avec monsieur Trump justement, qui n’est vraiment pas prévisible du tout. Et je pense que ça va être un problème dans ses relations avec l'Afrique.
Comment voyez-vous l'avenir des relations États-Unis-Afrique, selon que c’est Kamala Harris ou Donald Trump qui gagnera demain ?
Alors si c'est Kamala Harris, j'ai beaucoup d'espoir que ça va se passer beaucoup mieux que si c'est Donald Trump. Les raisons sont simples, moi, je suis un Africain panafricainiste, qui ne compte pas sur les États-Unis ou sur l'Europe ou sur l'Asie pour le renouveau de l'Afrique ou pour la Renaissance africaine. Pas du tout, par contre, j'ai toujours pensé que, par exemple, le cas d’Obama est un grand malentendu. Beaucoup d'Africains se sont mis à rêver, à espérer qu’Obama fasse de grandes choses pour l'Afrique. Je disais qu’Obama n'est pas élu pour servir l'Afrique, il est élu pour servir les États-Unis. Donc, Kamala fera la même chose. Son pays sera absolument prioritaire pour elle. Par contre, Trump s'est déjà manifesté par des comportements, par rapport à l'Afrique, absolument incroyables. Les insultes contre les Haïtiens, les Haïtiens sont un symbole pour tous les Africains, pour tous les panafricanistes. C'est vraiment un pays fondateur de la reconquête de notre dignité en tant que noir et africain. Donc, les traiter de mangeurs de chiens, de chats domestiques, et cetera, c'est extrêmement grave, et je pense qu’il sait que ce qu'il dit n'est pas vrai, mais c'est important pour lui pour des raisons populistes et des raisons de campagne. Et ensuite, il a fait une affirmation absolument extraordinaire que Kamala Harris allait au Venezuela et au Congo récupérer les pires prisonniers les plus sanguinaires pour les importer aux États-Unis pour détruire leur pays. Alors, ce genre de propos, quelqu'un ne peut les tenir et avoir de très bonnes relations avec nous. Et ses allusions au quotient intellectuel très bas de Kamala, ça remonte à l'anthropologie coloniale raciste contre les Noirs. Il y a tellement des textes qui ont été écrits sur le fait que nous aurions un quotient intellectuel très, très bas, et cetera, ce qui est absolument faux. Voilà, en gros, le fait que je n’ai pas beaucoup d'espoir que, si Trump triomphe, les relations soient réchauffées et aillent dans la bonne direction. Et la bataille, par exemple, pour le siège de membre permanent au Conseil de sécurité, dirigée un peu par Joe Biden, est-ce que Kamala va reprendre ça ? Sans aucun doute. Mais je ne suis pas sûr que Trump soit intéressé par cela. Il ne mentionne quasiment jamais l'Afrique dans ses discours. Et voilà. Et, si c'est le cas, s’il gagne, certains Africains disent que c'est une bonne chose, qu’il s'occupe de ses affaires, et nous, on s'occupe de nos affaires, et la vie est belle pour tout le monde. Et donc, les expectations…
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Les attentes...
Les attentes par rapport à Trump, c'est que tout le monde retient son souffle, c'est une sorte d'angoisse mondiale, de stress mondial. Les gens se posent beaucoup de questions sur ce qu'il va faire s’il retourne au pouvoir, ce qui est possible. Mais beaucoup de gens que je connais souhaitent que ce soit plutôt Kamala, une femme leader. Et donc, nous, les hommes féministes, on est tout à fait en phase avec elle, on lui souhaite bon vent.
L'une des hantises des Américains, c'est l'installation à venir d'une base navale chinoise sur la façade atlantique du continent africain. Est-ce que vous pensez que Donald Trump et Kamala Harris partagent cette inquiétude ?
Forcément. Du temps d’Obama, de l'administration Obama, j'en avais parlé avec des amis d'un tel dispositif. En leur disant que vous avez décidé de faire ce que vous appelez un pivot, un pivot pour aller vers l’océan Pacifique, et vous dites que c'est là-bas où va se jouer les grandes stratégies géopolitiques et autres du monde avec la Chine, l'Australie, le Japon, et cetera, la Corée. Maintenant que vous avez décidé cela, vous allez abandonner l'Atlantique, et là nous pensons que vous faites une grande erreur parce que l'Atlantique sera toujours très, très important, parce qu'il borde l'Europe et l'Afrique qui ne sont pas quand même rien dans la géopolitique mondiale. Donc, je pense que c'était une erreur de leur part de tourner le regard ailleurs que vers l'Afrique. Et là, si un pays africain s'apprête à accueillir une base chinoise, dans ce cas, je me pose toujours la même question : quel est l'objectif de ce pays ? Est-ce que ce pays est prêt ou a compris que la défense de l'Afrique, la façon d'aider l'Afrique à relever les défis sécuritaires, elle sera entre Africains et que ce soient les Africains eux-mêmes qui vont prendre leur destin en main et défendre le continent ?
Tue, 05 Nov 2024 - 1099 - Dialogue en Côte d’Ivoire? Le ministre de la Communication invite l’opposition à s’adresser à la CEI
En Côte d’Ivoire, le pouvoir ne semble pas vouloir donner suite à la demande de l’opposition d’ouvrir un dialogue inclusif sur ce qu’elle appelle les « défaillances » du système électoral. Par ailleurs, le pouvoir laisse aux députés d’opposition la responsabilité de déposer ou non une proposition de loi en faveur de l’amnistie des opposants qui, à l’heure actuelle, ne peuvent pas être candidats à la présidentielle d’octobre 2025. Amadou Coulibaly est ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ivoirien. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. Et tout d’abord, il s’exprime sur la deuxième édition du SICA, le Salon international du contenu audiovisuel, qui s’ouvre demain, mardi 5 novembre, à Abidjan.
RFI : En Afrique, l'industrie audiovisuelle est dominée par deux pays anglophones : le Nigeria et l'Afrique du Sud. Quelle est votre ambition ?
Amadou Coulibaly :Notre ambition est de positionner la Côte d'Ivoire, pays francophone, justement, dans cette industrie audiovisuelle et cinématographique. Nous pensons que nous en avons les moyens. Nous avons les infrastructures qu'il faut, nous avons les hommes qu'il faut, nous avons le matériel qu'il faut. Il est important, donc, que la Côte d'Ivoire qui, pendant longtemps, a été la plaque tournante de la musique au niveau du continent, puisse occuper également cette place au niveau du cinéma et de l'audiovisuel. Telle est notre ambition donc.
Alors concrètement, le SICA, le salon qui s'ouvre mardi 5 novembre va réunir quelque 250 professionnels.
Oui.
Donnez-nous un peu leur profil ? Qu'est-ce que vous attendez d'eux ?
Ce salon va réunir aussi bien des producteurs, des réalisateurs que des acteurs et des acheteurs. Nous voulons constituer un marché qui va permettre justement de pouvoir échanger des marchandises entre réalisateurs, producteurs et différents acheteurs. Nous avons pratiquement une trentaine de chaînes de télé qui seront présentes, aussi bien des chaînes africaines que des chaînes européennes ou américaines, comme Natyf TV du Canada et TV5 Monde, Canal+. On aura aussi des speakers. Nous aurons Alex Berger, producteur de la série à succès Le bureau des légendes.Nous aurons aussi un producteur turc qui vient, Isef, qui va nous partager son expérience. Donc, c'est quasiment le monde qui se retrouve. Nous avons plus d'une vingtaine de nationalités qui seront présentes donc en Côte d'Ivoire à l'occasion de ce SICA.
Au Nigeria, le succès de Nollywood, c'est-à-dire du cinéma local, doit beaucoup aux aides de l'État. Par exemple, en 2010, le président Goodluck Jonathan a lancé un fonds d'intervention de quelque 200 millions de dollars avec l'aide de deux banques nigérianes. Qu'est-ce que peut faire l'État ivoirien pour ses producteurs, pour ses réalisateurs ?
L'État a déjà pris des initiatives, il s'agit maintenant d'augmenter ces initiatives de l'État. Au niveau du cinéma par exemple, il y a le Fonsic, qui est le Fonds de soutien à l'industrie cinématographique. Au niveau de l'audiovisuel, il y a les compétences de l'ASDM, qui est l'Agence de soutien au développement des médias, qui a été élargie pour prendre en compte la production audiovisuelle. Justement, l'ambition du SICA, c'est de faire participer le privé. Vous faites bien de souligner qu'au Nigeria, c'est avec l'aide de deux banques privées que l'État a pu décupler son soutien à l'industrie cinématographique. Donc, nous voulons faire connaître cet écosystème au secteur privé, notamment aux banques, assurances et autres sociétés privées, afin qu'elles viennent soutenir l'État dans cette initiative. D'ailleurs, nous aurons deux panels sur les financements : un panel avec les financements publics et des acteurs publics comme le Fonsic, l’ASDM et la BNI, qui est une banque publique, et un autre panel exclusivement réservé aux banques privées, panel qui sera animé par un avocat d'affaires.
Selon un récent rapport de l'Unesco, le secteur de l'audiovisuel et du cinéma représente déjà en Afrique quelque 5 millions d'emplois. Quelle est votre ambition ?
Il faut que la Côte d'Ivoire puisse faire du cinéma un secteur qui soit véritablement pourvoyeur d'emplois et créateur de richesse. Les quelques indications que nous avons au niveau du pays indiquent que ce secteur contribue à environ 3% au PIB. Nous avons l'ambition de faire augmenter cette contribution au PIB. Et au moment où le chef de l'État a décrété donc une année de la jeunesse, nous pensons que le cinéma peut également apporter sa contribution en termes de création d'emplois pour les jeunes. Donc le cinéma et l'audiovisuel ont leur place et nous ambitionnons donc de l'occuper pleinement.
Mais ne faut-il pas pour cela qu'il y ait des narratifs africains qui intéressant les producteurs internationaux ?
Vous êtes là en plein cœur d'une des raisons pour lesquelles nous organisons ce SICA. Oui, l'Afrique a un narratif à proposer au monde et les échanges que vont faciliter le SICA vont permettre à l'Afrique de proposer ce narratif. Mais nous restons ouverts. C'est pourquoi nous parlons d'échange. En termes d'échange, nous avons par exemple une coproduction africaine et européenne qui est aujourd'hui sur une plateforme. Et je veux parler de Bienvenue au Gondwana, tourné en Côte d'Ivoire et en France avec des acteurs français, des acteurs ivoiriens et des producteurs français, je parle des frères Altmayer. Donc, vous voyez, il y a une collaboration qui est possible et le SICA veut être la plateforme qui ouvre cette collaboration, qui tient compte du narratif africain.
Amadou Coulibaly, vous voulez aussi que la Côte d'Ivoire devienne un lieu de tournage incontournable. Mais vous savez bien que, quand un producteur cherche un pays pour tourner, la première question qu'il se pose, c'est combien ça coûte ? Alors s'il vient chez vous, est-ce qu'il va devoir payer des droits de douane et des taxes ?
Déjà, ce qu'il faut savoir, c'est qu'avec la politique mise en place par le président de la République, l'investissement en Côte d'Ivoire est très incitatif. Il y a des dispositions qui ont été prises pour rendre attractif le pays. Mais je suis d'accord avec vous que le secteur de l'audiovisuel reste un secteur particulier et nous sommes en train de travailler de façon à mettre en place un dispositif qui soit adapté à ce secteur-là, de sorte à pouvoir exonérer tous ceux qui sont intéressés à venir tourner en Côte d'Ivoire. Donc, exonérés de certains frais. Nous y travaillons et très bientôt, nous ferons une proposition au gouvernement pour que notre pays soit encore plus attractif du point de vue du cinéma et de l'audiovisuel.
Tout à fait autre chose, monsieur le ministre. Le 21 septembre, 15 partis politiques de l'opposition, dont le PDCI de Tidjane Thiam, ont écrit au gouvernement pour lui demander d'ouvrir un dialogue inclusif afin de « corriger les défaillances du système électoral ». Qu'est-ce que vous répondez ?
Je voudrais rappeler que nous avons eu une dernière phase du dialogue politique qui a été ouvert de décembre 2021 à mars 2022. Au cours de cette phase, l'un des premiers points qui a rencontré l’adhésion de toutes les parties, ça a été de dire que, aujourd'hui dans notre pays, les institutions sont toutes installées et fonctionnent normalement. Il a été convenu que toutes les questions relevant du fonctionnement de certaines institutions leur soient adressées. Nous sommes aujourd'hui un État véritablement démocratique, nous sommes un État de droit. Je peux comprendre que, à une certaine époque, on s'en référait au tout-puissant président de la République, mais aujourd'hui les institutions fonctionnent. Donc, moi, j'inviterai l'opposition, pour certaines de leurs préoccupations, à s'adresser aux institutions qui en ont la charge, et, relativement à cette question, je pense que l'opposition peut s'adresser à la Commission électorale indépendante.
L'opposition affirme que dans sa composition, la CEI, la Commission électorale indépendante, n'est ni équilibrée ni impartiale. Est-ce que vous seriez prêt à envisager une réforme de cette CEI ?
Je rappelle, en citant ce dernier dialogue politique, que c'est à l'issue de celui-ci que le PPA-CI [de Laurent Gbagbo] a intégré la Commission électorale indépendante. C'est donc dire que tout peut se régler au niveau de la Commission électorale indépendante. Mais je pense qu'il n'est pas juste de prétendre que cette Commission n'est pas équilibrée. Au contraire, l'opposition y est majoritaire, puisqu'ils ont cinq représentants et la société civile en a six, dont deux du barreau et un de la magistrature. Évidemment, elle a beau jeu de dire que le représentant du chef de l'État ou du ministère de l'Intérieur sont proches du pouvoir, mais je rappelle que, lorsque Laurent Gbagbo était au pouvoir, il avait un représentant aussi bien de la présidence et un représentant du ministère de l'Intérieur. Ce sont des dispositions qui existaient bien avant que le RHDP n'arrive au pouvoir.
Vendredi dernier, sur RFI et France 24, vous avez pu entendre l'opposant Charles Blé Goudé qui lançait un appel au président Ouattara pour qu'il fasse passer une loi sur l'amnistie afin que lui-même puisse être candidat l’an prochain. Pensez-vous que cela est envisageable ?
Une fois de plus, je le répète, nous sommes un État de droit où toutes les institutions sont installées ou fonctionnent. Je suis toujours surpris qu'aujourd'hui, on veuille toujours en revenir au chef de l'État, alors qu'il y a des institutions qui fonctionnent. L'Assemblée nationale est le lieu où on peut faire également des propositions de loi. Il me semble que l'opposition est très bien représentée à l'Assemblée nationale. Elle pourra bien sûr introduire une proposition de loi à ce niveau, parce que les lois que le chef de l'État peut prendre sont encadrées aujourd'hui.
Et est-ce que le RHDP au pouvoir serait prêt à voter une telle proposition de loi ?
Mais il faut que déjà elle arrive sur la table de l'Assemblée.
Et après ?
Et après, le jeu démocratique va s'imposer et puis il appartiendra aux députés, qui sont les députés de la nation, une fois qu'ils ont voté, de juger de l'opportunité d'adopter cette loi ou pas.
Mon, 04 Nov 2024 - 1098 - Mali: «À Kidal, il y a 11 ans, il y a eu des complicités extérieures dans le rapt de Ghislaine Dupont et Claude Verlon»
Onze ans après l'assassinat, à Kidal au nord du Mali, des deux reporters de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les investigations continuent pour connaître toute la vérité sur les circonstances de leur enlèvement, puis de leur mort, 30 minutes plus tard – c’était le 2 novembre 2013. En effet, l'enquête est en train d'avancer sur le réseau des complices qui ont aidé le commando jihadiste à capturer nos deux confrères. Au barreau de Paris, Maître Marie Dosé est l'avocate de l'Association des amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Onze ans, jour pour jour, après leur mort, elle fait le point au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Maître Dosé, bonjour. Onze ans après, qui sont les suspects toujours en vie ?
Maître Dosé : Assurément le suspect toujours en vie, c’est Seidane Ag Hita. Tous les membres du commando auraient été tués, peut-être un serait encore en vie, mais un témoin très important, Monsieur Dubois, a été entendu et nous ne sommes plus sûrs du tout qu'il resterait en vie.
Le principal suspect toujours en vie, c'est donc Seidane Ag Hita, qui est l'un des lieutenants d’Iyad Ag Ghali, à la tête d'Aqmi. En avril 2023, il a donc échangé avec Olivier Dubois, le dernier otage français qui est passé entre ses mains. Que lui a-t-il dit sur le drame de Kidal ?
C'est très intéressant parce que, deux ans avant cette discussion entre Seidane Ag Hita et l’otage, Mbaye Ag Bakabo a rencontré l'otage également. Donc quelques jours avant sa mort, quelques jours avant d'être tué par une frappe française [en juin 2021 ; NDLR]. Et nous savons très bien quel rôle Mbaye Ag Bakabo a joué dans cette affaire. C'était le chef du commando. En avril 2023, Ag Hita a été très clair. Ce qu'il a dit, c'est qu'il a donné l'ordre d'enlever les journalistes. Il n'a pas donné l'ordre de tuer les journalistes. Le véhicule est tombé en panne et le commando a fait le choix de les tuer parce que les journalistes auraient refusé de les accompagner dans leur fuite. C'est en tout cas ce qu'explique Ag Hita au témoin Olivier Dubois.
Donc Ag Hita confirme la panne. Il confirme que ce sont les jihadistes qui ont tué Claude et Ghislaine. Est-ce qu'on sait si, à ce moment-là, les jihadistes étaient survolés par un hélicoptère français ?
Écoutez, les derniers éléments actés en procédure démontreraient qu'il n'y a pas eu d’hélicoptère. En tout cas, la présence de l'hélicoptère n'a non seulement pas été confirmée, mais force est de constater qu'aucun élément aujourd'hui ne vient étayer cette hypothèse.
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Outre les suspects identifiés par le juge d'instruction français qui conduit cette enquête à Paris, y a-t-il d'autres suspects, qu'on ne connaît pas encore, mais qui pourraient avoir contribué à l'enlèvement de Claude et Ghislaine ?
Oui. Alors sur d'éventuelles complicités encore inconnues à ce jour, force est de constater que les investigations téléphoniques qui ont été menées par les enquêteurs, l'exploitation des données téléphoniques, tout cela tend à confirmer l'existence de ces complicités. Pourquoi ? Parce qu'on s'est rendu compte qu'en fait, Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient attendus [à Kidal], qu'ils ont été surveillés, qu'ils ont été même suivis pendant ces cinq jours [où ils ont circulé dans Kidal] avant leur enlèvement et qu'il y a donc eu des complicités extérieures pour mener à bien cet enlèvement.
À l'époque des faits, les Touaregs indépendantistes du MNLA de Bilal Ag Chérif était officiellement alliés aux militaires français contre les Touaregs jihadistes d'Aqmi et d’Iyad Ag Ghali. Mais est-ce qu'il n'y avait pas en fait des complicités à caractère criminel entre membres du MNLA et membres d'Aqmi ?
C'est en tout cas le dernier élément qu'il va falloir creuser, exploiter et travailler. Il semble aujourd'hui qu'il y ait eu effectivement des complicités au sein même du MNLA, et c'est ce pan du dossier qui mérite d'être exploité désormais.
Et qui explique notamment pourquoi le dossier n'est toujours pas clôturé par le juge ?
Évidemment, le dossier n'est pas clôturé, ne doit pas être clôturé. On sait très bien qu'il y a une vraie difficulté. Aujourd'hui, il n'y a plus du tout de coopération entre le Mali et la France. Je parle aussi de l'Algérie parce que là, il n'y a jamais eu de coopération entre l'Algérie et la France depuis des décennies. Et force est de constater que, dans ce dossier, notamment eu égard aux exploitations téléphoniques, il y aurait des investigations à réaliser en Algérie. Surtout, vu l’absence de coopération avec le Mali, maintenant, ce dossier doit avancer sur ces éventuelles complicités du MNLA.
Côté français, les deux juges qui se sont succédé depuis onze ans ont fait plusieurs demandes de levée du secret défense sur des documents confidentiels, mais la moitié seulement des pièces demandées a été déclassifiée. Est-ce qu'il y a encore des éléments de réponse qui dorment dans les archives de l'État français ?
Comme toujours. Évidemment, oui. Et comme toujours dans ces affaires, le secret défense est un frein à la manifestation de la vérité. On se trouve quand même dans un dossier où deux personnes très impliquées, notamment le chef du commando, ont été tuées par des frappes françaises et où le secret défense est opposé régulièrement pour freiner la manifestation de la vérité. Pas pour freiner la manifestation de la vérité, mais en tout état de cause, cette conséquence, c'est quand même celle-là. Maintenant, le dossier avance, le dossier va avancer et à chaque avancée de ce dossier, nous demanderons à nouveau des déclassifications, parce qu’un élément mis en exergue par les deux juges d'instruction amène nécessairement de nouvelles demandes de déclassification sur cet élément en particulier, on y est habitué dans ce type d'affaires. C'est la même chose dans l'affaire Karachi, c'est la même chose dans l'affaire Ben Barka. Le secret défense, ce n'est pas l'allié de la manifestation de la vérité. Donc, dans ce dossier-là, à chaque élément nouveau mis en exergue par l'information judiciaire correspondra une nouvelle demande de déclassification.
Sat, 02 Nov 2024 - 1097 - Charles Blé Goudé: «Mon ambition de diriger la Côte d’Ivoire un jour n’est plus un secret»
« Aujourd'hui, je suis un homme mature », déclare l'Ivoirien Charles Blé Goudé, qui a été le ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo. Il y a deux ans, après son acquittement par la Cour pénale internationale, ce leader de l'opposition est rentré en Côte d’Ivoire et a fondé un nouveau mouvement, le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep). Mais pour lui, le chemin jusqu'à la présidentielle d'octobre 2025 est encore semé d’embûches. De passage à Paris, l’ancien « général de la rue » de Côte d’Ivoire répond aux questions de Christophe Boisbouvier et lance un appel au président Alassane Ouattara.
RFI : Vous dites souvent que la présidentielle de l'année prochaine ne se fera pas sans votre parti. Est-ce que vous serez candidat ?
Charles Blé Goudé : Mon ambition pour diriger la Côte d'Ivoire un jour n'est plus un secret. Tout le monde le sait en Côte d'Ivoire et je travaille à cela. J'ai un projet pour les Ivoiriens et mon parti a décidé lors de son congrès que les élections ne se passeront pas sans ce projet. Maintenant, il faut aller à une convention, laquelle convention va désigner celui qui va porter les couleurs du projet. Je souhaite que ce soit moi et je suis prêt pour ça.
Alors, vous êtes rentré en Côte d'Ivoire il y a déjà deux ans, mais vous restez inéligible car vous êtes toujours sous le coup d'une condamnation par la justice ivoirienne. Est-ce que cela ne vous barre pas pour votre avenir politique immédiat ?
Ce n'est pas moi qui ai dicté la règle du droit pénal qui stipule qu'on ne peut pas poursuivre, ni punir, ni condamner quelqu'un qui a été déjà jugé pour les mêmes faits. N'est-il pas vrai que le gouvernement de mon pays m'a amené devant la Cour pénale internationale pour que ma responsabilité soit située dans la crise post-électorale qui a endeuillé mon pays ? J'ai été acquitté pour ces faits et on ne peut donc pas me condamner pour ces mêmes faits, pour m'empêcher de participer à la vie politique dans mon pays. Je dénonce cela, non seulement parce que je trouve que c'est une manipulation politicienne, mais en même temps, je lance un appel au président de la République, Alassane Ouattara, pour qu'il puisse faire en sorte d'apaiser la situation, pour qu'on puisse tourner cette page douloureuse et prendre une loi d'amnistie pour ouvrir le jeu démocratique. Faire en sorte que ceux qui pensent qu'ils sont prêts pour être dans la compétition, pour diriger leur pays, dont moi-même, on puisse nous permettre d'être candidat.
Alors, si vous n'êtes pas amnistié, si vous restez inéligible, qu'est-ce que vous allez faire ? Vous allez mobiliser la rue comme vous le faisiez à l'époque où vous étiez « le général de la jeunesse » sous la présidence de Laurent Gbagbo ?
C'est une époque qui est derrière moi. Mon pays a trop souffert pour que, pour une candidature, je puisse encore l'enflammer. Dix jours avant les élections au Sénégal, Ousmane Sonko était un prisonnier, Diomaye Faye était un prisonnier. Dix jours après, l'un se retrouve au palais présidentiel, l'autre à la primature. Tout est dynamique en politique. J'ai l'espoir que tout cela va changer et que tout cela sera derrière nous. Je ne suis pas pressé, mais je suis déterminé.
Est-ce que le fougueux général de la jeunesse des années 2000 a changé ? Vous vous êtes assagi ?
Aujourd'hui, je prône le pardon. Je vais vers ceux avec qui je m'étais brouillé, parce que je pense que, dans le respect de nos différences, on peut diriger ce pays. Il faut apaiser la situation en Côte d'Ivoire et il faut rassurer les Ivoiriens. Oui, le général de la rue est aujourd'hui un homme mature qui veut diriger la Côte d'Ivoire, qui veut plutôt qu'on le juge sur le projet politique qu’il porte pour le peuple de Côte d'Ivoire et non seulement sur son passé trop jeune.
Vous êtes devenu un « homme mature », comme vous dites, est-ce que ce discours de modération, c'est aussi peut-être parce que vous ne voulez pas braquer les autorités ivoiriennes au moment où vous espérez un geste politique de leur part pour que vous puissiez vous présenter ?
Non, pas du tout. Je ne suis pas dans une stratégie pour amadouer les autorités de mon pays. Non, je veux plutôt rassurer le peuple de Côte d'Ivoire, qui est le seul juge.
Oui, mais si vous voulez être amnistié, il vaut mieux ne pas braquer le pouvoir…
Mais ce n'est pas cela qui guide ma démarche parce que je pense au peuple de Côte d'Ivoire et tous les acteurs devraient faire comme moi.
Longtemps, vous avez été le compagnon politique du président Gbagbo, puis le compagnon de détention du prisonnier Gbagbo. Mais aujourd'hui, vous semblez brouillés. Laurent Gbagbo vous a même égratigné il y a quelques mois en disant que, pendant vos années de prison à La Haye, vous n'aviez pas à ses côtés l'importance que vous prétendiez avoir. C'est blessant ça quand même, non ?
Oui, mais ce n'est pas bien grave. Je suis africain. Un père de famille peut gifler même son fils en plein visage et même au milieu du village. Ça, c'est le droit du papa. Mais moi je vais vous dire, j'ai une histoire avec ma génération et je ne compte pas du tout être compté parmi des dauphins. Je veux construire ma propre histoire comme le fleuve fait son propre lit.
Du côté du RHDP, qui voyez-vous comme candidat ?
Ils ont dit qu'ils souhaitent que leur candidat soit le président actuel, le président Alassane Ouattara. Il n'a pas encore dit oui. Il n'a pas encore dit non.
C’est quoi votre pressentiment ? Qu'il le sera ou qu'il ne le sera pas ?
[Rire] Je ne sais pas. Je ne crois même pas si ses partisans le savent.
Selon vous, avez-vous plus de chances d'être amnistié si Alassane Ouattara est candidat ou s'il ne l'est pas ?
La situation que je vis ne doit pas être conditionnée par une candidature du président Ouattara ou pas. C'est une question de droit. J'ai été jugé, acquitté pour des faits relatifs à la crise post-électorale dans mon pays. Il n'est pas normal qu'on puisse m'empêcher de participer à la présidentielle parce qu’on risque de priver la Côte d'Ivoire de quelqu'un qui a des idées aussi. Qu'est-ce que les autres ont de plus que moi ou qu'est-ce que j'ai fait de plus que les autres ?
Ou de pire ?
Ou de pire que les autres ? Moi j'ai soutenu un candidat, ça m'a valu tout ce que vous savez jusqu'à la Cour pénale internationale. J'ai été acquitté. Laurent Gbagbo est gracié, son ex épouse est amnistiée, son général, qui était le commandant de la garde républicaine, est gracié. Moi pas. C'est une injustice que je vis.
Fri, 01 Nov 2024 - 1096 - René Émile Kaboré: «Il y a eu un complot international pour faire partir le président Compaoré»
Il y a dix ans, jour pour jour, Blaise Compaoré s'enfuyait de son pays, le Burkina Faso, après 27 ans de pouvoir sans partage. Aujourd'hui, il vit en exil en Côte d'Ivoire, et ne s'exprime quasiment jamais. Que répond-il à ceux qui l'accusent d'avoir été un dictateur sanguinaire ? Pour sa défense, son ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, René Émile Kaboré, a publié Et si enfin on se disait la vérité, aux éditions Jets d'encre. Comme il vit, lui aussi, à Abidjan, et qu'il voit régulièrement l'ancien président, sans doute dit-il tout haut ce que Blaise Compaoré dit en privé. René Émile Kaboré est l’invité de Christophe Boisbouvier.
RFI : Vous êtes nostalgique du régime de Blaise Compaoré, mais est-ce que ce n'était pas une dictature ?
René Émile Kaboré :Je ne le pense pas… La preuve, on peut prendre ce que j'ai appelé « le printemps de la presse ». Tout ce que nous voyons qui fleurit aujourd'hui au niveau de la presse date de l'époque de l'ère de Blaise Compaoré.
Mais il y a eu beaucoup d'assassinats sous le régime de Blaise Compaoré : en 1987 celui de Thomas Sankara, en 1989 ceux de Jean-Baptiste Lingani et de Henri Zongo, en 1991 celui de l'universitaire Clément Ouédraogo… En 1998, vous parlez de la presse, le journaliste Norbert Zongo. Est-ce que Blaise Compaoré n'a pas beaucoup de morts sur la conscience ?
Je commence par la mort du journaliste Norbert Zongo, la commission d'enquête conduite par Monsieur Robert Ménard [pour RSF], je pense, n'a jamais cité le nom du président Compaoré. Alors je crois que la révolution elle-même est porteuse de violence. C'est cette révolution-là qui a instauré la violence politique dans notre pays. On passe sous silence tout ce qui s'est fait sous cette étape-là, parce que, bien sûr, on veut sanctifier quelqu'un, mais il y a quelqu'un qui a porté des responsabilités.
Vous parlez de Thomas Sankara ?
Bien sûr. C'est lui qui était le chef de la révolution et toutes les violences sont nées de cette époque. Alors, je n'exclus pas la possibilité que cette violence ait engendré des miasmes qui se sont poursuivis même après le départ de Thomas Sankara. Donc il y a eu des traînées jusqu'à l'adoption de la Constitution en 1991. Et je pense qu'à partir de 1991, nous sommes rentrés progressivement en démocratie.
Quel est à vos yeux le principal point positif qui restera de la période Blaise Compaoré ?
Sur le plan sécuritaire, je note que, pendant les 27 ans où le président Compaoré est passé, notre pays n'a jamais été attaqué. Les terroristes, ils étaient contenus, c'est-à-dire qu'on avait un service de renseignements puissant.
La paix relative qui existait du temps de Blaise Compaoré, n'était-ce pas le fruit d'une connivence entre lui et les groupes terroristes ? « Je vous tolère et en échange vous n'attaquez pas le territoire du Burkina » ?
Je pense que la force du renseignement, ce n'était pas un compromis avec les terroristes. De surcroît, je pense que, quand on est chef d'État, on prête serment de protéger notre pays dans son intégralité territoriale. Mais nulle part dans la Constitution ni dans le serment, on ne demande au président de dire comment il va faire. Donc je ne vois pas pour quelle raison le président burkinabé n'aurait pas le droit de passer des accords. Il a la responsabilité du Burkina.
Blaise Compaoré était très proche du colonel Kadhafi. Est-ce que la chute du chef d'État libyen en 2011 est l'une des causes de celle du président burkinabé en 2014 ?
Je ne saurais le dire. Ce que je sais, c'est qu'il y a eu un grand complot international pour faire partir le président Compaoré. Le président Compaoré avait fini par déranger des intérêts étrangers. Il y a Monsieur Bourgi qui disait que le président Sarkozy a donné l'ordre de « vitrifier » le président Gbagbo. Le président Hollande, François Hollande n'a pas fait autre chose vis-à-vis du président Compaoré. Quand il lui fait même une lettre pour lui proposer d'être le secrétaire général de la Francophonie, ça veut dire au minimum qu'il n'était pas d'accord avec son maintien.
Mais n'était-ce pas une provocation politique de la part de Blaise Compaoré de vouloir modifier la Constitution afin de pouvoir se présenter à un cinquième mandat ?
Mais ceux qui ont fait lever le verrou de la limitation, ce sont les mêmes : les Simon Compaoré, les Salif Diallo et les Roch Marc Christian Kaboré. Voilà.
Dans votre livre « Et si enfin on se disait la vérité ? », vous êtes sévère avec le régime de Roch Marc Christian Kaboré, qui a tenu un peu plus de six ans, de 2015 à 2022. Mais est-ce que la situation sécuritaire d'aujourd'hui n'est pas encore pire que celle du temps de Roch Marc Christian Kaboré ?
Oui, mais quand vous tombez dans un trou, vous y allez jusqu'au fond et c'est après qu'on essaie de ressortir. Je ne sais pas si on a déjà touché le fond ou si c'est un fond qui va continuer. Je ne connais pas les réalités du terrain, donc je ne peux pas m'avancer. Mais sinon, depuis 2014, le Burkina a commencé sa chute dans un trou.
Vous qui habitez à Abidjan depuis dix ans comme Blaise Compaoré, comment va-t-il ?
Je trouve que le président va bien.
La dernière fois que vous l'avez vu, c'était quand ?
Hier.
Et alors ? Comment ça s'est passé ?
Ça va. Il aura 74 ans bientôt. Je pense qu'il a la santé de son âge.
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Thu, 31 Oct 2024 - 1095 - «Combat du siècle»: «Tous les Ivoiriens étaient fiers» de la victoire de Mohamed Ali
Quel retentissement a eu le combat Ali-Foreman sur le continent africain ? En Côte d'Ivoire, ce « Rumble in the jungle » de Kinshasa a été retransmis en direct sur la télévision nationale, la RTI – un cas unique en Afrique et un « cadeau du président Houphouët-Boigny » selon la presse officielle. Cinquante ans après, George Benson, l'un des animateurs vedettes de l'époque, revient avec nostalgie sur les coulisses de cet évènement marquant pour tous les Ivoiriens... Et de leur nette préférence pour l'un des combattants.
RFI : Les Ivoiriens avaient-ils une préférence pour ce combat entre Mohamed Ali et George Foreman ?
Georges Taï Benson : Pour Mohamed Ali ! Cassius Clay ! D'abord parce qu’il a été champion olympique. Ensuite, il a rejeté le nom des esclaves. Alors ça, les Africains, ils bouillonnent pour ça ! Ensuite, il dit qu’il ne va pas au Vietnam, on lui enlève son titre, il est un martyr et il revient, il renaît. Ah non… C'est Mohamed Ali et personne d'autre !
Et ce combat à Kinshasa, est-ce qu'il était très attendu à Abidjan ?
S'il y avait un mot plus grand que ça, j'allais l'utiliser, il y avait un ouragan d'attente. D'abord, nous avons une tradition de boxe ici, parce que le président de la République, le président Félix Houphouët-Boigny, aimait la boxe. Il adorait la boxe. Je présentais une émission d'anthologie de boxe le samedi après-midi, « Les Grands Combats d'Autrefois ». Et il [le président] suivait avec attention. Il m'appelait parfois pour me demander s'il y avait un KO dans le combat du jour. [Quand il n'y avait pas de KO], je devais changer le programme. Donc nous avions cette habitude-là de boxe.
Donc il y avait des attentes et du public ivoirien jusqu'à la présidence de la République, jusqu'à Félix Houphouët Boigny. La RTI, dans ce contexte, achète des droits de retransmission du combat en direct. Le combat sera diffusé à 3h du matin, heure d'Abidjan [ce qui correspond à l'heure de diffusion aux États-Unis]. Comment vous avez fait tenir les Ivoiriens devant leur télé ?
On avait loué le boxing club [de Treichville], le Palais des Sports où j'ai fait un programme de boxe et de variétés, un combat, des chanteurs, etc. Et ça a maintenu les gens en éveil et c'est au moment où ce combat allait passer, qu’on se rend compte que nous n'aurions que le son international [l’ambiance du stade de Kinshasa, NDLR], on n'avait pas le son avec le commentaire français.
Qu'est-ce que vous ressentez à ce moment-là ?
Il y avait une pression. Tu as le président, tu as trois ou cinq millions d'Ivoiriens qui n'ont pas dormi, qui ont attendu, puis tu vas venir leur dire : « On n'a pas les images, on n'a pas le son »... mais tu es fusillé par tout le monde le lendemain !
On raconte que pour assurer le commentaire en direct, vous décidez de foncer de Treichville jusqu'au siège de la RTI ?
Mais j'arrive, je me dis je vais mettre du temps. Que nenni ! Personne dans les rues. Tout le monde est devant son écran de télévision ou alors au Palais des Sports. Alors je suis à l'aise. Je passe des feux rouges. Je me rappelle mon entrée à la télévision cette nuit-là. En vitesse ! On me met le casque aussitôt et puis j’affabule : « Mesdames et messieurs, bonjour, nous sommes arrivés en retard, malheureusement au stade de Kinshasa… ». Personne ne s'en rend compte. Je suis fier de dire que cette nuit-là, nous avons évité une catastrophe et nous avons fait plaisir au président Houphouët. Mais surtout, nous avons fait plaisir à cinq millions d'Ivoiriens.
Et justement, comment ils réagissent au moment du chaos de George Foreman et de la victoire de Mohamed Ali ?
Quand il est tombé, moi j'ai enlevé mon casque. Ah oui ! J'ai jeté le casque ! Et j'entendais le bruit de dehors : « Oh ! Ali ! Ali ! Ali !». On a rapidement pris une caméra... en tant que journaliste, en tant que reporter, tu es excité par ça ! Autant je suis revenu du Palais des Sports où il n'y avait personne... autant le match terminé, c'est l'équipe nationale de Côte d'Ivoire qui venait de gagner la Coupe d'Afrique [rire] : « Ali ! Ali ! Ali ! Ali ! »… On avait emprunté aux Congolais « Boma ye, Ali ! Tue-le ! ». On avait emprunté ça ! Dans les rues, les gens, ils se sont éparpillés. Ils étaient contents et tout. Il y avait du monde, tout le monde… Ah… C’était fantastique.
Quel a été le sentiment aussi des Ivoiriens après ce combat entre Mohamed Ali et George Foreman ?
J'ai senti de la fierté. Tout le continent était fier de voir deux grands champions quand même venir sur le sol africain. Et puis susciter tant d'émotions, de respect, etc. Mais surtout, un champion exceptionnel, Mohamed Ali.
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Wed, 30 Oct 2024 - 1094 - Bombardement de Bouaké: «Il faudrait que toutes les personnes qui ont menti pendant des années assument»
Vingt ans après le bombardement du camp militaire français de Bouaké, en Côte d’Ivoire, qui a coûté la vie à neuf soldats français et à un agronome américain, un nouveau livre-enquête, intitulé Bouaké, hautes trahisons d'État : Contre-enquête sur le meurtre de soldats français en Côte d'Ivoire, braque le projecteur sur la fuite des deux pilotes biélorusses par le Togo. Quel est le ministre ou le conseiller de Jacques Chirac qui a pris la décision de les laisser filer ? Pourquoi a-t-il refusé de livrer les pilotes à la justice ? L’auteur de cette enquête, Emmanuel Leclère, grand reporter à France Inter, a réussi à avoir accès à toutes les pièces du dossier judiciaire. Il est l’invité de Christophe Boisbouvier.
RFI : 20 ans après le bombardement de Bouaké, on ne sait toujours pas pourquoi la France a laissé filer les deux pilotes biélorusses qui opéraient au-dessus de Bouaké ce jour-là et qui avaient été interceptés au Togo quelques jours plus tard... Alors d'abord, qui à Paris a pris la décision ?
Emmanuel Leclère : Alors moi, personnellement, je ne sais pas s'il y a eu une autorité en tant que telle qui a pris cette décision. Est-ce que ça s'est joué du côté du ministère de la Défense, du côté de Michèle Alliot-Marie ? Est-ce que ça s'est pris du côté du Quai d'Orsay, du côté de monsieur Michel Barnier, qui n'était autre que le ministre des Affaires étrangères en novembre 2004, puisque ça s'est passé au sein d'une ambassade dont il avait la tutelle ? Ou est-ce que ça s'est passé du côté de l’Elysée ? C'est un mystère.
La thèse qui est privilégiée par la justice française, c'est que la décision de laisser filer les deux pilotes a été prise par trois ministres de l'époque : Michèle Alliot-Marie à la Défense, Michel Barnier aux Affaires étrangères et Dominique De Villepin à l'Intérieur, et cela après concertation entre les trois…
Oui, alors ça, c’étaient les soupçons de la juge d'instruction, la dernière juge d'instruction dans cette affaire, la juge Sabine Khéris, puisqu'elle constatait que des notes étaient remontées depuis le Togo pour avertir Paris qu'il y avait des suspects arrêtés au ministère de l'Intérieur togolais. Et là, effectivement, officiellement, il n'y a pas eu de réponse, aucun ordre écrit venant ni du ministère de la Défense, ni des Affaires Etrangères et ni de l'Intérieur. Du coup, la juge, qu'est-ce qu'elle s'est dit ? Qu'effectivement, a priori, ça ressemblait à une concertation entre ministres pour laisser filer les assassins des soldats.
Mais vous, Emmanuel Leclère, vous semblez privilégier la thèse d'une décision prise à l'Elysée. Le chef de la cellule Afrique de l'Elysée, c'était le diplomate Michel de Bonnecorse. Devant la justice, il a déclaré qu'il n'avait jamais été mis au courant à l'époque. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Alors, Michel de Bonnecorse est venu effectivement au procès il y a trois ans, devant les Assises de Paris en avril 2021, et a maintenu le fait que lui-même n'avait jamais été mis au courant pour ces suspects arrêtés au Togo.
Du côté du Quai d'Orsay, Nathalie Delapalme, qui était à l'époque la conseillère Afrique du ministre Michel Barnier, a affirmé devant un juge que c'était Michel de Bonnecorse qui « avait la main »…
C'est ce que je vous dis. Il aurait fallu à ce moment-là qu'effectivement la juge d'instruction confronte éventuellement ces deux personnages. On avait la spécialiste Afrique du Quai d'Orsay et on avait le spécialiste Afrique de l'Elysée. Et les deux se renvoient la balle sur ce sujet. C'est quand même extrêmement dérangeant.
Donc Bonnecorse dit que c'est Delapalme et Delapalme dit que c’est Bonnecorse. À votre avis, lequel des deux est le plus proche de la vérité ?
Ce que je raconte dans mon livre, c'est que, dans des pays comme la Côte d'Ivoire ou le Togo, les ambassadeurs en général appelaient qui au téléphone ? Moi j'ai le témoignage de Monsieur Le Lidec, en Côte d'Ivoire, qui dit qu'il en référait à qui ? A monsieur de Bonnecorse. Ce que j'ai vu sur le procès-verbal, c'est que Monsieur de Bonnecorse, quand il est auditionné, dit qu'il ne se souvient même plus du nom de l'ambassadeur de France au Togo, Monsieur Hauleville, alors que, en 2005, il va gérer la mort de Monsieur Eyadéma, il va au Togo. Voilà, c'est ce genre d'indices qui me font penser que Monsieur de Bonnecorse a la mémoire bien fragile.
Le grand fil conducteur dans cette affaire, dites-vous, c'est que personne n'est responsable à Paris. Mais qu'est-ce qui fait que Jacques Chirac et son entourage et ses ministres se disent « Allez, on les laisse rentrer chez eux, tant pis pour la justice » ?
La bataille d'Abidjan, entre le 6 et le 9 novembre 2004, c’est très important. Les Français ont tué des civils. Au bout de quelques jours, ils se rendent compte du bilan et, malgré tout, ils doivent continuer à avoir des relations avec la Côte d'Ivoire. Laurent Gbagbo n'a pas été débarqué.
Donc vous privilégiez la thèse que Paris voulait se réconcilier avec Laurent Gbagbo ?
Bien sûr. Alors là, pour le coup, le général Jean-Louis Georgelin, à l’époque chef d’état-major particulier de Jacques Chirac, au procès l’a très clairement dit en parlant même de « realpolitik ».
Dans votre livre, on découvre que, dès le jour de l'arrestation des deux pilotes au Togo, le chef du dispositif français Licorne en Côte d'Ivoire, le général Poncet, est mis au courant. Alors, 20 ans après la mort de ses neuf compagnons d'armes, est-ce qu'il ne pourrait pas avoir envie de parler, lui ?
Alors il parle beaucoup, le général Poncet. Il a beaucoup évolué, surtout que cela mériterait qu'effectivement, une commission d'enquête parlementaire le réentende. Ça sera peut-être à une commission d'enquête parlementaire, un jour, de savoir qui aurait dû faire quoi, qui a menti. Il me semble déjà que ce qu'il faudrait, c'est que toutes les personnes qui ont menti pendant des années devant des juges d'instruction, à commencer par madame Alliot-Marie alors qu'elle était ministre de la Justice, assument.
Tue, 29 Oct 2024 - 1093 - «Le Maroc peut dessiner un nouveau partenariat stratégique avec la France», analyse Mohammed Benhammou
Et si la visite au Maroc du président français Emmanuel Macron, lundi 28 octobre, permettait à Paris et à Rabat de bâtir un nouveau partenariat stratégique, notamment sur la question du Sahel ? C’est le souhait de Mohammed Benhammou, enseignant à l’Université Mohammed V de Rabat et président du Centre marocain des études stratégiques. Le 30 juillet, Emmanuel Macron a écrit à Mohammed VI qu’aux yeux de la France, « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivaient dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Cette lettre a-t-elle été un déclic ? En ligne de Rabat, Mohammed Benhammou répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Cette visite intervient trois mois après la lettre du président français reconnaissant la marocanité du Sahara, est-ce à dire que c'est cette lettre du 30 juillet qui a rendu possible cette visite de ce lundi ?
Mohammed Benhammou : Bon, je pense que cette lettre a enterré une phase de crise sourde entre les deux pays. On le sait tous, il y a eu trois années durant lesquelles donc les conditions n'étaient pas du tout favorables. Mais, je pense qu'effectivement donc, c'est un acte qui a permis de passer à une phase nouvelle des relations entre les deux pays.
Alors longtemps, Emmanuel Macron a hésité à écrire cette lettre pour ne pas froisser l'Algérie, cette politique d'équilibre de la France entre le Maroc et l'Algérie, est-ce que vous la comprenez ou est-ce que vous pensez qu'elle est illusoire ?
Je pense qu'elle n'avait pas lieu d'être à mon sens. La relation entre le Maroc et la France est une relation historique, et la France quelque part est détentrice d'une mémoire de cette région. Donc elle connaît très bien la réalité de ce conflit régional imposé au Maroc par l'Algérie. Il est clair que la politique de chantage et de prise d'otages, que cherchait à imposer l'Algérie à la France sur cette question, n'a pas eu les résultats escomptés et voilà !
Mais est-ce qu'il n'y a pas eu aussi une politique de chantage de la part du Maroc à l'égard de la France sur cette affaire du Sahara ces dernières années ?
Pas du tout. Je pense que c'est juste un appel à la clarification des positions. Le Maroc ne souhaite plus et ne veut plus d'ailleurs que, dans ses relations avec ses partenaires, il y ait des zones grises et des positions grises. On ne peut construire des relations pérennes, stables, fortes et avec des partenaires stratégiques, que si les intérêts des deux parties sont préservés.
Alors, avant la France, trois autres pays ont reconnu récemment la marocanité du Sahara. Ce sont l'Allemagne, l'Espagne et surtout les États-Unis. C'était en décembre 2020. En échange, votre pays a établi des relations diplomatiques avec Israël dans le cadre des accords d'Abraham. Mais aujourd'hui qu’Israël frappe très durement ses voisins, notamment Gaza et le Liban, est ce que le Maroc, dans sa politique pro israélienne, n'est pas en train de s’isoler sur la scène internationale et notamment dans le monde arabe ?
S'agissant de la politique israélienne, que ce soit donc à Gaza ou sur la question palestinienne en général ou au Liban, je pense que le Maroc a eu une position très claire et très ferme. C'est une position de rejet de cette machine militaire qui écrasé la région. Et le Maroc a une position très claire, qui est celle de la nécessité de la reconnaissance par Israël d'un État palestinien indépendant et souverain. Avec Jérusalem-Est comme capitale. Donc, je ne pense pas qu'on peut trouver une quelconque ambiguïté dans la position du Maroc dans ce sens. Donc, le Maroc ne s'isole pas et je regrette cette impuissance internationale, pour stopper ce qui se passe. Néanmoins, on est dans une perspective sur le long terme. On raisonne en termes d'actions d'hommes d'État et non en termes d'actions d'hommes politiques.
On connaît les très mauvaises relations actuellement entre la France et les 3 pays de l'Alliance des États du Sahel. Vu les bonnes relations du Maroc avec ces 3 pays, est-ce que les deux chefs d'État, le roi Mohamed VI et Emmanuel Macron, vont en parler pendant cette visite à Rabat ?
Je ne connais pas le contenu de ces discussions, mais je pense que c'est un dossier qui aujourd'hui concerne les deux pays et le Maroc a beaucoup à apporter à la France et à d'autres partenaires sur cette question. Je pense que la France aujourd'hui, dans un contexte géopolitique régional très bouleversé, la France a besoin de compter sur un partenaire stratégique, fiable et stable. Le Maroc aujourd’hui, je pense, peut rénover et redessiner avec la France, lors de cette visite, un nouveau partenariat stratégique qui va certainement donc répondre à beaucoup de problèmes. Que ce soit sur le plan régional ou sur le plan bilatéral, chacun peut apporter beaucoup à l'autre.
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Mon, 28 Oct 2024 - 1092 - Antonio David (FMI): «Les mesures prises en Afrique vont considérablement réduire l’inflation»
Comment se portent les économies africaines ? Le Fonds monétaire international referme ce samedi ses Assemblées annuelles avec la Banque mondiale à Washington. L'institution financière prévoit une croissance de 3,6 % cette année en Afrique subsaharienne dans son rapport sur les perspectives régionales. Quels sont les effets des mesures d’austérité prise dans certains pays ? Antonio David, chef adjoint au FMI en charge de l’Afrique, répond à nos questions.
RFI : Concernant les perspectives régionales pour l'Afrique subsaharienne, le rapport du FMI pointe des réformes qui « portent leurs fruits ». Quels sont, selon vous, les exemples les plus éclatants ?
Antonio David : Il s'agit vraiment de la réduction des déséquilibres macroéconomiques grâce à des efforts d'ajustement. Par exemple, on constate que l'inflation s'est réduite et près de la moitié des pays présentent des taux qui sont déjà conformes aux cibles. Tout cela grâce à un resserrement de la politique monétaire qui a été réalisé par plusieurs pays. À la suite de ces efforts-là, la dette s'est stabilisée autour de 58 % du PIB. Certes, c'est un niveau encore élevé, mais au moins, elle est sur une trajectoire stade.
Il est vrai qu'il y a des vulnérabilités qui persistent dans la région, l'inflation reste à deux chiffres dans un tiers des pays.
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Il y a encore une inflation très forte dans certains pays. Quelle solution préconisez-vous dans des pays qui ont déjà fait des efforts aussi, je pense par exemple au Nigeria.
Tout à fait. Mais en réalité, nos prévisions indiquent que l'inflation devrait poursuivre sa trajectoire descendante l'année prochaine, avec des baisses considérables, notamment en Angola, au Ghana et au Nigeria. Il faut quand même essayer et de ne pas avoir une combinaison de politiques budgétaires et monétaires qui soient trop restrictives et qui puissent exacerber les frustrations et les agitations sociales.
Au Nigeria, vous préconisiez la fin des subventions au carburant. Aujourd'hui, le prix du carburant explose. Et puis il y a une grogne sociale qui n'en finit pas.
Il est vrai que tous ces efforts de réformes qui sont essentiels pour assurer la stabilité macroéconomique ont certainement des coûts à court terme et les populations le sentent ça. Vous avez parlé du cas des prix des carburants à la pompe. On préconise par exemple de commencer par changer les prix des produits qui sont consommés par les couches les plus aisées, avant de passer à des produits qui sont consommés par les plus pauvres.
Concernant le Niger, êtes-vous optimiste aujourd'hui, alors que la situation géopolitique est toujours tendue et et que les revenus pétroliers aujourd'hui sont conditionnés par le maintien d’un accord friable avec le Bénin ?
Nous sommes en temps de préparer une mission qui va partir à Niamey à la semaine du 28 octobre. C'est vrai qu'en termes de croissance à court terme, ils sont plutôt favorables grâce à plusieurs facteurs : le démarrage des exportations pétrolières, la levée des sanctions et également une campagne agricole qui sera très favorable cette année. Certes, il y a des tensions à la frontière avec le Bénin qui pèsent sur cette perspective, mais dans la projection de base, les exportations pétrolières vont se poursuivre et vont être des facteurs porteurs de la croissance cette année.
Les pays de l’AES, l'Alliance des États du Sahel, maintiennent vouloir quitter la Cédéao. Quel sera l'impact de cette décision sur leurs économies et sur leurs finances publiques ?
Nous nous sommes concentrés sur trois canaux de transmission. Premièrement, le commerce transfrontalier, surtout avec les pays membres de la Cédéao que ne sont pas membres de l'Uemoa, tels que le Nigeria et le Ghana par exemple. Ils pourraient être affectés par cette décision s'il y a une augmentation des droits de douane par exemple. Le deuxième facteur serait la mobilité de la main d'œuvre. Et le troisième, qui est assez important, c'est l'incertitude économique qui aura peut-être un impact sur les primes, des risques des pays de l'AES, ainsi que des répercussions peut-être négatives sur le flux d'investissements directs étrangers.
Nous trouvons que l'impact de cette décision de sortir de la Cédéao sera plutôt modéré dans les trois pays et pourrait être atténuée par d'autres accords commerciaux qui pourraient être signés. Cela notamment dans le cadre de la zone de libre échange continental africain.
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Sat, 26 Oct 2024 - 1091 - RDC: «Il y a clairement à l’UDPS, une volonté d’avoir un mandat qui va au-delà de cinq ans», dit Fred Bauma
Pourquoi le président congolais Félix Tshisekedi veut-il changer la Constitution de son pays ? Est-ce dans le but de pouvoir briguer un troisième mandat en 2028 ? La question se pose après le discours qu'il a prononcé ce mercredi soir à Kisangani. « Pour changer le nombre de mandats présidentiels, il faut que vous, le peuple, puissiez le décider», a-t-il notamment déclaré. Et comment vont réagir les Congolais à ce projet ? Fred Bauma est le directeur exécutif d'Ebuteli, l'Institut congolais de recherches sur la gouvernance, la politique et la violence. En ligne de Goma, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Quelle peut être la principale raison pour laquelle le président Tshisekedi veut changer la Constitution ?
Fred Bauma : Alors la première raison, c'est le désir d'avoir plus de contrôle sur les institutionnels [NDLR : les juges de la Cour constitutionnelle, etc.], la deuxième raison qu’il n'a pas encore exprimée, c'est probablement la volonté d'avoir un nouveau mandat, un 3e mandat.
Voilà plusieurs semaines que le parti au pouvoir UDPS plaide pour un changement de Constitution. Est-ce à dire qu'Augustin Kabuya, le secrétaire général de ce parti, est un chaud partisan d'un éventuel 3e mandat de Félix Tshisekedi ?
Ça fait plusieurs mois d'ailleurs que les membres de l’UDPS (l'Union pour la démocratie et le progrès social) et plusieurs alliés du président de la République ne cessent de remettre en cause la durée du mandat. L'argument qui a déjà été présenté par Kabuya, c'est de dire qu'en réalité le président ne gouverne pas 5 ans, qu'il gouverne beaucoup moins et qu'il a besoin d'un long mandat. Et je pense que, si on s’en tient aux commentaires des leaders de l’UDPS, il y a clairement une volonté d'avoir un mandat qui va au-delà de 5 ans et d'avoir plusieurs mandats. Et le discours du président de la République ne semble pas contredire cela aujourd’hui.
Alors du côté de l'opposition, comment va-t-on réagir à votre avis ?
Du côté de l'opposition, il est clair que l'opposition n'est pas d'accord avec cette révision de la Constitution. Je pense que ça donne de nouveau des arguments à l'opposition pour se mobiliser autour de quelque chose. Et je pense qu'au-delà de l'opposition, et au-delà du pouvoir, le vrai danger de cette démarche, c'est d'éloigner davantage les questions qui touchent réellement à la vie de la population et d'offrir aux Congolais un nouveau sujet de distraction, qui prendra plusieurs mois et beaucoup d'énergie, et qui nous éloignera davantage des questions de sécurité, des questions de corruption, des questions économiques et sociales qui sont pourtant la priorité des Congolais.
Du côté du parti ECIDE (Engagement pour la Citoyenneté et le Développement) de Martin Fayulu, on déclare qu'il ne faut pas jouer avec le feu. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Je pense que ça renvoie exactement aux manifestations publiques qui ont débuté avec la tentative similaire du président Kabila de modifier la Constitution. Il faut dire que le président Tshisekedi lui-même était contre cette position du régime passé. Et cette contestation a conduit à de grands troubles dans le pays et à plusieurs morts. On parle quand même de plusieurs centaines de morts entre 2015 et 2019, via la répression, en grande partie liée à la Constitution. C'est dommage que, juste quelques années plus tard, on veuille reprendre la même expérience.
Et du côté de la société civile, l'ASADHO, l'Association africaine de défense des droits de l'homme, affirme que le risque est grand que le Congo revive l'agitation des dernières années de la présidence Kabila. Qu'est-ce que cela signifie ?
Ça signifie exactement que la société civile, l'ASADHO, le mouvement citoyen – et je m'attends à ce que les églises catholiques et protestantes les rejoignent –, ça signifie que ces différentes composantes de la société civile vont s'y opposer. Cette mobilisation va certainement se heurter à la répression et ça ne sera pas sans conséquences sur la cohésion nationale, sur la stabilité des institutions et sur la vie sociale et politique du pays en général. Je pense que le président de la République ouvre la porte à une période d'instabilité dont il n'avait pas besoin.
Du coté maintenant des alliés du Président de Tshisekedi, qui ont appelé l'an dernier à voter pour lui dans l'espoir qu'il partirait en 2029 et que leur propre tour arriverait, est-ce qu'il ne va pas y avoir des déçus ?
Il va certainement y avoir de déçus. Je pense que c'est une décision qui divise au sein de l'Union sacrée. La grande question, c'est : est-ce que les déçus seront suffisamment courageux pour porter haut leur désaccord. On est quand même dans un régime politique et dans un système où il y a une sorte de capture de l'État par une élite qui est très bien rémunérée et qui bénéficie d'énormes avantages. Et je pense que, pour choisir la confrontation, certains devront mettre sur la balance les avantages économiques qu'ils perçoivent de ce régime, ici, tant l'opportunisme politique en RDC n'est pas quelque chose à sous-estimer.
Depuis 6 ans, l'UNC de Vital Kamerhe est alliée à l'UDPS de Félix Tshisekedi, mais est ce que ce parti et son chef, qui préside actuellement l'Assemblée nationale, vont avoir intérêt à rester dans cette Union sacrée ?
Je pense que ça dépendra de la réaction populaire. Vital Kamerhe, c’est un allié clé du président de la République pour l'instant, mais c'est aussi potentiellement un candidat sérieux aux prochaines élections présidentielles. Est ce qu'il voudra soutenir une réforme pareille qui pourra l'isoler, spécialement si la population est contre ? Je ne pense pas. Je crois que des personnalités politiques comme Vital Kamerhe, ou comme d'autres d'ailleurs, regardent ces débats aussi avec beaucoup d’opportunisme. Et ça pourrait être une occasion en or de s'émanciper de l'Union sacrée et de porter de nouveau un discours radical contre le régime.
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Fri, 25 Oct 2024 - 1090 - Abderaman Koulamallah, MAE tchadien: «Le Tchad n'a aucun intérêt à amplifier la guerre au Soudan»
« Non, le Tchad ne soutient aucun belligérant dans la guerre civile au Soudan ». C'est la réponse ce jeudi matin du ministre tchadien des Affaires étrangères au dirigeant soudanais Minni Arcou Minnawi, qui, hier matin à la même heure sur RFI, accusait le Tchad d'être une plateforme de transit pour les armes et les munitions expédiées par les Émirats arabes unis aux Forces de Soutien Rapide du général Hemedti. En ligne de Ndjamena, Abderaman Koulamallah, qui est à la fois le chef de la diplomatie et le porte-parole du gouvernement tchadien, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Monsieur le ministre, bonjour.
Abderaman Koulamallah :Bonjour.
Dans une interview lors de son passage à Paris, le chef de l'Armée de libération du Soudan, Minni Arcou Minnawi, a accusé le Tchad de servir de pays de transit aux armes et munitions que les Émirats arabes unis envoient aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti. Qu'est-ce que vous répondez ?
Bon, tout d'abord, ce sont des informations fantaisistes. Le Tchad n'a aucun intérêt à amplifier la guerre au Soudan en fournissant des armes. Et d'ailleurs nous sommes l'un des rares pays où la guerre du Soudan a des répercussions importantes sur notre territoire. Monsieur Minni est un personnage assez connu, assez controversé, qui quelquefois ne maîtrise pas tout ce qu'il dit, et n'a pas les bonnes informations. Ce qu'on peut dire de ce qui se passe au Soudan, ce sont les généraux qui n'ont pas écouté la voix de leur peuple, qui ont amplifié cette guerre en refusant qu'un gouvernement civil dirige le pays et ils portent à eux seuls la responsabilité de cette guerre. C'est eux qui refusent un cessez le feu. C'est eux qui refusent de mettre en place un couloir humanitaire pour leur peuple. C'est trop facile de jeter leur propre responsabilité sur les pays voisins. Nous n'avons aucun intérêt à ce que la guerre au Soudan perdure. Nous sommes le principal pays qui soutient le poids de cette guerre. Nous ne soutenons aucune des factions qui se battent sur le territoire soudanais. Nous sommes pour la paix. Nous réaffirmons notre position qui est une position cohérente. Nous sommes pour qu'il y ait un cessez-le-feu, qu'il y ait des négociations. Et que la paix revienne dans ce grand pays qui est un pays frère. Monsieur Minnawi raconte des choses qui n'ont rien à voir avec la réalité. Les allégations mensongères de certains dirigeants soudanais auraient pu ne même pas être démenties par nous, si elles n'avaient pas une répercussion grave sur l'opinion nationale tchadienne et internationale, qui doit se dire que le Tchad est un pays qui souffre de cette guerre-là. Et j'en appelle aux organisations internationales. J'en appelle au Conseil de sécurité, pour qu’eux-mêmes prennent leurs responsabilités pour mettre fin à cette guerre.
Il y a quelques mois, dans un rapport, un groupe d'experts de l'ONU a affirmé avoir observé une forte rotation d'avions cargos, en provenance de l'aéroport d'Abu Dhabi à destination de l'aéroport d'Amdjarass au Tchad, et ensuite avoir observé que des caisses d'armes et de munitions étaient déchargées de ces avions cargos à destination des Forces de soutien rapide au Darfour. Comment vous réagissez ?
D'abord, aujourd'hui, nous sommes à l'ère des nouvelles technologies et il faut qu'on fournisse des images. Puisqu’ils ont observé, ça veut dire qu'ils ont des images. Ils n'ont qu'à mettre ces images à la disposition du public ! Non, ce sont des allégations complètement mensongères. Et nous n'avons même pas jugé utile de répondre à ces allégations. Nous avons des bonnes relations avec les Émirats arabes unis, qui sont des relations économiques, des relations bilatérales, qui sont solides depuis longtemps. Mais en aucun cas, cette relation ne revêt un caractère militaire en fournissant des armes à quelque faction. Aucune preuve n'est apportée, aucune image satellite n’a été apportée. Comment voulez-vous qu'on prenne au sérieux ce genre d'allégations qui sont faites par des fonctionnaires, certainement qui ont d'autres intérêts que celui de dire la vérité ?
Dans cette interview, Minni Arcou Minnawi ne nie pas que l'armée soudanaise reçoit des armes et des munitions de l'extérieur, mais il affirme qu'on ne peut pas comparer cette institution nationale, l'armée soudanaise, avec les Forces de soutien rapide, qui sont, dit-il, un groupe tribal qui a été créé sur une base raciale et qui, sous le nom des Janjawid, a commis en 2003 un génocide au Darfour ?
Alors, quand les militaires soudanais ont fait du général Hemedti le vice-président de la République du Soudan, ils n'avaient pas ces informations et ils viendraient seulement de les obtenir ? Je crois qu'il faut être un peu sérieux. Quand ils disent qu'ils reconnaissent recevoir d'autres armes, c'est déjà quelque chose de très grave, que des pays fournissent des armes pour perpétuer la guerre au Soudan ! Nous, nous ne le faisons pas. Monsieur Hemedti a été vice-président du Soudan, je ne vois pas comment il a atterri à ce poste, alors qu'on l'accuse de choses aussi graves ! Ils n'ont qu'à se pencher sur leur propre responsabilité au lieu de chercher à mettre la responsabilité de cette guerre sur le Tchad qui n'a rien, absolument rien, à voir avec ces allégations, que je nie de toutes mes forces. Parce que je sais que le gouvernement tchadien est un gouvernement qui ne s'occupe pas des problèmes internes des pays voisins. C'est une philosophie développée par notre chef de l’Etat, le président Mahamat Idriss Deby, qui, depuis toujours, refuse de s'ingérer dans les affaires intérieures des pays voisins.
À lire aussiMinni Minnawi, gouverneur du Darfour: «Il n’y a pas de solution militaire à la crise au Soudan»
Thu, 24 Oct 2024
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