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Le grand invité Afrique

Le grand invité Afrique

RFI

Du lundi au samedi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'État ou rebelle, footballeur ou avocate... Le grand invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois.

1115 - Armelle Mabon: «Il faut absolument passer à la reconnaissance totale du massacre de Thiaroye» au Sénégal
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  • 1115 - Armelle Mabon: «Il faut absolument passer à la reconnaissance totale du massacre de Thiaroye» au Sénégal

    À une semaine des commémorations du massacre de Thiaroye au Sénégal, l'historienne française Armelle Mabon publie un livre dans lequel elle raconte son combat pour faire la lumière sur ce qui s'est réellement passé, le 1ᵉʳ décembre 1944, lorsque des tirailleurs tout juste rentrés de France où ils avaient combattu, ont été exécutés sur ordre des autorités françaises, alors qu'ils réclamaient le paiement de leur solde de guerre. « Le massacre de Thiaroye : 1ᵉʳ décembre 1944 ; Histoire d'un mensonge d'Etat », c'est titre du livre. Armelle Mabon répond à Florence Morice.

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    Sat, 23 Nov 2024
  • 1114 - Réfugiés soudanais au Tchad: «Les humanitaires font un travail remarquable mais manquent cruellement de financements»

    SOS pour les réfugiés soudanais au Tchad. Le 15 avril, à la conférence de Paris, la communauté internationale s'est engagée à verser plus de deux milliards d'euros d'aide humanitaire pour les civils soudanais en détresse. Mais tout l'argent promis n'a pas été décaissé. Et la poursuite de la guerre civile provoque une nouvelle vague de réfugiés. Ils sont à présent plus de 900.000 dans l'est du Tchad, notamment dans la province du Ouaddaï. Charles Bouessel est l'analyste de l'ONG International Crisis Group pour l'Afrique centrale. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Déjà en 2003, plus de 400 000 personnes qui fuyaient les exactions des Janjawid s'étaient réfugiés au Tchad. Et la plupart y sont toujours. Donc les populations locales ont une tradition d'accueil, mais là, est-ce que les Ouaddaïens ne risquent pas de dire 400 000 + 900 000, ça suffit ?

    Charles Bouessel :Absolument. On a pu voir justement, pendant cette crise précédente des réfugiés, quels risques l'on pourrait affronter pour cette actuelle crise, puisque on est dans un contexte à peu près similaire, mais, avec une ampleur bien supérieure. À l'époque déjà, on avait vu, au fur et à mesure de l'arrivée de ces réfugiés et rapatriés tchadiens, une augmentation des discours xénophobes. Les habitants de la région, même s'il faut saluer leur sens de l'accueil, assez impressionnant hein, parce qu'on parle quand même d'une augmentation de 50% de la population en quelques mois, ce qui est absolument considérable et difficile à concevoir. Mais, malgré cela, voilà, on avait vu quand même le développement de violences sur les réfugiés, notamment sur ceux qui partaient chercher du bois aux abords des camps et qui se faisaient agresser. On voit ce genre d'agression se répéter aujourd'hui.

    Et là, ce sont souvent les femmes ?

    Absolument. Les femmes sont vraiment les premières personnes visées, d'abord parce que les femmes et les enfants constituent 89% des arrivées depuis le Soudan. Et parce que les femmes sont souvent chargées d'aller collecter ce bois pour la cuisine à l'extérieur des camps, donc c'est un moment où elles sont particulièrement vulnérables. On a énormément justement de violences basées sur le genre, d'agressions sexuelles, et cetera.

    En ville, on entend aussi donc des discours de populations locales qui accusent les réfugiés de faire monter les prix de la nourriture, les prix des loyers et, encore une fois, je salue donc les capacités d'accueil de cette région, parce que ces violences sont encore très très limitées. Mais si la situation continue de se dégrader, on risque d'avoir une augmentation de ce genre d'agression entre nouveaux arrivants et populations locales.

    Et comme il y a 20 ans, du temps des Janjawid, les Soudanais qui se réfugient actuellement au Tchad appartiennent à des communautés non arabes qui fuient des groupes armés à dominante arabe, notamment les Forces de Soutien Rapide, FSR, du général Émedti. Est-ce que, du coup, il ne faut pas craindre une montée d'un sentiment anti arabe dans le Ouaddaï et dans tout l'est du Tchad ?

    Absolument. On a ces angoisses identitaires qui existaient déjà et qui aujourd'hui sont renforcées par des réfugiés qui arrivent et qui sont, il faut le dire, traumatisés par ce qu'ils ont vécu au Darfour, notamment les communautés Massalit de la ville de El-Geneina où, selon Human Rights Watch, un nettoyage ethnique a été commis. Les récits que l'on entend de ces réfugiés sont abominables : tortures, violences sexuelles, exécutions sommaires, pillages. Et donc, le ressentiment communautaire de ces populations s'ajoute à celui qui préexistait dans la région et pourrait mener à des nouvelles vagues de violences communautaires.

    Depuis plusieurs mois, le gouvernement soudanais du général al-Burhan accuse publiquement le Tchad de servir de plateforme logistique aux Émirats arabes unis, qui soutiennent les Forces de Soutien Rapide du général Emedty. Le Tchad dément catégoriquement, quelle est votre analyse ?

    Alors oui, le groupe d'experts des Nations-Unies sur le Soudan a sans doute été le premier à évoquer une sorte de pont aérien qui a été mis en place par les Émirats arabes unis pour livrer des armes aux Forces de Soutien Rapide depuis le Tchad. Donc ce n'est pas le Tchad qui livre des armes, ce sont les Émirats arabes unis qui utilisent le territoire tchadien a priori, selon le rapport des Nations-Unies. Il suffit aussi d'aller regarder sur des sites Internet de tracking d'avions pour effectivement voir beaucoup d'avions cargo qui atterrissent soit à N'Djamena, soit à Amdjarass.

    Et qui coupent leurs transpondeurs ?

    Et qui coupent leurs transpondeurs effectivement.

    Pour ne pas être tracés ?

    Exactement. Cet accord avec les Émirats, en fait, est intervenu à un moment où le gouvernement tchadien avait un besoin important, voir cruel, d'argent, notamment parce que le nouveau président devait renforcer, asseoir son pouvoir. Et donc tout ça coûte très cher. Et les Émirats lui ont octroyé, au moment où ce pont aérien a démarré, un prêt de 1,5 milliards de dollars, qui est l'équivalent de 80% du budget de l'État tchadien. Et donc, il est peu probable que le soutien des Émirats depuis le territoire tchadien aux FSR cesse, parce que le Tchad a toujours besoin de cet argent et que les Émirats ont depuis réoctroyé d'autres prêts. Alors ce soutien, il est aussi très risqué pour le régime tchadien parce qu'il crée des tensions en interne, notamment à l'intérieur de l'armée, puisque certaines communautés dans l'armée sont plutôt en faveur du camp opposé aux FSR, le camp d'al-Burhan et notamment les milices associées. Les milices du Darfour sont associées à ce camp d'al-Burhan et on a vu que ces tensions ont déjà mené à une série d’incidents. Et le Tchad devrait aussi considérer les risques que fait peser cette politique sur sa stabilité intérieure. Donc si El Facher tombe aux mains des FSR, d'abord, à court terme, on peut craindre une vague de massacres et de pillages similaires à celle qui s'est déroulée à El-Geneina l'année dernière. Et cela pourrait faire exploser les tensions communautaires.

     

     

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    Fri, 22 Nov 2024
  • 1113 - Ephrem Yalike: «La Centrafrique est un pays sous emprise des Russes, toutes leurs actions échappent au gouvernement»

    À Bangui, on le croit dans les prisons des mercenaires russes depuis neuf mois, ou mort. Le journaliste Ephrem Yalike a été pendant près de trois ans un rouage de la communication du groupe Wagner en Centrafrique, jusqu'à ce qu'il soit soupçonné de traitrise après la révélation d'une bavure commise par les mercenaires. Mais il a pu fuir le pays avec l'aide la plateforme des lanceurs d'alerte en Afrique (PPLAAF).

    Dans une enquête du consortium Forbidden stories à laquelle RFI est associée avec neuf autres médias, il raconte comment fonctionne le système de désinformation à Bangui, entre placement d'articles contenant des fausses informations et manifestations montées de toutes pièces.

    « Plongée dans la machine de désinformation russe en Centrafrique » est une enquête à retrouver sur RFI.fr et nos environnements numériques. 

    RFI : De 2019 à 2022, vous avez été un des communicants des mercenaires russes qui opèrent en Centrafrique. Pourquoi avez vous décidé de quitter le pays, de raconter votre histoire et de lever le voile sur les opérations de communication qu'ils mènent dans votre pays?

    Ephrem Yalike : J'ai décidé de raconter ce que j'ai vécu et ce que moi aussi j'ai eu à faire, parce que je me suis rendu compte que les Russes en Centrafrique opèrent dans un mode où il n'y a pas le respect des droits humains. C'est pourquoi je me suis dit je ne peux pas rester silencieux, je dois dénoncer ce qui se passe dans mon pays pour que ça puisse aider et que les Centrafricains puissent comprendre réellement la présence russe en Centrafrique.

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    Et pour cela, vous avez dû quitter Bangui. Parce qu'aujourd'hui, pour un journaliste centrafricain, donner la réalité de la présence russe dans le pays, c'est impossible ?

    Aujourd'hui en Centrafrique, pour un journaliste centrafricain,  dénoncer et  dire la réalité de ce que les Russes font, c'est se mettre en danger. Parce que je peux vous dire, que toutes les actions des Russes échappent au contrôle du gouvernement. Dans leur mode opératoire, quand tu dénonces, tu deviens automatiquement leur cible. C'est pour cela que je me suis dit pour que pour être libre, dire ce que je pense, et ce que je faisais, il me fallait quitter le territoire.

    D'ailleurs, jusqu'à ce matin à Bangui, tout le monde pense que vous êtes soit en prison au camp de Roux, dans les geôles des Russes, soit mort ?

    Tout à fait. En ce moment dans la capitale, le doute plane sur ma situation. Mais, je ne suis pas en prison, je suis bel et bien hors du territoire.

    Quand vous avez été approché fin 2019 par les Russes à Bangui, vous avez tout de suite accepté. Pourquoi ?

    J'ai accepté tout de suite de collaborer avec les Russes, parce que, à cette époque, la République centrafricaine venait de sortir d'une crise. En tant que Centrafricain, il était de mon devoir de contribuer au retour de la paix dans mon pays. À cette époque, la République centrafricaine a été abandonnée par son ancien partenaire, lors du départ des forces Sangaris du pays. Et l'arrivée des Russes était considérée comme un ouf de soulagement pour tout le peuple centrafricain. Donc moi étant journaliste, contacté par les Russes pour collaborer avec eux, ça m'a fait plaisir de contribuer au retour de la paix dans mon pays.

    Pour soutenir les actions des Forces armées centrafricaines. Mais il y avait aussi une motivation financière. Vous ne le cachez pas.

    Tout à fait, cette action qui m'avait été demandée était de vulgariser les actions de neutralisation menées par les forces armées centrafricaines conjointement avec les Russes, ça ne me posait aucun problème. J'ai accepté. Et deuxièmement, il y avait cette oportunité financière qui pouvait me permettre de financer mes études. En étant journaliste en République centrafricaine, c'était difficile de joindre les deux bouts seulement avec le salaire mensuel du journaliste. Dans les journaux de la place, je n'atteignait pas 70 000 francs CFA, mais quand j'ai commencé à travailler avec les Russes, automatiquement j'ai gagné plus de 200 000 francs

    200 000 puis même 500 000 plus tard ?

    Tout à fait.

    L'homme qui vous a recruté et qui sera votre interlocuteur pendant toute votre collaboration, c'est Mikhaïl Prudnikov, que vous connaissiez comme « Michel » ou « Micha ». Il était toujours flanqué d'un interprète. Qui est il exactement à Bangui ? Quelle est sa mission en Centrafrique ?

    Lui, il me dit qu'il est responsable, directeur de la communication et des relations publiques de la mission russe en République centrafricaine. Donc, c'est toujours avec lui que je collabore. Selon ce qu'il me dit, il est chargé d'analyser la méthode de la communication de la mission en République centrafricaine et d'impacter sur les médias centrafricains pour parler positivement de la mission russe dans le pays. Et maintenant d'étudier comment faire à ce que le peuple centrafricain puisse avoir confiance aux Russes qui sont dans le pays.

    Mais en réalité, il fait beaucoup plus que ça ?

    En réalité, il fait beaucoup plus que ça, et à ma connaissance, il part dans d'autres pays africains pour faire la même chose qu'en République centrafricaine.

    Alors parmi les missions que « Micha » vous assigne, il y a faire des revues de presse de tout ce qui se dit sur la présence russe dans le pays, écrire des articles pour discréditer les voix critiques, mais aussi placer des sujets favorables dans des journaux contre rétribution. Concrètement, comment est ce que ça fonctionnait?

    Tout à fait. Il me donnait une thématique, il vérifiait si c'était conforme à ses exigences. Il m'indiquait ensuite certains médias dans lesquels je devais les publier. je leur donnais 10 000 francs à chaque fin du mois. Je tenais un tableau Excel que je lui donnais avec le nom du média, l'article publié, la date et la photo pour qu'il me donne l'argent, que je puisse rémunérer chacun de ces journalistes.

    La situation de la presse en Centrafrique est-elle et si précaire au point que cette pratique n'ait jamais posé de problème ?

    La situation de la presse en République centrafricaine,  reste et demeure précaire. Donc cette situation n' gêné personne. Quand tu travailles, tu dois aussi vivre. Donc certains journalistes, même s'ils étaient contre, étaient contraints par le besoin d'argent de prendre et de publier ces articles.

    Autre mission, vous avez organisé des manifestations parfois contre la France, parfois contre les Etats-Unis, souvent contre l'ONU. Comment ça se passait exactement l'organisation de ces manifestations ?

    Parfois lui Micha m'appelait et me donnait une thématique pour la semaine. Il me disait : « Nous souhaitons que tu puisses organiser une marche pour dire que la population en a marre de la présence de la Minusca (mission de l’ONU) ». Je devais cibler un leader de la place, lui demander s'il avait  la capacité de mobiliser 500 personnes pour une manifestation devant le siège de la Minusca à telle date, et il me disait que c'était possible. La veille, « Micha » et son équipe écrivaient des mots sur les cartons, sur les papiers, pour que les manifestants puissent les tenir et faire semblant que ces écrits étaient les leur, alors qu'en réalité ça venait de Michel. Par rapport au nombre des manifestants, je remettais l'enveloppe aux leaders. Je faisais cela dans la discrétion totale pour que personne ne soit au courant.

    Et chaque jeune qui venait recevait environ 2000 francs (3euros)

    Environ 2000 francs CFA.

    Une cible récurrente de ces manifestations, c'était la Minusca, la mission de l'ONU. Pourquoi ?

    Les Russes et la Minusca sont dans le pays à peu près pour un même objectif, aider le gouvernement à pacifier le pays. Donc du coup, les Russes veulent se faire passer aux yeux du peuple centrafricain comme les meilleurs, et pour cela, il faut qu'ils puissent discréditer les actions menées par l'ONU en République centrafricaine. C'est pourquoi toutes ces manifestations visent la MINUSCA.

    Les manifestations hostiles à la présidente de la Cour constitutionnelle, madame Darlan, en 2022, et pour le changement de Constitution en 2023, ce sont aussi les Russes qui étaient à la manœuvre ?

    Les manifestations concernant la destitution de madame Darlan, les manifestations pour la Constitution, tout ça, c'était la mais des Russes derrière. Il y a certaines manifestations qui sont organisées. Mais moi qui travaille avec eux, je ne suis pas au courant. Après, ils m'appellent, ils me donnent seulement des articles, des photos à publier.

    Ce n'est pas vous qui avez organisé celles là, mais vous avez la certitude que ce sont les Russes qui les ont organisées via d'autres canaux ?

    Oui.

    Et là arrive l'épisode de Bouar. On vous a demandé d'écrire que les mercenaires de Wagner sont venus en aide à des civils peuls blessés, alors que ce sont eux qui leur ont tiré dessus. Est ce que vous pouvez nous raconter cet épisode.

    À cette époque, un matin, Micha m’appelle et me dit « Il y a une urgence, nous devons partir à Bouar pour sauver certains peuls qui sont en difficulté ». J'ai dit OK. « Nous avons retrouvé deux peuls qui  blessés à l'hôpital régional de la ville de Bouar ». Dans l'avion, Micha m'a dit qu’ils avaient été attaqués par les groupes armés, notamment les 3R. On arrive sur les lieux, il y a un interprète, la manière avec laquelle l'interprète leur demande de me parler et pour qu'il puisse m’interpréter, étant journaliste, je savais que c'était pas concrètement ce qu’ils étaient en train de lui dire et qu'il me transcrivait , donc je prenais note de tout ce qu'il me disait.

    Et quand on était dans l'avion avec lui, je lui ai dit « Michel, tu penses réellement que ce sont des 3R qui ont fait du mal à ce groupe ? Parce que je travaille avec toi, tu dois me dire la vérité pour me permettre de voir dans quel angle orienter pour que l'article puisse prendre du poids ». Il me regarde en me disant « ok, ce que je te dis, ça doit rester confidentiel entre nous. Certains de nos de nos confrères les ont attaqués. C'est après qu'on s'est rendu compte que c'étaient des innocents et nous sommes venus à leur secours pour les sauver. Donc tu dois tout faire pour que l'article soit positif à notre égard »

    Ils ont voulu prendre le contrôle du narratif. Le problème, c'est que la vérité est sortie quelques semaines plus tard dans un journal local et que vos patrons ont cru que vous les avez trahis et qu'ils vous ont menacé physiquement à ce moment là.

    Oui, un mois plus tard, la vraie information est sortie dans un journal de la place, et à ma grande surprise, un matin, j'ai reçu un appel : « je suis devant devant ta maison » alors que je ne lui ai jamais montré ma maison depuis qu’on collabore. Il m'a conduit quelque part, je ne savais même pas où on allait. Donc c'était derrière, à la sortie nord, route de Boali, on a dépassé PK 26. Il s'est arrêté et m'a dit  « je vais te poser une seule question. Tu dois me dire ce qui t'a poussé à dire la vérité à ces journalistes qui ont dévoilé l'information ». A ce moment-là, il a déposé son arme à côté. Automatiquement, il a ramassé mon téléphone.

    Son interprète a commencé à fouiller pour voir avec qui j'avais été en contact. Il a fouillé. Il n'a rien trouvé. Il m'a menacé. « Tu dois l'avouer, ici, il y a personne ici. Tu sais ce qui peut t'arriver » J’ai dit « Michel, je ne peux pas dire ce que je n'ai pas fait ». Il a insisté, avec des menaces à l'appui, des intimidations de mort. Je lui ai dit « Si je l'avais fait, je te l'aurais dit. Je n'ai rien fait, je te l'ai dit ». J'étais apeuré. Mais comme je n'avais rien fait, je ,'ai pas avoué ce que je n'avais pas fait. Il a pris mon téléphone, il est parti. Il m'avait abandonné dans cette brousse. Cette information, je l'ai dite à personne parce qu'en me quittant, il m'a dit : « tout ce qui vient de se passer ici, mettons en tête que nos services secrets sont désormais derrière toi. Si on entend un seul instant que tu as été menacé, tu ne resteras pas vivant ».

    Effectivement, ils vous tiennent bien à l'œil, puisque deux ans plus tard, après une longue préparation, vous vous apprêtez à quitter le pays en février 2024 et au moment où vous allez partir de l'aéroport de Bangui, vous êtes retenu. Et là, vous comprenez que ce sont les Russes qui sont à la manœuvre et qui vous font retenir à l'aéroport dans un bureau de police.

    Tout à fait. À ma grande surprise, à mon départ, j'ai été retenu à l'aéroport, empêché de voyager par le commissaire qui n'arrivait pas à m'en donner la raison en plus. Il m'a dit : « Tu penses partir avec toutes les informations que tu détiens ». Je lui ai demandé : « quelles informations ? » « Tu vas voir avec les Russes ». Le commissaire de l'aéroport a été commissionné par les Russes pour m'empêcher de voyager à l'aéroport ce jour là.

    Donc le reste de votre famille a pu partir. Vous, vous vous êtes caché quelques jours, êtes parvenu à traverser l'Oubangui en pirogue et ensuite via le Congo, à gagner la France. Avec le recul, est ce que vous regrettez cette collaboration ? Est ce que vous regrettez vos actions ?

    Si je n'avais pas regretté cette collaboration, je n'aurais  pas décidé de les dénoncer. J'ai regretté cette collaboration parce que moi, au départ, je croyais que c'était pour aider mon pays. Ils se présentent comme des partenaires venus aider à ce pour la paix, mais font autre chose, violentent, sont dans la désinformation, trompent l'opinion. C'est pas en faisant ça, qu'on va aider le peuple. Du coup, j'ai regretté l'action que moi-même j'ai posée en collaborant avec eux.

    Comment vous qualifieriez aujourd'hui la présence russe en Centrafrique?

    C'est une présence d'intérêts personnels, des intérêts des Wagner, des intérêts des Russes. Ils n'aident pas. Je parie ma tête que s'il était question d'arrêter la violence en Centrafrique, les Russes l'auraient fait depuis longtemps. Il font semblant pour que la crise perdure et que leur présence puisse s'élargir en République centrafricaine, pour qu'ils puissent mettre en œuvre tous les plans qu'ils ont en tête.

    C'est un pays sous emprise ?

    Selon moi, c'est un pays sous emprise des Russes, on le voit avec les actions menées par les Russes, l'exemple est simple : quand j'ai été empêché à l'aéroport de voyager, ça c'est une violation à ma liberté d'aller et de revenir. Mon avocat a contacté les autorités judiciaires et policières. Jusqu'alors, il n'y a eu aucune réponse parce que l'instruction vient des Russes. Rien ne peut se faire sans eux.

    Votre témoignage et les éléments factuels qui sont présentés dans l'enquête de Forbidden Story amèneront des attaques contre vous au pays. On vous appellera sûrement un traître ou un vendu. Que répondez vous à ceux qui douteraient de votre franchise ou de votre honnêteté ?

    C'était moi seul qui ai travaillé avec eux et quand je travaillais avec eux, je ne l'ai dit à personne. Et si aujourd'hui j'ai décidé de dénoncer, il en va de mon honnêteté et de ma dignité. Ceux qui pensent que j'ai été manipulé, que je suis un vendu, c'est leur point de vue. D'ailleurs, j'ai la conscience tranquille. Les vrais patriotes en Centrafrique m'ont encouragé. Tout ce qui se dira,  me sera égal parce que je ne regrette rien.

    L'enquête est à lire ici : Plongée dans la machine de désinformation russe en Centrafrique

    Thu, 21 Nov 2024
  • 1112 - Pascal Affi N'Guessan: «Ce serait un grand risque que monsieur Ouattara soit candidat en 2025»

    En Côte d'Ivoire, nous ne sommes plus qu'à onze mois de la présidentielle, et Pascal Affi N'Guessan vient d'être désigné par le Front populaire ivoirien (le FPI), comme son candidat à ce scrutin. L'ancien Premier ministre ira-t-il seul à la bataille ? Non, déclare-t-il ce matin sur RFI. Pascal Affi N'Guessan est en train de se réconcilier avec l'ancien président Laurent Gbagbo. Il nous révèle qu'une rencontre entre les deux leaders historiques de la gauche ivoirienne est même envisagée. De passage à Paris, le président du FPI répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Vous êtes candidat à la présidentielle de l'an prochain pour le FPI. Mais en 2020, vous avez appelé à un boycott actif parce que le président Ouattara se présentait pour un troisième mandat. Si l'an prochain, il se présente pour un quatrième mandat, qu'est-ce que vous ferez ?

    Pascal Affi N'Guessan : Mais nous avons déjà appelé à ce qu'il renonce à ce quatrième mandat. Parce que déjà, le troisième mandat, vous le savez bien, a été assez chaotique. Et depuis, la situation s'est dégradée aussi bien au niveau intérieur qu'au niveau international. Ce serait un grand risque pour le pays que Monsieur Ouattara soit encore candidat en 2025.

    Et pourtant, il y a un taux de croissance annuel supérieur à 7 %, non ?

    Oui, c'est vrai. Mais vous savez, le taux de croissance n'a rien à voir avec la réalité. Sur le plan social, c'est la catastrophe. L'espérance de vie a reculé sous Monsieur Ouattara de 58 à 57 ans. L'indice de développement humain s'est dégradé. Il y a beaucoup de pauvreté. Sur le plan politique, la réconciliation nationale est un échec. Sur le plan de la gouvernance, il y a beaucoup de malversations, beaucoup d'enrichissement illicite, de corruption. Et donc il y a une forte attente de la part des Ivoiriens au changement.

    Le RHDP au pouvoir appelle Alassane Ouattara à se présenter l'an prochain. A votre avis, il va y aller ou pas ?

    Je ne crois pas. Je ne pense pas. Parce que Monsieur Ouattara est bien conscient du risque que cela représente pour lui-même et pour le pays s'il était candidat.

    Et à votre avis, qui sera le dauphin d'Alassane Ouattara pour le RHDP ?

    C'est une question interne.

    Vous avez une petite idée ?

    Oui, j'ai une petite idée, mais je la garde pour moi.

    On parle du vice-président Tiémoko Meyliet Koné…

    Évidemment. Quand on a été vice-président, on aspire légitimement à être président. Donc ce ne serait pas une surprise si c'était lui qui était choisi comme le candidat du RHDP.

    Et quelle est votre stratégie en vue de la présidentielle d'octobre prochain ? C'est d'y aller seul ou de faire alliance avec d'autres ?

    Vous savez, en Côte d'Ivoire, aucun parti à l'heure actuelle, qu'il soit au pouvoir ou pas, ne peut gagner seul. Nous avons des appels du pied émanant du PPA-CI du président Laurent Gbagbo et il y a donc des frémissements en faveur de ces retrouvailles. Et je suis persuadé que nous allons nous retrouver pour gagner ensemble l'élection de 2025.

    Alors, Laurent Gbagbo n'a pas toujours été gentil avec vous. Quand il est parti avec le PPA-CI, il a traité votre parti FPI « d'enveloppe vide »…

    C’est ça. Mais aujourd'hui, le président Gbagbo se tourne vers cette enveloppe soi-disant « vide », ce qui signifie qu'elle n'est pas aussi vide que ça, parce qu'on ne court pas derrière une enveloppe vide, on ne fait pas appel à une enveloppe vide pour construire un rassemblement. Le président Gbagbo a bien compris que c'est dans ces retrouvailles que nous avons une chance de revenir au pouvoir. Il a lancé un appel depuis Bonoua [le 14 juillet dernier], il a envoyé plusieurs délégations en notre direction et donc je pense que le moment est venu de nous retrouver et nous allons faire en sorte que ces retrouvailles-là conduisent notre famille politique au pouvoir en 2025.

    Et vous seriez tous deux candidats en octobre, quitte à vous désister pour le mieux placé au deuxième tour ? Comment vous voyez les choses ?

    Tout cela est à négocier. Juste avant ce déplacement en Europe, nous avons reçu une délégation du PPA-CI et il est question que le président Gbagbo et moi, nous nous retrouvions, parce qu'au-delà de l'accord, il y a une réconciliation à organiser. Nous nous sommes opposés. Pour pouvoir rassurer l'opinion, pour pouvoir crédibiliser une quelconque alliance, il faut d'abord que nous donnions des signaux forts à l'opinion, pour montrer que nous avons tourné la page des dissensions. Et cette nouvelle dynamique doit être matérialisée par une rencontre. Et je pense qu'à l'occasion de cette rencontre, nous allons échanger sur la manière d'aller ensemble à ces élections de 2025.

    Et si Laurent Gbagbo reste inéligible, que se passera-t-il ?

    Il appartiendra au président Gbagbo de voir quelle est la posture à adopter. Mais ce qui est important, c'est que nous soyons ensemble pour ces élections, soit avec le candidat du FPI soutenu par le PPA-CI. Évidemment, étant donné qu'il y a un ticket, ce sont des choses qui se négocient, pour mobiliser l'électorat de gauche afin qu'ensemble nous puissions gagner.

    Est-ce que l'ancien ministre de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, ne convoite pas lui aussi l'électorat de Laurent Gbagbo ? Et est-ce qu'il ne risque pas d'être pour vous un rival politique ?

    Il est plus jeune, il a le temps pour lui et je pense que, à l'heure actuelle, il s'agit pour la Côte d'Ivoire de savoir choisir un président qui soit en quelque sorte une passerelle entre l'ancienne génération [incarnée par] le président Gbagbo, le Président Alassane Ouattaraet cette nouvelle génération dont vous parlez. Et je pense que, logiquement, je devrais être le candidat de la transition, le candidat de la passerelle, pour permettre à cette nouvelle génération de se renforcer, et demain, d'assurer la relève.

    Wed, 20 Nov 2024
  • 1111 - Sénégal: «Le Pastef est sur la bonne voie pour gagner une majorité qualifiée»

    Au Sénégal, c'est sans doute ce mardi 19 novembre 2024 que l'on saura si le Pastef est en mesure de franchir la barre des trois cinquièmes des députés dans la future Assemblée nationale. La question est importante, car, dans ce cas, le parti du président Bassirou Diomaye Faye et du Premier ministre Ousmane Sonko pourra changer la Constitution, et faire poursuivre en justice certains dignitaires de l'ancien régime. Pape Fara Diallo est maître de conférences en sciences politiques à l'université Gaston-Berger. En ligne de Saint-Louis du Sénégal, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Est-ce que le Pastef est en mesure d'avoir une majorité qualifiée dans cette Assemblée et de pouvoir faire les réformes qu'il souhaite ?

    Pape Fara Diallo :D'après les résultats que nous voyons, au-delà d'une majorité absolue, le Pastef est sur la bonne voie pour gagner une majorité qualifiée de 99 députés au moins. Pour le moment, rien que pour le vote majoritaire, le Pastef dépasserait les 100 députés. Donc, de ce point de vue, le Pastef aura les coudées franches pour pouvoir voter des lois constitutionnelles et des lois organiques, qui lui permettraient de modifier la Constitution et d'initier les réformes majeures. Parmi ces réformes, il y a d'abord la volonté du président de la République, Bassirou Diomaye Faye, de réduire les pouvoirs du président qui sont clairement exorbitants selon notre Constitution. Entre autres réformes aussi, il y a la volonté d'installer très rapidement la Haute Cour de justice qui permettrait de juger les autorités qui avaient un privilège de juridiction, notamment les [anciens] ministres et l'ancien président de la République, parce qu'on a agité le dossier de la reddition des comptes. Pour que ce dossier puisse aboutir, il faut avoir installé la Haute Cour de justice et ça fait partie des premières mesures que cette nouvelle Assemblée prendra.

    Alors, à quelles conditions la future Assemblée nationale peut-elle instaurer une Haute Cour de justice ?

    La Haute Cour de justice est prévue dans la Constitution, mais c'est une institution qui ne peut être installée que par une majorité qualifiée de 3/5 et cela équivaut à 99 députés sur les 165.

    Et ça, c'est évidemment l'un des enjeux des jours qui viennent. Est-ce que le Pastef aura cette majorité pour pouvoir installer une Cour qui pourra juger les dignitaires de l'ancien régime, c'est ça ?

    Vu les résultats provisoires, effectivement, le Pastef est bien parti pour avoir un peu plus d'une centaine de députés et la majorité qualifiée pour pouvoir installer la Haute Cour de justice. D'autant plus que la Haute Cour de justice est la seule juridiction habilitée à juger les ministres et les anciens présidents. Et puisque le Pastef a battu campagne sur la nécessaire reddition des comptes et la promotion de la transparence et de la bonne gouvernance, l'installation de la Haute Cour de justice constitue une urgence, si on entend bien les propos du Premier ministre Ousmane Sonko durant la campagne.

    Alors avant son départ du pouvoir, Macky Sall a fait voter une loi qui amnistie les auteurs de violences depuis 2020 au Sénégal. Est-ce que cette loi ne protège pas tous ces dignitaires ?

    Oui, mais ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. C’est le parallélisme des formes en droit. Et le Premier ministre Ousmane Sonko l’a clairement annoncé durant la campagne, ça faisait partie d’ailleurs du programme de législature de Pastef, c'est qu’une fois la nouvelle Assemblée installée et qu'ils auraient une majorité qualifiée à l'Assemblée nationale, ils allaient revenir sur la loi d'amnistie.

    Depuis six mois, les Français essaient de savoir si le Pastef au pouvoir va maintenir ou fermer leur base militaire à Dakar. De ce point de vue, qu'est-ce que ce résultat des législatives peut changer ?

    Alors moi, je pense que l'État du Sénégal n'est plus dans la logique clairement affichée de vouloir fermer les bases militaires. L’État du Sénégal est dans la logique de rediscuter avec l'État français pour que les relations soient plus équilibrées. Donc, de ce point de vue, les deux visites du président Bassirou Diomaye Faye à Paris ont semblé révéler une nouvelle volonté des autorités sénégalaises de revoir leurs relations avec la France pour que cela soit des relations beaucoup plus équilibrées. Le mot « respect » est revenu plusieurs fois dans le discours du président Diomaye Faye sur le respect mutuel quand il était à Paris. Donc, je pense que l'enjeu, ce n'est pas pour le moment de fermer les bases militaires, mais de voter une loi sur le patriotisme économique et de faire en sorte que les entreprises sénégalaises puissent avoir plus de parts de marché dans la commande publique et que les entreprises étrangères, françaises principalement, ne soient pas les seules entreprises qui gagnent les plus grandes parts de marché. Mais je crois que la fermeture des bases militaires n'est plus, à mon avis, une priorité pour le gouvernement du Sénégal.

    Depuis six mois, Jean-Marie Bockel, l'envoyé personnel du président français, essaie de pouvoir venir à Dakar pour savoir quel sera l'avenir de la base militaire française sur place. Et depuis six mois, les Sénégalais lui répondent « attendez la fin des législatives ». On voit bien que c'est une façon pour le Pastef au pouvoir de gagner du temps. Comment les choses vont elles se passer dans les semaines qui viennent, à votre avis ?

    Justement, cette volonté du parti au pouvoir de gagner du temps, moi, je l'interprète comme une façon pour eux de revoir leurs priorités. En termes de résultats concrets et immédiats, qu'est-ce que l'État du Sénégal gagnerait à fermer les bases militaires françaises ? Comparé à tout ce que l'État du Sénégal peut gagner en renégociant les contrats ou bien en votant très rapidement une loi sur le patriotisme économique ? C'est une question diplomatique. La question de la fermeture des bases militaires avait été agitée dans le programme du parti Pastef avant l'élection présidentielle. Mais on n'a pas entendu une seule fois le Premier ministre Ousmane Sonko, durant la campagne pour les élections législatives, se prononcer sur la question de la fermeture ou non des bases militaires françaises.

    Tue, 19 Nov 2024
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